.
-

L'histoire de l'alchimie
Les alchimistes d'Alexandrie
Aperçu

L'art sacré
  La philosophie hermétique
  Les alchimistes d'Alexandrie

La chimie au Moyen âge
  L'alchimie arabo-musulmane
  L'alchimie dans le monde chrétien

L'alchimie au XVIe siècle

Aperçu 
Voici la liste des premiers alchimistes, d'après un ancien manuscrit grec (ms n° 2250, folio 245) :
« Connais, ô mon ami, le nom des maîtres de l'oeuvre : Platon, Aristote, Hermès, Jean l'Archiprêtre dans la Sainte Evagie, Démocrite, Zosime le Grand, Olympiodore, Stéphanus le Philosophe, Sophar le Perse, Synésius, Dioscorus le prêtre du grand Sérapis à Alexandrie, Ostanès et Comarius les initiés de l'Egypte, Marie, Cleopâtre femme du roi Ptolémée, Porphyre, Epibéchius, Pélage, Agathodémon, l'empereur Héraclius, Théophraste, Archelaüs, Petasius, Claudien, le Philosophe anonyme, Ménos le Philosophe, Pauseris, Sergius. Ce sont là les maîtres partout célèbres et oecuméniques, les nouveaux commentateurs de Platon et d'Aristote. Les pays où l'on accomplit l'oeuvre divine sont l'Egypte, la Thrace (Constantinople), Alexandrie, Chypre, et le temple de Memphis. »
Cette liste concorde avec celle que donne le Kitab al-Fihrist, encyclopédie arabe, écrite avant l'an 850 de notre ère. Ces auteurs peuvent être rangés dans quatre groupes principaux : 1° les personnages mythiques, 2° les auteurs anonymes ou pseudonymes; 3° les personnages historiques; 4° les personnages historiques ayant vécu à une époque incertaine.

Les personnages mythiques.
Le premier groupe des alchimistes renferme des personnages mythiques et divins, tels que Hermès, Isis, Agathodémon. Tous ces noms se rattachent à l'Egypte et à l'ordre de ceux qu'invoquent les gnostiques et le Poemander. Hermès Trismégiste, synonyme de Thot, était le patron des sciences et des arts dans la vieille Egypte. Les anciens livres, au nombre de vingt mille d'après les uns, de trente-six mille cinq cents, d'après les autres, portaient son nom. La tradition en vertu de laquelle on attribuait à Hermès les ouvrages secrets sur la magie, l'astrologie, la chimie, a longtemps persisté. La chimie même portait au Moyen âge le titre de science hermétique. Il vrai aussi que d'autres origines, tout aussi imaginaires, ont également été évoqués. Suivant quelques auteurs, la mythologie grecque aurait caché, sous une forme allégorique, tous les secrets de l'alchimie. Le mythe qui représente Zeus se changeant en une pluie d'or, aurait fait allusion à la distillation de l'or des philosophes. Par les yeux d'Argus, se changeant en la queue du paon, il faudrait entendre le soufre, à cause des différentes couleurs qu'il est susceptible de prendre par l'action du feu. Le mythe d'Orphée aurait caché la douceur de la quintessence et de l'or potable. Le chaos des Anciens, aurait été notre plomb (Saturne). Enfin, le mythe de Deucalion et de Pyrrha aurait révélé tout le mystère de l'alchimie...

Le nom des rois et des empereurs chimistes, tels que ceux de Sophé (Khéops),  d'Alexandre, d'Héraclius, etc., sont également supposés, conformément à un usage courant en Orient, et dans les premiers siècles de notre ère. L'histoire du gnosticisme; celle des hérésies chrétiennes, celle des philosophes mystiques d'Alexandrie, sont pleines de fausses attributions : Livre d'Enoch, Testament d'Adam, Evangiles apocryphes, etc.; attributions destinées à rattacher des doctrines modernes à une origine vénérée, soit pour en augmenter l'autorité, en les mettant sous le nom de contemporains illustres; soit pour, en sauvegarder les promoteurs contre la persécution. La proscription des mathématiciens et des Chaldéens à Rome, les massacres commandés par Dioclétien en Egypte, et la destruction par lui des ouvrages alchimiques ne justifiaient que trop de pareilles précautions. 

Les auteurs anonymes et pseudonymes.
A côté des personnages mythiques, divins ou royaux, donnés comme auteurs des vieux ouvrages de chimie, il existe toute une série d'autres noms de personnages humains et historiques, sous le patronage apocryphe ou pseudonyme desquels se sont placés les premiers alchimistes; toujours pour augmenter la célébrité de leurs ouvrages, ou pour se couvrir de la persécution. C'est ainsi qu'au Moyen âge' Albert le Grand, Raymond Lulle, saint Thomas, seront les auteurs prétendus des traités d'alchimie postérieurs. Tels sont les philosophes grecs de l'époque classique, Platon et Aristote, devenus ici pseudonymes; ainsi que les philosophes des vieilles écoles, Thalès, Héraclite, Démocrite et Pythagore, etc.; tels aussi les philosophes grecs de l'époque alexandrine, contemporains de nos auteurs. Plusieurs, tels que Porphyre et Jamblique, sont connus d'ailleurs, comme magiciens. Il semble qu'ils aient été aussi des alchimistes : les deux sciences étaient congénères.

Démocrite (Pseudo-Démocrite).
Démocrite et les traditions qui s'y rattachent jouent un rôle capital dans l'histoire des origines de l'alchimie. En effet, parmi les livres venus jusqu'à nous et qui contiennent des recettes et des formules pratiques, l'ouvrage le plus ancien de tous, celui que les auteurs ayant quelque autorité historique citent, et qui n'en cite aucun, c'est celui paru (probablement au IIIe siècle) sous le nom de Démocrite, intitulé Physica et Mystica (Questions naturelles et mystérieuses), dont Piziminti de Vérone a donné, au XVIe siècle, une traduction latine (Padoue, 1578, in-8). Cet ouvrage est pseudonyme, et l'on nomme son auteur Démocrite le Mystagogue ou Pseudo-Démocrite. Mais il se rattache à l'oeuvre authentique de Démocrite par des liens faciles à entrevoir. 

Démocrite, d'Abdère, mort vers l'an 357 av. J.-C., était un rationaliste et un esprit puissant. Il avait écrit avant Aristote, qui le cite fréquemment, sur toutes les branches des connaissances humaines et il avait composé divers ouvrages relatifs aux sciences naturelles, comme Pétrone, Sénèque et Diogène Laerce nous l'apprennent. C'est le fondateur de l'école atomistique, reprise ensuite par Epicure, école qui a eu tant d'adeptes dans l'Antiquité et qui a fait de nouveau fortune, sous une forme bien différente il est vrai, parmi les chimistes modernes.

Ici l'histoire réelle compte moins, que ce que les Anciens en disaient. Démocrite, pensaient-ils, aurait voyagé en Egypte, en Chaldée et dans diverses régions de l'Orient et il avait la réputation de s'être fait initier aux connaissances théoriques et peut-être aussi aux arts pratiques de ces contrées. Pline fait de Démocrite le père de la magie et le disciple d'Ostanès et il prélude aux histoires de Synésius et de Georges le Syncelle, d'après lesquelles Démocrite aurait été initié à l'alchimie par les prêtres égyptiens et par Ostanès le Mage. 

L'ouvrage alchimique qui lui est attribué est un assemblage incohérent de plusieurs morceaux d'origine différente. Il débute, sans préambule, par un procédé technique pour teindre en pourpre; à la suite figure une évocation des enfers du maître légendaire de Démocrite (Ostanès ou Ostane le Mède). L'auteur raconte que son maître étant mort avant qu'il eût le temps d'initier son disciple aux mystères, ce dernier (le Pseudo- Démocrite) résolut de l'évoquer des enfers pour l'interroger sur les secrets de l'art sacré, et que, pendant l'évocation, le maître ayant tout à coup apparu, s'était écrié : 

« Voilà donc la récompense de tout ce que j'ai fait pour toi! »
Le Pseudo-Démocrite se hasarda à lui adresser plusieurs questions : il lui demanda, entre autres, comment il fallait disposer et harmoniser les natures. Pour toute, réponse, le maître répliqua
« Les livres sont dans le temple. »
Toutes les recherches que fit le Pseudo-Démocrite pour trouver ces livres restèrent vaines. Quelque temps après, ce philosophe se rendit au temple pour assister à une grande fête. Etant à table avec ceux qui composaient l'assemblée, il vit tout à coup une des colonnes de l'édifice s'entrouvrir spontanément. Le Pseudo-Démocrite s'étant baissé pour regarder dans l'ouverture de la colonne, y aperçut les livres désignés par le maître. Mais il n'y avait que ces trois phrases : 
« La nature se réjouit de la nature, la nature dompte la nature, la nature domine la nature. Nous fûmes, ajoute l'auteur, fort étonné de voir que ce peu de mots contint toute la doctrine du maître. »
Cette citation montre que les alchimistes au Moyen âge n'étaient que les imitateurs serviles des maîtres de l'art sacré : ils les copiaient même jusqu'aux contes dont ils défrayaient la crédulité. Ainsi, l'histoire de la colonne d'un temple entrouverte se retrouve, au XIVe siècle, littéralement appliquée à un moine allemand, à Basile Valentin.

Viennent ensuite des recettes alchimiques pour faire de l'or.

 « Prenez dit-il, du mercure, fixez-le avec le corps de la magnésie ou avec le corps du stibiurn d'Italie, ou avec le. soufre qui n'a pas passé par le feu, ou avec l'aphroselinum ou la chaux vive, ou avec l'alun de Mélos, ou avec l'arsenic, ou comme il vous plaira jetez la poudre blanche sur le cuivre, et vous verrez le çuivre perdre sa couleur. Répandez de la poudre rouge sur l'argent, et vous aurez de l'or; si vous la projetez sur de l'or, vous aurez le corail d'or corporifié. La sandaraque produit la même poudre rouge, ainsi que l'arsenic bien préparé et le cinabre. La nature dompte la nature. »
C'est en fondant leurs opérations sur de pareilles recettes que les alchimistes occupaient leur temps. Le corail d'or qui porte ailleurs le nom de coquille d'or, était le chef-d'oeuvre de l'art; car un seul grain de cette espèce de poudre de projection devait suffire pour produire immédiatement une grande quantité d'or.

Un certain nombre de ces recettes sont à peu près les mêmes que celles des Papyrus de Leyde. Ces papyrus contiennent aussi le nom de Démocrite. Il paraît en effet avoir existé en Egypte, vers le début de l'ère chrétienne, une école démocritaine ayant écrit sur les sciences naturelles; les noms de quelques-uns de ses adeptes, tels que Bolus de Mendès et Pétésis, sont venus jusqu'à nous; ce sont leurs écrits qui ont été attribués plus tard à Démocrite lui-même et les alchimistes se rattachaient à cette tradition. Ostanès le Mède, Sophar le Persan, le Pseudo-Zoroastre, y sont aussi rattachés et rappellent les racines babyloniennes et persanes de la science. Un certain nombre d'autres noms sont au contraire ceux d'auteurs égyptiens, peut-être apocryphes, peut-être réels, tels que Chemes ou Chymes, éponyme de la Chimie, Pebechius (l'Epervier, symbole d'Horus) cité dans Pline, Petesis (le don d'Isis) cité dans Dioscoride, Pammenès, cité dans les Papyrus de Leyde, etc. 

Les personnages historiques.
Le troisième groupe renferme des personnages historiques, depuis le IIIe jusqu'au VIIe siècle de notre ère. Au temps de Théodose surtout, l'alchimie paraît être florissante, au point d'être célébrée par un groupe de poètes. 

Zosime le Panopolitain.
Parmi ces auteurs nous citerons d'abord Zosime, surnommé le Thébain ou, plus souvent, le Panopolitain. Zosime doit être considéré comme le principal maître de l'art sacré, le plus ancien, en tout cas, des auteurs alchimiques dont nous possédions les écrits authentiques et auxquels nous soyons autorisés à attribuer une existence réelle. Il semble appartenir à l'époque de Clément d'Alexandrie et de Tertullien. Tous les alchimistes en parlent avec le plus profond respect; c'est la couronne des philosophes; son langage a la profondeur de l'abîme. 

Suivant Photius, Zosime avait dédié à sa soeur Théosébie vingt-huit livres sur la chimie. Suidas a aussi fait mention de Zosime, qu'il appelle philosophe d'Alexandrie, et il ajoute que ce philosophe avait écrit des ouvrages de chimie.

Les principaux ouvrages de Zosime, écrits en grec, ont pour titres :

1° Sur les fourneaux et les instruments de chimie. - L'auteur affirme qu'il a vu, dans un ancien temple de Memphis, les modèles des appareils qu'il décrit. C'étaient de véritables appareils distillatoires. On y remarque le ballon ou matras qui recevait la matière à distiller; le récipient où se condensait le produit de la distillation, et un ajustage de tubes, qui faisait communiquer le ballon avec le récipient. C'est donc par erreur qu'on a longtemps attribué aux Arabes l'invention de l'art distillatoire. 

Sur la vertu et la composition des eaux. - Ce petit traité serait mieux intitulé le Songe d'un alchimiste. Les matières minérales y soit représentées sous forme humaine : il y a le chrysanthrope ( = homme d'or), l'argyranthrope ( = homme d'argent), le khalkanthrope ( = homme d'airain) et l'anthropoparios ( = homme de marbre). Ce dernier apparaît revêtu d'un manteau rouge, royal; il se jette dans le feu où son corps est consumé entièrement. La scène se termine par cette recette : 

« Prends du sel et arrose le soufre brillant, jaune; lie-le pour qu'il ait de la force, et fais intervenir la fleur d'airain, et fais de cela un acide (oxos), liquide, blanc. Prépare la fleur d'airain graduellement. Dans tout cela tu dompteras le cuivre blanc, tu le distilleras, et tu trouveras, après la troisième opération, un produit qui donne de l'or. »
Si la fleur d'airain est, comme tout concourt à le démontrer, le sulfate de cuivre. l'acide obtenu par la dislillation aura été l'acide sulfurique. C'est donc là que nous voyons, pour la première fois, nettement apparaitre l'un des principaux dissolvants des métaux, sans lesquels la chimie serait impossible.

Sur l'eau divine (ou Sur l'évaporation de l'eau divine qui fixe le mercure). - L'eau divine était tout simplement le mercure, appelé aussi l'eau-argent, principe androgyne, principe toujours fugitif,

« constant dans ses propriétés, eau divine que tout le monde ignore, et dont la nature est inexplicable : ce n'est ni un métal, ni l'eau toujours en mouvement, ni un corps, c'est le tout dans le tout; il a une vie et un esprit. » 
Ce fut probablement de ce passage que s'emparèrent les alchimistes pour ériger en axiome, que le mercure est le principe de toutes choses.

Sur l'art sacré de faire de l'argent (aussi intitulé Ecrit authentique de Zosime le Panopolitain, sur l'art sacré et divin de la fabrication de l'or et de l'argent). - Le commencement de ce petit traité mérite d'être signalé.

« Prenez, dit Zosime, l'âme de cuivre qui se tient au-dessus de l'eau du mercure, et dégagez un corps aériforme. L'âme du cuivre, d'abord étroitement renfermée dans le vase, se portera eu haut; l'eau restera en bas dans le creuset. »
L'âme du cuivre, qui se tient au-dessus de l'eau de mercure et dégage un corps aériforme, ne peut être que l'oxyde de mercure. Le cuivre, en effet, rappelle cet oxyde par sa couleur rouge; et le mot âme s'explique parce que l'oxyde rouge de mercure dégage, par l'action prolongée de la chaleur, un esprit, un corps aériforme, pour employer l'expression même de l'auteur. Naturellement l'esprit se porte en haut, pendant que l'eau du mercure, c'est-à-dire le mercure redevenu liquide, restera en bas dans le matras. Or, aucun chimiste n'ignore que l'esprit ainsi obtenu est le gaz oxygène. Zosime connut-il le moyen de le recueillir? Cela n'est pas probable. Quoi qu'il en soit, c'était bien l'oxygène qu'il avait obtenu. Mais il se passa encore bien des siècles avant qu'on fût mis à même de l'étudier. Nouvelle preuve que les grandes découvertes ont été plus ou moins clairement entrevues à des époques différentes. Aussi peuvent-elles, à juste titre, être considérées comme le patrimoine du genre humain.

Zosime avait aussi écrit une Vie de Platon; le  Livre sur la vertu et l'interprétation; le Livre de la vérité de Sophé l'Egyptien, le Livre mystique de Zosime le Thébain; Le premier livre de l'accomplissement (mot à mot, du solde final); Sur le Tribicus (alambic à trois pointes) et sur son tube, avec figures. La plupart de ces ouvrages sont aujourd'hui perdus. 

Pélage
Pélage était probablement contemporain de Zosime. Dans un petit écrit sur l'art sacré, il traite particulièrement de la coloration des métaux, soit par l'oxydation ou la sulfuration, soit par les dissolutions. Il cite Démocrite (le Pseudo-Démocrite) et deux Zosime, l'un surnommé l'Ancien et l'autre le Physicien.

« Qu'on se rappelle, dit-il, ce que nous enseignent les anciens : le cuivre ne teint pas; mais, lorsqu'il est teint, il est propre à teindre. C'est pourquoi les maîtres désignent le cuivre comme le plus convenable à l'oeuvre; car dès qu'il est teint, il peut lui-même teindre; dans le cas contraire, il ne le pourra point. »
Pour amalgamer l'or et le mercure, Pélage donne un procédé indirect.
 « Pour faire, dit-il, on amalgame d'or, prenez une partie d'or et trois parties de magnésie et de cinabre (sulfure rouge de mercure). » 
Dans celle opération, le mercure ne pouvait se porter sur l'or qu'après avoir cédé le soufre à la magnésie.

Marie la juive.
L'autorité de Marie la Juive est souvent invoquée par les alchimistes. Cette savante avait, semble-t-il, été initiée en même temps que le Pseudo-Démocrite aux mystères de l'art sacré, dans le temple de Memphis. Les fragments qui nous restent d'elle sont des extraits faits par un philosophe chrétien anonyme. La citation suivante en peut donner une idée-

« Il y a deux combinaisons : l'une, appelée leucosis, appartient à l'action de blanchir; l'autre, appelée xanthosis, relève de l'action de jaunir : l'une se fait par la trituration, l'autre par la calcination. On ne triture saintement, avec simplicité, que dans le domicile sacré : là s'effectuent la dissolution et le dépôt. Combinez ensemble le mâle et la femelle, et vous trouverez ce que vous cherchez. Ne vous inquiétez pas de savoir si l'oeuvre est de feu. Les deux combinaisons portent beaucoup de noms, tels que eau de saumure, eau divine incorruptible, eau de vinaigre, eau de l'acide du sel marin, de l'huile de ricin, du raifort et du baume; on l'appelle aussi eau de lait d'une femme accouchée d'un enfant mâle, eau de lait d'une vache noire, eau d'urine d'une jeune vache ou d'une brebis, ou d'un âne, eau de chaux vive, de marbre, de tartre, de sandaraque, d'alun schisteux, de nitre, etc. Les vases ou les instruments destinés à ces combinaisons doivent être en verre. Il faut se garder de remuer le mélange avec les mains; car le mercure est mortel, ainsi que l'or qui s'y trouve corrompu. »
Ce passage contient la première mention qui ait été faite de l'acide chlorhydrique Sous le nom d'acide du sel marin. C'est, dans l'ordre de leur découverte, le second des dissolvants des métaux; car l'acide sulfurique, nous l'avons montré plus haut, fut découvert avant celui-là.

Dans une des nombreuses recettes pour faire de l'or, Marie parle de la racine de mandragore ayant des tubercules ronds. Si, comme tout concourt à le faire penser, la mandragore était une Solanée, le solanum ayant la racine chargée de tubercules ronds, ne pouvait être que la pomme de terre, solanurn tuberosum. Mais que devient alors l'opinion jusqu'à présent universellement admise, d'après laquelle la pomme de terre nous vient de l'Amérique? Lors même qu'on voudrait faire vivre l'alchimiste Marie à une époque beaucoup plus récente que celle que nous lui avons assignée, il n'en est pas moins certain que l'écriture des manuscrits grecs où Marie se trouve mentionnée, est antérieure à la découverte du Nouveau-Monde...

Marie imagina divers appareils propres à la fusion et à la distillation. Dans la description d'un  de ces appareils, nommé kérotakis, elle s'étend sur une invention particulière pour transmettre la chaleur à la cornue par I'intermédiaire d'un bain de sable ou de cendres. Ce bain porte encore aujourd'hui le nom de bain-marie.

Synésius.
Peut-être est-il le même que le célèbre philosophe, évêque de Ptolémaïs, connu par ses Lettres et par un traité sur les Songes, d'après les doctrines néoplatoniciennes. Si cette idendification est la bonne, Synésius est un homme important dans l'histoire du IVe siècle; il est mort en 415. II fut nommé (en 401) par ses concitoyens évêque de Ptolémaïs en Cyrénaïque, comme le citoyen principal de la ville et le plus capable de la défendre contre les barbares. C'était un singulier évêque, marié, gardant sa femme et ses enfants, à peine chrétien; car il ne croit pas aux dogmes contraires à la philosophie. Astronome, physicien, agriculteur, chasseur, ambassadeur à Constantinople auprès de l'empereur Arcadius, il fut d'abord païen et cependant ami du patriarche Théophile, qui le consacra évêque, malgré toutes ses réserves, en acceptant sa déclaration qu'il faut cacher la vérité au peuple, et en lui laissant conserver sa femme. 

Bref, Synésius était un esprit universel. Ses oeuvres ont été publiées à Paris en 1631, avec celles de saint Cyrille. Elles contiennent divers ouvrages philosophiques, qui se rattachent aux doctrines néoplatoniciennes,et une correspondance très intéressante. Ainsi on connaît de lui une lettre à Hypatie, la célèbre philosophe d'Alexandrie massacrée plus tard par les chrétiens, lettre qui renferme la première indication connue de l'aéromètre. Il était initié aux doctrines occultes de son temps; il a écrit un livre sur les songes et leur interprétation, et des hymnes gnostiques, congénères des poèmes alchimiques. 

D'après une observation très judicieuse de Synésius, l'opérateur ne fait que modifier la matière : il est comme l'artiste, qui ne crée ni la pierre ni le bois sur lesquels il travaille; il ne fait que les façonner avec ses instruments, suivant l'usage auquel il les destine.

Ses Commentaires (sur les Physica et Mystica), en partie imprimés à la fin du tome VIII de la Bibliothèque grecque de Fabricius, sont dédiés à Dioscorus, grand prêtre de Sérapis à Alexandrie. C'est un texte qui développe les vues platoniciennes sur la matière première et qui n'est pas indigne du Synésius historique. Quant au Traité de la pierre philosophale, attribué à Synésius et traduit en français par P. Arnauld, il estest évidemment apocryphe; car l'auteur cite Geber, qui vivait vers le IXe siècle.

Olympiodore.
Olympiodore pourrait être le même qu'un historien grec, natif de Thèbes en Egypte, qui prit part à une ambassade envoyée auprès d'Attila, sous Honorius, en 412. Il a voyagé chez les Blemmyes, en Nubie, et visité les prêtres d'Isis à Philae, où les derniers débris de l'hellénisme, protégés par un traité, demeurèrent en honneur jusqu'en 562. Ce même Olympiodore a écrit l'histoire de son temps, de 400 à 425, et l'a dédiée à Théodose II. Mais il est plus probable que notre auteur, qui s'intitulait lui-même Philosophe d'Alexandrie, est le même que l'Olympiodore commentateur de Platon et d'Aristote, vivant vers le milieu du IVe siècle, peu de temps avec le règne de Théodose le Grand.

Quoi qu'il en soit, Photius désigne Olympiodore sous le nom caractéristique de poiêtès de profession: ce qui ne veut pas dire poète, mais alchimiste (operator), d'après l'interprétation de Reinesius et de Du Cange. Ce mot répond en effet à poiésis, qui signifie le grand oeuvre dans la langue des adeptes. L'incohérence des compositions historiques d'Olympiodore, signalée par Photius, se retrouve dans l'ouvrage alchimique qui porte son nom. Celui-ci a pour en-tête : Olympiodore philosophe à Pétasius, roi d'Arménie, sur l'art divin et sacré. Cet ouvrage a dû précéder la ruine du Sérapeum et de l'école d'Alexandrie, c.-à-d, la destruction des temples et de la culture hellénique en Egypte par le christianisme

Dans ses Commentaires sur l'art sacré et la pierre philosophale, Olympiodore classe les corps en très volatils, en peu volatils et en fixes.

« Les anciens, dit-il, admettent trois catégories de substances chimiques variables. La première comprend les substances qui se volatilisent promptement, comme le soufre; la seconde, celles qui s'enfuient lentement, comme les matières sulfureuses; la troisième, celles qui ne s'enfuient pas du tout, comme les métaux, les pierres, la terre. » 
Parmi les Anciens dont l'auteur invoque ici l'autorité, nous voyons d'abord Démocrite, Anaximandre, puis Pelage, Hermès, Marie la juive, Synesius, etc. Il leur reproche d'avoir caché la vérité sous des allégories. C'est Olympiodore qui nous apprend qu'il y avait beaucoup d'alchimistes en Egypte, pratiquant leur art au profit des rois du pays.
« Tout le royaume d'Egypte s'est maintenu, dit-il, par cet art. Il n'était permis qu'aux prêtres de s'y livrer. La physique psammurgique était l'occupation des rois. Tout prêtre ou savant qui aurait osé propager les écris des anciens était mis hors la loi. Il possédait la science, mais il ne la communiquait point. C'était une loi chez les Egyptiens de ne rien publier à ce sujet. Il ne faut donc pas en vouloir à Démocrite et aux anciens en général s'ils se sont abstenus de parler du grand oeuvre. »
Plus loin, l'auteur donne formellement à l'art sacré le nom de chimie. Qu'était-ce que cette occupation royale, nommée physique psammurgique? Olympiodore va lui-même nous le dire:
« Sachez maintenant, amis qui cultivez l'art de faire de I' or, qu'il fait préparer les sables suivant les règles de l'art; sans cela, l'oeuvre n'arrivera jamais à bonne fin. Les anciens donnent le nom de sables aux sept métaux, parce qu'ils proviennent de la terre des minerais, et qu'ils sont utiles. »
Les Commentaires d'Olympiodore renferment des données curieuses sur le tombeau d'Osiris, ainsi que sur les caractères sacrés ou hiéroglyphes dont faisaient usage les alchimistes égyptiens. On y trouve, entre autres, que les hiérogrammates (scribes sacrés) représentaient le monde, en caractères hiéroglyphiques, par un dragon qui se mord la queue (Ouroboros).

Stephanus.
Stéphanus ferme le cycle des commentateurs démocritains : c'est un médecin et un astrologue, contemporain d'Héraclius. C'est ainsi que l'on arrive vers le VIIIe siècle, où l'alchimie s'est transmise aux Syriens et aux Arabes

Personnages d'une époque incertaine.

Ostane.
Sous le nom d'Ostane, qui se lit dans Hérodote, s'est caché un néochrétien alchimiste, peut-être contemporain du Pseudo-Hermès. Dans son petit traité sur l'Art sacré et divin, il parle d'une eau merveilleuse, qui était préparée avec des serpents ramassés sur le mont Olympe. Ces serpents devaient être distillés avec du soufre et du mercure jusqu'à production d'une huile rouge. Celle-ci était ensuite broyée et distillée sept fois avec du sang de vautours à ailes d'or, pris près des cèdres du mont Liban.

« Cette eau, ajoute-t-il, ressuscite les morts et tue les vivants. » 
Cette dernière propriété était certainement plus sûre que la première : un mélange de serpents venimeux, broyés avec d'autres matières animales putréfiées, devait, étant donné en breuvage, produire l'effet d'un poison violent. Les alchimistes excellaient dans la préparation de ces sortes de poisons.

Cosmas le Solitaire.
Cosmas le Solitaire est l'auteur du petit traité qui a pour titre Interprétation de la science de la chrysopaeie. La science de faire de l'or y est appelée la vraie et mystique chimie. Cosmas a le premier parlé de l'air subtil des charbons, qui était probablement le gaz acide carbonique. On ignore absolument l'époque à laquelle il vivait.

Les autres.
A l'exemple des anciens philosophes de la Grèce, quelques philosophes hermétiques traitaient les questions de leur science sous forme de poèmes; tels étaient Hierothée, Archelaüs et Héliodore. Ce dernier avait dédié au roi Théodose le Grand ses vers Sur l'art mystique des philosophes. Théodose étant mort en 395, le poème d'Héliodore ne saurait être d'une composition postérieure à la seconde moitié du IVe siècle de notre ère. Il est donc par là démontré que dès cette époque on s'occupait d'alchimie.

Nous ne possédons aucun renseignement sur Jean d'Evigia, Elienne d'Alexandrie, Petasius, Salmanas et beaucoup d'autres, également cités au nombre de ceux qui ont écrit sur l'art sacré.(M. Berthelot / F. Hoefer).

.


[Histoire culturelle][Biographies][Les mots de la matière]
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2008. - Reproduction interdite.