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La découverte de la matière
L'histoire de l'alchimie
Aperçu

L'art sacré

La philosophie hermétique
Les alchimistes d'Alexandrie
La chimie au Moyen âge
L'alchimie arabo-musulmane
L'alchimie dans le monde chrétien
Les survivances de l'alchimie
Au XVIe siècle, au XVIIe siècle
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Dans son acception la plus courante le mot alchimie désigne l'ancienne chimie et particulièrement l'art supposé de la transmutation des métaux en or et en argent. Le livre grec de la chimie métallique, l'un des plus vieux ouvrages relatifs à cet art, comprenait la chrysopée ou art de faire de l'or, l'argyropée ou art de faire de l'argent, la fixation du mercure; il traitait des alliages, des verres colorés et émaux et de la teinture des étoffes en pourpre. Telle est la liste des connaissances pratiques que l'alchimie enseignait à l'origine, et dont elle faisait la théorie. Elle prétendait à la fois enrichir ses adeptes en leur apprenant à fabriquer l'or et l'argent, les mettre à l'abri des maladies par la préparation de la panacée, enfin, et peut-être surtout, leur procurer le bonheur parfait en les identifiant avec l'âme du monde et l'esprit universel. Cette dernière prétention montre qu'on ne peut pas réduire l'alchimie a un simple ensemble de techniques, celles-ci seraient-elles appuyées par un corpus théorique complexe. L'alchimie est aussi avant tout l'expression d'un regard sur le monde, qui, à côté de pratiques concrètes impliquant la matière, développe une spéculation philosophique et cosmologique, dite philosophie hermétique, qui implique en premier lieu l'esprit, ou plutôt le dialogue de l'esprit et de la matière. 

Ainsi l'alchimie n'est pas simplement l'ancienne chimie, et encore moins la seule chimie du Moyen âge, comme l'art sacré ou art hermétique, qu'elle prolonge, n'aurait été que la chimie des savants de l'école d'Alexandrie. C'est un système de pensée, que l'on a pu qualifier de mystique pratique, et dont on trouve des analogues ailleurs qu'en Occident, à commencer par la Chine où la chimie pratique interprétée dans le cadre du taoïsme (Lao Tse) a donné naissance, indépendamment, à une autre « alchimie ». On commettrait donc un contre-sens si l'on ne voyait dans les alchimistes que des rats de laboratoire, impatients devant leurs cornues, seulement motivés par la soif de l'or. Il y en a eu sans doute qui n'ont été que cela. Mais, à y bien regarder, ce qui caractérisait l'alchimiste, c'était au contraire la patience. Il transmettait à ses enfants les secrets d'une expérience inachevée. Et son expérience était un cheminement, une éducation au monde avant tout.

Bien sûr, chemin faisant, ce sont les alchimistes qui ont amassé un à un, péniblement, les matériaux de la chimie moderne. Nous leur devons la découverte des acides sulfurique, chlorhydrique, nitrique, de l'ammoniaque, des alcalis (bases), de l'alcool, de l'éther, du bleu de Prusse, etc. La pierre philosophale, assurément était une chimère, mais, pour savoir qu'elle n'existe pas, il fallut examiner, observer avec toutes les ressources du temps, tout ce qui était accessible aux investigations. Sans ces patientes recherches, la chimie n'existerait pas dans son état actuel de perfection. Si donc, comme on va le faire dans les pages de ce site, où l'on aborde l'alchimie principalement dans la perspective de l'histoire de la chimie, il convient de garder à l'esprit que l'alchime a été, pour ceux qui l'on pratiquée, tout autre chose que ce que nous appellerions aujourd'hui une préchimie.

Les origines de l'alchimie

Le mot alchimie n'est autre que celui de chimie, avec addition de l'article al, par les Arabes. Ce mot a été rattaché par plusieurs, par Champollion notamment, à celui de l'Egypte, Chemi, mot que les Hébreux ont traduit par Terre de Cham; on peut en rapprocher le nom d'un ouvrage fondamental, Chema, cité par Zosime (alchimiste grec du Ve siècle, auteur d'un traité sur l'art de faire de l'or), et celui d'un vieux livre, Chemi, connu des égyptologues, tous noms qui semblent aussi rappeler le nom de l'Égypte. Ainsi cette étymologie est restée vraisemblable, à côté de celle qui tire le nom de chimie du grec cheuô = fondre : d'où chymes, chyme, et les mots congénères. Au début du IIIe siècle, Alexandre d'Aphrodisie (Commentaire des météorologiques), célèbre commentateur d'Aristote, parle, en effet, le premier d'instruments chimiques ou plutôt chyiques (cuika organa), en traitant de la fusion et de la calcination. Le creuset (thganon), où l'on fondait les métaux, était un de ces instruments. Quoi qu'il en soit, il s'écoula encore plusieurs siècles avant que le nom de chimie fût généralement adopté.

Du mythe à l'histoire.
L'histoire de l'alchimie est fort obscure. C'est une science sans racine apparente, qui se manifeste tout à coup au moment de la chute de l'empire romain et qui se développe pendant tout le Moyen âge, au milieu des mystères et des symboles, sans sortir de l'état de doctrine occulte et persécutée : les savants et les philosophes - ceux que nous appellerons proprement alchimistes - s'y mêlent et s'y confondent avec les hallucinés, les magiciens, les charlatans et souvent même avec les scélérats, escrocs, empoisonneurs et falsificateurs de monnaie. Essayons de percer le mystère des origines de l'alchimie et de montrer par quels liens elle se rattache à la fois aux procédés industriels des anciens Egyptiens (La métallurgie antique), aux théories spéculatives des philosophes grecs et aux élaborations mystiques des Alexandrins et des Gnostiques.

A cette fin, voyons d'abord quelle idée les premiers alchimistes se faisaient des origines de leur science, idée qui porte le cachet et la date des conceptions religieuses et mystiques de leur époque. C'était une tradition universelle parmi les alchimistes que la science avait été fondée par Hermès : d'où la dénomination d'art hermétique, usitée jusqu'aux temps modernes. Isis, Osiris, et les dieux consacrés de l'Egypte, sont souvent cités par les vieux auteurs. Le nom même de l'antique Chéops, autrement dit Souphis ou Sophé, suivant les dialectes, figure en tête de deux livres de Zosime

Sans doute, on peut invoquer ici une tendance de la part des inventeurs méconnus ou persécutés : celle de rattacher leur science à des origines illustres et vénérables. Mais le choix même de ces ancêtres apocryphes n'est pas arbitraire; il repose d'ordinaire sur quelque tradition réelle, plus ou moins défigurée. Il est certain en effet qu'il existait en Egypte tout un ensemble de connaissances pratiques fort anciennes, relatives à l'industrie des métaux, des bronzes, des verres et des émaux, ainsi qu'à la fabrication des médicaments. Les Grecs, en recevant des Égyptiens ces connaissances et ce goût du secret qu'y entretenaient les artisans, lui donnèrent le nom de science hermétique, de Hermès Trismégiste ou Toth, dieu à qui les Égyptiens attribuaient l'invention des arts et des sciences et la rédaction des livres hermétiques qui formaient la base de l'étude de l'art sacré.

L'art sacré et l'origine de la chimie théorique.
L'art sacré nous apparaît aujourd'hui comme une chimie enveloppée de symboles et de dogmes religieux. On voit apparaître tout à coup l'art sacré vers le IIIe ou IVe siècle de l'ère chrétienne, à l'époque de la grande lutte qui éclata entre le paganisme et la religion chrétienne, c'est-à-dire à l'époque où tous les mystères, si longtemps dérobés à la connaissance du profane, furent mis en discussion et exposés aux regards du vulgaire. Dans cette lutte à mort, où deux religions, l'une vieille, l'autre jeune, fixaient l'attention du monde, il fallait montrer les armes dont chacune allait se servir.

C'est de la précieuse collection des manuscrits grecs qui nous sont parvenus qu'il a été possible de tirer à peu près tout ce que l'on sait aujourd'hui sur la science sacrée (episthmh iera) ou l'art divin et sacré (tecnh qeia kai iera). Ces textes, contemporains des écrits des gnostiques et de ceux des derniers Néoplatoniciens, établissent la filiation complexe, à la fois égyptienne, babylonienne et grecque de l'alchimie. Ils comprennent des papyrus conservés dans le musée de Leyde, et des manuscrits écrits sur parchemin, sur papier de chiffe et sur papier ordinaire, lesquels existent dans la plupart des grandes bibliothèques d'Europe, notamment dans la Bibliothèque nationale de Pariset dans la bibliothèque de Saint-Marc à Venise

On y découvre, qu'à côté des praticiens, il y eut de bonne heure des théoriciens, qui avaient la prétention de dominer et de diriger les expérimentateurs. Les Grecs surtout, occupés à transformer en philosophie les spéculations mystiques et religieuses de l'Orient, construisirent des théories métaphysiques subtiles sur la constitution des corps et leurs métamorphoses. Ces théories se manifestent dès l'origine de l'alchimie; elles dérivent des doctrines de l'école ionienne et des philosophes naturalistes sur les éléments, et plus nettement encore des doctrines platoniciennes sur la matière première, qui est devenue le mercure des philosophes

L'alchimie médiévale

Les doctrines élaborés au cours de l'Antiquité tardive seront  reprises successivement par les Arabes et par les adeptes du Moyen âge chrétien, et elles seront même, pour certaines, encore soutenues jusqu'au temps de Lavoisier. Ce qui était autrefois l'art sacré prend désormais proprement le nom d'alchimie, tout en conservant son langage symbolique et ses allures mystérieuses. 

L'alchimie arabo-musulmane.
La conquête de l'Egypte, au VIIe siècle, mit les Arabes en possession de cet art, qui devint l'objet de leurs travaux et qu'ils répandirent en Occident. La science d'Hermès Trismégiste fit l'objet des recherches, d'abord secrètes, de quelques disciples enthousiastes. Mais dès que l'empire des Califes fut fondé et que les Arabes commencèrent à cultiver au grand jour les sciences connues de leur temps, l'art sacré redevint, sous le nom d'alchimie, le but des travaux d'un grand nombre de personnalités remarquables. On mentionnera : Abou-Moussah-Djaffar al-Sofi, plus connu sous le nom de Geber, alchimiste du VIIIe siècle et inventeur d'une panacée universelle qu'il appelait élixir rouge et qui n'était qu'une dissolution d'or; au IXe siècle; Mohammed Abou Bekr Ibn Zacaria (Rhazès); au Xe siècle; Abou Ali Hossein Ibn Sina (Avicenne); au XIIe siècle, Ibn Rochd (Averroès). 

L'alchimie dans l'Europe chrétienne.
A la suite des croisades, au XIIIe siècle, l'alchimie pénètre en Europe occidentale, et nous trouvons aux premiers rangs de ses adeptes : en Angleterre, le moine Roger Bacon; en Allemagne, Albert de Bollstad, évêque de Ratisbonne (Albert le Grand); en Italie, saint Thomas d'Aquin; en France, le médecin Arnaud de Villeneuve, et son disciple Raymond Lulle, en Espagne. Au XIVe siècle, apparaît le célèbre Nicolas Flamel, écrivain, libraire de l'Université de Paris, qui n'était sans doute pas alchimiste lui-même, mais dont le nom a servi à signer plusieurs écrits hermétiques. Il vit en tout cas à l'époque où l'on cultivait le plus ardemment l'alchimie en France, qui coïncide avec les règnes des rois Jean et Philippe le Bel, qui passent, pour avoir le plus abusé de l'altération des monnaies. Nous nous bornerons à citer parmi les alchimistes d'alors, Guillaume de Paris, Odomar, Jean de Roquetaillade et Ortholain. Au XVe siècle, Basile Valentin, auteur pseudonyme si connu par ses travaux sur l'antimoine. 

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Vries : laboratoire d'alchimiste.
Le laboratoire d'alchimie
par Jan Vredeman de Vries (ca. 1590).

Pendant cette dernière phase de son existence, l'alchimie subit la double transformation que doit offrir toute science tenue secrète. Si l'on continue ici à mettre de côté la dimension symbolique et mystique de l'alchimie, pour n'en retenir que son versant pratique, on constate que d'un côté, elle s'enrichissait et se perfectionnait d'une manière continue, quoique lente, jusqu'au moment où elle se constitua au grand jour en une science nouvelle, la chimie, dont les progrès furent dès ce moment si rapides. De l'autre, elle s'égarait de plus en plus à la poursuite de deux chimères : la pierre philosophale ou substance propre à convertir les métaux vils en métaux précieux, or ou argent, et la panacée universelle, remède capable de guérir tous les maux, de rajeunir la vieillesse et de prolonger indéfiniment l'existence. Les travaux accomplis dans le but de découvrir la pierre philosophale et d'opérer la transmutation des métaux, constituaient le grand oeuvre, qui dans l'origine embrassait également la recherche de la panacée, mais qui s'en sépara plus tard.

Au XVIe siècle, Paracelse, qui popularisa les préparations opiacées et opéra une révolution dans la médecine. A partir de cette époque, l'alchimie, devenue presque entièrement médicale - c'est ce que Paracelse appelait la médecine spagirique -, perdit peu à peu de son empire sur les esprits, tandis que d'un autre côté Paracelse en divulguant les secrets de la science à Bâle dans la première chaire de chimie qui ait été fondée dans le monde (1527), préparait sa transformation dans la chimie moderne.  L'alchimie n'en quitta pas pour autant complètement la scène. Il se fonda  une société secrète, les Rose-Croix, qui cultivèrent principalement la dimension mystique de l'alchimie, mais des alchimistes traditionnels continuèrent d'exister  (Blaise de Vigenère au XVIe siècle, Eyrénée Philalèthe, au XVIIe, etc). Parmi les derniers auteurs non alchimistes qui ont cru à la pierre philosophale, nous nous bornerons à citer Glauber, Bécher, Kunckel, et semble-t-il, Stahl, qui ont laissé, d'autre part, une réputation solide en chimie. Spinoza, Leibniz croyaient encore à la pierre philosophale, à la transmutation des métaux.
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Alchimiste.
L'Alchimiste.
Taleau de William Fettes Douglas (ca. 1855).

En 1781, un certain docteur Price s'acquit une célébrité, après avoir exécuté publiquement à sept reprises différentes, la transformation du mercure en or ou en argent, au moyen de poudres de projection. (Pressé par la Société royale de Londres, dont il faisait partie, de répéter ses expériences devant elle, il s'empoisonna avec de l'huile volatile de laurier-cerise). Au XIXe siècle l'alchimie compte encore des adeptes comme Tiffereau, Balet, Papus, Strindberg, etc., et des journaux tels que l'Hyperchimie. Au XXe siècle, on peut encore citer les noms de Fulcanelli, d'Eugène Canseliet et d'Armand Barbault.

Les doctrines chimiques de l'alchimie

L'art hermétique (art sacré, alchimie médiévale), tel qu'il fut compris, se proposait deux buts pratiques :

1° trouver la substance propre à transformer les métaux vils en or et en argent; c'était la pierre philosophale.

2° découvrir un élixir capable de guérir tous les maux et de prolonger la vie de l'humains; c'était la panacée universelle.

Les alchimistes distinguaient deux espèces de métaux les métaux inaltérables au feu (métaux nobles), et ceux à qui la chaleur fait perdre leur éclat et leur ductilité, c'étaient les métaux imparfaits ou demi-métaux. Les uns et les autres étaient pour eux des corps composés, et composés des mêmes principes. Chaque métal s'éloignait plus ou moins du plus noble des métaux, de l'or, selon l'état plus ou moins grossier, du soufre et du mercure que d'après eux il contenait; c'est sur le soufre et le mercure que roulaient toutes les combinaisons qu'ils voyaient s'opérer et tous les changements qu'ils croyaient possibles. 

La fabrication des émaux et des alliages leur suggérait deux moyens de compléter les imitations des métaux parfaits. Ils supposaient qu'un métal parfait, mis en contact avec un métal imparfait, devait lui communiquer sa perfection. Le second moyen consistait à teindre les métaux en or d'une façon intime et complète. De là l'invention d'un principe colorant ou poudre de projection, qui devint la pierre philosophale et qui devait multiplier l'or. Ils donnaient le nom de grand oeuvre aux travaux accomplis dans ce but. 

Les métaux.
Suivant les alchimistes alexandrins et leurs successeurs médiévaux, tous les métaux sont composés de mercure et de soufre : au fond, ils sont donc identiques et ne diffèrent les uns des autres que par l'état plus ou moins grossier dans lequel se trouvent leurs éléments constitutifs : la nature, par la suite des siècles, convertit les métaux vils en métaux précieux; en conséquence l'humain, par l'étude , doit arriver à opérer instantanément cette transformation. Cette double idée se trouve très clairement exprimée dans ce passage d'un ouvrage attribué à Thomas d'Aquin et intitulé Secreta alchyymiae magnalia.

« La matière substantielle de tous les métaux est le vif-argent coagulé par une congélation faible dans quelques-uns, forte dans quelques autres. Le degré des métaux correspond au degré de l'action de leurs planètes et du vif-argent congelé de soufre pur; et ainsi les métaux où celui-ci est terreux et peu congelé ont en eux et en puissance par rapport aux autres métaux, la virtualité de la matière (modum materiae); de sorte que le plomb étant du vif-argent terreux et peu congelé par du soufre subtil et peu abondant, et étant soumis â une action planétaire distante et peu énergique, a en lui puissance pour l'étain , le cuivre, le fer, l'argent et l'or. L'étain est du vif-argent faiblement coagulé par du soufre impur et grossier; c'est pourquoi il y a en lui puissance pour le cuivre, le fer, l'argent et l'or. Le fer est du vif argent grossier et terreux fortement coagulé par du soufre grossier terreux; c'est pourquoi il a puissance pour le cuivre, l'argent et l'or. Le cuivre est du vif-argent médiocrement pur, coagulé par beaucoup de soufre, sa planète aidant; c'est pourquoi il a puissance pour l'argent et pour l'or.

L'argent est du soufre blanc, clair , subtil, incombustible, et du vit-argent subtil, coagulé, limpide et clair, soumis à l'action de la lune sa planète; c'est pourquoi il n'y a en lui de puissance que pour l'or. L'or est le plus parfait des métaux; il est de soufre rouge, clair, subtil , incombustible, et de vif argent clair et subtil; il est fortement coagulé et soumis à l'action du soleil; c'est pourquoi il ne peut être brûlé même par le soufre qui brûle tous les autres métaux. Il est donc évident que de tous les métaux on peut faire l'or, et que de tous les métaux, à part l'or, on peut faire l'argent. Cela se voit d'ailleurs par les mines d'argent et d'or, desquelles on retire aussi tous les autres métaux. Ils y sont mêlés avec l'essence d'or et d'argent; et il n'est pas douteux qu'avec le temps l'action de la nature les changerait eux-mêmes en or et en argent. »

La pierre philosophale.
Par le terme de pierre philosophale, objet de tous leurs travaux, les alchimistes entendaient une substance quelconque, soit solide, soit liquide, ayant la propriété de multiplier l'or ou l'argent. Cette recherche pouvait se faire de deux manières, par la voie sèche, et par la voie humide. La première, qui était celle où l'on employait la calcination, donnait la pierre philosophale sous forme d'une poudre blanche ou rouge, qui constituait la poudre de projection. La blanche, projetée sur le métal inférieur, ne pouvait donner naissance qu'à de l'argent; la rouge seule produisait de l'or. Dans les recherches par la voie humide, on avait principalement recours à la distillation. Raymond Lulle, qui passait pour avoir obtenu la pierre philosophale par ce moyen, la nomme élixir des sages. Les travaux accomplis par l'alchimiste pour la recherche de la pierre, et pour transmuer les métaux, constituaient le grand-oeuvre. 

La panacée universelle.
Quant à la médecine universelle, sa recherche ne paraît pas, dans le principe, distincte de celle de le pierre philosophale; les alchimistes semblent même croire que celle-ci devait également posséder la faculté de rajeunir les humains et de guérir tous les maux. Plus tard, on rechercha séparément cet élixir merveilleux. 
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Téniers : Alchimiste.
Un Alchimiste, par David Téniers.

La science des faussaires

De bonne heure, des doutes s'étaient élevés sur la capacité des alchimistes à produire de l'or, et, à partir de la Renaissance, les bons esprits avaient cessé, pour la plupart, de croire à la transmutation. De plus en plus, la recherche de celle-ci était devenue l'apanage des esprits chimériques, des fous et des charlatans. Ces derniers, en particulier, n'avaient pas cessé d'exploiter la crédulité des gens riches et des grands seigneurs, et c'est au XVIe siècle même que cette exploitation atteignit peut-être son plus haut degré. Il convient de dire quelques mots de leurs artifices.

L'idée des richesses immenses que l'on pourrait acquérir à l'aide de la pierre philosophale frappait vivement l'imagination et le désir de posséder cette pierre portait à en admettre la possibilité, ce qui ouvrait un vaste champ à l'imposture. D'après Geoffroy l'aîné (1722), voici les principales supercheries employées par les imposteurs, pour convaincre leurs dupes aveuglées par leurs promesses et disposées à leur avancer les sommes prétendues nécessaires pour exécuter leurs expériences. Ils se servaient souvent de creusets et de coupelles doublées, dont le fond était garni avec des oxydes d'or ou d'argent, puis recouvert d'une pâte appropriée. 

D'autres fois, ils faisaient un trou dans un charbon, et ils y coulaient de la poudre d'or ou d'argent; ou bien ils imbibaient des charbons avec les dissolutions de ces métaux, puis ils les pulvérisaient pour les projeter sur les matières destinées à être transmutées. Les papiers destinés à envelopper les produits étaient imprégnés des mêmes réactifs. Les cartes, les verres, les vases et matières de toute nature, les contenaient à l'avance, à l'état de poudre ou de liqueurs imbibées. Ils remuaient les substances fondues avec des baguettes ou bâtonnets de bois, creusés à l'extrémité, et dont le trou était rempli de limaille d'or ou d'argent, puis rebouché. Ils mêlaient les oxydes et les sels d'or et d'argent avec les oxydes de plomb, d'antimoine ou de mercure. Ils enfermaient dans du plomb des grenailles ou des petits lingots d'or et d'argent, qui reparaissaient après calcination à la coupelle. 

L'or blanchi au mercure était donné pour étain ou argent. Le mercure chargé de zinc et passé sur le cuivre rouge le teignait en or. Quelques préparations arsénicales blanchissaient le cuivre : ce qui était réputé un commencement de transmutation. Les eaux fortes employées dans les traitements contenaient déjà de l'or et de l'argent dissous. Un moine présenta à la reine d'Angleterre Elisabeth Ire un couteau dont l'extrémité de la lame était en or, recouvert d'une couleur de fer. En le trempant dans une liqueur jusqu'au niveau convenable, la teinture disparut et la pointe du couteau parut changée en or. Cette fraude a été souvent reproduite sur des clous moitié fer, moitié or ou argent; sur des pièces de monnaie et médailles moitié or, moitié argent, ou bien d'or fourré d'argent et soi disant transmutés par une immersion partielle dans l'élixir des philosophes. Une petite boîte à savonnette en cuivre rouge à demi remplie par une poudre blanche de chlorure d'argent, mêlé d'autres ingrédients, puis mise sur le feu, de façon à en faire rougir le fond sans le fondre, étant ouverte ensuite laissait apercevoir la partie supérieure de la boîte en partie convertie en argent. 

Bien des gens, dans tous les temps, et jusqu'à une époque relativement récente, ont été trompés et même ruinés par de semblables impostures. Dans les années 1880, un individu mit en gage, au mont de piété de Paris (Crédit municipal), un lingot d'argent prétendu, sur lequel on prêta, assez légèrement, une partie de la valeur prétendue. Le remboursement n'ayant pas eu lieu, le lingot fut envoyé à la Monnaie de Paris, qui n'y trouva que quelques centièmes d'argent. Mais l'escroc prétendit que les essayeurs n'entendaient rien à son alliage, qu'il avait un procédé d'analyse à lui, par lequel il se faisait fort de démontrer qu'il contenait 95 centièmes d'argent; son avocat soutint qu'on devait l'autoriser à faire la preuve lui-même, et peu s'en fallut que le tribunal ne lui donnât gain de cause. (M. D. / NLI / DV / Berthelot).



En bibliothèque. - Thomson, History of Chemistry (Londres, 1830); Hoefer, Histoire de la chimie et Dictionnaire de physique; Dumas, Leçons sur la philosophie chimique. (Paris, 1866); Histoire de la physique et de la chimie; Kopp, Geschichte der Chemie et Beitraege zur Geschichte der Chemie; Berthelot, Origines de l'Alchimie (Paris, 1885), et la Chimie au Moyen âge (Paris, 1893). (Pour l'élaboration de différentes pages consacrées à l'alchime dans ce site, nous avons abondamment repris les des textes de Berthelot et de Hoefer, parfois combinés entre eux et modifiés)

En librairie. - Sur l'alchimie : Pierre Lazlo, Qu'est-ce que l'alchimie, Hachette, 2003; Betty Teeter Dobbs, Les fondements d'Alchimie de Newton, Guy Trédaniel, 2002;Françoise Bonardel, Philosophie de l'Alchimie,Grand oeuvre et modernité, PUF, 2000;de la même, L'Hermétisme, PUF, QSJ,1985,;Suzanne Thiolier-Mejean, Alchimie médiévale, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 1999;Serge Hutin, Les alchimistes du Moyen âge, Hachette, réed. 1995; Olivier Lafont, D'Aristote à lavoisier, Les étapes de la naissance d'une science, Ellipses, 1994; S. Matton, Jean-Claude Margolin, Alchimie et philosophie à la renaissance, Vrin, 1993.;B. Joly,Rationalité de l'alchimie au XVIIe siècle,Vrin, 1992.;Pierre Lory, Alchimie et mystique en terre d'Islam, Verdier, 1989.

Ouvrages d'alchimistes : Jabir Ibn Hayyan, Dix traités d'alchimie, Actes Sud, 1999; Nicolas Flamel, Oeuvres, Courrier du Livre, 1989; Eugène Canseliet, Trois anciens traités d'alchimie, Pauvert,1996; du même, L'hérmétisme dans la vie de Swift et dans ses voyages, Fata Morgana,1983; Fulcanelli, Les demeures philosophales (2 vol.), Pauvert,1976; du même, Le mystère des cathédrales, Pauvert, 1976.

Romans : Marguerite Yourcenar, L'Oeuvre au noir, Gallimard, Foliothèque, 1993; Paulo Coelho, L'Alchimiste, Livre de Poche, 2001.

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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