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Les
plantes dans le monde arabe
C'est presque exclusivement dans ses rapports
avec la médecine ou de l'agriculture que les auteurs du monde arabe
ont abordé les plantes. Les écrits d'auteurs musulmans tels
que Mésué, Rhazès,
d'Ibn Beïtar (Ibn al-Baytar), Avicenne,
Averroès, etc. en témoignent.
Et l'on peut dire à peu près la même chose des auteurs
juifs (Maïmonide et d'autres), avec, ici,
simplement une originalité que l'on trouve en particulier exprimée
dans les Talmud
de Babylone et de Jérusalem,
où la description des plantes vénéneuses et comestibles
et médicinales s'inscrit dans une logique dont on comprend mieux
les enjeux rituels lorsqu'il est question de zoologie et où l'on
évoque les animaux purs et impurs (consommer une plante
empoisonnée ou un animal impur, cela revient symboliquement au même).
On conserve dans les principales bibliothèques
d'Europe, particulièrement celles de Leyde, de Paris, de l'Escurial
et de Vienne, un certain nombre de manuscrits arabes qui intéressent
plus ou moins directement l'histoire de la botanique;
il semble, à en juger par les analyses qu'on en a publié,
que ces textes témoignent en général de connaissances
qui se démarquent peu de celles de l'Antiquité.
Il existe quelques exceptions au demeurant. Ainsi al-Birouni
se démarque-t-il de la plupart de ses contemporains et témoigne
d'un souci d'observation, quand par exemple
, il s'intéresse au nombre de pièces dans les fleurs
:
«
Tous les nombres, écrit-il, peuvent se retrouver dans les marques
laissées par la vie et la nature, surtout
dans les fleurs .
Car les pétales de chaque fleur, leurs pétioles ,
leurs veinules, sont caractérisés par un nombre, dans chaque
genre pris isolément [...] Parmi les particularités des fleurs,
il y a un fait étonnant, c'est que le nombre de leurs pétales ,
qui ont leur base en cercle quand on les détache, suit en général
les règles de la géométrie,
et correspond, dans la plupart des cas, aux cordes du cercle qui existent
en vertu de la géométrie élémentaire, sans
faire appel aux sections coniques. Et
c'est à peine si l'on trouvera une fleur entre toutes, dont le nombre
des pétales soit sept ou neuf, à cause de l'impossibilité
de les placer sur un cercle, à l'aide des principes géométriques
simples, de façon à former des côtés égaux.
Mais on a des dispositifs de trois, quatre, cinq, six, huit et dix pétales.
Il est possible qu'il se rencontre, dans la suite des temps, un genre à
sept où à neuf pétales, ou qu'un tel nombre se trouve
dans des formations tératologiques de certaines espèces.
Et s'il est vrai que la nature conserve les genres et les espèces,
alors, au cas où l'on compterait les grains d'une grenade, on trouverait
qu'une autre grenade du même arbre ,
a le même nombre de grains. » (Chronologie, éd.
E. Sachau, 1878, p. 298.).
Comme le remarquent les auteurs de l'article
sur la science arabe auquel on a emprunté cet exemple (in La
science antique et Médiévale de R. Taton), on est pas
loin ici de l'idée du diagramme des fleurs qu'utiliseront plus tard
les botanistes, et de la détermination des caractères qui
serviront à définir le genre et l'espèce des plantes.
Reste que l'on aura une idée plus représentative de ce qu'était
la botanique médiévale, autant dans le monde arabe qu'au-delà
en suivant Abd Allatif (Abd al-Latif), médecin
qui vivait au XIIe
siècle, et qui lui aussi s'intéressait de près
aux principales espèces végétales. Sa perspective
était celle d'un gourmet, autant que d'un savant. Voici quelques
mots sur la description qu'il fait des plantes particulières à
l'Égypte :
1° le bamia (probablement
l'hibiscus esculentus),
«
à cause de son mucilage
légèrement sucré, dit l'auteur, les habitants de l'Égypte
le coupent par petits morceaux et le font cuire avec de la viande-»;
2° le lebkah, un arbre
d'identification problématique, dont Abd-Allatif décrit le
fruit
avec beaucoup de détails, avant d'ajouter, d'après Dioscoride
et Nicolas de Damas, que
«
le lebkah était dans la Perse un poison mortel : mais qu'ayant été
transplanté en Égypte, il est devenu un aliment »;
3° le djoummeiz, dont Abd-Allatif
dit :
«
Cet arbre semble être un figuier sauvage; ses fruits naissent sur
les bois et non à l'aisselle
des feuilles .
On fait sept récoltes par an, et on en mange pendant quatre mois
de l'année »;
4° le baumier (Amyris gileadensis
de Linné), qui est selon Abd-Allatif,
«
un arbuste d'environ une coudée de hauteur. Il a deux écorces
: l'une extérieure, verte et épaisse; quand on mâche
celle-ci, elle laisse dans la bouche une saveur onctueuse et un goût
aromatique; ses feuilles ressemblent à celles de la rue [...]. Les
feuilles sont ordonnées à la manière du lentisque,
à savoir de côté et d'autre, comme nous voyons au feuilles
des rosiers »;
5° Le kholkas, également
mentionné par Ibn Beïtar, est apparemment
l'arum colocasia, L. (à moins que ce ne soit comme l'ont pensé
l'Écluse (Clusius) et d'autres la fève
d'Égypte des Anciens, une nymphéacée). Abd
Allatif dit :
«
La saveur de [sa] racine
est un peu astringente et extrêmement âcre. Quand on fait bouillir,
elle perd toute âpreté, et peut servir de nourriture. »
Les
plantes dans l'Empire byzantin
Les Byzantins, comme
d'ailleurs les Grecs du bas Empire, s'occupèrent bien moins de l'étude
de la nature que de discussions théologiques
et de rédactions de chroniques et d'autres recueils, Photius,
Théophane, Nonnus,
Psellos, Suidas, etc,
n'ont traité de quelques plantes que très incidemment. Au
Xe siècle
les Géoponiques (Geoponica ),
recueil de textes publiés depuis l'Antiquité (grecque et
latine), rassemblent nombre de fragments et d'extraits tirés d'auteurs
qui eux aussi, quoiqu'étrangers pour l'essentiel à la botanique,
fournissent de nombreux renseignements pour l'histoire de cette science.
Outre ceux déjà cités à la page sur la
Botanique dans l'Antiquité, mentionnons : Athénée,
Pollux, Serenus Samonicus,
Florentinus, Sextus-Julius l'Africain, Jules
Solin, Ammien Marcellin, Théodore
Priscien, Marcellus Empiricus ,
Sérapion, Cosmas
Indicopleustes, etc. Les Géoponiques - qui comme leurs
titre l'indique constituent un traité d'agriculture - apparaissent
ainsi plus largement comme un concentré des connaissances byzantines
en matière de sciences naturelles. Mais plus intéressants
sont de ce point de vue les écrits de Siméon Sethus (Symeon
Seth) et de Nicolas Myrepsus (N. Myrepsos).
Siméon
Sethus.
Siméon Sethus
écrivit un ouvrage Sur les aliments rangés par ordre
alphabétique, et le dédia à l'empereur Michel Doucas,
qui régna de 1071
à 1080.
On y trouve pour la première fois mentionné le camphre.
«
C'est, dit l'auteur, la résine d'un arbre indien, d'une grandeur
telle qu'il peut ombrager une centaine d'hommes. »
Le Laurus camphra, d'où
l'on retire le camphre, est loin d'avoir ces dimensions. On a supposé
que Sethus devait tenir ses renseignements de quelque marchand probablement
plus soucieux d'exagérer les aspects merveilleux et de cacher la
véritable origine du camphre dont il faisait commerce que de divulguer
des connaissances...
Sethus parle encore
de l'asperge, dont il n'ignore pas l'action diurétique, d'ailleurs
connue depuis longtemps, puisque Caton en parlait
déjà; il mentionne également l'éliodaphné,
qui paraît avoir été une espèce de ruscus,
de la même famille que l'asperge, ainsi que de la girofle, dont les
plus anciennes mentions ne remontent qu'au VIIe
siècle (Paul
d'Égine),
la maroullia (laitue), etc. Sethus serait le premier, en revanche,
à mentionner la noix de muscade, même si l'on pense
qu'Aetius pourrait en avoir déjà
parlé au VIe
siècle sous le nom de noix indienne.
Nicolas
Myrepsus.
Quant à Nicolas
Myrepsus, il écrit au XIIIe
siècle, un traité en grec
sur La composition des médicaments, qui fut traduit en latin
par Léonard Fuchs en 1549.
On y trouve mentionnée pour la première fois l'herbe
au musc, le chardon béni, la nielle, et le fraisier. Myrepsus et
son contemporain, le médecin Actuarius,
ont été aussi les premiers à parler de l'action purgative
des feuilles et des fruits du séné.
Les
plantes dans l'Europe latine
Des auteurs romains tels qu'Apicius,
qui ne voyait dans les végétaux qu'une matière utile
à l'art culinaire ou Palladius, auteur
au IVe siècle,
d'un De re rustica, en quatorze livres qui sera très populaire
et inspirera encore Vincent
de Beauvais, sont parmi les jalons les
plus connus entre Pline et Isidore
de Séville (570-636),
avec lequel nous avons choisi de commencer le Moyen âge latin .
L'évêque wisigoth de Séville parle d'un certain nombre
de plantes
dans le dix-septième livre de son ouvrage encyclopédique
intitulé les Origines (ou les Étymologies).
L'un des premiers, il mentionne la rhubarbe sous le nom de rheum barbarum,
par opposition au rheum ponticum et au rheum indicum, indiqués
par des écrivains plus anciens. Presque deux siècles plus
tard, les Capitulaires
de Charlemagne renferment quelques noms de
plantes qui ne sont pas sans intérêt. La nielle, commune dans
les champs de blé, s'y appelle gith, et ce nom se retrouve
dans celui d'agrostemma githago donné à la même plante
par Linné. La menthe aquatique s'y nomme
menthastrum, nom déjà employé par Samonicus;
la carotte, carruca; la garance, warentia; la joubarbe, jovis
barba, la guimauve, ibsicha mismalva; le cabaret (Asarum europeaum),
vulginia; le pois cultivé, pisus mauriscus, etc.
Nous placerons ensuite un auteur qui, sous
le nom de Macer Floridus ( Aemilius
Macer), a écrit un médiocre poème en héxamètres
sur les vertus des plantes, De viribus herbarum. Bien des conjectures
ont été émises sur l'époque à laquelle
vivait cet auteur; une chose est certaine, il n'est pas postérieur
du XIIIe siècle,
puisqu'il est souvent cité par Vincent
de Beauvais. On l'a parfois identifié à Othon
de Morimont ou, avec plus de vraisemblance, à Othon de Meung, qui
vivaient l'un et l'autre au XIIe
siècle; parfois on en fait aussi un auteur de l'école
de Salerne. De fait, l'école de Salerne, école de médecine
d'abord, et centre de traduction des ouvrages arabes, exerça une
grande influence sur la culture des sciences naturelles au Moyen âge.
Sa création, vers 1050, était
due aux moines du mont Cassin ,
près de Naples, parmi lesquels on cite
Constantin l'Africain, auteur d'un
traité De simplicibus medicaminibus, etc. qui contient quelques
allusions aux plantes. On connaît aussi, de l'école de Salerne,
le Regimen salutatis Salernitanum, sorte de codex
en vers léonins (souvent édité,
et traduit en français par Michel Lelong en 1633
sous le titre : Le régime de santé de l'eschole de Salerne),
qui fait le plus grand cas de la sauge comme médicament.
Un éveil à la botanique
et aux sciences naturelles se manifeste également en Europe du Nord,
et cela dès l'époque carolingienne ,
avec Walafrid. Disciple de Raban Maur, célèbre
abbé de Fulda ,
Walafrid, mort en 849, chanta en 444
hexamètres, les plantes qu'il cultivait dans son jardin. son poème,
intitulé Hortulus, jardinet, a été souvent
édité. Parmi les plantes du jardinet de Walafrid, on remarque
: la sauge, la rue, l'auronne (abrotanum), le concombre, le melon, l'ansinthe,
le fenouil, la livèche, le cerfeuil, le pavot, la menthe, l'ache,
l'aigremoine, la cataire ou herbe aux chats, le radis, la rose, etc.
L'abbesse Hildegarde,
compte aussi au nombre des personnes qui s'intéressaient à
l'étude des plantes. Elle a laissé un ouvrage d'histoire
naturelle médicale intitulé De physica en quatre
livres, dont le deuxième traite de la nature et des propriétés
des légumes, des fruits et des herbes; le troisième de la
nature et des propriétés des arbres, des arbrisseaux ,
des arbustes
et de leurs fruits. Plus qu'une simple compilation d'emprunts à
des auteurs de l'Antiquité ou arabes selon l'usage de l'époque,
cet ouvrage contient beaucoup d'observations originales et permet
aussi de retrouver les équivalents (en Allemand) des noms des plantes
jusque là seulement connus en grec ou en latin.
L'étude de la botanique s'étendit
de plus en plus du midi vers le nord. Dès le XIIIe
siècle, elle avait atteint les îles du sud de la
Scandinavie, témoin Harpenstreng (mort en 1244
au Danemark), qui traduisit le Macer Floridus en y ajoutant
des commentaires. Parmi les auteurs qui ont abordé la botanique,
on doit encore mentionner Barthélémy l'Anglais et Roger
Bacon, à la vérité assez peu diserts sur la question,
ainsi que Thomas de Cantimpré;
Simon de Janua, Conrad de Meyenberg ou encore les noms plus connus d'Albert
le Grand, Vincent
de Beauvais ou de Pierre Crescence,
qui ont tous consacré quelques écrits à la botanique,
bien que ce soit dans une perpective principalement médicale.
Albert
le Grand.
Albert le Grand
a composé au XIIIe
siècle un ouvrage intitulé De vegetabilibus
et plantis libri VII. On y trouve peu de doctrines
et d'observations nouvelles; l'autorité
d'Aristote l'y emporte encore sur celle des
faits. Dans le chapitre consacré aux arbres ,
on trouve cependant une description assez exacte et très bien faite
de l'aune, un arbre qui abonde au bord des rivières d'Allemagne
et qu'Albert le Grand avait pu étudier à loisir :
«
C'est, dit-il, un arbre qui aime les lieux humides; son bois rougeâtre,
recouvert d'une écorce brune et assez lisse, donne des cendres d'une
parfaite blancheur. Il se développe par couches ou anneaux (tunicis
ligneis) : à l'état sec il se fend plus facilement que
le bois
de sapin, et il peut se conserver sous l'eau pendant des siècles.
Les feuilles de l'aune sont arrondies comme celles du poirier, mais pas
si dures et d'un vert plus foncé; dans leur jeunesse, elles sont
enduites d'une humeur visqueuse, à laquelle manque l'arôme
des feuilles de peuplier .
En hiver, l'aune s'orne, comme le noisetier, des pendeloques chatons .
En été, il leur succède des fruits noirs, de la grosseur
de l'olive, semblables aux cônes de pin, et renfermant les semences.
»
Vincent
de Beauvais.
Vincent
de Beauvais, contemporain d'Albert
le Grand, donne dans les chapitres dix et quinze de son Speculum
naturale quelques passages qui ont un intérêt botanique.
On y trouve notamment, d'après les récits des voyageurs,
la première mention en Occident du vernis du Japon, Ailanthus glandulossa,
bel arbre qui est depuis longtemps naturalisé en Europe.
Pierre
Crescence.
Pierre Crescence
(Pietro Crescenzi), sénateur de Bologne, écrivit vers 1306,
sur l'ordre de Charles II, roi de Sicile et de Jérusalem,
un livre sur l'agriculture et les plantes en général (De
agricultura, omnibusque plantarum et animalium, libri XII, etc.). Ce
livre a été souvent imprimé à la fin du XVesiècle
et au commencement du siècle suivant . Son auteur y apparaît
plus agronome que botaniste. Il y est l'un des premiers à parler
du Ranunculus flammula et dont il souligne la parenté avec la clématite
:
«
Celle-ci, dit-il, a les fleurs blanches, tandis que la flammula les a jaunes.
»
Beaucoup de ses descriptions
sont empruntées à un ouvrage de Platearius de l'école
de Salerne, Circa instans. (F. Hoefer). |