| Joseph Claude Anthelme Récamier est un médecin français, né à Cressin, près de Bellay (Ain), le 6 novembre 1774, mort le 28 juin 1852. Son père était un notaire d'une absolue probité; son grand-père était le Dr Grossi, qui jouit en son temps d'une grande réputation. Il avait pour cousins l'auteur de la Physiologie du goût, Brillat-Savarin, et le mari de celle qui devint la muse de l'Abbaye-au-Bois, la jolie et célèbre Mme Récamier (ci-dessous). Il fit ses premières études au collège des joséphistes de Bellay; quand il se fut décidé pour la carrière médicale, il suivit ses premiers cours à l'hôpital de la même ville, et plus tard à l'hôpital de Bourg-en-Bresse. - | | Joseph Récamier (1774-1852). | Le premier tome des Recherches sur le Traitement du cancer, par J. Récamier. | Survint la Révolution : le jeune homme, atteint par la réquisition, se fit attacher au service de santé de l'armée des Alpes, comme chirurgien auxiliaire de 3e classe. Il assista en cette qualité au siège de Lyon. Après la reddition de la ville, il se hâta de partir pour Toulon où il prit du service dans la marine militaire. Après quelques mois passés à l'hôpital de Toulon, Récamier était nommé, au concours, premier aide-major à bord du vaisseau le Ça ira. Libéré du service en 1796, il se rendit à Paris, où il termina ses études médicales; l'année même où il était reçu docteur, il était nommé médecin suppléant à l'Hôtel-Dieu; puis il conquérait successivement le titre de médecin expectant, et enfin de médecin ordinaire, place qu'il occupa pendant quarante ans; le 1er janvier 1846, il prenait sa retraite avec le titre de médecin honoraire. - Durant toute sa carrière hospitalière, Récamier se montra un novateur ingénieux et combatif; c'était, comme on l'a caractérisé d'un mot heureux, un oseur en thérapeutique. C'est à lui qu'on est redevable de ces opérations, qu'il a contribué plus que personne à inventer ou à vulgariser: le curetage, l'hystérectomie pour cancer, le traitement des fièvres par les bains froids, le traitement des kystes de l'ovaire, des kystes hydatiques du foie. On lui doit encore l'invention du spéculum plein, simple et brisé (1806), etc. Après avoir fait connaître Récamier praticien, il importe de dire quelques mots du professeur : c'est en décembre 1821 que le gouvernement le nomma professeur de clinique à la Faculté de médecine, en remplacement de Corvisart. En 1826, la chaire de médecine étant devenue vacante au Collège de France, par suite du décès de Laennec, Récamier fut appelé â l'occuper. Ayant refusé de prêter serment au gouvernement de Juillet (1830), Récamier fut déclaré démissionnaire de sa place de professeur au Collège de France et à la Faculté de médecine. Dès ce jour, il put se consacrer entièrement à ses malades. (H. M.). | |
| Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, dame Récamier est née à Lyon le 4 décembre 1777, et est morte à Paris le 14 mai 1849. Son père, banquier à Lyon, fat appelé à Paris par la protection du ministre Calonne, en 1784. Elle quitta bientôt le couvent de la « Déserte », sur lequel elle a laissé quelques pages, pour rejoindre ses parents dans leur hôtel de la rue des Saints-Pères. De son plein gré, à quinze ans, le 24 avril 1793, elle épousa un riche banquier, âgé de quarante-deux ans, Jacques Récamier, lequel, si l'on en croit les confidences de Mme Lenormant, ne voulut la traiter que « comme une enfant dont la beauté charmait ses yeux et flattait sa vanité ». M. Récamier ayant en 1798 acquis l'hôtel Necker, la jeune femme à cette occasion entra en rapport avec Mme de Staël, qui la dépeignit avec enthousiasme dans Corinne. Plus candide de physionomie que de coeur, affectueuse sans passion, elle contrastait par sa décence et son innocence voulues avec la bourgeoisie corrompue et trop souvent cynique sortie de la Révolution. Parmi ses adorateurs, l'on citait : les deux cousins, Adrien et Matthieu de Montmorency, dès leur retour de l'émigration; Lucien Bonaparte, dont les lettres, déclamatoires suivant la mode du temps, nous sont parvenues; d'anciens royalistes en grand nombre, et des personnages plus ou moins hostiles au premier consul, comme Bernadotte et Moreau. Ce salon d'opposition ou tout au moins de large neutralité (rue du Mont-Blanc), fut certainement tenu en suspicion par la police, surtout quand la reine qui y trônait eut refusé à Fouché la charge de dame du palais de l'impératrice Joséphine. Sans qu'elle fit le moins du monde de politique active, elle était personnellement pour les Bourbons, et l'amitié de Mme de Staël eût d'ailleurs suffi à la compromettre. Cette amitié lui fut d'un grand secours lorsque se produisit inopinément la ruine de son mari (1805). Elle trouva un asile à Coppet, en 1806, et y fit une nouvelle victime dans la personne du prince Auguste de Prusse, neveu de Frédéric II. Le prince obtint de Mme de Récamier qu'elle adressât une demande de divorce à son mari, qui se résigna sans plainte à perdre un trésor auquel il n'avait pas touché. Mais il ne fut pas donné suite à ce projet de divorce, soit par gloire, soit, plutôt parce que le prince de Prusse n'était pas aimé. « Quand on connaîtra mieux, dit Bardoux, Mme Récamier, dans les années où elle était la meilleure amie de Mme de Staël, de 1805 à 1815, on sera tout étonné de la trouver aimante, sensible à la tendresse : elle avait ressenti une affection profonde pour un des hommes les plus distingués et les plus recherchés dans le milieu de Coppet, Prosper de Barante : mais, depuis, elle était résolue à ne plus se laisser dominer par un autre sentiment que le dévouement et l'amitié. » Elle n'en demeura pas moins en relation avec son royal prétendant ; en 1811, elle manque, il est vrai, un rendez-vous qu'elle lui a donné à Schaffouse; en 1814, en pleine campagne de France, elle reçoit encore de ses lettres et persiste à le faire languir. Il la revit à Paris en 1818, puis en 1825, année où il fit au peintre Gérard la commande du tableau de Corinne au cap Misène, dont elle devait hériter vingt ans après. Même coquetterie et même chasteté à l'égard du jeune Ampère, « à qui elle laisse entrevoir une union possible dans l'avenir, dont elle prend les mains dans les siennes et la tête sur ses genoux, et dont elle brûle en même temps le coeur à petit feu » par ses confidences. C'est dans les dernières années de l'Empire qu'exilée par ordre à plus de 40 lieues de la capitale, elle revint à Lyon près de la famille de son mari; à sa cour vint s'ajouter son compatriote Ballanche. - Julie Récamier (1777-1849), par F. Gérard (1805). Elle partit bientôt pour Rome, où la police française ne se fit pas faute de la tracasser. En revanche, elle fut très bien reçue à Naples par le roi Joachim Murat et la reine Caroline, à l'époque où les désastres de l'Empire poussaient le beau-frère et la soeur de Napoléon ler à négocier avec les Bourbons. Rien ne prouve que Mme Récamier les en ait détournés; elle leur conseillait vaguement de rester fidèles « à la France ». Mais à laquelle? Celle de Louis XVIII ou celle de l'empereur? Après la première abdication, le 30 août 1814, Mme Récamier invita Benjamin Constant, qu'elle avait connu dès l'époque du Directoire et revu à Coppet chez Mme de Staël, à passer chez elle pour le prier de rédiger un mémoire revendiquant auprès du Congrès de Vienne les droits de Murat sur le royaume de Naples. Il fallait plaire au célèbre publiciste, qui écrit sur son carnet : « Mme Récamier se met en tête de me rendre amoureux d'elle... Osez, me dit-elle.» Sans se livrer, elle sut lui donner assez d'espérance pour l'engager à fond contre « Bonaparte », au moment du retour de l'île d'Elbe : « J'ai besoin de ma tête, lui écrit-il. Je l'expose pour une cause que vous aimez » (celle des Bourbons). « Avez-vous été contente de mon article? » (celui du 19 mars dans les Débats). Mais il ne gagna rien auprès de son idole et rédigea l'Acte additionnel pour celui qu'il venait de traiter « d'Attila et de Gengis Khan ». Il plaidait d'ailleurs contre lui-même en lisant le manuscrit d'Adolphe à une femme qui n'avait aucun goût pour le rôle d'Eléonore. « Les lettres qu'il écrivit à Mme Récamier, dit Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe, serviront à l'étude sérieuse du coeur humain, au moins de la tête humaine: on y voit tout ce que peut faire d'une passion un esprit ironique et romanesque, sérieux et poétique. » | | Mme Récamier, par F. Soiron | Auguste de Prusse, avec le portrait de Mme Récamier en arrière-plan. | C'est après la mort de Mme de Staël que Mme Récamier, malgré les prévisions pessimistes de ses amis paisibles, ou devenus tels, comme Mathieu de Montmorency et Ballanche, laissa bientôt prendre à Chateaubriand la première place dans son esprit et dans sa société, sinon dans son coeur. Le jeu dont elle s'était fait une habitude ne réussit pas aussi bien avec ce génie violent, sombre et despotique, qu'avec les hommes du monde et les talents distingués avec lesquels elle était jusque-là entrée en lice. Elle s'attacha davantage au moins fidèle de tous; elle souffrit de son humeur, de ses caprices, de son ennui. Elle prend le parti de fuir. « Si je retournais à présent à Paris, écrit-elle de Rome le 1er mai 1824, je retrouverais ces agitations qui m'ont fait partir. Si M. de Chateaubriand était mal pour moi, j'en aurais un vif chagrin; s'il était bien, un trouble que je suis résolue à éviter désormais. » Elle aime mieux rester encore six mois éloignée de ses amis. Chateaubriand finit par s'assouplir comme les autres. Un dernier revers de fortune de Mme Récamier, la fière retraite de Chateaubriand après les journées de Juillet, rapprochèrent leur vieillesse, et l'Abbaye-au-Bois fut le dernier et modeste temple de ces deux orgueils désabusés. Mme Récamier, veuve depuis 1830, refusa d'ailleurs d'épouser Chateaubriand quand lui-même eut perdu sa femme en 1846. Elle comprit que la vie ne se recommence pas. Elle était devenue aveugle. Elle survécut de quelques mois seulement à son ami : elle fut emportée par une attaque de choléra. Elle avait ordonné de brûler tous les papiers de l'Abbaye-au-Bois, mais cet ordre ne paraît avoir été exécuté que partiellement. Elle n'avait d'ailleurs aucune prétention à la littérature, et ce fut là sans doute un de ses charmes aux yeux de ses illustres contemporains. Son vrai domaine était la conversation. « Rien n'était plus attachant que les entretiens de Mme de Staël et de Mme Récamier. La rapidité de l'une à exprimer mille pensées neuves, la rapidité de la seconde à les saisir et à les juger; cet esprit mâle et fort qui dévoilait tout, et cet esprit délicat et fin qui comprenait tout ces révélations d'un génie exercé, communiquées à une jeune intelligence digne de les recevoir : tout cela formait une réunion qu'il est impossible de peindre sans avoir eu le bonheur d'en être témoin » (B. Constant). « Cette admiration passionnée, cette affection constante, ce goût insatiable pour sa société, sa conversation, son amitié, Mme Récamier les a inspirés à tous ceux qui l'ont approchée et comme, aux femmes comme aux hommes, aux étrangers comme aux Français, aux princes et aux bourgeois, aux saints et aux mondains, aux philosophes et aux artistes, aux adversaires comme aux partisans des idées et des causes qui avaient sa préférence, bien plus, à ses rivales dans les affaires de coeur presque autant qu'à ceuxlà mêmes dont elle leur enlevait la possession. » (Guizot). Ni épouse, ni amante, ni mère, amoureuse seulement de l'amitié, « si elle ne sait pas aimer, elle ne sait que mieux se faire aimer. [...] Cette existence si animée était loin de faire le bonheur de celle à qui on l'enviait. Les affections qui sont la véritable félicité et la vraie dignité de la femme lui manquaient. Son coeur désert, avide de tendresse et de dévouement, cherchait un aliment à ce besoin d'aimer dans les hommages d'une admiration passionnée dont le langage plaisait à ses oreilles. » (P. Deschanel). Elle sacrifia tout à l'art et à l'ambition de plaire, et fit le charme de tout le monde parce qu'elle ne voulut ou ne put faire le bonheur de personne. Rien ne saurait être plus flatteur pour une femme, écrivait Mme Swetchine, que « de compter presque autant d'amis qu'autrefois d'adorateurs. Peut-être cependant, sans que je veuille ôter à son mérite, que, si elle avait aimé une seule fois, leur nombre à tous en aurait été considérablement diminué ». Il est possible qu'elle ait aimé une seule fois, mais sans espoir de retour, et qu'elle ait trouvé dans la dignité de son caractère, dans la froideur de son tempérament, et dans la délicatesse de sa coquetterie des moyens de représailles contre le prétendu « sexe fort », que tous, avec le temps, lui pardonnèrent. Si elle n'est pas une énigme, elle est certainement une exception. (H. Monin). - Madame Récamier, par J.-L.David (1800).
| Stéphane Pacoud et al. Juliette Récamier : muse et mécène, Hazan, 2009. - Du Directoire à la monarchie de Juillet, Juliette Récamier (1777-1849) reçut durant plus de cinquante années dans gon galon parisien l'élite littéraire et artistique européenne. Bien que n'ayant jamais créé ou composé elle-même, cette Lyonnaise d'origine acquit une grande célébrité et inspira les arts. Magnifiée par les écrivains, les peintres et les sculpteurs, de Chateaubriand à Mme de Staël, David, Gérard, Chinard ou Canova, elle fut à la bois modèle, commanditaire et collectionneuse. Elle sut également jouer de chacun de ces aspects pour construire son image publique, jusqu'à devenir un véritable mythe. Le présent ouvrage propose un ensemble d'essais analysant ses rapports aux arts, ainsi qu'une étude approfondi de ses portraits, de son cercle, de son rapport à la mode. de son ameublement, de sa collection et de la postérité de son mythe auprès des artistes. Collectif, Juliette Récamier dans les arts et la littérature, Hermann, 2011. - La multitude des témoignages et des représentations concernant Juliette Récamier relève pour une large part du paradoxe, celui d'une personnalité qui, tout en étant surexposée, notamment par le biais du salon qu'elle tint pendant la première moitié du XIXe siècle, se déroba derrière un nimbe de mystère savamment entretenu. Les textes des proches (comme Amélie Lenormant, sa fille adoptive), des écrivains qui la côtoyèrent (Sainte-Beuve, Mme de Staël, Marceline Desbordes-Valmore...) et qui parfois l'aimèrent passionnément (tels Ballanche, Chateaubriand, Constant), s'associèrent aux évocations des peintres et des sculpteurs (David, Gérard, Canova, Chinard...), pour former dans la mémoire collective un portrait complexe de Juliette Récamier et contribuer à la naissance d'une icône, de celles qui savent tout à la fois incarner l'esprit du temps et façonner les modes et le goût. Le présent volume, dans une approche pluridisciplinaire, cherche à redonner sens à cette multitude de représentations, contrastées parfois, mais souvent fortement codifiées selon des références iconographiques et des canevas littéraires, voire romanesques. Il s'attache à restituer les discours que ces modèles ont véhiculés sur une société à la fois éclatée et désireuse de se rassembler, attirée comme un aimant par Juliette Récamier et le mode de sociabilité qu'elle sut animer. Il vise également à éclairer les débats esthétiques, politiques et éthiques, à la croisée desquels s'est tenue la personnalité de la Belle des Belles, actrice et témoin de l'histoire littéraire et artistique de son époque. | |