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L'histoire du Groenland
Le Groenland a été habité par plusieurs vagues de migrations de peuples venus d'Amérique du Nord via l'Arctique canadien. Les premières traces humaines au Groenland remontent à environ 2500 av. JC avec la culture Saqqaq, qui était composée de chasseurs-cueilleurs qui se déplaçaient en suivant les ressources animales, comme les phoques et les caribous. Vers 500 av. JC, une nouvelle vague migratoire, associée à la culture Dorset, arrive sur la côte nord-ouest du Groenland. Ces peuples, mieux adaptés au climat arctique, pratiquaient la chasse aux mammifères marins et utilisaient des outils faits d'os et de pierre. La culture Dorset disparaît mystérieusement autour de 900 ap. JC, juste avant l'arrivée des Vikings.

Les ancêtres des Inuits modernes, la culture Thulé, s'établissent au Groenland entre 1200 et 1300 apr. J.-C., venant d'Alaska. Ces populations ont su s'adapter au climat extrême en perfectionnant la chasse à la baleine, au morse et au phoque. Ils étaient également habiles dans la construction de kayaks, d'igloos et l'utilisation des traîneaux à chiens, ce qui leur permettait de se déplacer efficacement dans l'environnement arctique. La culture Thulé est l'ancêtre direct des Inuits qui vivent encore au Groenland aujourd'hui.

Les Vikings norvégiens sont les premiers Européens à atteindre le Groenland. Vers 980, le chef viking Erik le Rouge (ou Eirik Raudé), exilé d'Islande pour meurtre, navigue vers l'ouest et découvre une grande île qu'il nomme Groenland (signifiant « terre verte » en vieux norrois). Il retourne ensuite en Islande pour inciter d'autres colons à le suivre, en vantant la fertilité des terres. Quelques années plus tard, Leif, fils d'Éric, ayant fait un voyage en Norvège, y fut reçu favorablement du roi Olaüs Trygveson, à qui il peignit le Groënland des couleurs les plus avantageuse. Olaüs venait de se faire chrétien, et était animé du zèle le plus ardent pour répandre dans le Nord la religion qu'il avait embrassée. Il retint Leif à sa cour pendant l'hiver, et fit si bien, qu'il le persuada de se faire baptiser. 

Au printemps, il le renvoya au Groenland, accompagné d'un prêtre qui devait l'affermir dans sa nouvelle foi, et tâcher de la faire recevoir à la nouvelle nation. Éric fut d'abord très offensé de ce que son fils avait abjuré le culte de ses pères; mais il s'apaisa enfin; et le missionnaire, aidé de Leif, ne tarda pas même à lui faire adopter, ainsi qu'à toute la colonie, le christianisme. Des colons islandais et norvégienss'établissent principalement sur la côte sud-ouest de l'île, là où les conditions étaient plus favorables à l'agriculture. Ils fondent deux colonies principales, la colonie de l'Est (près de l'actuelle ville de Qaqortoq) et la colonie de l'Ouest (près de Nuuk), comptant à leur apogée environ 3 000 colons. Ces colons vikings vivaient principalement de l'élevage, de la pêche, et de la chasse. Ils pratiquaient également un commerce actif avec l'Europe et d'autres colonies scandinaves en échangeant des produits comme les peaux de phoques, l'ivoire de morse et la laine. La société groenlandaise était organisée autour de grandes fermes, dirigées par des chefs locaux. Avant la fin du Xe siècle, il y eut déjà des églises au Groënland; on érigea même un évêché dans la nouvelle ville de Gardar, la principale du pays, et où les Norvégiens allèrent longtemps commercer. Peu de temps après, les Groenlandais se multipliant, on fonda une autre petite ville nommée Albe, et un cloître en l'honneur de saint Thomas.  On connut aussi ces colonies sous les noms d'Eystribygd et Vestribygd. Elles étaient toutes deux sur la côte occidentale, séparées par un espace inoccupé (Ubygder). 

La population prospéra rapidement, sous la protection du roi de Norvège, Olaf; encore d'autres églises s'y élevèrent, et un évêque s'y établit, à Gardar, près de Brattahild (1126). Les colons avaient du bétail, des chevaux et vivaient aussi de pêche et de chasse. Leur nombre s'élevait, croit-on, à environ 10 000. L'Eystribygd comprenait, au XIIIe siècle, 12 églises et 190 établissements ; le Vestribygd, 4 églises et 90 établissements. Les Groenlandais, qui reconnaissaient les rois de Norvège pour leurs souverains, et leur payaient un tribut annuel, voulurent inutilement s'affranchir de cet impôt en 1261. 

Ces colonies déclinèrent à partir du XIVe siècle et disparurent au XVe. Les causes de la ruine de cette première colonie groenlandaise furent la peste noire (1348) qui fit périr une grande partie de la population a également réduit le commerce avec l'extérieur, l'interdiction du commerce privé, édictée par le gouvernement danois et  et probablement aussi un refroidissement du climat, rendant l'agriculture de plus en plus difficile et réduisant les ressources alimentaires. A la fin du XIVe siècle, les Inuits détruisirent les établissements du Vestribygd; en 1418, des pirates anglais saccagèrent ceux de l'Eystribygd. Le souvenir seul des colonies subsista. La dernière mention écrite des Vikings groenlandais date de 1408, avec un mariage enregistré à l'église de Hvalsey. Les raisons précises de la disparition de ces colonies restent incertaines, mais elles sont totalement abandonnées à la fin du XVe siècle. A plusieurs reprises, les rois du Danemark envoyèrent des expéditions pour rechercher les colonies groenlandaises, lorsque la découverte de l'Amérique eut popularisé l'idée d'un passage du Nord-ouest. On cherchait les colonies sur le littoral oriental, ou on ne trouva rien. 

Après la disparition des colonies vikings, le Groenland reste largement isolé jusqu'à ce que les Danois s'y intéressent à nouveau au XVIIe siècle, quand la pêche de la baleine attira de nouveau les marins européens dans ces parages. En 1721, le missionnaire norvégien Hans Egede, envoyé par le roi du Danemark, entreprend une expédition pour retrouver les colons nordiques et les convertir au protestantisme. Cependant, en arrivant, il ne trouve que des populations inuites. Egede fonde une mission et établit la colonie de Godthåb (aujourd'hui Nuuk) en 1728. Il entreprend également des efforts pour convertir les Inuits au christianisme et pour développer l'économie locale, notamment la chasse à la baleine. La mission de Hans Egede marque le début de la domination danoise sur le Groenland.

Au XVIIIe siècle, le Groenland devient une colonie danoise, administrée par le Royaume du Danemark-Norvège. La Couronne danoise établit un monopole commercial sur l'île, contrôlant toutes les activités économiques, en particulier la chasse, la pêche et l'exportation de produits dérivés des mammifères marins (peaux, huile de baleine, etc.). Les Danois introduisent également des missions religieuses et des écoles pour convertir les Inuits au christianisme et les éduquer dans la langue danoise. Cependant, les conditions de vie restent difficiles, et les échanges commerciaux sont limités par le climat extrême.

Le traité de Kiel en 1814, qui sépare le Danemark et la Norvège, laisse le Groenland sous contrôle danois. Les décennies suivantes voient des explorations plus approfondies du Groenland, en particulier par des scientifiques et des explorateurs européens. Ces expéditions visent à cartographier les côtes de l'île et à explorer l'intérieur des terres, largement recouvertes par une gigantesque calotte glaciaire. Parmi ces explorateurs, le Norvégien Fridtjof Nansen se distingue par sa traversée de la calotte glaciaire en 1888, marquant un tournant dans la connaissance géographique du Groenland. Au début du XXe siècle, des réformes coloniales sont mises en oeuvre par le Danemark pour moderniser l'administration du Groenland. En 1911, le Groenland est divisé en deux départements administratifs, chacun avec son propre conseil, composé à la fois de représentants inuits et danois. En 1933, la Cour internationale de justice de La Haye attribue formellement l'île au Danemark après des revendications norvégiennes.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, , le Groenland joue un rôle stratégique en raison de sa position géographique. Avec l'occupation du Danemark par l'Allemagne nazie en 1940, le Groenland est coupé de la métropole et se tourne vers les États-Unis et le Canada pour l'approvisionnement et la protection. En 1941, les États-Unis signent un accord avec le Groenland pour établir des bases militaires, marquant le début d'une influence américaine croissante sur l'île. Des stations météorologiques sont construites le long de la côte orientale du Groenland. Puis, en 1951, le Danemark signe un accord avec les États-Unis pour permettre la construction de la base aérienne de Thulé dans le nord-ouest du Groenland. Cette base, devenue un point stratégique pendant la Guerre froide, fait partie du réseau de défense américain contre les attaques potentielles de l'Union soviétique. Elle est utilisée pour surveiller l'espace aérien arctique et abrite des systèmes de radars (également répartis sur l'inlandsis), ce qui renforce le rôle du Groenland dans la géopolitique mondiale. Toutefois, la construction de la base provoque des tensions, notamment avec les Inuits locaux qui sont déplacés.  Jean Malaurie a témoigné des effets brutaux de cette irruption sur les populations de la région (Les Derniers rois de Thulé, coll. Terre humaine, Plon, 1955). 

En 1953, une étape importante est franchie lorsque le Groenland cesse d'être une colonie du danemark et devient officiellement une partie intégrante du Royaume du Danemark, avec le statut de comté (amt). Cette réforme accorde aux Groenlandais la citoyenneté danoise complète et le Groenland est représenté au parlement danois, le Folketing. Durant cette période, le gouvernement danois initie des réformes économiques et sociales visant à moderniser le Groenland. Des efforts sont faits pour améliorer l'éducation, la santé, et l'infrastructure du territoire, notamment en développant des villes comme Nuuk, qui devient le centre administratif. Cependant, ces réformes sont souvent perçues comme une tentative de danification de la culture groenlandaise, notamment avec l'imposition de la langue danoise comme langue officielle et l'encouragement de la migration danoise vers l'île.

Les années 1970 sont marquées par une montée du nationalisme groenlandais et un mouvement croissant pour une plus grande autonomie. De plus en plus de Groenlandais réclament une meilleure reconnaissance de leur culture, de leur langue et de leurs droits en tant que peuple indigène. En réponse à ces pressions, le Danemark accepte de négocier une forme d'autonomie. En 1979, une étape décisive est franchie avec l'adoption d'une loi qui accorde au Groenland une large autonomie dans la gestion de ses affaires internes, bien que le Danemark conserve le contrôle des domaines clés comme la politique étrangère, la défense, la monnaie et les affaires constitutionnelles. Avec l'autonomie, le Groenland crée son propre parlement, l'Inatsisartut, et un gouvernement local (le Landsstyre). La langue groenlandaise devient officiellement reconnue, et le territoire commence à prendre le contrôle de nombreux secteurs, notamment l'éducation, la santé, et la gestion des ressources naturelles.

Depuis 1973, lorsque le Danemark avait rejoint la Communauté économique européenne (CEE), le Groenland, en tant que territoire danois, était devenu également membre. Cependant, de nombreux Groenlandais sont mécontents de cette adhésion, en particulier à cause des politiques européennes sur la pêche, une ressource essentielle pour l'économie groenlandaise. En 1982, un référendum est organisé au Groenland, et une majorité de la population vote pour quitter la CEE. Le 1er février 1985, le Groenland devient officiellement le premier territoire à quitter la CEE (aujourd'hui l'Union européenne). Toutefois, il continue d'entretenir des liens économiques avec l'UE à travers un accord sur la pêche, garantissant un accès aux marchés européens en échange de quotas de pêche.

Les Groenlandais cherchent toujours à obtenir un contrôle encore plus important sur leurs affaires. En 2008, un référendum est organisé pour décider de l'extension de l'autonomie. Près de 75 % des électeurs votent en faveur d'une autonomie élargie, qui est officiellement mise en oeuvre le 21 juin 2009. La nouvelle Loi sur l'autonomie élargie accorde au Groenland un contrôle encore plus grand sur ses ressources naturelles, notamment le pétrole, le gaz et les minéraux. Elle reconnaît également les Groenlandais en tant que peuple distinct, avec le droit à l'autodétermination. En vertu de cette loi, le groenlandais devient la langue officielle du territoire, et le gouvernement groenlandais obtient le droit de négocier directement avec des entreprises et des gouvernements étrangers dans les domaines relevant de sa compétence. Cette autonomie élargie permet au Groenland de décider de ses affaires internes, tout en laissant la politique étrangère et la défense sous la responsabilité du Danemark. Toutefois, la question de l'indépendance totale reste un sujet de débat constant au sein de la société groenlandaise. Beaucoup de Groenlandais estiment que l'autonomie actuelle ne suffit pas, et certains partis politiques prônent l'indépendance totale. Toutefois, des obstacles importants subsistent :

• Dépendance économique. - Bien que le Groenland ait un contrôle accru sur ses ressources naturelles, l'économie de l'île dépend fortement des subventions danoises, qui représentent environ un tiers du budget public groenlandais. L'indépendance entraînerait la perte de ces subventions, ce qui pose la question de la viabilité économique du territoire.

• Exploration des ressources. - Certains voient dans l'exploitation des ressources naturelles une solution à la dépendance économique du Groenland. Cependant, les incertitudes liées à l'exploitation minière, à la volatilité des prix mondiaux et aux préoccupations écologiques compliquent cette perspective.

L'augmentation des températures dans l'Arctique provoque une fonte rapide des glaciers et de la calotte glaciaire du Groenland. La fonte des glaciers contribue à l'élévation du niveau des mers à l'échelle mondiale, et les populations locales sont touchées par la dégradation de leur environnement traditionnel, avec des impacts sur la chasse et la pêche. La fonte des glaces expose également des ressources naturelles auparavant inaccessibles, notamment des minerais rares, du pétrole et du gaz. Cela suscite l'intérêt des grandes puissances comme les États-Unis, la Chine et la Russie. Le Groenland a conclu plusieurs accords avec des entreprises internationales pour explorer et exploiter ces ressources, mais cela reste un sujet controversé sur l'île, notamment en raison des préoccupations environnementales et des impacts sur les modes de vie traditionnels.

En 2019, l'idée extravagante d'un achat du Groenland par les États-Unis a été évoquée par le président Donald Trump, ce qui a suscité une réaction de rejet ferme de la part du Danemark et du Groenland. Cet incident souligne en tout cas l'intérêt croissant pour l'Arctique en raison de ses ressources naturelles et de son importance géopolitique avec l'ouverture de nouvelles routes maritimes en raison de la fonte des glaces. Ajoutons que le Groenland a également développé des relations avec d'autres pays arctiques, notamment via le Conseil de l'Arctique, une organisation intergouvernementale qui traite des questions environnementales et économiques de la région.



Robert Gessain, Inuit, Images d'Ammassalik (Groenland 1934-1936), La Martinière Beaux Livres, 2007. - En 1934, Robert Gessain a 26 ans lorsqu'il rencontre à l'Institut d'ethnologie Paul-Emile Victor et qu'il se joint à l'expédition du commandant Charcot sur le Pourquoi-Pas? Cette découverte de l'Arctique est pour lui déterminante. Avec Paul-Emile Victor, Fred Matter et Michel Pérez, il séjourne à Ammassalik, au Groenland, où il retournera à plusieurs reprises jusqu'en 1972. Médecin et anthropologue, il réalise aussi de nombreuses photographies. Présentées pour la première fois dans cet ouvrage, ses images, remarquables autant par leur qualité plastique que par leur nombre - plus de 8000 -, témoignent de sa profonde admiration pour ces hommes à la fois chasseurs, religieux et poètes. Dans sa préface, Yves Coppens rend hommage au grand humaniste que fut Robert Gessain, pionnier de l'anthropologie arctique, dont les photographies constituent un document bouleversant sur "ces grandes civilisations du froid, établies contre vents et glaciers tout autour du Grand Pays vert". (couv.).

Chloé Cruchaudet, Groenland / Manhattan, Delcourt-Mirages, 2008. - Groenland - Manhattan ou les désastres causés par l'idéologie raciste de l'anthropologie naissante au XIXe siècle. Chloé Cruchaudet retrace l'histoire vraie d'un jeune "Esquimau" déraciné, exhibé avec sa famille comme des fossiles vivants... Un destin dramatique superbement mis en image. L'histoire : 1897. L'explorateur Robert Peary regagne New York après une mission au Groenland et ramène dans ses bagages cinq "Esquimaux", parmi lesquels Minik, un garçon de dix ans, et son père. Véritable objet de curiosité, le petit groupe est logé dans les sous-sols du Museum d'histoire naturelle. Mais, en l'espace de quelques mois, la tuberculose a raison de ces grands hommes du Nord et seul Minik survit. Adopté par l'un des conservateurs du Museum, il s'adapte peu à peu à sa nouvelle destinée. Mais sa vie bascule le jour où il découvre dans une vitrine du musée le squelette de son père... (couv.).

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