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Les applications de la doctrine kantienne |
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Le souci constant de Kant est d'arriver à rejoindre la réalité concrète et la pratique. Puisés par l'analyse métaphysique dans le donné lui-même, ses principes doivent, rationnellement, reconstituer et gouverner le donné. Dans l'ordre matériel, il a cherché le passage de la métaphysique à la physique; de même, dans l'ordre moral, il redescend de l'idée à l'action. 1. L'histoire de l'humanité est à cet égard son principal thème. Kant se propose, non d'en décrire, mais d'en déduire les principales phases. Il distingue l'histoire naturelle et l'histoire morale de l'humain. Celle-ci a son commencement dans celle-là. En ce qui concerne l'histoire naturelle, Kant traite de la question des races. Y a-t-il entre les races humaines une séparation telle que l'une d'entre elles ait le droit de revendiquer pour elle seule la dignité d'humain et de réduire les autres en esclavage? La question se résout par la considération de l'origine. Entre les humains de toutes les races la fécondation est possible, donc ils ont une même origine et ne forment qu'une espèce. Les races sont des variétés stables, inaltérables au mélange et à la transplantation. Elles se sont différenciées par voie d'adaptation aux conditions climatiques; comme il y a quatre climats, ainsi il y a quatre races : la blanche, la jaune, la noire et la rouge. Les causes extérieures ont joué dans la formation de ces races un rôle indispensable, mais elles n'eussent pu, à elles seules, produire des changements stables; elles n'ont fait que développer les dispositions internes de l'espèce. La vraie cause des races, c'est l'aptitude de l'humain à s'adapter aux conditions extérieures. Contre les attaques de G. Forster, qui veut expliquer la vie par les seules causes géologiques, Kant soutient, dès 1788, la nécessité d'un principe spécial immatériel, comme seul conforme aux exigences de la critique. C'est abandonner le fil conducteur de l'expérience que d'attribuer à la matière une faculté d'organisation que l'observation n'y saurait découvrir. Sans doute, l'explication de Forster n'est ni absurde ni impossible, mais elle dépasse nos moyens de connaître. Nous ne saisissons de finalité qu'en nous, dans notre production consciente : rien ne nous autorise à admettre dans une chose inconsciente la faculté d'agir en vue d'une fin. Nous ne savons ce qui cause la vie, mais nous l'expliquons, nous, par la finalite : tel est le point de vue de la critique. Tandis que l'histoire naturelle de l'humain remonte à son origine, l'histoire morale considère sa fin. Dans l'idée de cette fin la philosophie de l'histoire trouve son principe, comme la philosophie naturelle dans l'idée d'attraction. Or le développement de la raison, qui est l'essence de l'humain, ne peut tendre qu'à l'établissement d'un régime de liberté, c.-à-d. à la réalisation de la justice. Ce sont donc les phases de la réalisation de la justice que l'historien doit retrouver dans les faits. Pour réaliser ce progrès de la liberté, la volonté n'est pas abandonnée à elle-même. Elle est aidée par la nature; et, pour cette raison, le progrès est constant et a le caractère d'une loi naturelle. Loi bienfaisante, loi nécessaire car si l'humain devait croire que ses oeuvres périssent tout entières avec lui, comment pourrait-il nourrir un sérieux désir de travailler au bien de l'humanité? La nature excite l'humain à sortir de la nature, et aiguillonne sa liberté. C'est une artiste, c'est une providence, qui, du mal, sait tirer le bien. Elle fait les humains égoïstes et violents, et la violence engendre la guerre: mais la guerre provoque la création d'un régime juridique. Elle sépare les humains par des différences de constitution, de langue, de religion mais ces différences rendent impossible une domination universelle. Pendant que le mal succombe, tôt ou tard, à la contradiction qu'il recèle, le bien qu'y substitue la raison, une fois posé, se maintient et s'accroît, grâce à son accord avec lui-même. Car la logique est la suprême force. L'humain veut l'union d'abord, et il se croit sage; mais la nature sait mieux que lui ce qui lui convient : elle veut la guerre. Le premier objet de cette collaboration de la nature et de la volonté, c'est l'établissement de l'Etat rationnel, combinaison de la liberté et de la légalité. Le second objet, c'est l'établissement d'un conseil amphictionique des peuples, assurant le maintien de la paix. Sans une telle institution, l'humanité ne peut marcher à sa fin. La guerre est un retour à l'état de nature. Dans l'idéal de la raison est enveloppée l'idée de la paix éternelle. Si cet objet n'est pas réalisable, Rousseau n'a pas tort de prêcher le retour à l'état sauvage. Mieux vaut la barbarie que la culture sans la moralité. Mais n'est-ce pas là une conception purement théorique? L'humain réel entrera-t-il dans ces vues? Hobbes n'a-t-il pas démontré que l'humain réel n'est mû que par des intérêts, non par des idées? Il faut repousser bien loin une telle doctrine, il ne faut pas laisser croire que ce qui est bon en théorie puisse jamais être impossible ou mauvais dans la pratique. Ce qui, effectivement, n'est pas pratique, c'est le despotisme que Hobbes confère aux souverains, et la rébellion qu'il admet chez les sujets. Certes, les intérêts, dans l'Etat, doivent avoir leur place, mais s'ensuit-il que les principes doivent être exclus? Ne peut-on être à la lois prudent comme le serpent et simple comme la colombe? Pour qui se garde de l'idéalisme aussi bien que de l'empirisme, le réel et l'idéal, loin de s'exclure, s'appellent, et la politique cesse d'être incompatible avec la morale. Il existe un moyen pratique de mettre la première en accord avec la seconde, c'est la publicité. Quiconque croit être utile à son pays doit la chercher : or cela seul la supporte, qui est conforme à la justice. L'universalité, ici comme partout, est le point de contact du réel et du rationnel, la forme de la vérité. Quelle est, d'après cette théorie, la phase de son histoire où se trouve actuellement l'espèce humaine? Cette phase est celle des lumières. Ce qui la caractérise, c'est l'émancipation de l'intelligence. L'humain, réfléchissant sur lui-même, a constaté une contradiction entre sa nature raisonnable et sa situation de mineur : il fait effort pour affranchir sa raison. Sapere aude, telle est-la devise. Quant au moyen de réaliser le progrès des lumières, ce ne saurait être le bouleversement des institutions politiques, la révolution, laquelle ne fait guère que substituer de nouveaux préjugés aux anciens. Il n'appartient qu'à la réflexion personnelle de faire un humain vraiment éclairé. La condition du progrès des lumières est ainsi la liberté de penser et de publier sa pensée. Comment cette liberté se concilierat-elle avec les droits de l'Etat? Il faut à cet égard distinguer en chaque homme le citoyen d'une communauté restreinte et le citoyen du monde. Dans ses rapports avec les membres de sa communauté, l'humain est tenu de se soumettre aux statuts qui la régissent; mais, comme citoyen du monde, il reste libre. A ce titre, en effet, il parle du haut de la raison, pour l'universalité des êtres raisonnables, tandis que, comme citoyen d'un Etat, il borne son action à un espace et à un temps particuliers. Ce n'est qu'en s'identifiant avec l'universel que la volonté conquiert la liberté. Chaque citoyen donc sans résister paiera l'impôt, mais conservera le droit de le discuter. Le professeur respectera, comme fonctionnaire, les symboles reçus dans son pays; mais, comme savant, il aura droit de critique sur toute doctrine. Par ces principes sont nettement définis les droits des législateurs comme des citoyens. C'est ainsi que, tout en maintenant d'un bout à l'autre l'accord de la nature et de la liberté dans l'histoire morale de l'humain, Kant n'a garde de faire résulter le progrès d'un simple développement des puissances naturelles. La théorie leibnizienne de Herder est, selon lui, radicalement fausse. Dans la nature réside le moyen; mais la fin, source du progrès, ne peut venir que de la raison morale supérieure à la nature. C'est pourquoi l'idéal moral ne pourra jamais être exprimé par l'individu comme tel. Il ne saurait trouver sa représentation que dans le tout de l'humanité. L'histoire vraie est nécessairement universelle. Certes l'individu est une réalité, mais il y a dans le tout quelque chose qui le dépasse, et ce n'est que dans son union avec le tout qu'il peut atteindre à la liberté. 2. Non content d'exposer ses vues générales sur les fins de l'activité humaine, Kant arrive, sur certains points, à rejoindre la pratique proprement dite. Telles sont ses idées sur l'éducation et sur l'enseignement universitaire. L'éducation, telle qu'elle existe, ne saurait Le satisfaire. Elle néglige la volonté, et elle dresse et surcharge l'intelligence, au lieu de la former à la réflexion. Une réforme radicale est ici nécessaire. Les théories pédagogiques de Rousseau, les tentatives pratiques de Basedow viennent à point pour nourrir sa critique. Il se passionne pour les idées de ces novateurs, et réclame, comme condition indispensable de la réforme, l'organisation d'écoles normales. Mais, sur ce terrain encore, il reste lui-même, subordonnant toute prescription aux fins morales. 1° Le corps, enseigne-t-il, doit être exercé et endurci, soumis à une discipline qui en fasse l'auxiliaire puissant et docile de l'esprit. Que l'enfant se développe en liberté, mais qu'il apprenne à mesurer ses mouvements : on ne saurait de trop bonne heure s'habituer à vivre selon des règles.De la pédagogie on peut rapprocher la question de l'enseignement universitaire. Sur ce point encore la critique apporte des lumières nouvelles. Une université se compose de quatre facultés : Théologie, Droit, Médecine, dites Facultés supérieures, et Philosophie, dite Faculté inférieure. Entre les trois premières et la quatrième un conflit s'élève naturellement. L'objet de celle-ci, en effet, ne diffère pas des objets de celles-là, mais l'une étudie à un point de vue universel et théorique ce que les autres étudient à un point de vue spécial et immédiatement pratique. De là une jalousie et une rivalité. Chacune des deux parties, ayant droit sur l'ensemble des choses, repousse l'autre comme usurpatrice. Le titre de supérieures que portent les trois premières facultés n'est rien moins que la supériorité attribuée par la tradition au positif sur le rationnel. Cette hiérarchie est-elle justifiée? 1° Entre théologiens et philosophes, le conflit porte sur l'usage à faire de la Bible. La critique ne nie pas la légitimité et l'utilité du véhicule sensible de la vérité religieuse, mais elle revendique pour la raison le droit de distinguer, dans la Bible, le fonds moral et éternel, et l'enveloppe sensible faite de récits et de circonstances contingentes. Comprendre les Ecritures, c'est les interpréter en un sens moral. La théologie ne saurait condamner ce mode d'interprétation, car elle le suppose. Comment distingue-t-elle, en effet, la vraie révélation de la fausse, sinon par l'idée de Dieu? Comment peut-elle, dans le détail, maintenir le caractère divin des textes consacrés, sinon en faisant fréquemment usage de l'interprétation morale allégorique? |
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