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La doctrine kantienne |
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La critique n'est pas l'abolition de la métaphysique, c'est l'introduction à la métaphysique comme science. Dans la réalisation du plan qu'elle trace, la méthode à suivre est celle qu'a inaugurée l'illustre Wolff. On sait que la logique transcendantale ne brise pas les cadres de la logique générale : elle les remplit. La raison humaine est législatrice de deux manières : par son entendement dans le domaine de la nature, par sa volonté dans le domaine de la liberté. D'où l'idée d'une double métaphysique : celle de la nature et celle des moeurs. Il n'y en a pas d'autre. Métaphysique de la science de la nature. Seule durable, la matière corporelle peut seule donner lieu à une métaphysique. Celle-ci cherche tout d'abord, parmi les données sensibles ou propriétés de la matière, un objet auquel soient applicables les lois synthétiques de l'entendement. Elle le trouve dans le mouvement. Cet unique emprunt une fois fait à l'expérience, la métaphysique poursuit sa marche en procédant a priori. Déterminé selon la seule notion de quantité, le mouvement n'est qu'une grandeur dans le temps et l'espace : il n'implique pas encore de cause de production ou de modification. Il donne lieu en ce sens à la phoronomie, que nous appelons aujourd'hui cinématique. Déterminé, en outre, suivant la notion de qualité, il enveloppe une grandeur intensive ou force, comme cause de son existence et de nos affections sensibles. La théorie de la force est la dynamique : c'est la pièce essentielle de cette partie de la métaphysique kantienne. Il faut admettre autant de forces simples qu'il est nécessaire pour distinguer les mouvements sur une ligne droite, par conséquent une force de répulsion et une force d'attraction. De la première résulte la divisibilité à l'infini, de la seconde une limitation de la première. Ces deux forces sont solidaires : la solidité, que les newtoniens se sont vus obligés d'ajouter à l'attraction, à moins d'être une qualité occulte, suppose une force répulsive. La matière résulte de leur équilibre. Déterminée par la notion de relation, la matière se revêt des propriétés qu'étudie la mécanique proprement dite. A ce point de vue, Kant établit la loi de la persistance de la substance matérielle, la loi de l'inertie, la loi de l'action et de la réaction. Enfin, en ce qui concerne la modalité, il s'agit de savoir quelles sont les règles que suit notre esprit quand il distingue le mouvement possible, réel ou nécessaire : c'est la phénoménologie. Le mouvement rectiligne n'est que possible, et appartient à la phoronomie; le mouvement curviligne est réel et appartient à la dynamique; le mouvement conçu comme communiqué par un moteur à un mobile est déterminé nécessairement quant à l'existence et à la vitesse, et appartient à la mécanique. Métaphysique des moeurs. Dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique, la méthode a pour tâche de ranger les conditions empiriques données sous les lois de la raison, et de déduire par là le système complet des lois fondamentales. La législation morale a un double objet : l'action et son mobile. L'accord de l'action avec la loi est la légalité, l'accord du mobile la moralité. De cette distinction résulte la division de la métaphysique des moeurs en théorie du droit et théorie de la vertu. Le droit est l'ensemble des conditions universellement requises pour que le libre arbitre de chacun se concilie avec celui des autres. Le libre arbitre extérieur est respectable, parce qu'il est la forme de la libertémorale, celle- ci ne se réalisant que par l'action et l'action impliquant un rapport à quelque chose d'extérieur. Ainsi, le droit est distinct, mais dépendant de la morale. Au développement de la théorie du droit président deux principes essentiels : 1° le droit repose exclusivement sur la nature suprasensible de l'humain en tant qu'elle est manifestée dans le temps, c.-à-d. sur la dignité personnelle;En ce qui concerne le droit privé, il appartient nécessairement à tout homme de disposer de la part de liberté compatible avec la liberté des autres humains. Mais il ne peut s'agir ici que de la liberté considérée dans son existence extérieure. Cette existence est ce qu'on appelle la possession. Il y a donc autant d'espèces de droits qu'il y a d'espèces de possessions. La première porte sur les choses, et donne lieu au droit réel. Ce droit n'est pas un rapport entre le propriétaire et la chose, mais un rapport entre des personnes. Comment la réalisation en peut-elle être légitime? D'une part, la possession en commun est le droit primitif; d'autre part, le fait donné est la propriété individuelle. Il y aurait là une antinomie insoluble, si l'on tenait la possession en commun pour un fait qui a existé historiquement. Mais ce n'est pas un fait, c'est le commandement de la raison. Le fait actuel ne va donc pas contre une réalisation préalable de la justice. Il est, jusqu'à nouvel ordre, la seule réalisation effective du principe qui attribue les choses aux personnes. Il n'en doit pas moins être sanctionné par un contrat entre les volontés, pour devenir juridique : toute appropriation, dans l'état de nature, n'est que provisoire. La seconde espèce de possession porte sur les actions des personnes, et donne lieu au droit personnel Ce droit se réalise par le contrat, dont la valeur réside dans la stabilité et la simultanéité des volontés suprasensibles. La troisième espèce de possession porte sur les personnes elles-mêmes, et donne lieu au droit personnel réel. Le domaine en est la famille. Comment une personne peut-elle devenir une chose? Il y aurait là une contradiction intolérable, si le possesseur de la personne ne restituait à celle-ci sa dignité en se donnant de son côté, en rétablissant par un acte de liberté l'ordre moral menacé par la nature. C'est ainsi que le mariage est le seul rapport légitime des sexes, parce que, seul, il sauve la dignité de la femme. En ce qui concerne le droit public ou civil, Kant pose en principe que, l'état de nature des humains étant la guerre, il est nécessaire de constituer une société civile pour rendre possible un régime de droit. Les lois qui créent un tel régime se divisent en droit politique, droit des gens et droit cosmopolitique. Le droit politique repose exclusivement sur l'idée de justice. La souveraineté appartient primitivement Le droit des gens étend aux Etats, sauf certaines modifications, les relations que le droit public établit entre les individus. Leur condition primitive n'est pas un régime de droit, c'est la guerre. Pour qu'il se crée entre eux des rapports juridiques, il faut qu'ils forment et entretiennent, d'après l'idée d'un contrat originaire, une alliance ou fédération, par laquelle ils s'engagent à ne pas s'immiscer dans les discordes intérieures les uns des autres, et à se protéger mutuellement contre les attaques extérieures. Enfin, le droit cosmopolitique assuré à chaque humain la faculté d'entrer en communication avec tous. Les nations doivent laisser accès aux étrangers. La colonisation est un droit; toutefois, elle ne doit violer aucun droit acquis : il n'est pas permis il d'être injuste, fût-ce pour étendre le domaine de la justice. Le droit s'approche indéfiniment de la morale, il n'y peut atteindre. Il exige que la règle de nos actions extérieures puisse être érigée en loi universelle : la morale professe la même exigence en ce qui concerne la maxime même, le principe interne de nos actions. Les devoirs de vertu diffèrent ainsi des devoirs de droit, et par l'objet, en ce qu'ils déterminent l'intention et non l'acte, tandis que les devoirs de droit déterminent l'acte et non l'intention, ce qu'on exprime en disant que ceux-ci sont stricts et les autres larges; et par le motif, en ce que le sujet se les impose lui-même, tandis que les devoirs de droit sont imposés par une contrainte extérieure. Quelles sont les fins qui sont en même temps des devoirs? Il n'en peut exister que deux : la perfection propre et le bonheur des autres. Vis-à-vis de moi, je dois avoir en vus la perfection, non le bonheur; vis-à-vis d'autrui, je dois me proposer le bonheur, non la per fection. En effet, ni je ne puis me rendre heureux, ni je ne puis faire l'oeuvre de la volonté des autres, En revanche, la détermination de ma volonté me concerne, et, de même, la condition des autres humains. Le détail des devoirs ne comprendra rien qui se rapporte à la famille ou à l'État. Kant ne voit dans ces communautés que des relations juridiques il a donc épuisé ce qui les concerne, dans la théorie du droit. La morale sera essentiellement individuelle et sociale. Nous n'avons de devoirs qu'envers nous-mêmes et envers les autres humains. Car nous ne pouvons être obligés qu'envers des personnes qui soient pour nous objets d'expérience; et l'une ou l'autre de ces deux conditions fait défaut chez les êtres supérieurs ou inférieurs à nous. Le respect de la dignité humaine, en soi et dans les autres, tel est le devoir par excellence. Ce devoir n'admet ni conditions ni tempérament : il est absolu et immuable. Quant à l'amour du prochain et aux sentiments bienveillants en général, ils ne peuvent être l'objet d'un devoir qu'en tant qu'il s'agit de la bienveillance active et non de la sympathie de complaisance ou amour pathologique. De ces principes découlent des maximes telles que les suivantes : Ne laissez personne fouler aux pieds votre droit impunément. Ne faites point de dette sans fournir caution. Le mensonge, soit extérieur, soit surtout intérieur, est un suicide moral. La bassesse est indigne de l'humain; celui qui rampe comme un ver ne peut se plaindre si on l'écrase. La violation du devoir d'amour n'est qu'un péché, celle des devoirs de respect est un vice, car ici l'humain est offensé, là il ne l'est pas. La gymnastique morale n'est pas une mortification, c'est la volonté s'exerçant à maîtriser les penchants, de manière à n'en être pas gênée, et goûtant, joyeuse, sa liberté reconquise.
Religion. A la suite de la métaphysique des moeurs vient naturellement la religion, non comme supposée, mais comme appelée par la morale. La religion consiste à envisager les lois morales comme si elles étaient des commandements divins. Elle ne peut augmenter notre connaissance, soit de Dieu, soit de la nature; elle n'y doit pas viser : son seul objet est d'accroître l'ascendant de la loi morale sur la volonté. Ainsi entendue, elle est sanctionnée par la raison. Mais les religions positives ajoutent à la loi et aux postulats moraux des éléments traditionnels et statutaires : il nous importe de savoir dans quelle mesure cette partie additionnelle peut être légitimée parla raison. Si nous considérons la religion chrétienne, forme excellente de la religion, nous y rencontrons quatre idées essentielles : celle du péché originel, celle du Christ, celle de l'Eglise et celle du culte. Quelle est la valeur de ces idées? 1° Le dogme du péché originel recèle une vérité philosophique. Il y a en nous deux caractères : le caractère empirique et le caractère intelligible. Les vices de l'un, en attestant une pente innée vers le mal, dénotent une faute radicale de l'autre. Cette faute consiste à renverser l'ordre qui doit régler les rapports de la sensibilité et de la raison, et à mettre celle-ci au service de celle-là. La moralité, pour la personne qui a commis cette faute, ne peut plus être qu'une conversion, une nouvelle naissance, ainsi que l'indique la théologie chrétienne. En ce sens, le dogme est justifié. |
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