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La première
mention qu'on trouve de Paris est dans les
Commentaires de César qui le désigne
sous le nom de Lutetia. Lutèce était la civitas
des Parisii, dont le territoire dépassait un peu les limites actuelles
de la Petite couronne, et l'île, dite maintenant de la Cité,
où elle existait, était alors plus petite, des îlots
voisins n'y ayant pas encore été rattachés. A l'arrivée
de César, les Parisiens étaient depuis peu devenus absolument
indépendants des Sénons. César, en 53
av. J.-C., réunit dans Lutèce la première
assemblée générale des Gaules. Lors du soulèvement
de l'an 52, ce fut dans la bataille
livrée près de cette ville que périt le chef gaulois
Camulogène.
Le
siège de Lutèce par Labienus, lieutenant de César.
- Lors du soulèvement général de la Gaule, en 52
av. J.-C., Labienus reçut l'ordre d'occuper Lutèce. Labienus,
avec quatre légions, quitta Agendicum (Sens), et suivit la rive
gauche de la Seine jusqu'aux marais de l'Essonne, près de Corbeil,
où il se heurta aux Parisii, aux Carnutes, aux Suessiones, ralliés
sous le commandement du vieux et habile chef aulerqueCamulogène.
Il retourna en arrière, prit Melun,
y traversa le fleuve et se porta devant Lutèce, comptant y devancer
les troupes gauloises. Mais Camulogène avait déjà
brûlé le bourg, rompu les deux ponts qui reliaient l'île
aux deux rives et s'était posté sur la montagne Sainte-Geneviève.
Labienus, apprenant alors la défaite de César
à Gergovie et la défection des Eduens, menacé au nord
par les Belges,
résolut de rejoindre son chef. Il réussit à passer
la Seine en aval de Lutèce, par une nuit d'orage, et, le lendemain,
culbuta dans la plaine de Grenelle l'aile droite des troupes gauloises.
Camulogène fut tué. Labienus regagna Sens et rejoignit César
dans la vallée de l'Yonne.
On sait mal quel fut le régime municipal
de Lutèce sous la domination romaine;
c'est sur la rive gauche de la Seine que les faubourgs se développèrent
d'abord. Le plus ancien monument de Paris,
les arènes, dont on a retrouvé
les restes rue Monge, date du ler
ou du IIe siècle.
A la fin du IIIe
siècle, Constance Chlore
se fit construire dans ces faubourgs un palais qui fut son séjour
de prédilection : le palais dit des Thermes
(peut-être à tort) que l'empereur Julien
agrandit. Un camp permanent, entouré de murs très épais,
occupait l'emplacement actuel du bas de la rue Soufflot. Vers l'an 400,
la ville, qui faisait partie de l'ancienne province de Celtique,
fut englobée dans la 4e Lyonnaise.
C'est au IIIe
ou IVe siècle
que le nom du peuple fut substitué au nom de la ville même
et que Lutèce devint Paris. Un concile
important se tint à Paris en 360.
La première
enceinte.
On assigne généralement
comme date l'année 406 environ
à l'enceinte fortifiée que les Gallo-Romains établirent
tout autour de l'île de la Cité et dont on a plusieurs fois
retrouvé des restes, notamment en 1898.
Cette première enceinte définira les limites de la ville
jusqu'à l'an 1000 environ. Vers
le milieu du Ve
siècle, sans doute, le siège de l'église
de Paris fut établi dans le temple de
Jupiter
de l'île de la Cité, et bientôt deux églises
s'élevèrent sur son emplacement, Saint-Etienne et Notre-Dame,
qui possédèrent successivement la chaire épiscopale.
C'est à cette époque que se place dans l'histoire de Paris
la légende de sainte Geneviève
dont on a fait la patronne de cette ville. Clovis
n'entra dans Paris qu'en 497; il en
fit sa capitale en 508, comme il résulte
d'un texte de Grégoire de Tours
que l'on a bien des fois cité. Les rois mérovingiens
qui se succédèrent à Paris résidèrent,
tantôt dans le palais de Julien, tantôt
dans celui de la Cité, ancien palais proconsulaire. Lors du partage
de 567. Paris fut laissé dans
l'indivision et servit de limite entre plusieurs pagi dont un est le pagus
Parisiacus ou Parisis. Deux abbayes,
devenues rapidement célèbres, furent fondées sur la
rive gauche, l'une, Saint-Pierre et Saint-Paul, qui s'appela bientôt
Sainte-Geneviève, par Clovis ler,
l'autre, Saint-Vincent, peu après dénommée Saint-Germain-des-Prés,
par Childebert Ier.
On attribue une assez haute antiquité également à
l'établissement de l'Hôtel-Dieu. Mais Paris qui avait grandi
en même temps que le pouvoir des Mérovingiens participa à
leur décadence; de la fin du VIIe
siècle à celle du IXe
siècle, il est assez délaissé, et, sous
les premiers Carolingiens,
il n'est souvent que la capitale d'un fief, le comté de Paris. Mais
ses comtes devinrent rois : il n'y eut plus que des vicomtes. Paris eut
à souffrir des ravages des Vikings
en 845, 856
et 861. Le siège qu'ils lui
firent subir en 885-886
est le premier qui soit célèbre.
Le
siège de Paris par les Vikings. - En l'été
885, les Vikings,
après avoir saccagé Pontoise,
parurent sous Paris avec 700 barques. Paris
couvrait l'île de la Cité, ceinte d'un rempart
de pierres et reliée aux rives par deux ponts défendus, à
l'entrée, par une grosse tour. Siegfried, chef des Vikings, à
l'aspect des fortifications, promit de respecter la ville si on lui laissait
remonter librement la Seine. On refusa et un terrible siège commença,
qui dura jusqu'en octobre 886. Eudes, comte
de Paris, fils de Robert le Fort, organisa
la défense avec l'aide de son frère, Robert, de l'évêque
Gozlin, d'Eble, abbé de Saint-Germain-des-Prés,
et de plusieurs seigneurs. Les Vikings livrèrent des assauts acharnés,
que l'on repoussa par la hache, l'huile bouillante, la poix. Charles
le Gros parut enfin sur les hauteurs de Montmartre;
au lieu de battre les Vikings, il acheta leur retraite à prix d'or.
Dès le IXe
siècle, les écoles de la cathédrale Notre-Dame
étaient très célèbres. Aussitôt que furent
passés les dangers des invasions normandes, les faubourgs de Paris
se développèrent définitivement.
La deuxième
enceinte.
La date de la deuxième enceinte
est, elle aussi, très incertaine; elle appartient au XIe
ou même au Xe
siècle; on la place parfois vers l'année 1020.
Apellée à délimiter Paris pendant moins de deux siècles,
cette enceinte, dite souvent des Capétiens,
se composait de deux demi-cercles partant de l'extrémité
orientale de l'île de la Cité et aboutissant un peu en avant
de l'extrémité occidentale. Mais on en recule parfois aussi
la construction jusqu'au règne de Louis VI,
soit jusqu'au commencement du XIIe
siècle. Ce fut Louis VI qui fondé l'abbaye
de Saint-Victor,
et l'on sait à quel point Guillaume de Champeaux,
qui professa dans cette abbaye, son disciple Abélard
et leurs successeurs contribuèrent à donner alors à
Paris un éclat littéraire.
Saint-Germain-l'Auxerrois
était de même un foyer d'études. Le prieuré
de Saint-Martin des Champs avait été fondé au siècle
précèdent par le roi Henri Ier.
Paris participe en même temps au mouvement architectural, puisque
sa cathédrale
fut reconstruite vers 1115 et que l'église
actuelle fut commencée sous le règne suivant, en 1163,
grâce à l'initiative de l'évêque Maurice de Sully.
Louis VI est également le roi qui éleva l'église de
Saint-Jacques la Boucherie.
Les marchands de l'eau de Paris sont pour
la première fois mentionnés dans un document certain sous
le règne du même roi qui leur abandonna un droit de 60 sous
levé au moment des vendanges sur chaque bateau chargé de
vins venant à Paris (1121).
L'administration municipale n'était représentée alors
que par des confréries marchandes qui défendaient les intérêts
du peuple. Il y avait déjà un agent du roi qui portait le
nom de prévôt de Paris; le premier qu'on connaisse est Etienne,
prévôt en 1060; on ne
trouve plus alors de vicomtes de Paris, et la prévôté
et la vicomté de Paris apparaissent réunies; l'expression
« prévôté et vicomté » subsista
jusqu'à la fin de l'Ancien régime;
elle s'appliquait à Paris et à sa banlieue; le prévôt
de Paris avait rang de premier bailli. Sous Louis
VII (1170), la corporation des
marchands de Paris ou hanse parisienne obtient la confirmation de ses privilèges,
notamment dit monopole des transports entre Paris et Mantes
et du droit de justice sur les gens qu'elle emploie. C'est lentement, grâce
à la bienveillance qui lui est témoignée par le roi,
que cette corporation se transforme en municipalité. Paris n'eut
cependant jamais de charte communale; il rentre dans le groupe des villes
dites de bourgeoisie.
La troisième
enceinte (1190-1370).
Dans l'histoire de la ville de Paris,
le nom de Philippe-Auguste est attaché
à plusieurs grands travaux. De 1190
à 1210 pour la rive droite et
de 1211 à 1220
pour la rive gauche, ce roi fit établir une nouvelle enceinte fortifiée
flanquée de 100 tours rondes et percée de 20 portes
ou poternes; partant du château
du Louvre, elle englobait l'église
actuelle de Saint-Eustache,
coupait en deux le quartier du Marais, puis la Seine entre l'île
Notre-Dame et l'île aux Vaches, englobait aussi Sainte-Geneviève,
traversait la rue Saint-Jacques
et laissant en dehors l'abbaye
de Saint-Germain des Prés
revenait aboutir en face du Louvre. Ses tours les plus connues sont la
tour Hamelin, dite ensuite tour de Nesle,
qui était située là où s'élève
l'Institut, et, à l'autre extrémité de la rive gauche,
la Tournelle, On a retrouvé des vestiges de cette enceinte, et il
en subsiste encore des tours, notamment dans une cour du Mont-de-Piété,
dans la cour du Commerce, rue Dauphine et rue Guénégaud.
Paris renfermait au XIIIe
siècle 33 paroisses et 220 rues; il se subdivisait en
Outre-Grand-Pont ou Ville au Nord, Cité au centre, Outre-Petit-Pont
ou Université au Sud. Philippe-Auguste fit commencer les premiers
travaux de pavage, construire des halles,
ainsi qu'un grand cimetière (celui des Innocents)
et installer des fontaines publiques (Les
fontaines de Paris). En 1204, il
fit édifier aux portes de la ville un château
fort, le Louvre. L'Université
obtint de lui d'être désormais soumise, non plus à
la juridiction du prévôt de Paris, mais à celle de
l'Église.
De nombreux collèges furent fondés dès le XIIIe
siècle. Paris avait déjà une population
d'environ 100 000 habitants).
Sous saint Louis,
la prospérité de la capitale s'accrut encore. De son règne
datent l'édification de la Sainte-Chapelle,
la fondation de l'hospice des Quinze-Vingts
et des églises des Franciscains ou
Cordeliers et des Dominicains
ou Jacobins, enfin la création de la Sorbonne.
Le remplacement du prévôt-fermier de Paris
par un garde royal de la prévôté ne serait pas une
innovation due, vers 1258, à
saint Louis; la réforme ne consista que dans la suppressionn de
l'affermage. C'est dans les dernières années du même
règne, en 1263, qu'on trouve
la première mention d'un prévôt des marchands, Evreux
de Valenciennes. Ce prévôt, sorte de maire, était assisté
de 4 échevins et de 24 conseillers, tous électifs.
La corporation des marchands de l'eau, qui jouait un rôle commercial
prépondérant, paraît s'être transformée
en municipalité au commencement du XIIIe
siècle, en 1220.
Mais la prévôté des marchands était surtout
alors une juridiction. On possède un recueil de ses sentences remontant
à 1268. Cette juridiction n'était
pas, du reste, uniquement commerciale; le prévôt de Paris
la reconnaissait compétente pour toutes les matières visées
par la coutume de Paris.
Enfin les actes de donation pouvaient aussi
être enregistrés par la prévôté. Les intérêts
du pouvoir central étaient représentés auprès
d'elle par un officier appelé clerc ou procureur du roi. En tant
que municipalité, la prévôté s'occupe des fortifications,
des fontaines et distributions d'eau, des ponts, du pavage, des hôpitaux
et des établissements de bienfaisance. Tandis que le prévôt
ou les prévôts de Paris, car jusqu'à Etienne Boileau
il y en eut souvent deux à la fois, siégeaient au Grand-Châtelet,
la municipalité de Paris se réunissait dans ce qu'on appelait
le Parloir aux bourgeois. Très vraisemblablement, le premier parloir
municipal fut situé près de Saint-Leufroy et du Châtelet
et ne doit pas être confondu avec la maison de la Marchandise de
la Vallée de Misère, bureau de perception des bourgeois hansés.
Quant à la tour carrée qui, depuis le milieu du XIIIe
siècle sans doute, s'élevait où se trouve
maintenant la rue Soufflot, elle occupait l'emplacement du premier siège
présumé de la hanse parisienne, et elle ne servit tout au
plus que d'annexe au Parloir des bourgeois.
Sous Philippe
le Bel, Paris vit principalement la réunion des premiers Etats
généraux à Notre-Dame,
le supplice des Templiers au terre-plein
du Pont-Neuf, les scandales de l'hôtel
de Nesle. La royauté, en excellents termes avec la municipalité,
s'habitue à compter sur elle pour assurer la marche des services
publics et lui demande des subsides. En constatant combien les habitants
de Paris durent avoir à souffrir de l'administration financière
des rois pendant la première moitié du XIVe
siècle, on s'explique mieux les événements
qui se rattachent à la prévôté d'Étienne
Marcel. A ne considérer que son rôle d'administrateur,
il faut rappeler que ce fameux prévôt fit munir de fossés
et de mâchicoulis les remparts de la rive gauche en 1356
et 1358, qu'il veilla au bon entretien
de la voie publique, prévint les famines et acheta, pour y installer
la municipalité, place de Grève, l'hôtel de Dauphin
ou Maison aux piliers (1357). C'est
pendant sa prévôté qu'on voit apparaître pour
la première fois des quartiniers, cinquanteniers et dizainiers préposés
à l'administration de subdivisions territoriales. Les quartiers
étaient alors sans doute au nombre de huit : Cité, Université,
Grève, Saint-Jacques-la-Boucherie,
Sainte-Opportune, Saint-Germain-l'Auxerrois,
Saint-André-des-Arts, place
Maubert.
Le quatrième
enceinte (1367-XVIe siècle).
Charles V fit
rebâtir en l'agrandissant la partie septentrionale de l'enceinte
fortifiée. Construite entre 1367
et 1383, la nouvelle enceinte englobait
le Louvre et ajoutait à Paris le Bourg-l'Abbé, le Temple,
le Bourg-Saint-Eloi et une partie du faubourg Saint-Antoine; il n'en reste
qu'un fragment rue de Valois. La Forteresse construite devant la porte
Saint-Antoine fut la Bastille, Charles
V construisit aussi le couvent des Célestins
et l'hôtel Saint-Paul dont il fit sa résidence de prédilection.
On lui doit de nombreux travaux d'utilité publique, pour lesquels
il fut remarquablement secondé par son prévôt de Paris,
Hugues Aubriot l'établissement du premier
égoût couvert, de nouveaux ponts, de nouveaux ports. Par suite
de la prépondérance du prévôt du roi, la prévôté
des marchands ne jouait alors qu'un rôle effacé. En 1382,
l'établissement de nouvelles taxes amena la révolte dite
des Maillotins, dont le résultat fut
la disparition des libertés municipales qui, supprimées en
1383, furent seulement restituées
sans doute en 1409, en fait et légalement
en 1412. Pendant vingt-six ans, la
prévôté des marchands fut tenue en garde par un agent
du roi et même, de 1383 à
1389, réunie à la prévôté
de Paris. Peu après la fin de ce régime, la grande ordonnance
de février 1416 codifiait en
700 articles les règlements de la juridiction de la prévôté
des marchands.
-
Paris
en 1410 : l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le Petit Bourbon
et Montmartre.
L'histoire de Paris, au commencement du
XVe siècle,
est surtout dans le récit des luttes des Armagnacs
et des Bourguignons, dans celui des excès
des Cabochiens. Une épidémie
fit un très grand nombre de victimes en 1418.
En 1420, Paris commença à
subir la domination anglaise (La
Guerre de Cent Ans).
L'assaut donné par Jeanne d'Arc en 1429
échoua, et Henri VI d'Angleterre
fut couronné roi de France
à Notre-Dame
en 1431. Paris fut reconquis sur les
Anglais en 1436 et Charles
VII y rentra au mois de novembre de l'année suivante. C'est
au palais des Tournelles qu'il s'installa. Une réforme de l'Université
eut lieu sous son règne. Une ordonnance parue en 1450
est relative au mode d'élection du prévôt des marchands,
des échevins et des conseillers. Des lettres de Charles VII, de
1450 également, confirmées
par Louis XI en 1461,
mirent fin à des désaccords qui étaient perpétuels
entre la prévôté des marchands et les marchands de
Rouen au sujet de leurs privilèges. Louis XI est le dernier roi
qui fit encore de Paris son séjour ordinaire, résidant le
plus souvent aux Tournelles. L'imprimerie,
dont il permit l'introduction à Paris en 1470,
ne tarda pas à y prendre un grand développement. Sous Louis
XII, en 1499, les prévôt
et échevins furent pour quelques mois remplacés d'office
par des personnes que désigna le roi, à la suite de l'écroulement
du pont Notre-Dame.
-
Paris à
vol d'oiseau en 1482
La Cité et
l'Université
[Voici un extrait
de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Cette description particulière
de deux des trois parties de Paris est précédée, dans
ce chapitre : 1° d'un tableau des agrandissements successifs de la
ville reculant de siècle en siècle son enceinte; 2° d'un
tableau d'ensemble de Pans, composé alors de la Cité dans
l'île qui a conservé ce nom de la Ville sur la rive droite
de la Seine, de l'Université sur la rive gauche, enfermé
par une enceinte fortifiée qui s'appuyait à la Seine quatre
tours percées chacune d'une porte, et traversé du nord au
sud par deux rues artérielles, allant l'une de la porte Saint-Denis
à la porte Saint-Michel, l'autre de la porte Saint-Martin à
la porte Saint-Jacques. ]
« Pour le spectateur
qui arrivait essouflé sur le faîte de Notre-Dame, c'était
d'abord un éblouissement de toits, de cheminées, de rues,
de ponts, de places, de flèches, de clochers. Tout vous prenait
aux yeux à la fois, le pignon taillé, la toiture aiguë,
la tourelle suspendue aux angles des murs, la pyramide de pierre du onzième
siècle, l'obélisque d'ardoise du quinzième, la tour
ronde et nue du donjon, la tour carrée et brodée de l'église,
le grand, le petit, le massif, l'aérien. Le regard se perdait longtemps
à toute profondeur dans ce labyrinthe, où il n'y avait rien
qui n'eût son originalité, sa raison, son génie, sa
beauté, rien qui ne vint de l'art, depuis la moindre maison à
devanture peinte et sculptée, à charpente extérieure,
à porte surbaissée, à étages en surplomb, jusqu'au
royal Louvre, qui avait alors une colonnade de tours. Mais voici les principales
masses qu'on distinguait lorsque l'oeil commençait à se faire
à ce tumulte d'édifices.
D'abord la Cité.
L'lle de la Cité, comme dit Sauval [en
1724 fut publié son ouvrage intitulé : Histoire et antiquités
de la ville de Paris. C'est lui que Boileau raille sous le nom de Sofal
(Sat., VII, 40; IX, 292)], qui, à
travers son fatras, a quelquefois de ces bonnes fortunes de style, l'île
de la Cité est faite comme un grand navire enfoncé dans la
vase et échoué au fil de l'eau vers le milieu de la Seine.
Au quinzième siècle ce navire était amarré
aux deux rives du fleuve par cinq ponts [les
ponts Notre-Dame, aux Changeurs (ou au Change) aux Meuniers (du quai de
la Mégisserie au quai de l'Horloge), sur le bras droit de la Seine;
le Petit-Pont et le pont Saint-Michel, sur le bras gauche].
Cette forme de vaisseau avait aussi frappé les scribes héraldiques,
car c'est de là, et non du siège des Normands, que vient,
selon Pasquier, le navire qui blasonne le vieil écusson de Paris.
Pour qui sait le déchiffrer, le blason est une algèbre, le
blason est une langue. L'histoire entière de la seconde moitié
du moyen âge est écrite dans le blason, comme l'histoire de
la première moitié dans le symbolisme des églises
romanes. Ce sont les hiéroglyphes de la féodalité
après ceux de la théocratie.
La Cité donc
s'offrait d'abord aux yeux avec, sa poupe au levant et sa proue au couchant.
Tourné vers la proue, on avait devant soi un innombrable troupeau
de vieux toits, sur lesquels s'arrondissait largement le chevet plombé
de la Sainte-Chapelle, pareil à une croupe d'éléphant
chargée de sa tour. Seulement ici cette tour était la flèche
la plus hardie, la plus ouvrée, la plus menuisée, la plus
déchiquetée, qui ait jamais laissé voir le ciel à
travers son cône de dentelle. Devant Notre-Dame, au plus près,
trois rues se dégorgeaient dans le parvis, belle place à
vieilles maisons. Sur le côté sud de cette place se penchait
la façade ridée et rechignée de l'Hôtel-Dieu,
et son toit qui semble couvert de pustules et de verrues. Puis, à
droite, à gauche, à l'orient, à l'occident, dans cette
enceinte si étroite pourtant de la Cité, se dressaient les
clochers de ses vingt et une églises de toute date, de toute forme,
de toute grandeur, depuis la basse et vermoulue campanille romane de Saint-Denis-du-Pas
(carcer Glaucini) jusqu'aux fines aiguilles de Saint-Pierre-aux-Boeufs
et de Saint-Landry. Derrière Notre-Dame se déroulaient, au
nord, le cloître [une rue de la Cité
en porte encore le nom] avec ses galeries
gothiques; au sud, le palais demi-roman de l'évêque; au levant,
la pointe déserte du Terrain. Dans cet entassement. de maisons,
l'oeil distinguait encore, à ses hautes mitres de pierre percées
à jour qui couronnaient alors sur le toit même les fenêtres
les plus élevées des palais, l'hôtel donné par
la ville, sous Charles VI, à Juvénal des Ursins; un peu plus
loin, les baraques goudronnées du marché Palus [Situé
près de la Seine entre le Petit-Pont et le pont Saint-Michel; tire
son nom de la rive marécageuse (palus, -udis); on
a écrit aussi marché du Palud) du fleuve. Une rue
en a conservé le nom jusqu'au milieu du XIXe
siècle]; ailleurs encore, l'apside
neuve de Saint-Germain-le-Vieux, rallongée en 1458 avec un bout
de la rue aux Febves; et puis, par places, un carrefour encombré
de peuple; un pilori dressé à un coin de rue; un beau morceau
du pavé de Philippe-Auguste, magnifique dallage rayé par
les pieds des chevaux au milieu de la voie, et si mal remplacé au
seizième siècle par le misérable cailloutage dit pavé
de la ligue; une arrière-cour déserte avec une de ces diaphanes
tourelles de l'escaIier comme on en faisait au quinzième siècle,
comme on en voit encore une rue des Bourdonnais. Enfin, à droite
de la Sainte-Chapelle, vers le couchant, le Palais de Justice [appelé
longtemps Palais de la Cité. Remonte aux Romains. Le roi Eudes s'y
établit le premier. Saint Louis l'agrandit et bâtt à
côté la Sainte-Chapelle] asseyait
au bord de l'eau son groupe de tours. Les futaies des jardins du roi qui
couvraient la pointe occidentale de la Cité masquaient l'îlot
du Passeur [l'îlot du Passeur aux Vaches
réuni depuis à la Cité, et exhaussé en partie
parle terre-plein du Pont-Neuf]. Quant à
l'eau, du haut des Tours Notre-Dame, on ne la voyait guère des deux
côtés de la Cité : la Seine disparaissait sous les
ponts, les ponts sous les maisons.
Et, quand le regard
passait ces ponts, dont les toits verdissaient à l'oeil, moisis
avant l'âge par les vapeurs de l'eau, s'il se dirigeait à
gauche vers l'Université, le premier édifice qui le frappait,
c'était une grosse et basse gerbe de tours, Ie Petit-Châtelet,
dont le porche béant dévorait le bout du Petit-Pont; puis,
si votre vue parcourait la rive du levant au couchant, de Ia Tournelle
à la Tour de Nesle [sur la rive gauche
l'enceinte méridionale de Paris était terminée, à
l'est, par la Tournelle (petite tour), à l'endroit où commence
un pont qui porte encore ce nom; à l'ouest, par la tour de Nesle,
située en face de la Tour qui fait le coin du vieux Louvre, tirant
son nom du voisinage du vaste hôtel de Nesle dont les derniers restes
firent place au collège des Quatre-Nations (palais Mazarin, auj.
Institut)], c'était un long cordon
de maisons à solives sculptées, à vitres de couleur
surplombant d'étage en étage sur le pavé, un interminable
zigzag de pignons bourgeois, coupé fréquemment par la bouche
d'une rue, et de temps en temps par la face ou par le coude d'un grand
hôtel de pierre, se carrant à son aise, cours et jardins;
ailes et corps de logis, parmi cette populace de maisons serra, et étriquées,
comme un grand seigneur dans un tas de manants. Il y avait cinq ou six
de ces hôtels sur le quai, depuis le logis de Lorraine, qui partageait
avec les Bernardins le grand enclos voisin de la Tournelle, jusqu'à
l'hôtel de Nesle, dont la tour principale bornait Paris, et dont
les toits pointus étaient en possession pendant trois mois de l'année
d'échancrer de leurs triangles noirs le disque écarlate du
soleil couchant.
Ce côté
de la Seine, du reste, était le moins marchand des deux; les écoliers
y faisaient plus de bruit et foule que les artisans, et il n'y avait, à
proprement parler, de quai que du pont Saint-Michel à la tour de
Nesle. Le reste du bord de la Seine était tantôt une grève
nue, comme au delà des Bernardins [abbaye
des Bernardins, située entre le Petit-Pont et la Tournelle],
tantôt un entassement de maisons qui avaient le pied dans l'eau,
comme entre les deux ponts.
Il y avait grand
vacarme de blanchisseuses; elles criaient, parlaient, chantaient du matin
au soir le long du bord, et y battaient fort le linge, comme de nos jours.
Ce n'est pas la moindre gaieté de Paris.
L'Université
[on appelait ainsi, géographignement,
le quartier des écoles de l'Université, situé sur
la rive gauche, et occupant le sommet et les pentes de la montagne Sainte-Geneviève]
faisait un bloc à l'oeil. D'un bout à l'autre c'était
un tout homogène et compacte. Ces mille toits, drus, anguleux, adhérents,
composés presque tous du même élément géométrique,
offraient, vus de haut, l'aspect d'une cristallisation de la même
substance. Le capricieux ravin des rues ne coupait pas ce pâté
de maisons en tranches trop disproportionnées. Les quarante-deux
collèges [un collège était
primitivement l'habitation commune d'étudiants pauvres de même
nation ou de même province, suivant les cours des écoles de
l'Université, établie et dotée par des fondateurs
charitables. Plus tard l'enseignement s'y donna] y
étaient disséminés d'une manière assez égale,
et il y en avait partout. Les faîtes variés et amusants de
ces beaux édifices étaient le produit du même art que
les simples toits qu'ils dépassaient, et n'étaient en définitive
qu'une multiplication au carré ou au cube de la même figure
géométrique. Ils compliquaient donc l'ensemble sans le troubler,
le complétaient sans le charger. La géométrie est
une harmonie. Quelques beaux hôtels faisaient aussi çà
et là de magnifiques saillies sur les greniers pittoresques de la
rive gauche; le logis de Nevers, le logis de Rome, le logis de Reims, qui
ont disparu; l'hôtel de Cluny [les hôtels
ou logis logeaient, pendant leur séjour à Paris, les
grands seigneurs ou dignitaires de l'Eglise auxquels ils appartenaient. l'hôtel
de Sens (archevêque de Sens), sur la rive droite, en dehors de l'enceinte
de Paris au XVe siècle]
qui subsiste encore pour la consolation de l'artiste, et dont on a si bêtement
découronné la tour il y a quelques années. Près
de Cluny, ce palais romain, à belles arches cintrées, c'étaient
les Thermes de Julien [restes d'un vaste palais,
dont les jardins s'étendaient jusqu'à la Seine, construit
par Constance Chlore on Julien l'Apostat (IVe
siècle ap. J.-C.); réunis aujourd'hui au Musée de
Cluny]. Il y avait aussi force abbayes d'une
beauté plus dévote, d'une grandeur plus grave que les hôtels,
mais non moins belles, non moins grandes. Celles qui éveillaient
d'abord l'oeil, c'étaient les Bernardins avec leurs trois clochers;
Sainte-Geneviève, dont la tour carrée, qui existe encore,
fait tant regretter le reste; la Sorbonne, moitié collège,
moitié monastère, dont il survit une si admirable nef; le
beau cloître quadrilatéral des Mathurins; son voisin le cloître
de Saint-Benoît, dans les murs duquel on a eu le temps de bâcler
un théâtre [détruit par
l'ouverture de la rue des Ecoles] entre la
septième et huitième édition de ce livre; les Cordeliers
[où se tint le Club de la Révovolution,
entre la rue Racine et la rue de l'Ecole-de-Médecine]
avec leurs trois énormes pignons juxtaposés; les Augustins
[un quai en a retenu le nom],
dont la gracieuse aiguille faisait, après la tour de Nesle, la deuxième
dentelure de ce côté de Paris, à partir de l'occident.
Les églises (et elles étaient nombreuses et splendides dans
l'Université; et elles s'échelonnaient là aussi dans
tous les âges de l'architecture, depuis les pleins-cintres de Saint-Julien
jusqu'aux ogives de Saint-Severin), les églises dominaient le tout;
et, comme une harmonie de plus dans cette masse d'harmonies, elles perçaient
à chaque instant la découpure multiple des pignons de flèches
tailladées, de clochers à jour, d'aiguilles déliées
dont la ligne n'était aussi qu'une magnifique exagération
de l'angle aigu des toits.
Le sol de l'Université
était montueux. La montagne Sainte-Geneviève y faisait au
sud-est une ampoule énorme; et c'était une chose à
voir du haut de Notre-Dame que cette foule de rues étroites et tortues
(aujourd'hui le pays latin), ces grappes de maisons qui, répandues
en tout sens du sommet de cette éminence, se précipitaient
en désordre et presque à pic sur ses flancs jusqu'au bord
de l'eau, ayant l'air, les unes de tomber, les autres de regrimper, toutes
de se retenir les unes aux autres. Un flux continuel de mille points noirs
qui s'entrecroisaient sur la pavé faisait tout remuer aux yeux :
c'était le peuple vu ainsi de haut et de loin.
Enfin, dans les intervalles
de ces toits, de ces flèches, de ces accidents d'édifices
sans nombre qui pliaient, tordaient et dentelaient d'une manière
si bizarre la ligna extrême de l'Université, on entrevoyait,
d'espace en espace, un gros pan de mur moussu, une épaisse tour
ronde, une porte de ville crénelée, figurant la forteresse
; c'était la clôture de Philippe-Auguste. Au delà verdoyaient
les prés, au delà s'enfuyaient les routes, le long desquelles
tramaient encore quelques maisons de faubourg, d'autant plus rares qu'elles
n'éloignaient plus. Quelques-uns de ces faubourgs avaient de l'
importance; c'était d'abord, à partir de la Tournelle, le
bourg Saint-Victor, avec son pont d'une arche sur la Bièvre, son
abbaye où on lisait l'épitaphe de Louis-le-Gros, epitaphium
Ludovici Grossi, et son église à flèche octogone flanquée
de quatre clochetons du onzième siècle (on en peut voir une
pareille à Étampes; elle n'est pas encore abattue); puis
le bourg Saint-Marceau, qui avait déjà trois églises
et un couvent; puis, en laissant à gauche le moulin des Gobelins
et ses quatre murs blancs, c'était le faubourg Saint-Jacques avec
la belle croix sculptée de son carrefour; l'église de Saint-Jacques
du Haut-Pas, qui était alors gothique, pointue et charmante; Saint-Magloire,
belle nef du quatorzième siècle, dont Napoléon fit
un grenier à foin; Notre-Dame-des-Champs, où il y avait des
mosaïques byzantines. Enfin, après avoir laissé en plein
champ le monastère des Chartreux, riche édifice contemporain
du Palais-de-Justice, avec ses petits jardins à compartiments et
les ruines mal hantées de Vauvert [Vauvert
était un château donné par saint Louis aux Chartreux;
la superstition populaire le réputait hanté. De là,
l'expression altérée aller au diable vert (pour Vauvert).
Le sol déprimé des immenses jardins des Chartreux a été
comblé en partie, sous Napoléon Ier,
par l'allée de marronniers dite de l'Observatoire, le reste (pépinière
du Luxembourg) sous Napoléon III. Le dernier reste du petit cloître
pour lequel Lesueur avait peint la Vie de saint Bruno a disparu],
l'oeil tombait, à l'occident, sur les trois aiguilles romanes de
Saint-Germain-des-Prés. Le bourg Saint-Germain, déjà
une grosse commune, faisait quinze ou vingt rues derrière; le clocher
aigu de Saint-Sulpice marquait un des coins du bourg. Tout à côté
on distinguait l'enceinte quadrilatérale de la foire Saint-Germain,
où est aujourd'hui le marché; puis le pilori de l'abbé,
jolie petite tour ronde, bien coiffée d'un cône de plomb;
la tuilerie était plus loin, et la rue du Four, qui menait au four
banal [l'abbé de Saint-Germain des
Prés avait sur son territoire des droits seigneuriaux, entre autres
celui de prélever une redevance sur ses vassaux (ban), obligés
de cuire leur pain au four. Il avait droit de colombier : une rue en a
pris son nom], et le moulin sur sa butte,
et la maladrerie [hôpital des Lépreux],
maisonnette isolée et mal vue. Mais ce qui attirait surtout le regard,
et le fixait longtemps sur ce point, c'était l'Abbaye elle-même.
Il est certain que ce monastère, qui avait une grande mine et comme
église et comme seigneurie, ce palais abbatial, où les évêques
de Paris s'estimaient heureux de coucher une nuit, ce réfectoire,
auquel l'architecte avait donné l'air, la beauté et la splendide
rosace d'une cathédrale; cette élégante chapelle de
la Vierge, ce dortoir monumental, ces vastes jardins, cette herse, ce pont-levis,
cette enveloppe de créneaux, qui entaillait aux yeux la verdure
des prés d'alentour, ces cours où reluisaient des hommes
d'armes mêlés à des chapes d'or, le tout groupé
et rallié autour des trois hautes flèches à pleins-cintres,
bien assises sur une apside gothique, faisaient une magnifique figure à
l'horizon. »
(V.
Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre III, chapitre II).
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