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L'histoire de Paris
des origines à 1500
L'histoire de Paris
Des origines à 1500
De 1500 à la Révolution
De la Révolution à 1900
La première mention qu'on trouve de Paris est dans les Commentaires de César qui le désigne sous le nom de Lutetia. Lutèce était la civitas des Parisii, dont le territoire dépassait un peu les limites actuelles de la Petite couronne, et l'île, dite maintenant de la Cité, où elle existait, était alors plus petite, des îlots voisins n'y ayant pas encore été rattachés. A l'arrivée de César, les Parisiens étaient depuis peu devenus absolument indépendants des Sénons. César, en 53 av. J.-C., réunit dans Lutèce la première assemblée générale des Gaules. Lors du soulèvement de l'an 52, ce fut dans la bataille livrée près de cette ville que périt le chef gaulois Camulogène
Le siège de Lutèce par Labienus, lieutenant de César. - Lors du soulèvement général de la Gaule, en 52 av. J.-C., Labienus reçut l'ordre d'occuper Lutèce. Labienus, avec quatre légions, quitta Agendicum (Sens), et suivit la rive gauche de la Seine jusqu'aux marais de l'Essonne, près de Corbeil, où il se heurta aux Parisii, aux Carnutes, aux Suessiones, ralliés sous le commandement du vieux et habile chef aulerqueCamulogène. Il retourna en arrière, prit Melun, y traversa le fleuve et se porta devant Lutèce, comptant y devancer les troupes gauloises. Mais Camulogène avait déjà brûlé le bourg, rompu les deux ponts qui reliaient l'île aux deux rives et s'était posté sur la montagne Sainte-Geneviève. Labienus, apprenant alors la défaite de César à Gergovie et la défection des Eduens, menacé au nord par les Belges, résolut de rejoindre son chef. Il réussit à passer la Seine en aval de Lutèce, par une nuit d'orage, et, le lendemain, culbuta dans la plaine de Grenelle l'aile droite des troupes gauloises. Camulogène fut tué. Labienus regagna Sens et rejoignit César dans la vallée de l'Yonne.
On sait mal quel fut le régime municipal de Lutèce sous la domination romaine; c'est sur la rive gauche de la Seine que les faubourgs se développèrent d'abord. Le plus ancien monument de Paris, les arènes, dont on a retrouvé les restes rue Monge, date du ler ou du IIe siècle. A la fin du IIIe siècle, Constance Chlore se fit construire dans ces faubourgs un palais qui fut son séjour de prédilection : le palais dit des Thermes (peut-être à tort) que l'empereur Julien agrandit. Un camp permanent, entouré de murs très épais, occupait l'emplacement actuel du bas de la rue Soufflot. Vers l'an 400, la ville, qui faisait partie de l'ancienne province de Celtique, fut englobée dans la 4e Lyonnaise. C'est au IIIe ou IVe siècle que le nom du peuple fut substitué au nom de la ville même et que Lutèce devint Paris. Un concile important se tint à Paris en 360.

La première enceinte.
On assigne généralement comme date l'année 406 environ à l'enceinte fortifiée que les Gallo-Romains établirent tout autour de l'île de la Cité et dont on a plusieurs fois retrouvé des restes, notamment en 1898. Cette première enceinte définira les limites de la ville jusqu'à l'an 1000 environ. Vers le milieu du Ve siècle, sans doute, le siège de l'église de Paris fut établi dans le temple de Jupiter de l'île de la Cité, et bientôt deux églises s'élevèrent sur son emplacement, Saint-Etienne et Notre-Dame, qui possédèrent successivement la chaire épiscopale. C'est à cette époque que se place dans l'histoire de Paris la légende de sainte Geneviève dont on a fait la patronne de cette ville. Clovis n'entra dans Paris qu'en 497; il en fit sa capitale en 508, comme il résulte d'un texte de Grégoire de Tours que l'on a bien des fois cité. Les rois mérovingiens qui se succédèrent à Paris résidèrent, tantôt dans le palais de Julien, tantôt dans celui de la Cité, ancien palais proconsulaire. Lors du partage de 567. Paris fut laissé dans l'indivision et servit de limite entre plusieurs pagi dont un est le pagus Parisiacus ou Parisis. Deux abbayes, devenues rapidement célèbres, furent fondées sur la rive gauche, l'une, Saint-Pierre et Saint-Paul, qui s'appela bientôt Sainte-Geneviève, par Clovis ler, l'autre, Saint-Vincent, peu après dénommée Saint-Germain-des-Prés, par Childebert Ier. On attribue une assez haute antiquité également à l'établissement de l'Hôtel-Dieu. Mais Paris qui avait grandi en même temps que le pouvoir des Mérovingiens participa à leur décadence; de la fin du VIIe siècle à celle du IXe siècle, il est assez délaissé, et, sous les premiers Carolingiens, il n'est souvent que la capitale d'un fief, le comté de Paris. Mais ses comtes devinrent rois : il n'y eut plus que des vicomtes. Paris eut à souffrir des ravages des Vikings en 845, 856 et 861. Le siège qu'ils lui firent subir en 885-886 est le premier qui soit célèbre. 

Le siège de Paris par les Vikings.  - En l'été 885, les Vikings, après avoir saccagé Pontoise, parurent sous Paris avec 700 barques. Paris couvrait l'île de la Cité, ceinte d'un rempart de pierres et reliée aux rives par deux ponts défendus, à l'entrée, par une grosse tour. Siegfried, chef des Vikings, à l'aspect des fortifications, promit de respecter la ville si on lui laissait remonter librement la Seine. On refusa et un terrible siège commença, qui dura jusqu'en octobre 886. Eudes, comte de Paris, fils de Robert le Fort, organisa la défense avec l'aide de son frère, Robert, de l'évêque Gozlin, d'Eble, abbé de Saint-Germain-des-Prés, et de plusieurs seigneurs. Les Vikings livrèrent des assauts acharnés, que l'on repoussa par la hache, l'huile bouillante, la poix. Charles le Gros parut enfin sur les hauteurs de Montmartre; au lieu de battre les Vikings, il acheta leur retraite à prix d'or.
Dès le IXe siècle, les écoles de la cathédrale Notre-Dame étaient très célèbres. Aussitôt que furent passés les dangers des invasions normandes, les faubourgs de Paris se développèrent définitivement.

La deuxième enceinte.
La date de la deuxième enceinte est, elle aussi, très incertaine; elle appartient au XIe ou même au Xe siècle; on la place parfois vers l'année 1020. Apellée à délimiter Paris pendant moins de deux siècles, cette enceinte, dite souvent des Capétiens, se composait de deux demi-cercles partant de l'extrémité orientale de l'île de la Cité et aboutissant un peu en avant de l'extrémité occidentale. Mais on en recule parfois aussi la construction jusqu'au règne de Louis VI, soit jusqu'au commencement du XIIe siècle. Ce fut Louis VI qui fondé l'abbaye de Saint-Victor, et l'on sait à quel point Guillaume de Champeaux, qui professa dans cette abbaye, son disciple Abélard et leurs successeurs contribuèrent à donner alors à Paris un éclat littéraire. 

Saint-Germain-l'Auxerrois était de même un foyer d'études. Le prieuré de Saint-Martin des Champs avait été fondé au siècle précèdent par le roi Henri Ier. Paris participe en même temps au mouvement architectural, puisque sa cathédrale fut reconstruite vers 1115 et que l'église actuelle fut commencée sous le règne suivant, en 1163, grâce à l'initiative de l'évêque Maurice de Sully. Louis VI est également le roi qui éleva l'église de Saint-Jacques la Boucherie

Les marchands de l'eau de Paris sont pour la première fois mentionnés dans un document certain sous le règne du même roi qui leur abandonna un droit de 60 sous levé au moment des vendanges sur chaque bateau chargé de vins venant à Paris (1121). L'administration municipale n'était représentée alors que par des confréries marchandes qui défendaient les intérêts du peuple. Il y avait déjà un agent du roi qui portait le nom de prévôt de Paris; le premier qu'on connaisse est Etienne, prévôt en 1060; on ne trouve plus alors de vicomtes de Paris, et la prévôté et la vicomté de Paris apparaissent réunies; l'expression « prévôté et vicomté » subsista jusqu'à la fin de l'Ancien régime; elle s'appliquait à Paris et à sa banlieue; le prévôt de Paris avait rang de premier bailli. Sous Louis VII (1170), la corporation des marchands de Paris ou hanse parisienne obtient la confirmation de ses privilèges, notamment dit monopole des transports entre Paris et Mantes et du droit de justice sur les gens qu'elle emploie. C'est lentement, grâce à la bienveillance qui lui est témoignée par le roi, que cette corporation se transforme en municipalité. Paris n'eut cependant jamais de charte communale; il rentre dans le groupe des villes dites de bourgeoisie.

La troisième enceinte (1190-1370).
Dans l'histoire de la ville de Paris, le nom de Philippe-Auguste est attaché à plusieurs grands travaux. De 1190 à 1210 pour la rive droite et de 1211 à 1220 pour la rive gauche, ce roi fit établir une nouvelle enceinte fortifiée flanquée de 100 tours rondes et percée de 20 portes ou poternes; partant du château du Louvre, elle englobait l'église actuelle de Saint-Eustache, coupait en deux le quartier du Marais, puis la Seine entre l'île Notre-Dame et l'île aux Vaches, englobait aussi Sainte-Geneviève, traversait la rue Saint-Jacques et laissant en dehors l'abbaye de Saint-Germain des Prés revenait aboutir en face du Louvre. Ses tours les plus connues sont la tour Hamelin, dite ensuite tour de Nesle, qui était située là où s'élève l'Institut, et, à l'autre extrémité de la rive gauche, la Tournelle, On a retrouvé des vestiges de cette enceinte, et il en subsiste encore des tours, notamment dans une cour du Mont-de-Piété, dans la cour du Commerce, rue Dauphine et rue Guénégaud. Paris renfermait au XIIIe siècle 33 paroisses et 220 rues; il se subdivisait en Outre-Grand-Pont ou Ville au Nord, Cité au centre, Outre-Petit-Pont ou Université au Sud. Philippe-Auguste fit commencer les premiers travaux de pavage, construire des halles, ainsi qu'un grand cimetière (celui des Innocents) et installer des fontaines publiques (Les fontaines de Paris). En 1204, il fit édifier aux portes de la ville un château fort, le Louvre. L'Université obtint de lui d'être désormais soumise, non plus à la juridiction du prévôt de Paris, mais à celle de l'Église. De nombreux collèges furent fondés dès le XIIIe siècle. Paris avait déjà une population d'environ 100 000 habitants).

Sous saint Louis, la prospérité de la capitale s'accrut encore. De son règne datent l'édification de la Sainte-Chapelle, la fondation de l'hospice des Quinze-Vingts et des églises des Franciscains ou Cordeliers et des Dominicains ou Jacobins, enfin la création de la Sorbonne. Le remplacement du prévôt-fermier de Paris par un garde royal de la prévôté ne serait pas une innovation due, vers 1258, à saint Louis; la réforme ne consista que dans la suppressionn de l'affermage. C'est dans les dernières années du même règne, en 1263, qu'on trouve la première mention d'un prévôt des marchands, Evreux de Valenciennes. Ce prévôt, sorte de maire, était assisté de 4 échevins  et de 24 conseillers, tous électifs. La corporation des marchands de l'eau, qui jouait un rôle commercial prépondérant, paraît s'être transformée en municipalité au commencement du XIIIe siècle, en 1220. Mais la prévôté des marchands était surtout alors une juridiction. On possède un recueil de ses sentences remontant à 1268. Cette juridiction n'était pas, du reste, uniquement commerciale; le prévôt de Paris la reconnaissait compétente pour toutes les matières visées par la coutume de Paris. 

Enfin les actes de donation pouvaient aussi être enregistrés par la prévôté. Les intérêts du pouvoir central étaient représentés auprès d'elle par un officier appelé clerc ou procureur du roi. En tant que municipalité, la prévôté s'occupe des fortifications, des fontaines et distributions d'eau, des ponts, du pavage, des hôpitaux et des établissements de bienfaisance. Tandis que le prévôt ou les prévôts de Paris, car jusqu'à Etienne Boileau il y en eut souvent deux à la fois, siégeaient au Grand-Châtelet, la municipalité de Paris se réunissait dans ce qu'on appelait le Parloir aux bourgeois. Très vraisemblablement, le premier parloir municipal fut situé près de Saint-Leufroy et du Châtelet et ne doit pas être confondu avec la maison de la Marchandise de la Vallée de Misère, bureau de perception des bourgeois hansés. Quant à la tour carrée qui, depuis le milieu du XIIIe siècle sans doute, s'élevait où se trouve maintenant la rue Soufflot, elle occupait l'emplacement du premier siège présumé de la hanse parisienne, et elle ne servit tout au plus que d'annexe au Parloir des bourgeois. 

Sous Philippe le Bel, Paris vit principalement la réunion des premiers Etats généraux à Notre-Dame, le supplice des Templiers au terre-plein du Pont-Neuf, les scandales de l'hôtel de Nesle. La royauté, en excellents termes avec la municipalité, s'habitue à compter sur elle pour assurer la marche des services publics et lui demande des subsides. En constatant combien les habitants de Paris durent avoir à souffrir de l'administration financière des rois pendant la première moitié du XIVe siècle, on s'explique mieux les événements qui se rattachent à la prévôté d'Étienne Marcel. A ne considérer que son rôle d'administrateur, il faut rappeler que ce fameux prévôt fit munir de fossés et de mâchicoulis les remparts de la rive gauche en 1356 et 1358, qu'il veilla au bon entretien de la voie publique, prévint les famines et acheta, pour y installer la municipalité, place de Grève, l'hôtel de Dauphin ou Maison aux piliers (1357). C'est pendant sa prévôté qu'on voit apparaître pour la première fois des quartiniers, cinquanteniers et dizainiers préposés à l'administration de subdivisions territoriales. Les quartiers étaient alors sans doute au nombre de huit : Cité, Université, Grève, Saint-Jacques-la-Boucherie, Sainte-Opportune, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-André-des-Arts, place Maubert.

Le quatrième enceinte (1367-XVIe siècle).
Charles V fit rebâtir en l'agrandissant la partie septentrionale de l'enceinte fortifiée. Construite entre 1367 et 1383, la nouvelle enceinte englobait le Louvre et ajoutait à Paris le Bourg-l'Abbé, le Temple, le Bourg-Saint-Eloi et une partie du faubourg Saint-Antoine; il n'en reste qu'un fragment rue de Valois. La Forteresse construite devant la porte Saint-Antoine fut la Bastille, Charles V construisit aussi le couvent des Célestins et l'hôtel Saint-Paul dont il fit sa résidence de prédilection. On lui doit de nombreux travaux d'utilité publique, pour lesquels il fut remarquablement secondé par son prévôt de Paris, Hugues Aubriot l'établissement du premier égoût couvert, de nouveaux ponts, de nouveaux ports. Par suite de la prépondérance du prévôt du roi, la prévôté des marchands ne jouait alors qu'un rôle effacé. En 1382, l'établissement de nouvelles taxes amena la révolte dite des Maillotins, dont le résultat fut la disparition des libertés municipales qui, supprimées en 1383, furent seulement restituées sans doute en 1409, en fait et légalement en 1412. Pendant vingt-six ans, la prévôté des marchands fut tenue en garde par un agent du roi et même, de 1383 à 1389, réunie à la prévôté de Paris. Peu après la fin de ce régime, la grande ordonnance de février 1416 codifiait en 700 articles les règlements de la juridiction de la prévôté des marchands. 
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Paris en 1410.
Paris en 1410 : l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le Petit Bourbon et Montmartre.

L'histoire de Paris, au commencement du XVe siècle, est surtout dans le récit des luttes des Armagnacs et des Bourguignons, dans celui des excès des Cabochiens. Une épidémie fit un très grand nombre de victimes en 1418. En 1420, Paris commença à subir la domination anglaise (La Guerre de Cent Ans). L'assaut donné par Jeanne d'Arc en 1429 échoua, et Henri VI d'Angleterre fut couronné roi de France à Notre-Dame en 1431. Paris fut reconquis sur les Anglais en 1436 et Charles VII y rentra au mois de novembre de l'année suivante. C'est au palais des Tournelles qu'il s'installa. Une réforme de l'Université eut lieu sous son règne. Une ordonnance parue en 1450 est relative au mode d'élection du prévôt des marchands, des échevins et des conseillers. Des lettres de Charles VII, de 1450 également, confirmées par Louis XI en 1461, mirent fin à des désaccords qui étaient perpétuels entre la prévôté des marchands et les marchands de Rouen au sujet de leurs privilèges. Louis XI est le dernier roi qui fit encore de Paris son séjour ordinaire, résidant le plus souvent aux Tournelles. L'imprimerie, dont il permit l'introduction à Paris en 1470, ne tarda pas à y prendre un grand développement. Sous Louis XII, en 1499, les prévôt et échevins furent pour quelques mois remplacés d'office par des personnes que désigna le roi, à la suite de l'écroulement du pont Notre-Dame.
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Paris à vol d'oiseau en 1482
La Cité et l'Université

[Voici un extrait de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Cette description particulière de deux des trois parties de Paris est précédée, dans ce chapitre : 1° d'un tableau des agrandissements successifs de la ville reculant de siècle en siècle son enceinte; 2° d'un tableau d'ensemble de Pans, composé alors de la Cité dans l'île qui a conservé ce nom de la Ville sur la rive droite de la Seine, de l'Université sur la rive gauche, enfermé par une enceinte fortifiée qui s'appuyait à la Seine quatre tours percées chacune d'une porte, et traversé du nord au sud par deux rues artérielles, allant l'une de la porte Saint-Denis à la porte Saint-Michel, l'autre de la porte Saint-Martin à la porte Saint-Jacques. ]

« Pour le spectateur qui arrivait essouflé sur le faîte de Notre-Dame, c'était d'abord un éblouissement de toits, de cheminées, de rues, de ponts, de places, de flèches, de clochers. Tout vous prenait aux yeux à la fois, le pignon taillé, la toiture aiguë, la tourelle suspendue aux angles des murs, la pyramide de pierre du onzième siècle, l'obélisque d'ardoise du quinzième, la tour ronde et nue du donjon, la tour carrée et brodée de l'église, le grand, le petit, le massif, l'aérien. Le regard se perdait longtemps à toute profondeur dans ce labyrinthe, où il n'y avait rien qui n'eût son originalité, sa raison, son génie, sa beauté, rien qui ne vint de l'art, depuis la moindre maison à devanture peinte et sculptée, à charpente extérieure, à porte surbaissée, à étages en surplomb, jusqu'au royal Louvre, qui avait alors une colonnade de tours. Mais voici les principales masses qu'on distinguait lorsque l'oeil commençait à se faire à ce tumulte d'édifices.

D'abord la Cité. L'lle de la Cité, comme dit Sauval [en 1724 fut publié son ouvrage intitulé : Histoire et antiquités de la ville de Paris. C'est lui que Boileau raille sous le nom de Sofal (Sat., VII, 40; IX, 292)], qui, à travers son fatras, a quelquefois de ces bonnes fortunes de style, l'île de la Cité est faite comme un grand navire enfoncé dans la vase et échoué au fil de l'eau vers le milieu de la Seine. Au quinzième siècle ce navire était amarré aux deux rives du fleuve par cinq ponts [les ponts Notre-Dame, aux Changeurs (ou au Change) aux Meuniers (du quai de la Mégisserie au quai de l'Horloge), sur le bras droit de la Seine; le Petit-Pont et le pont Saint-Michel, sur le bras gauche]. Cette forme de vaisseau avait aussi frappé les scribes héraldiques, car c'est de là, et non du siège des Normands, que vient, selon Pasquier, le navire qui blasonne le vieil écusson de Paris. Pour qui sait le déchiffrer, le blason est une algèbre, le blason est une langue. L'histoire entière de la seconde moitié du moyen âge est écrite dans le blason, comme l'histoire de la première moitié dans le symbolisme des églises romanes. Ce sont les hiéroglyphes de la féodalité après ceux de la théocratie.

La Cité donc s'offrait d'abord aux yeux avec, sa poupe au levant et sa proue au couchant. Tourné vers la proue, on avait devant soi un innombrable troupeau de vieux toits, sur lesquels s'arrondissait largement le chevet plombé de la Sainte-Chapelle, pareil à une croupe d'éléphant chargée de sa tour. Seulement ici cette tour était la flèche la plus hardie, la plus ouvrée, la plus menuisée, la plus déchiquetée, qui ait jamais laissé voir le ciel à travers son cône de dentelle. Devant Notre-Dame, au plus près, trois rues se dégorgeaient dans le parvis, belle place à vieilles maisons. Sur le côté sud de cette place se penchait la façade ridée et rechignée de l'Hôtel-Dieu, et son toit qui semble couvert de pustules et de verrues. Puis, à droite, à gauche, à l'orient, à l'occident, dans cette enceinte si étroite pourtant de la Cité, se dressaient les clochers de ses vingt et une églises de toute date, de toute forme, de toute grandeur, depuis la basse et vermoulue campanille romane de Saint-Denis-du-Pas (carcer Glaucini) jusqu'aux fines aiguilles de Saint-Pierre-aux-Boeufs et de Saint-Landry. Derrière Notre-Dame se déroulaient, au nord, le cloître [une rue de la Cité en porte encore le nom] avec ses galeries gothiques; au sud, le palais demi-roman de l'évêque; au levant, la pointe déserte du Terrain. Dans cet entassement. de maisons, l'oeil distinguait encore, à ses hautes mitres de pierre percées à jour qui couronnaient alors sur le toit même les fenêtres les plus élevées des palais, l'hôtel donné par la ville, sous Charles VI, à Juvénal des Ursins; un peu plus loin, les baraques goudronnées du marché Palus [Situé près de la Seine entre le Petit-Pont et le pont Saint-Michel; tire son nom de la rive marécageuse (palus, -udis); on a écrit aussi marché du Palud) du fleuve. Une rue en a conservé le nom jusqu'au milieu du XIXe siècle]; ailleurs encore, l'apside neuve de Saint-Germain-le-Vieux, rallongée en 1458 avec un bout de la rue aux Febves; et puis, par places, un carrefour encombré de peuple; un pilori dressé à un coin de rue; un beau morceau du pavé de Philippe-Auguste, magnifique dallage rayé par les pieds des chevaux au milieu de la voie, et si mal remplacé au seizième siècle par le misérable cailloutage dit pavé de la ligue; une arrière-cour déserte avec une de ces diaphanes tourelles de l'escaIier comme on en faisait au quinzième siècle, comme on en voit encore une rue des Bourdonnais. Enfin, à droite de la Sainte-Chapelle, vers le couchant, le Palais de Justice [appelé longtemps Palais de la Cité. Remonte aux Romains. Le roi Eudes s'y établit le premier. Saint Louis l'agrandit et bâtt à côté la Sainte-Chapelle] asseyait au bord de l'eau son groupe de tours. Les futaies des jardins du roi qui couvraient la pointe occidentale de la Cité masquaient l'îlot du Passeur [l'îlot du Passeur aux Vaches réuni depuis à la Cité, et exhaussé en partie parle terre-plein du Pont-Neuf]. Quant à l'eau, du haut des Tours Notre-Dame, on ne la voyait guère des deux côtés de la Cité : la Seine disparaissait sous les ponts, les ponts sous les maisons.

Et, quand le regard passait ces ponts, dont les toits verdissaient à l'oeil, moisis avant l'âge par les vapeurs de l'eau, s'il se dirigeait à gauche vers l'Université, le premier édifice qui le frappait, c'était une grosse et basse gerbe de tours, Ie Petit-Châtelet, dont le porche béant dévorait le bout du Petit-Pont; puis, si votre vue parcourait la rive du levant au couchant, de Ia Tournelle à la Tour de Nesle [sur la rive gauche l'enceinte méridionale de Paris était terminée, à l'est, par la Tournelle (petite tour), à l'endroit où commence un pont qui porte encore ce nom; à l'ouest, par la tour de Nesle, située en face de la Tour qui fait le coin du vieux Louvre, tirant son nom du voisinage du vaste hôtel de Nesle dont les derniers restes firent place au collège des Quatre-Nations (palais Mazarin, auj. Institut)], c'était un long cordon de maisons à solives sculptées, à vitres de couleur surplombant d'étage en étage sur le pavé, un interminable zigzag de pignons bourgeois, coupé fréquemment par la bouche d'une rue, et de temps en temps par la face ou par le coude d'un grand hôtel de pierre, se carrant à son aise, cours et jardins; ailes et corps de logis, parmi cette populace de maisons serra, et étriquées, comme un grand seigneur dans un tas de manants. Il y avait cinq ou six de ces hôtels sur le quai, depuis le logis de Lorraine, qui partageait avec les Bernardins le grand enclos voisin de la Tournelle, jusqu'à l'hôtel de Nesle, dont la tour principale bornait Paris, et dont les toits pointus étaient en possession pendant trois mois de l'année d'échancrer de leurs triangles noirs le disque écarlate du soleil couchant.

Ce côté de la Seine, du reste, était le moins marchand des deux; les écoliers y faisaient plus de bruit et foule que les artisans, et il n'y avait, à proprement parler, de quai que du pont Saint-Michel à la tour de Nesle. Le reste du bord de la Seine était tantôt une grève nue, comme au delà des Bernardins [abbaye des Bernardins, située entre le Petit-Pont et la Tournelle], tantôt un entassement de maisons qui avaient le pied dans l'eau, comme entre les deux ponts.

Il y avait grand vacarme de blanchisseuses; elles criaient, parlaient, chantaient du matin au soir le long du bord, et y battaient fort le linge, comme de nos jours. Ce n'est pas la moindre gaieté de Paris.

L'Université [on appelait ainsi, géographignement, le quartier des écoles de l'Université, situé sur la rive gauche, et occupant le sommet et les pentes de la montagne Sainte-Geneviève] faisait un bloc à l'oeil. D'un bout à l'autre c'était un tout homogène et compacte. Ces mille toits, drus, anguleux, adhérents, composés presque tous du même élément géométrique, offraient, vus de haut, l'aspect d'une cristallisation de la même substance. Le capricieux ravin des rues ne coupait pas ce pâté de maisons en tranches trop disproportionnées. Les quarante-deux collèges [un collège était primitivement l'habitation commune d'étudiants pauvres de même nation ou de même province, suivant les cours des écoles de l'Université, établie et dotée par des fondateurs charitables. Plus tard l'enseignement s'y donna] y étaient disséminés d'une manière assez égale, et il y en avait partout. Les faîtes variés et amusants de ces beaux édifices étaient le produit du même art que les simples toits qu'ils dépassaient, et n'étaient en définitive qu'une multiplication au carré ou au cube de la même figure géométrique. Ils compliquaient donc l'ensemble sans le troubler, le complétaient sans le charger. La géométrie est une harmonie. Quelques beaux hôtels faisaient aussi çà et là de magnifiques saillies sur les greniers pittoresques de la rive gauche; le logis de Nevers, le logis de Rome, le logis de Reims, qui ont disparu; l'hôtel de Cluny [les hôtels ou logis logeaient, pendant leur séjour à Paris, les grands seigneurs ou dignitaires de l'Eglise auxquels ils appartenaient. l'hôtel de Sens (archevêque de Sens), sur la rive droite, en dehors de l'enceinte de Paris au XVe siècle] qui subsiste encore pour la consolation de l'artiste, et dont on a si bêtement découronné la tour il y a quelques années. Près de Cluny, ce palais romain, à belles arches cintrées, c'étaient les Thermes de Julien [restes d'un vaste palais, dont les jardins s'étendaient jusqu'à la Seine, construit par Constance Chlore on Julien l'Apostat (IVe siècle ap. J.-C.); réunis aujourd'hui au Musée de Cluny]. Il y avait aussi force abbayes d'une beauté plus dévote, d'une grandeur plus grave que les hôtels, mais non moins belles, non moins grandes. Celles qui éveillaient d'abord l'oeil, c'étaient les Bernardins avec leurs trois clochers; Sainte-Geneviève, dont la tour carrée, qui existe encore, fait tant regretter le reste; la Sorbonne, moitié collège, moitié monastère, dont il survit une si admirable nef; le beau cloître quadrilatéral des Mathurins; son voisin le cloître de Saint-Benoît, dans les murs duquel on a eu le temps de bâcler un théâtre [détruit par l'ouverture de la rue des Ecoles] entre la septième et huitième édition de ce livre; les Cordeliers [où se tint le Club de la Révovolution, entre la rue Racine et la rue de l'Ecole-de-Médecine] avec leurs trois énormes pignons juxtaposés; les Augustins [un quai en a retenu le nom], dont la gracieuse aiguille faisait, après la tour de Nesle, la deuxième dentelure de ce côté de Paris, à partir de l'occident. Les églises (et elles étaient nombreuses et splendides dans l'Université; et elles s'échelonnaient là aussi dans tous les âges de l'architecture, depuis les pleins-cintres de Saint-Julien jusqu'aux ogives de Saint-Severin), les églises dominaient le tout; et, comme une harmonie de plus dans cette masse d'harmonies, elles perçaient à chaque instant la découpure multiple des pignons de flèches tailladées, de clochers à jour, d'aiguilles déliées dont la ligne n'était aussi qu'une magnifique exagération de l'angle aigu des toits.

Le sol de l'Université était montueux. La montagne Sainte-Geneviève y faisait au sud-est une ampoule énorme; et c'était une chose à voir du haut de Notre-Dame que cette foule de rues étroites et tortues (aujourd'hui le pays latin), ces grappes de maisons qui, répandues en tout sens du sommet de cette éminence, se précipitaient en désordre et presque à pic sur ses flancs jusqu'au bord de l'eau, ayant l'air, les unes de tomber, les autres de regrimper, toutes de se retenir les unes aux autres. Un flux continuel de mille points noirs qui s'entrecroisaient sur la pavé faisait tout remuer aux yeux : c'était le peuple vu ainsi de haut et de loin.

Enfin, dans les intervalles de ces toits, de ces flèches, de ces accidents d'édifices sans nombre qui pliaient, tordaient et dentelaient d'une manière si bizarre la ligna extrême de l'Université, on entrevoyait, d'espace en espace, un gros pan de mur moussu, une épaisse tour ronde, une porte de ville crénelée, figurant la forteresse ; c'était la clôture de Philippe-Auguste. Au delà verdoyaient les prés, au delà s'enfuyaient les routes, le long desquelles tramaient encore quelques maisons de faubourg, d'autant plus rares qu'elles n'éloignaient plus. Quelques-uns de ces faubourgs avaient de l' importance; c'était d'abord, à partir de la Tournelle, le bourg Saint-Victor, avec son pont d'une arche sur la Bièvre, son abbaye où on lisait l'épitaphe de Louis-le-Gros, epitaphium Ludovici Grossi, et son église à flèche octogone flanquée de quatre clochetons du onzième siècle (on en peut voir une pareille à Étampes; elle n'est pas encore abattue); puis le bourg Saint-Marceau, qui avait déjà trois églises et un couvent; puis, en laissant à gauche le moulin des Gobelins et ses quatre murs blancs, c'était le faubourg Saint-Jacques avec la belle croix sculptée de son carrefour; l'église de Saint-Jacques du Haut-Pas, qui était alors gothique, pointue et charmante; Saint-Magloire, belle nef du quatorzième siècle, dont Napoléon fit un grenier à foin; Notre-Dame-des-Champs, où il y avait des mosaïques byzantines. Enfin, après avoir laissé en plein champ le monastère des Chartreux, riche édifice contemporain du Palais-de-Justice, avec ses petits jardins à compartiments et les ruines mal hantées de Vauvert [Vauvert était un château donné par saint Louis aux Chartreux; la superstition populaire le réputait hanté. De là, l'expression altérée aller au diable vert (pour Vauvert). Le sol déprimé des immenses jardins des Chartreux a été comblé en partie, sous Napoléon Ier, par l'allée de marronniers dite de l'Observatoire, le reste (pépinière du Luxembourg) sous Napoléon III. Le dernier reste du petit cloître pour lequel Lesueur avait peint la Vie de saint Bruno a disparu], l'oeil tombait, à l'occident, sur les trois aiguilles romanes de Saint-Germain-des-Prés. Le bourg Saint-Germain, déjà une grosse commune, faisait quinze ou vingt rues derrière; le clocher aigu de Saint-Sulpice marquait un des coins du bourg. Tout à côté on distinguait l'enceinte quadrilatérale de la foire Saint-Germain, où est aujourd'hui le marché; puis le pilori de l'abbé, jolie petite tour ronde, bien coiffée d'un cône de plomb; la tuilerie était plus loin, et la rue du Four, qui menait au four banal [l'abbé de Saint-Germain des Prés avait sur son territoire des droits seigneuriaux, entre autres celui de prélever une redevance sur ses vassaux (ban), obligés de cuire leur pain au four. Il avait droit de colombier : une rue en a pris son nom], et le moulin sur sa butte, et la maladrerie [hôpital des Lépreux], maisonnette isolée et mal vue. Mais ce qui attirait surtout le regard, et le fixait longtemps sur ce point, c'était l'Abbaye elle-même. Il est certain que ce monastère, qui avait une grande mine et comme église et comme seigneurie, ce palais abbatial, où les évêques de Paris s'estimaient heureux de coucher une nuit, ce réfectoire, auquel l'architecte avait donné l'air, la beauté et la splendide rosace d'une cathédrale; cette élégante chapelle de la Vierge, ce dortoir monumental, ces vastes jardins, cette herse, ce pont-levis, cette enveloppe de créneaux, qui entaillait aux yeux la verdure des prés d'alentour, ces cours où reluisaient des hommes d'armes mêlés à des chapes d'or, le tout groupé et rallié autour des trois hautes flèches à pleins-cintres, bien assises sur une apside gothique, faisaient une magnifique figure à l'horizon. »
 

(V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre III, chapitre II).
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