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Histoire de la philosophie > Philosphie grecque > Aristote
Aristote  : les clés du monde concret
Aperçu Epistémologie
et métaphysique
Les clés du monde concret Approches de
l'humain
L'aristotélisme

Espace, matière, mouvement

Physique générale.
La philosophie première (métaphysique) avait pour objet l'être immobile et incorporel; la physique ou philosophie seconde a pour objet l'être mobile et corporel, en tant que celui-ci a en lui même le principe de son mouvement. La physis (phusis) c'est le mouvement spontané, par opposition au mouvement qui résulte de la contrainte. La nature existe-t-elle comme telle? Y a-t-il dans l'univers un principe interne de mouvement, une tendance à une fin? C'est, selon Aristote, le principe fondamental de la physique, que le divin et la nature ne font rien en vain, que la nature tend toujours vers le meilleur, qu'elle fait toujours, autant qu'il lui est possible, ce qui doit être le plus beau. L'existence de la finalité dans l'univers est prouvée par l'observation. Dans les plus petites choses comme dans les plus grandes, si nous y prenons garde, il y a une raison, il y a de la perfection et du divin. La nature fait tourner au bien ses imperfections mêmes. Mais si l'ordre et l'harmonie existent dans l'univers, s'ensuit-il que l'univers soit le produit d'une physis, ou puissance créatrice divine? N'y a-t-il pas, de cet ordre et de cette harmonie, une autre explication possible? Qui, par exemple, nous empêche de dire :
« Zeus ne fait pas pleuvoir pour nourrir les graines, mais les graines germent parce qu'il pleut. La nécessité fait pleuvoir; et, ce phénomène ayant lieu, le froment en profite. De même, la nécessité fait les organes des animaux, et ceux-ci s'en servent. Là où tout a l'air de se produire en vue d'une fin, il n'y a en réalité que des choses qui survivent, parce qu'elles se sont trouvées constituées par le hasard d'une manière conforme à leurs conditions d'existence. Et les choses qui ne se trouvaient pas ainsi constituées ont péri et périssent, comme Empédocle dit qu'il est arrivé à ses boeufs à face humaine. »
Vaine explication, répond Aristote. Car les organes des animaux et la plupart des êtres que la nature présente à nos regards sont ce qu'ils sont, ou dans tous les cas, ou au moins dans la majorité des cas. Or, il n'en est jamais ainsi pour les choses que produit le hasard. Les rencontres heureuses n'y sont jamais que des exceptions. Mais, dira-t-on, il existe des monstres. Les monstres ne sont que des oeuvres manquées, effets d'un effort impuissant pour réaliser le type harmonieux. La nature peut se tromper comme l'art, à cause de l'obstacle que lui oppose la matière (La matière chez Aristote et Théophraste) même sur laquelle elle travaille. Dira-t-on enfin qu'on ne voit pas le moteur délibérer et choisir? Peu importe, car l'art non plus ne délibère pas : il agit d'une manière intelligente, sans se rendre compte de ce qu'il fait. Donc, la nature est une cause, et une cause agissant en vue d'une fin. Mais il faut reconnaître qu'elle n'est pas la seule cause de l'univers. Son action n'est possible que grâce à la coopération de la cause matérielle ou mécanique, laquelle, tout en cédant à son attrait, ne se laisse jamais soumettre entièrement. A côté de la finalité, il y a donc partout dans l'univers une part de nécessité brute et de hasard. C'est pourquoi, d'un côté, l'emploi du principe du meilleur est légitime dans l'explication des choses de la nature ; mais, d'un autre côté, les choses de la nature ne peuvent jamais être l'objet d'une science parfaite, où tout serait entièrement déterminé pour l'intelligence. La science de la nature est toujours imparfaite par quelque endroit, et elle comporte des degrés, comme les parties de la nature elle-même. D'après ces principes, la cause des choses naturelles se trouve, soit dans leur matière, soit dans leur forme ou destination. Et l'explication téléologique doit, autant que possible, compléter l'explication mécanique, laquelle, si achevée qu'elle suit, laisse les choses indéterminées aux yeux de la raison. Telle est la méthode que va suivre Aristote dans ses recherches sur les choses naturelles.

Le mouvement ou changement est la réalisation d'un possible. Il y a quatre espèces de changements : 

1° le changement substantiel, consistant à naître et à périr. C'est le mouvement qui du non-être relatif va à l'être, et de celui-ci à celui-là. Il n'y a pas de génération et de destruction absolues. Les individus seuls naissent et meurent : les genres demeurent;

2° le changement quantitatif : c'est l'augmentation ou la diminution; 

3° le changement qualitatif ou passage d'une substance à une autre;

4° le changement spatial, ou déplacement. 

Tous les modes de changement sont conditionnés par le mouvement dans l'espace. Aristote fait de ce mouvement une étude approfondie. Aux arguments des Eléates contre la possibilité du mouvement, il oppose cette doctrine, que l'infini n'existe qu'en puissance, non en acte. L'infini ne consiste que dans la possibilité d'un accroissement indéfini des nombres et dans la divisibilité indéfinie des grandeurs; il ne peut être donné. Donc, quand en raisonne sur le réel, on ne doit supposer que des quantités finies. En ce qui concerne l'espace, Aristote étudie la nature du lieu. Le lieu d'un corps n'est pas quelque chose en soi, c'est la limite intérieure du corps ambiant. C'est comme un vase immobile où le corps serait contenu. Par suite, tous les corps ne sont pas dans un lieu, mais ceux-là seuls qui sont enfermés dans  d'autres corps. Le ciel, contenant universel, n'est pas lui-même dans un lieu. L'espace, ou plutôt l'étendue du monde, est limitée. La temps est le nombre du mouvement par rapport à l'avant et à l'après. Il est illimité dans les deux sens. Le continu est la caractéristique du temps et de l'espace. Il est divisible à l'infini, mais en grandeurs continues elles-mêmes, et non, comme le supposait Zénon, en points indivisibles. Toute grandeur est divisible en grandeurs. Le continu est d'ailleurs une notion imparfaite, relative aux choses sensibles. Car il est divisible à l'infini, et par conséquent indéterminé quant au nombre de ses éléments.

De ces principes, Aristote conclut qu'en dehors du monde il n'y a ni espace ni temps, que le vide des atomistes est inconcevable, que tout mouvement se produit dans le plein, par substitution, et que le temps, qui est un nombre, suppose, comme tout nombre, une âme qui en compte les unités. Le mouvement dans l'espace, condition de tous les autres, est le seul qui soit continu. Et le mouvement circulaire est le seul qui puisse être à la fois un et continu, sans commencement ni fin. Aristote ne pense pas qu'on puisse expliquer tous les changements par le seul mouvement dans l'espace. Il tient les qualités pour des réalités, et admet, comme irréductible au mouvement dans l'espace, un changement qualitatif.  Il constitue cette théorie en opposition avec le mécanisme de Démocrite et le mathématisme de Platon. Contre ces doctrines il élève deux objections : 

1° Démocrite et Platon réduisent les grandeurs en points indivisibles : or, toute grandeur est divisible à l'infini;

2° il est impossible, de quelque manière qu'on s'y prenne, de faire sortir la qualité de la quantité pure. C'est pourquoi Aristote pose en principe la distinction qualitative des substances. Et, comme il y a une nature qualitative, il y a de même une transformation qualitative. Une substance, sous l'influence d'une autre, se modifie dans son intérieur. Ce phénomène n'est possible que là où deux corps sont, en partie semblables, en partie dissemblables, c'est-à-dire là où deux substances sont opposées l'une à l'autre au sein d'un même genre. Et cette relation d'une substance avec une autre n'est pas un mélange mécanique, où des éléments simples demeureraient identiques dans le changemendu composé; c'est la formation d'une substance nouvelle, outre dans son fond que la précédente, Entre la substance donnée et la substance résultant du changement qualitatif, il y a le rapport de la puissance à l'acte.

Cosmologie.
De l'éternité de la forme et de la matière suit la perpétuité du mouvement, et aussi  celle de l'existence. du monde. Les espèces elles-mêmes sont éternelles, et il y a toujours eu des humains. Les individus seuls naissent et meurent. Le monde étant éternel, la science du monde n'est plus une cosmogonie, mais une cosmologie. Aristote n'a plus à expliquer la formation, mais seulement le système de l'univers. Le monde est un, fini et bien ordonné. C'est une oeuvre d'art. Il est beau et bon autant que le permet la résistance de l'élément matériel, Il a une forme parfaite, la seule d'ailleurs qui rende possible le mouvement de l'ensemble sans vide hors de lui : la forme sphérique. Il se compose de deux moitiés inégales
 1° le monde supralunaire ou céleste : c'est la voûte à laquelle sont attachées les étoiles fixes; 

2° le monde infralunaire ou terrestre. 

Le monde céleste est animé d'un mouvement de rotation qui est produit directement par la divinité. La nature impérissable des étoiles et la régularité immuable de leurs mouvements prouvent qu'elles différent quant à la matière des choses terrestres, qui sont soumises à un changement perpétuel. La matière des étoiles est l'éther, ou cinquième élément (quinte essence), le corps sans contraire et par suite incorruptible, n'admettant d'autre changement que le changement de lieu, ni d'autre mouvement que le mouvement circulaire. Les autres éléments, au contraire, matière des corps terrestres, sont corruptibles et comportent le mouvement de bas en haut et de haut en bas, c'est-à-dire du centre à la circonférence et de la circonférence au centre. Le ciel des étoiles fixes est le séjour de l'être et de la vie parfaite, de l'ordre inaltérable. Les étoiles sont des êtres exempts de vieillesse, qui mènent une vie bienheureuse, en exerçant sans fatigue une activité éternelle. Elles sont bien plus divines que l'humain. Nos aïeux ont eu une intuition vague de la vérité quand ils ont considéré les étoiles comme des dieux.

En dedans du ciel des étoiles fixes est la région des planètes, parmi lesquelles Aristote compte, outre les cinq planètes que con naissaient les Anciens, le Soleil et la Lune. Au milieu du monde est la Terre, de forme sphérique. Le ciel des plantes est fait d'une substance de moins en moins pure, à mesure qu'il s'éloigne davantage du ciel des étoiles fixes. A la différence du premier ciel, qui est une sphère unique portant toutes les étoiles, le ciel des planètes se compose d'une multiplicité de sphères; car les mouvements des planètes, relativement irréguliers, supposent une multiplicité de moteurs dont les actions se combinent entre elles. Les êtres autres que les astres fixes sont faits des quatre éléments. Chaque élément a son mouvement propre, qui est la marche rectiligne vers son lieu naturel. De là le poids et la légèreté. Le poids est la tendance de chaque corps à suivre sa direction propre. Il n'est pas possible de dire, avec Démocrite, que tout mouvement résulte purement et simplement d'un choc, et ainsi à l'infini. Il faut s'arrêter dans la régression, du moins sans l'ordre logique. Le mouvement né de la contrainte suppose le mouvement spontané.

Le propre de l'élément terrestre est de se porter vers le centre. De là la situation de la terre, immobile au centre de l'univers. La Terre est sphérique. Ses éléments sont entre eux dans une double opposition, de poids et de qualité. D'une part, ils sont lourds ou légers; d'autre part ils sont chauds ou froids, secs ou humides. ll résulte de cette opposition que les éléments de la Terre se changent constamment les uns dans les autres. La chaleur et la lumière sont engendrées par le frottement que fait subir à l'air l'extrême vitesse des sphères célestes. A cause de l'inclinaison de l'écliptique, la production de la lumière et de la chaleur a lieu dans une mesure différente aux différentes régions de la Terre et aux différentes époques de l'année. C'est l'origine du circulas de la génération et de la destruction, cette image de l'éternité dans la nature périssable. L'action va de la périphérie au centre, le ciel des fixes étant comme la forme suprême, la terre comme la matière infime. Par l'action réciproque des deux puissances actives, qui sont le chaud et le froid, et des deux puissances passives, qui sont l'humidité et le sec, se forment les différents corps minéraux et corps organisés. Les êtres terrestres forment une hiérarchie, depuis l'être le plus voisin de la matière brute jusqu'à l'homme masculin. Chaque forme inférieure est la base des formes supérieures, chaque forme supérieure est l'achèvement relatif des formes intérieures. Les principaux degrés de la hiérarchie sont représentés par les corps sans vie, les plantes, les animaux et l'humain.

Astronomie.
Aristote s'est beaucoup occupé d'astronomie. Simplicius nous dit, d'après Porphyre, que, en vue de ses études dans cette science, Aristote reçut de Callisthène les observations astronomiques faites par les Chaldéens à Babylone, notamment des observations remontant à 1900 ans avant Alexandre. Aristote lui-même nous dit qu'il utilisa les observations, remontant à une haute antiquité, des Egyptiens et des Babyloniens. Il avait écrit un Astronomikon, qui est perdu.

Tous les êtres célestes, selon Aristote, sont sphériques. Le premier ciel, ou ciel des étoiles fixes, est une sphère. Les planètes sont mues par des sphères; la Terre est sphérique. Tout mouvement simple est un mouvement de rotation autour d'un axe. Le ciel des fixes n'a qu'un mouvement. Le ciel des planètes (Saturne, Jupiter, Mars, Vénus, Mercure, Soleil, Lune), en a plusieurs pour chaque planète. La Terre n'a pas de mouvement. 

Il travailla, en commun avec l'astronome Callippe, à compléter et à rectifier la théorie des sphères d'Eudoxe, qui était le premier astronome du temps, et la théorie de Callippe lui-même. Voici le résumé de sa théorie. Il faut, dit Aristote avec Platon, lequel suivait en cela Eudoxe et Callippe, admettre, et le nombre de sphères, et, pour ces sphères, le mode de mouvement nécessaire pour expliquer, sans autres éléments que des mouvements rotatoires uniformes, les révolutions des planètes, telles qu'elles se manifestent à l'observation. En posant ainsi le problème, Eudoxe arrivait à supposer vingt-six sphères, Callippe trente-trois. Aristote admet le chiffre de Callippe. Mais comme, dans sa philosophie, les sphères extérieures sont aux intérieures ce que la forme est à la matière, il lui faut ajouter des sphères antagonistes, pour que chaque sphère extérieure m'imprime pas son mouvement à toutes les sphères qui lui sont intérieures, comme fait la sphère des étoiles fixes. Il y a donc, pour chaque planète, autant de sphères antagonistes qu'il en faut pour annuler l'action des sphères planétaires extérieures. Ces sphères supplémentaires sont au nombre de vingt-deux, lesquelles, ajoutées aux trente-trois de Callippe, font cinquante-cinq sphères, Que si l'on estime que le Soleil et la Lune, très éloignés des autres planètes, n'ont pas besoin de sphères antagonistes, le nombre total des sphères sera réduit à quarante-sept. Voilà, dit Aristote, ce qui est vraisemblable. Quant au nécessaire, nous en laissons l'affirmation à plus hardi que nous. A chacune de ces sphères le mouvement doit être communiqué, comme au premier ciel, par une substance incorporelle, un esprit, un dieu. Les astres, fin des mouvements des sphères, en sont d'ailleurs, par là même, les causes véritables. Les astres sont ainsi des êtres animés, raisonnables, supérieurs à l'humain.

Météorologie.
La météorologie ( = étude du ciel atmosphérique) avait été beaucoup cultivée depuis Thalès. Aristote a profité des travaux de ses devanciers, mais il a fait aussi des recherches originales dans l'esprit de sa propre philosophie. Les phénomènes météorologiques résultent, selon lui, de l'action des quatre éléments les uns sur les autres. Conformément à la nature de ces éléments, les résultats de leur action mutuelle sont moins déterminés, obéissent à des lois moins rigoureuses que les phénomènes qui se produisent dans l'élément éther. C'est pourquoi Aristote cherche pour les météores des explications principalement empiriques et mécaniques, Il fait jouer un rôle prépondérant à la chaleur. Il explique à ce point de vue les comètes, la voie lactée, les nuages, les brouillards, les vents, les rapports des mers et des continents, la formation de la mer; et ses explications témoignent souvent d'une observation exacte et d'un raisonnement habile. Les vents, par exemple, sont expliqués par les exhalaisons qui traversent L'atmosphère et la chaleur du Soleil. Les tremblements de terre sont dus à l'action de gaz souterrains, L'arc-en-ciel n'est qu'un phénomène de réflexion :les gouttelettes des nuages font, à l'égard de la lumière du soleil, l'office de miroirs. Ces recherches sont toutes théoriques : Aristote ne songe pas à en tirer partie pour la prédiction des phénomènes.

Minéralogie.
Les minéraux sont les corps homogènes qui demeurent tels, et ne s'organisent pas en individus composés de parties différentes. Ces corps sont formés par le froid et la chaleur, combinant ou désagrégeant, en tant que propriétés actives, l'humide et le sec, qui jouent le rôle de propriétés passives.

La connaissance du vivant

Biologie générale.
La biologie est une partie considérable de l'oeuvre scientifique d'Aristote. Sans doute il a pu utiliser maints travaux de ses devanciers, notamment de Démocrite, mais il les a tellement dépassés qu'il apparaît comme le véritable créateur de la biologie chez les Grecs. Il procède avant tout par observation, la détermination des phénomènes devant précéder la recherche des causes. A l'observation pure et simple, il semble avoir joint la dissection. Il va de l'anatomie à la physiologie; et il appuie, d'une manière générale, la biologie sur la physique, en lui donnant pour base la connaissance des quatre éléments. Il a abordé, non seulement tous les problèmes concevables de son temps, mais beaucoup de ceux qui ont préoccupé la science moderne, au moins jusqu'au XXe siècle. Les solutions qu'il présente sont en général soigneusement démontrées; et ses raisonnements sont corrects et ingénieux, étant donnés les faits alors connus. Souvent aussi, il faut le dire, ses explications sont arbitraires ou trop abstraites; parfois même Aristote semble accorder à de simples légendes la valeur d'une démonstration. 

La vie est un mouvement. Or tout mouvement suppose, et une forme qui meut, et une matière qui est mue. La forme est l'âme, la matière est le corps. Ni l'âme n'est corps, ni elle n'est sans corps. L'âme meut sans se mouvoir, elle est immobile, et non, comme le voulait Platon, automotrice. Comme forme du corps, elle en est le but; le corps n'est que l'instrument de l'âme, et sa structure se règle sur cette destination. Aristote définit proprement l'âme l'entéléchie première d'un corps physique organique. Cela veut dire que l'âme est la force permanente qui ment le corps et détermine sa constitution. Il est naturel que la finalité de la nature apparaisse dans les êtres vivants plus clairement que partout ailleurs, parce que, chez eux, tout est, dès le point de départ, calculé en vue de l'âme. Mais, comme la forme ne triomphe de la résistance de la matière que peu à peu, la vie psychique a des degrés, lesquels sont essentiellement au nombre de trois: la nutritivité, la sensibilité, l'intelligence. La nutritivité est la qualité fondamentale des êtres vivants. C'est d'elle que précèdent le développement vital et la mort. Elle existe chez les plantes comme chez les animaux. Ceux-ci ont en plus la sensibilité L'humain, animal supérieur, a la nutritivité la sensibilité et l'intelligence.

La biologie aristotélicienne traite principalement des animaux. Le corps des animaux est fait de substances homoeomères (La matière antique : les atomes), lesquelles sont un mélange des substances élémentaires. La matière immédiate de l'âme est le pneuma, principe de la chaleur vitale, corps voisin de l'éther, avec lequel l'âme se transmet. dans la semence, du père à l'enfant. Le siège principal de la chaleur est l'organe central, lequel, chez les animaux qui ont du sang, est le coeur. Dans le coeur est cuit le sang, qui se forme des substances nutritives apportées par les veines; et le sang, nourrriture définitive, alimente et entretient le corps. Il devient chair, os, ongle, corne, etc. Le pouvoir nutritif des aliments ne vient pas de ce qu'ils contiendraient des particules de chair, d'os, de moelle, etc., lesquelles iraient directement s'unir aux substances semblables existant dans le corps ; mais c'est grâce à une suite de coctions que l'aliment arrive à l'état ou il pourra s'assimiler à l'organisme. Très précis sur l'assimilation, Aristote ne paraît pas avoir l'idée de la désassimilation.

Botanique.
Les ouvrages d'Aristote sur la botanique sont perdus, mais il a certainement donné l'impulsion aux études qui ont été faites sur les plantes dans son école; et il semble avoir grandement contribué à la création de la botanique scientifique.

Anatomie et physiologie animales.
Il y a lieu de distinguer l'anatomie et la physiologie générales et l'anatomie et la physiologie comparées.

Les parties de l'organisme.
Pour Aristote, les parties de l'organisme sont de deux sortes : les parties homogènes, comme les tissus; les parties hétérogènes, comme les organes. Les organes ont une fonction ; exemple, la langue, la main. Les tissus ont des propriétés. Aristote étudie successivement les parties homogènes et les parties hétérogènes. Les parties homogènes sont :

1° les veines, les os, les cartilages, les ongles, les poils, la corne, etc.;

2° la graisse, le suif, le sang, la moelle, la chair, le lait, la liqueur séminale, les membranes. 

Les explications d'Aristote au sujet de ces parties sont très souvent finalistes, dérivant la nature de la fonction. Ainsi les incisives poussent, dit Aristote, avant les molaires, parce qu'il faut couper ou déchirer l'aliment pour être en mesure de le broyer. En ce qui concerne les parties hétérogènes, l'étude anatomique n'est pas séparée de l'étude physiologique. Le premier des organes est le coeur. Aristote n'a pas l'idée de la circulation telle que nous l'entendons aujourd'hui, ni de deux sortes de sang; mais il admet que le sang se répand dans le corps par les veines comme par des canaux. Le coeur est le centre de l'être vivant, le siège de la formation du sang, et la source de sa chaleur. Tous les animaux ont ou un coeur et du sang, ou des substituts de ces conditions premières de la vie. Les animaux que l'on peut diviser sans que les parties cessent tout de suite de vivre, ne sont pas des animaux simples, mais des agrégats d'animaux. Le degré d'unité mesure la perfection de l'être. Nul animal mutilé ne répare ses brèches comme la plante, où le principe de vie est dispersé dans l'être tout entier. Les autres parties hétérogènes sont : le diaphragme, les organes des sens, les organes du mouvement, l'encéphale, les poumons, les viscères abdominaux, les organes des sexes. 

Aristote s'étend longuement sur les sens. La sensation consiste à être mû, à éprouver quelque altération. ll y a deux sortes de sens : les sens médiats, qui agissent par l'intermédiaire de l'air: ce sont la vue, l'ouïe, l'odorat; et les sens immédiats, qui agissent par contact: ce sont le toucher et le goût : ces derniers sont plus importants pour la conservation de l'individu. Les sens médiats apprécient, soit des différences dans la nature des objets, soit des distances : il faut ainsi distinguer leur finesse et leur portée. L'oeil n'est pas un simple miroir; la présence d'une image ne saurait suffire à produire la vision : il faut une propriété psychique qu'un simple miroir ne possède pas. Non seulement le fond de l'oeil réfléchit l'image, mais il a la propriété de voir. L'ouïe est indirectement le plus intellectuel de tous les sens, puisqu'elle permet la communication des idées par le langage. La parole n'est qu'une suite des sous qui ont pénétré dans l'oreille: c'est un même mouvement qui se propage de l'oreille à la gorge. Le toucher diffère des autres sens en ce que ceux-ci ne nous fournissent que des oppositions d'un seul genre, tandis que le toucher nous donne le chaud et le froid, le sec et l'humide, le dur et le mou. 

En ce qui concerne le mouvement, Aristote n'en connaît d'autre organe que les tendons, qu'il appelle nerfs. Mais il en cherche le principe, non dans les membres eux-mêmes, mais dans un organe moteur central. Le principe du mouvement est le coeur, ou son analogue chez les animaux qui n'en ont pas. Les mouvements sont de deux sortes : volontaires et involontaires. Les mouvements du coeur, par exemple, sont de la deuxième sorte. De même que le coeur est un organe calorifique, de même l'encéphale et les poumons sont des organes réfrigérants. Parmi les organes abdominaux, Aristote étudie avec grand soin l'estomac, dont il donne des descriptions remarquablement exactes en ce qui concerne les ruminants et les oiseaux, et les organes sexuels, sur lesquels ses observations sont souvent très heureuses. Il recherche quelle part prennent les deux sexes à la production du nouvel être. Il s'attache aussi à la question de l'hérédité. Il repousse la pangenèse, suivant laquelle les parents fourniraient des germes qui leur ressemblent, par cette raison qu'il y a des produits quine ressemblent pas à leurs parents : témoin le vers, nés des papillons.

Selon lui, les matériaux du nouvel être se forment à l'aide de substances différentes de ce qu'ils sont eux-mêmes. Il y a un liquide séminal mâle (le sperme), et un liquide séminal femelle (les menstrues). Du mélange de ces deux éléments, comme de l'union de la forme avec la matière, résulte le germe. De l'homme naît ainsi l'âme, et de la femme le corps de l'enfant qui résulte de leur union. La différence des sexes se ramène à une différence de degré. Chez la femme, l'aliment a subi une élaboration moins complète que chez l'homme, la puissance créatrice n'a pas achevé son oeuvre. Aristote explique d'une manière analogue les cas de tératologie. Les monstruosités ne sont que des dissemblances plus ou moins grandes, résultant de l'excès ou du défaut. Elles s'écartent du cours ordinaire des choses, mais elles ont leur base dans les forces naturelles.

Aristote a traité dans le même esprit de l'embryogénie. Interprétant, suivant les principes de sa philosophie, les résultats de ses délicates observations il admet que le développement du germe est un raccourci du progrès général de la vie dans la nature. La vie du ferme est d'abord comparable à celle des végétaux; puis l'embryon est dans un état comparable au sommeil, mais à un sommeil sans réveil. Le foetus devient animal quand il acquiert le sentiment. Alors seulement il est capable du sommeil véritable. L'ordre suivant lequel apparaissent les organes est déterminé par leur utilité et par la part qu'ils ont dans la formation des autres organes. Le coeur est ainsi l'organe qui se développe le premier.

Anatomie et physiologies comparées.
On trouve chez Aristote beaucoup d'aphorismes et de considérations biologiques ressortissant à ce que nous appelons anatomie et physiologie comparées. 

1° Il étudie soigneusement les ressemblances et les différences organiques. Les organes peuvent se ressembler par la figure. Des organes en apparence différents peuvent n'être que les développements plus ou moins complets d'un seul et mime type, de telle sorte que l'excès ou le défaut fasse au fond toute la différence. Il peut y avoir ressemblance par analogie : ainsi la plume est à l'oiseau ce que l'écaille est au poisson. Même rapport entre les os et les arêtes, entre les ongles et les cornes, etc. Des espèces différentes peuvent présenter les mêmes organes diversement situés. Des organes différents peuvent remplir la même fonction. 

2° Aristote détermine un grand nombre de corrélations organiques. Par exemple : tous les animaux ont du sang, ou un équivalent du sang. Les animaux sans pieds, à deux pieds ou à quatre pieds ont du sang; tous ceux qui ont plus de quatre pieds ont de la lymphe. Il y a chez les ruminants corrélation entre la présence de cornes et l'absence de canines. Les mouvements latéraux de la mâchoire inférieure n'existent que chez les animaux qui broient leur nourriture. Tous les animaux véritablement vivipares respirent dans l'air, etc. 

3° La loi de la division du travail est nettement formulée. La nature, dit Aristote, emploie toujours, si rien ne l'en empêche, deux organes spéciaux pour deux fonctions différentes. Quand cela ne se peut, elle se sert du même instrument pour plusieurs usages; mais il est mieux qu'un même organe ne serve pas à plusieurs fonctions. 

4° Les influences du milieu sont indiquées comme contribuant à déterminer les formes animales. Ainsi dans les climats chauds, dit Aristote, ce sont surtout les animaux froids par nature, tels que les serpents, les lézards, les bêtes à écailles, qui prennent des dimensions considérables. 

5° Aristote a étudié aussi la relation du physique au moral, ou physiognomonie. Vraisemblablement les Physiognomonica ne sont pas authentiques, mais ils procèdent sans doute de son enseignement. Dans l'Histoire des animaux, nous le voyons chercher à quelles différences morales correspondent les différences physiques dans le visage de l'humain.

6° Les espèces proprement dites sont stables et séparées les unes des autres. Mais à cité de l'absolu, Aristote admet l'existence du contingent. Il y a donc un certain jeu dans la nature, et les formes et facultés organiques comportent une variabilité restreinte. Une différence insignifiante en apparence dans de petites parties peut suffire à produire des différences considérables dans l'ensemble du corps de l'animal. Ainsi, par la castration, on ne retranche qu'une petite partie du corps de l'animal ; néanmoins ce retranchement change sa nature et le rapproche de l'autre sexe. Quand l'être est à l'état embryonnaire, une différence très petite fera de lui un mâle ou une femelle. C'est de la disposition différente de petites parties que résulte la différence d'animal terrestre et d'animal aquatique. 

En somme, selon Aristote, il y a dans la nature unité de composition et continuité progressive. L'humain lui-même, qui, selon notre connaissance, occupe le haut de l'échelle, n'est, au point de vue physique, séparé des animaux que par des différences de plus ou de moins. D'un règne à l'autre le passage est insensible. Ainsi l'on trouve dans la mer des êtres qui paraissent intermédiaires entre les animaux et les plantes; par exemple, les éponges. Les types principaux, et comme les étapes du développement, n'en sont pas moins exactement déterminés et irréductibles entre eux.

Zoologie.
Aristote a été le premier zoologiste classificateur. A vrai dire, il ne paraît pas avoir eu l'intention de constituer une classification zoologique : ses essais de classification ne se présentent que comme des exemples. Il n'a pas non plus nettement distribué les animaux en une hiérarchie de genres et d'espèces: il se borne à la délimitation des groupes principaux. Mais il a bien vu que le critérium de l'espèce se tire de la reproduction, de l'interfécondité. Il ne considère comme étant de même espèce que les animaux descendus de parents communs. 

Sa classification vise à être naturelle, c'est-à-dire qu'elle tend à mettre ensemble les animaux qui ont entre eux des ressemblances fondamentales. L'effort d'Aristote, ici comme partout, tend à distinguer l'essence de l'accident. La première division est celle des animaux qui ont du sang (ce sont nos vertébrés), et des animaux qui n'ont pas de sang (ce sont nos invertébrés). La division des animaux sanguins est fondée principalement sur l'embryogénie et sur la considération de l'élément qu'habitent les animaux. Les animaux sanguins se divisent en : vivipares vrais, ovovivipares et ovipares. Les animaux qui n'ont pas de sang se divisent en mollusques (correspondant à nos céphalopodes), crustacées, testacés (correspondant à nos mollusques, à l'exceptien de céphalopodes), et insectes. 

Dans la description des espèces, dont il mentionne environ 400, Aristote fait preuve de connaissances très étendues. Il traite notamment du moral des bêtes. Ainsi il appelle les abeilles, les sages. En ce qui concerne l'origine première de l'humain et des autres animaux sanguins, il se demande s'ils procèdent d'une sorte de scolex (espèce de ver) ou d'un neuf parfait, dans lequel une portion seulement devient le germe en se développant aux dépens du reste. Il considère la production spontanée d'un oeuf parfait comme peu vraisemblable, parce que nous ne voyons jamais se réaliser une telle production. Les testacés et les vers, au contraire, naissent spontanément. (Emile Boutroux).



Sources. - Physique générale : la Physique. Cosmologie : De caelo; De generat. et corrupt., Meteorologica; Astronomie : De Caelo, Métaphysique, XII, 8. Météorologie: Meteorologica. Minéralogie : Meteorologica, IV, (voir aussi les quelques indications qui nous restent sur l'ouvrage perdu peri metallôn, lequel était peut-être d'Aristote, mais plus vraisemblablement de Théophraste). Biologie générale : Historia animalium; De partibus animalium; De generatione animalium; De anima; les Parva naturalia, notamment De longitudine et brevitate vitae. Le De plantis n'est sans doute pas d'Aristote, mais il est né de son enseignement. Aristote cite aussi son traité d'Anatomie, ouvrage perdu : c'étaient des descriptions avec figures anatomiques.
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