Jalons |
Les
éléments
Les éléments sont les principes
qui, d'après la philosophie
de l'Antiquité, ont formé toutes choses. Depuis les Ioniens
et les Eléates ( Les
Présocratiques),
on en reconnaissait ordinairement quatre : l'eau, l'air, la terre, et le
feu. Ils furent d'abord considérés séparément
(l'eau était le principe de tout pour Thalès,
et c'était l'air pour Anaximène,
par exemple), éventuellement, on en considérait deux (ainsi,
la terre et l'eau pour Xénophane de Colophon ).
Empédocle
les considérera ensemble. Parfois, par la suite, on leur ajoutera
aussi des éléments supplémentaires - l'éther,
en particulier -, mais ils traverseront désormais le temps ensemble.
Au Moyen âge ,
on adoptera quatre animaux
comme présidant aux éléments, le hareng à l'eau,
le caméléon à l'air, la taupe à la terre, et
la salamandre au feu. Plus tard, beaucoup plus tard (deuxième moitié
du XVIIIe siècle),
ce sera à la chimie naissante que reviendra la tâche de leur
ôter définitivement leur statut de "premiers principes" de
la matière .
L'École
Ionienne.
Les premiers des
penseurs appartenant à l'école
ionienne dont le nom nous soit parvenu sont Thalès,
Anaximandre,
Anaximène, etc. Ils marquent une rupture
dont ils n'avaient sans doute pas conscience et leur pensée, comme
celle de leurs successeurs, pendant très longtemps, sera encore
très loin de s'être dégagée de toute gangue
mythologique .
On y reconnaît en particulier l'influence de conceptions venues d'Orient.
Cela apparaît souvent dans le choix des principes
qu'ils invoquent.
Thalès.
Si l'on en croit
les anciens auteurs, pour Thalès (né,
suivant Apollodore, la première année
de la 35e olympiade, soit 640
av. J.-C), l'eau est la matière
dont tout est fait et dont tout doit sortir. Les plantes![](btimc.gif)
et les animaux![](btimc.gif)
ne sont que de l'eau condensée sous diverses formes;
c'est en eau qu'ils se réduiront. L'univers est une masse liquide
qui renferme une grosse bulle d'air hémisphérique. La surface
concave de cette bulle est notre ciel ,
et sur la surface plane, en bas, notre terre flotte comme un bouchon de
liège. Une conception du monde qui a tout d'un réaménagement
des conceptions cosmologiques de la Mésopotamie ,
telles que nous les fait connaître le Poème de la Création
(Enuma Elish).
Anaximandre.
Après Thalès,
vient Anaximandre qui franchit un pas de
plus dans l'abstraction, et produit un système
plus riche, plus complet, plus fécond aussi : il place l'élément
primitif dans la matière
indéfinie, indéterminée (to
apeiron, l'apeiron),
qui donne naissance à l'eau. De l'eau, explique-t-il, sont sortis
la terre, l'air et le feu. La terre cylindrique repose au milieu de l'air
qui l'entoure et le feu enveloppe le monde comme une écorce. Cette
enveloppe enflammée se brise, et le feu se trouve emprisonné
dans de petites gousses d'air, percées de trous par lesquels le
feu s'échappe : ce sont les astres .
Ce qui nous apparaît sous la forme du Soleil ,
de la Lune![](roueb.gif)
ou des étoiles
n'est qu'une ouverture brillante pratiquée dans un anneau d'air
rempli de feu, qui se meut autour de la Terre![](btimb.gif) .
Quand cette ouverture se bouche, il se produit des éclipses
de Lune ou de Soleil. Le mouvement des astres est produit par des courants
atmosphériques. Anaximandre passe ensuite du monde extérieur
à l'âme qui est aériforme; mais
il ne fait qu'indiquer cette idée, qui sera développée
par Diogène d'Apollonie .
Phérécyde
et Epiménide.
Mais pour les Grecs, c'est peut-être
l'air qui est l'élément le plus important. En tout cas, l'air
joue très souvent un rôle pivot dans la conception
que les Grecs se faisaient du monde. C'est un des principaux éléments
de la nature, et dans le matérialisme
des premiers âges, ils y virent tantôt le principe fécond
de l'univers, tantôt un agent immanent à
la vie des choses. La raison en est probablement que l'air, omniprésent
dans notre environnement, mais en même temps invisible, pouvait très
facilement se voir investi de tous les caractères du divin. C'est
Phérécyde
de Syros (59e Olympiade, 540
av. J.-C.) qui, le premier - dans un contexte cosmogonique
d'apparence bien grecque ,
cette fois - donne un rôle à l'air dans la création
du monde. A l'origine, Zeus ,
Cronos
et Chthôn
existent seuls. Cronos engendre avec sa semence le Feu ,
le Vent
et l'Eau, qui, à leur tour, donnent naissance à un grand
nombre de dieux
secondaires répartis en cinq familles (éther, feu, air, eau,
terre). Une conception du monde fortement enracinée dans le mythe
et qu'Epiménide, vers la même
époque, décline à sa façon : pour lui, il y
a deux premiers principes : l'Air et la Nuit ,
qui engendrent tout le reste. L'air est le principe mâle et la nuit
le principe femelle, ce qui est conforme à la théogonie
de son maître Hésiode.
Anaximène.
On revient à une approche plus
"physicienne" avec Anaximène de Milet
(63e Olympiade, 529
av. J.-C), qui prend l'air comme principe
et fond de toutes choses.
Tout vient,
dit-il, de l'air, et tout y retourne.
Anaximène n'établit
pas de distinction entre l'air, substance élémentaire,
et l'air atmosphérique. L'air est matériel; il vit et se
meut en vertu d'une force qui lui est inhérente.
Quelles sont ses qualités? Il est infini
en grandeur, il embrasse le monde entier; l'univers repose au sein de l'air
illimité. Il est aussi dans un mouvement perpétuel. Le froid
et la chaleur, la condensation et la raréfaction, engendrent toutes
les modifications de la matière ;
l'âme participe de l'air, et l'espace
infini est la divinité même, puisque la matière primitive
est en même temps la force initiale et la cause
créatrice du monde. C'était là une forme de panthéisme.
Diverses considérations ont conduit
Anaximène à faire ce choix : en premier lieu, l'air change
continuellement d'état, et est ainsi particulièrement propre
à servir de support à la mobilité des phénomènes.
Mais l'origine de sa doctrine vient surtout d'une
analogie
établie entre le monde et les êtres vivants. Anaximène
partageait avec les Anciens cette
opinion que
chez les animaux![](btimc.gif)
et chez l'humain l'inspiration et l'expiration de l'air sont le principe
de la vie et de la cohésion des corps, car,
lorsque la respiration
est entravée et s'arrête, le corps se dissout et se décompose.
Anaximène appliquait cette opinion au monde qu'il considérait
comme vivant.
L'air est donc la matière
primitive, et tout sort de lui par raréfaction ou par condensation
: ces deux phénomènes sont la conséquence
du mouvement de l'air. La raréfaction est identique à l'échauffement,
et la condensation au refroidissement. En se raréfiant, l'air produit
le feu; en se condensant, il devient le vent. Du feu et du vent naissent
les corps simples qui forment ensuite tous les composés.
Dans cette conception du monde, l'air,
en se condensant, produit la Terre![](btimb.gif) ;
elle est plate et flotte dans l'air, sur lequel elle repose. Les astres
aussi sont plats et sont portés par l'air. Les vapeurs qui s'élèvent
de la Terre ont produit le feu en se raréfiant de plus en plus,
et celui-ci, condensé par l'énergique mouvement de rotation
du ciel
( Mouvement diurne ),
produit à son tour les étoiles .
C'est d'Anaximène
que procèdent deux doctrines citées par Aristote
: suivant l'une, la substance primitive tient
le milieu entre l'eau, et l'air; suivant l'autre, entre l'air et le feu.
L'air chaud d'Anaximène est intermédiaire entre l'air et
le feu; l'air froid entre l'air et l'eau. Ce sont deux opinions qui ont
appartenu à quelques philosophes ioniens;
la première relie Anaximène à ses devanciers (Thalès),
la seconde, à ses successeurs (Héraclite).
Diogène
d'Apollonie.
Diogène
d'Apollonie
(ca. 469 av. J.-C.) demeure attaché
aux idées d'Anaximène, mais en
les dépassant. Il attribue à l'air, comme principe
et substance des choses, certaines qualités
spirituelles et s'efforce d'expliquer la vie de l'âme
par l'air ainsi conçu; aussi, dit-il que la
vie et la pensée sont produites,
dans les êtres vivants, par l'air qu'ils respirent et sont liées
à cette substance ( L'Histoire
de la biologie ).
L'air est la source de la vie et de la pensée elle-même. Toute
vie, toute pensée cesse dès que la respiration s'arrête.
Les êtres ne vivent que parce qu'ils respirent. C'est de l'air que
les poissons
respirent dans l'eau, et, s'ils meurent dans l'air, c'est qu'ils en respirent
trop à la fois, et qu'il y a mesure à tout. Les métaux
eux-mêmes absorbent de l'air et s'en assimilent les éléments,
comme le corps vivant s'assimile les aliments. Le feu n'est que de l'air
raréfié, comme l'eau n'est que de l'air condensé.
En tant que principe des choses, l'air,
selon Diogène, doit avoir deux
caractères comme substance universelle,
il doit se répandre partout, être contenu dans tout. Et comme
cause
de la vie et de l'ordre dans le monde, il doit
être pensant. Or, l'air pénètre toute chose; c'est
donc lui qui dirige et organise l'univers. Comme il est la substance et
le principe de tous les êtres, il connaît tout; et comme il
est la matière
la plus subtile et la plus mobile, il est le principe
du mouvement. Comme Anaximène, Diogène
d'Apollonie admet que tout naît de la condensation et de la raréfaction
de l'air; leur premier effet est de séparer dans la substance infinie
la matière pesante, qui se porte de haut en bas, et la matière
légère qui s'élève de bas en haut. L'une donne
naissance à la Terre![](btimb.gif) ,
l'autre produit le Soleil
et les étoiles .
Dans le système du monde, le chaud est
le principe du mouvement; et la substance froide est le principe de la
solidité et de la fixité des corps. A l'origine, la Terre
était une masse molle et fluide, percée de trous par lesquels
l'air s'introduit, et, quand ces trous se bouchent, il se produit des tremblements
de terre. De même, le Soleil et les astres sont percés de
trous et semblables à la pierre ponce, dont les pores sont remplis
d'air enflammé.
Diogène
passe ensuite à l'âme, qui est composée
d'air chaud et sec. Elle peut revêtir des formes infiniment diversifiées,
de même que l'air varie à l'infini.
La substance de l'âme vient en partie de la semence, en partie de
l'air extérieur qui entre dans les poumons
après la naissance .
L'âme ou l'air chaud coule avec le sang
dans les veines .
Du contact de l'air vital avec les impressions extérieures naissent
les sensations : le sommeil et la mort résultent
de l'expulsion partielle ou totale de l'air par le sang.
Archélaüs
de Milet.
Disciple de Diogène
d'Apollonie et d'Anaxagore, Archélaüs
de Milet
(vers 460 av. J.-C) s'attacha comme tous les
philosophes physiciens à l'observation des phénomènes
de la nature pour arriver de là à
la connaissance des objets d'un ordre plus élevé. Le feu
est, selon ce penseur de l'air raréfié; l'eau est de l'air
condensé. Clément d'Alexandrie
rapporte une opinion ancienne d'après
laquelle le feu se change par l'air en eau. L'air est, comme dans les systèmes
d'Anaximène et de Diogène, le
principe
de tout. Le chaud et le froid, le sec et l'humide, jouent un grand rôle
dans la composition ou la génération des corps. Les animaux![](btimc.gif) ,
dit encore Archélaüs, sont primitivement sortis d'une vase
laiteuse de la terre, chauffée par le Soleil .
L'École
éléatique et Héraclite.
Le système
de l'École d'Elée
et celui d'Héraclite d'Ephèse
s'étaient proposé les mêmes questions à résoudre
que la philosophie Ionienne. Xénophane
de Colophon ,
fondateur de l'école éléatique (environ 500
ans avant J.-C ), enseignait que la terre
et l'eau sont les éléments du monde matériel, et que
l'âme elle-même est un corps aériforme.
Quant à Héraclite, c'était le feu qui devait être
le principe de toutes choses. Le monde a commencé par le feu et
finira de même. Les corps matériels peuvent se transformer;
le feu est immuable, parce que c'est lui qui change ou modifie tout ce
qui est. La terre se change en eau, l'eau en air et l'air en feu. De là
le chemin qui monte (volatilisation) et le chemin qui descend (fixation).
Le premier est le symbole de la génération; le dernier, celui
de la décomposition. Les alchimistes
s'approprièrent la plupart de ces idées, en les exacerbant.
Les
Eléates.
Xénophane
(né vers 520 av. J.- C.)
était contemporain de Pythagore, ou
du moins des premiers Pythagoriciens, dont
il connaissait les doctrines. Il ne nous reste
des ouvrages de Xénophane, de Parménide,
de Mélissus et de Zénon,
que quelques fragments conservés dans Aristote ,
dans Sextus Simplicius, etc. Voici les principaux points de la philosophie
éléatique qui pourraient ici nous intéresser :
Rien n'est
créé; tout ce qui est, existe de toute éternité
et durera éternellement. Tout est un; Dieu
est l'univers, et réciproquement.
La terre et l'eau
sont les principes du monde matériel.
Xénophane,
voit dans l'âme une matière
aériforme, mais il ne mentionne l'air qu'en passant : quand il attribue
au monde une étendue-infinie,
il dit que l'air dans la région supérieure, et les racines
de la Terre![](btimb.gif)
dans la région inférieure, se prolongent indéfiniment.
(On sait que ce fut vingt siècles plus tard l'opinion de Priestley,
le même qui découvrit l'oxygène).
Parménide
considère l'univers comme composé de plusieurs sphères
ou cercles qui s'enveloppent les uns les autres. La sphère intérieure
constitue le noyau solide du monde, la Terre![](btimb.gif) .
Elle est entourée d'un cercle d'air ténu et lumineux par
rapport à la Terre sombre La sphère extérieure forme
le mur d'enceinte du monde. Entre ces deux points extrêmes est le
ciel stellaire.
Parménide
ajoute que les phénomènes de
la nature reposent sur deux principes
opposés, l'un actif, l'autre passif -. la chaleur et le froid, la
lumière et les ténèbres . Tout corps privé
de chaleur est mort; tout est pour lui froid, silence et ténèbres
.
Le mouvement et impossible,
parce qu'il suppose que l'espace et le temps
sont limités. Ici, Zénon entre dans
des subtilités qu'il serait inutile de mentionner. D'après
plusieurs auteurs, Zénon, aurait également nié la
réalité
des substances.
Héraclite.
Héraclite
d'Ephèse (69e
Olympiade, 504 av. J.-C.),
contemporain de Xénophane considère
que rien dans le monde n'est fixe, stable, mais tout se meut sans cesse
comme un fleuve ou des vagues nouvelles chassent toujours les anciennes
devant elles. On l'a dit, pour lui, le feu est la force primordiale qui
tient sous sa dépendance tous les phénomènes, tous
les changements qui s'opèrent dans les corps.
C'est le feu qui détruit, mais à la condition de reconstituer.
L'état primitif du monde était un état igné.
Et il viendra un temps où le monde se réduira de nouveau
en feu. Les corps matériels peuvent être changés ou
modifiés; le feu ne le peut, parce que c'est lui qui change ou modifie
tout ce qui est. La terre se réduit en eau, l'eau en air, et l'air
en feu. De là le chemin qui monte (dégagement) et le chemin
qui descend (fixation). Le premier est le symbole de la génération;
le dernier, celui de la décomposition.
Le feu tire son aliment
des parties subtiles de la matière
(de l'air), comme l'eau tire sa nourriture de la terre.
D'après le
témoignage d'Aristote ,
l'évaporation, où plutôt le dégagement d'un
corps aériforme, joue, dans le système d'Héraclite,
un rôle très important. C'est là-dessus qu'Héraclite
avait fondé ses hypothèses sur
la nature des astres et des âmes :
Héraclite
explique la lumière du Soleil
et des astres
par l'accumulation de substances aériformes en ignition, que nous
traduirions aujourd'hui par gaz
incandescents.
La vie consiste dans
un changement perpétuel de la matière ,
dans un mouvement continuel d'émission et d'absorption - ce mouvement
est celui de cercle.
L'âme
du monde est un corps aériforme, et l'aliment du feu, principe de
toutes choses.
Le monde doit sa naissance
au feu, et périra de même par le feu; et tout cela a lieu
d'après certains cycles ou périodes. Ces périodes
alternent, et se suivent comme le jour et la nuit.
Tout est régi
par des lois fixes et immuables. Les phénomènes
en apparence les plus opposés ou les
plus inutiles sont nécessaires à l'harmonie du tout. Tous
les êtres, même quand ils dorment, contribuent à l'existence
réciproque des objets du monde.
L'amour et la haine,
l'attraction et la répulsion, voilà les grandes lois de l'univers.
Comme le feu est
indéterminé, on a prétendu qu'il représentait
l'air chaud, car Héraclite l'appelle
parfois le souffle et aussi l'éther. Toutefois c'est là une
erreur. On l'a vu, pour Héraclite, le feu se transforme en eau et
celle-ci produit l'élément solide, la terre, et l'élément
chaud, le vent brillant. L'air n'a cependant qu'une faible importance dans
la cosmologie d'Héraclite, plus iranienne
que grecque ,
au fond, et qui considère le feu, l'eau et la terre comme les formes
essentielles que traverse la matière dans ses transformations. Il
n'en est plus de même lorsqu'il s'occupe de l'âme : la raison
qui est identique au feu entre dans l'humain par la respiration qui nous
vivifie et nous réchauffe; elle est entretenue par l'air et la lumière.
La raison ou le "calorique" nous vient de l'atmosphère ,
en partie par la respiration, qui nous met en rapport avec l'air extérieur,
en partie par les organes des sens; et l'humain meurt dès que cesse
la respiration.
Empédocle
: des éléments aux atomes.
Dans le système
cosmologique d'Empédocle (ca. 492-432
av. J.-C) comme dans celui d'Héraclite,
le feu joue un rôle important. L'amour et la haine, l'attraction
et la répulsion y sont également les lois
fondamentales qui régissent le monde physique.
Le philosophe d'Agrigente,
s'éloignant de l'exemple de ses prédécesseurs, est
le premier, autant qu'on puisse le savoir, qui ait fait la distinction
des quatre éléments dont toutes choses sont supposées
composées : la terre, l'eau, l'air et le feu. Suivant Aristote ,
il ramène ces quatre éléments à deux : le feu
et l'air (il joint à ce dernier l'eau et la terre). Les quatre éléments
sont primordiaux, impérissables, et traversent le jeu des transformations
sans cesser de rester identiques à eux-mêmes. Empédocle
n'a pas déterminé nettement les caractères particuliers
de ces éléments, ni, leur place dans le système
du monde.
Les éléments,
d'abord confondus, sont divisés par la haine; mais l'amour vient
les mélanger de nouveau en produisant un mouvement tourbillonnant.
De ce tourbillon est né le monde : l'air s'est dégagé
le premier et a enveloppé le tout sphériquement. Le feu,
paraissant ensuite, occupe l'hémisphère supérieur
et repousse l'air sous la terre dans l'hémisphère inférieur.
Dès lors, quand la moitié ignée de la sphère
est en haut, il fait jour; quand elle est cachée par le globe terrestre
et que la moitié atmosphérique et sombre est en haut, il
fait nuit ( Les jours et les nuits ).
La pression du feu a imprimé à la sphère céleste
un mouvement de rotation ( Mouvement
diurne );
la terre est formée par l'air, et la cession provenant de la rotation
en fait sortir l'eau.
Le Soleil
est un corps vitreux, une sorte de miroir ardent qui réunit, comme
en un faisceau, les rayons du feu et les réfracte. La Lune![](roueb.gif)
est faite d'une matière
cristalline provenant de l'air durci et a la forme d'un disque. Telle est
la cosmogonie d'Empédocle.
Le rôle de l'air n'est pas moins grand dans ses théories
sur les êtres vivants. Selon lui, l'aspiration et l'expiration de
l'air n'ont pas seulement lieu par la trachée ,
mais par le corps
entier, à cause du mouvement du sang
: quand il se retire des parties extérieures, l'air pénètre
par les pores
de la peau ;
quand il revient, l'air est expulsé. Nous sommes un composé
des quatre éléments, et chaque chose nous est connue par
ce qui lui est semblable en nous, la terre par la terre, l'air par l'air,
etc. Ainsi, l'odorat
provient de ce que des molécules
se détachent de l'air auquel elles sont mêlées et entrent
dans le nez .
Pour l'ouïe ,
les sons se forment dans le tube auditif, comme dans une trompette, par
l'air qui y pénètre.
Mais la grande originalité
d'Empédocle aura sans doute été
d'avoir considéré que les quatre éléments
ne sont pas les dernières molécules immuables et composables
des corps. Comme l'expérience
l'apprend , dit-il, ces éléments peuvent éprouver
différents changements, il est clair qu'ils ne sont rien moins qu'immuables.
En conséquence, il établit que le feu, l'air, l'eau et la
terre, tels que l'observation nous les présente, sont composés
d'une multitude de particules très petites, indivisibles et insécables,
qui sont les véritables éléments des corps de la nature.
L'air se compose de particules qui sont homogènes entre elles; de
même l'eau, etc. C'est à ces éléments que la
génération (combinaison) et la destruction (décomposition)
s'arrêtent. Ces phénomènes ne vont jamais au delà
des derniers éléments.
Les derniers éléments
(particules élémentaires) sont invariables et éternels.
Ils constituent tous les corps. Le changements de la matière
dépendant du déplacement et de la combinaison des particules
élémentaires. Il n'y ni création (physis),
ni destruction (thanatos), dans l'acception propre de ces mots;
ce qu'on appelle ainsi ne sont que des phénomènes d'agrégation
et de désagrégation, de composition et de décomposition.
Les éléments dont se composent les corps de la nature
ne sont pas tous homogènes, c'est-à-dire de même espèce;
car les particules élémentaires de l'air se combinent avec
celles de l'eau pour donner naissance à tel ou tel corps, et ainsi
des autres.
En apparence, la
doctrine
d'Empédocle ne s'éloigne pas
beaucoup, comme on le voit, de celle que les chimistes professeront bien
plus tard sur la constitution atomique des corps. Elle prélude en
fait surtout aux conceptions atomistiques
de l'Antiquité. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'Empédocle
attribue au feu une action à part, différente de celle qu'exercent
les autres éléments dans la constitution des corps. Le feu
est, suivant lui, le principe actif par excellence,
tandis que les autres éléments se comportent d'une manière
plutôt passive, comme des masses inertes.
Les forces
d'attraction ou d'amitié (philia) et de répulsion
ou de haine (neikos) président aux phénomènes
de composition et de décomposition de la matière. Les particules
homogènes s'attirent et se combinent; les particules hétérogènes
se repoussent et se désagrègent. D'après ces idées,
Empédocle
définit le monde physique comme la réunion de toutes les
combinaisons produites par des éléments simples. De là,
le chaos est pour lui la condition primordiale du monde, dans laquelle
les éléments constitutifs sont à l'état de
non-combinaison, ou, comme on dira plus tard, à l'état naissant,
c'est cet état du monde qu'Empédocle appelait polla
(= beaucoup de choses), par opposition au monde constitué, qui portait
le nom de en (= un) ou de kosmos
(= harmonie).
Parmi les autres
idées d'Empédocle sur la matière ,
on signalera encore les suivantes :tous les corps solides sont poreux :
ils renferment des interstices comparables à de petits tubes capillaires,
par lesquels ont lieu des effluves de forces particulières; c'est
par ces effluves qu'on explique l'action de l'aimant attirant le fer (Alexandre
d'Aphrodisie, Quaest. nat, lib. II, c. 23), la conservation
des feuilles
sur l'arbre
(Plutarque, Sympos., III, 2,1.II, p.
649), la vision, la production des couleurs, etc. On notera aussi combien
il est curieux de suivre Empédocle dans ses raisonnements
à établir que le principe de la connaissance
repose sur l'identité, du sujet
avec l'objet qu'il s'applique à connaître.
L'humain étant composé des mêmes éléments
simples que les objets du monde qu'il observe, la connaissance implique
l'identité (de composition) du sujet connaissant avec l'objet connu.
(Hoefer / Berthelot). |
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