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Dans le langage
de la métaphysique d'Aristote, langage
qui, pour ce terme comme pour beaucoup d'autres, est devenu celui
de la métaphysique en général,
on appelle puissance le pouvoir que possède une chose de
se modifier, de passer d'un état à
un autre, de revêtir une forme qui d'abord n'était pas la
sienne.
Pour Aristote, la
puissance, dynamis, se ramène à la possibilité,
à la matière, et le sens du mot se trouve précisé
par son opposé, l'acte, energeia,
impliquant le mouvement ou la voie par laquelle
l'être va de la puissance à la pleine essence, mais embrassant
la cause et la fin, ne cessant donc pas d'être, quand la fin est
atteinte, entelecheia désignant moins l'effort à faire
que la fin à réaliser. Ce qui est possible,
sans être réellement, est en puissance; ce qui est, étant
par là même un possible réalisé, est en acte.
Il n'y a pas de matière
sans forme, car une matière sans forme serait
indéterminée et, faute d'être ceci ou cela, ne serait
rien qu'un pur possible; et il n'y a pas de forme sans matiere, car une
forme sans matière ne serait la forme de rien, ne serait pas. Mais
nulle matière ne reçoit de forme que celle qu'elle peut recevoir;
nulle forme ne se réalise que dans une matière qui la comporte.
La forme, chez Aristote, est donc en puissance
dans la matière, avant d'exister; réalisée, elle est
en acte. Devenir, c'est passer de la puissance à l'acte; ce passage
est le mouvement.
Morin, dans le Dictionnaire de théologie
scolastique, a cru que le Moyen âge, suivant l'Antiquité,
n'a pas connu la puissance active ou la force, idée toute moderne
et due à Leibniz. Il faut remarquer que la dynamis, comme le nous
et le dèmiourgos, est un des éléments du kosmos
noeros de Jamblique; que les puissances
sont un des neuf choeurs des anges: que du néo-platonisme, comme
du christianisme, la scolastique a appris à unir la puissance et
l'action.
Pour dire ce que les scolastiques ont entendu
par la puissance (potentia, potestas), il faudrait faire l'histoire
de leurs doctrines théologiques et philosophiques, dans lesquelles
il y a infiniment plus de variété qu'on ne le croit d'ordinaire.
Il nous suffira d'indiquer comme exemple quelques-uns des sens que prennent
les deux mots chez saint Thomas :
1° Possibilité, faculté.
« Le mot potentia, dit-il (1. Sent., 42. 1, 1, ad. 1), a signifié
d'abord le principe de l'action, puis il a été employé
pour ce qui reçoit l'action. » En ce sens, la puissance est
active (potentia actionis, activa, operativa, agentis, ad agere)
ou passive (passionis, passiva, receptiva, pure materialis, ad esse,
ad essendum).
2° Pouvoir, force pour une activité.
Le mot, synonyme de virtus et de vis, s'oppose à actus
et à impotentia. En ce sens, la puissance est absolue on
habituelle, agie ou agissante, active ou passive, adaptée (à
l'acte) ou nue, estimative, cogitative, imaginative, mémorative,
affective ou cognitive, attachée ou non à un organe corporel,
matérielle ou immatérielle, etc. (Schütz compte 71 espèces
pour ce second sens).
3° Force, pouvoir, influence. Les synonymes
sont principatus, dominium, regimen, virtus, vis : « Le mot appliqué
aux choses naturelles a désigné d'abord, dit saint Thomas
(1. Sent., 421, 1, c.), les hommes qui peuvent faire ce qu'ils veulent,
sans en être empêchés par les autres ». La puissance
ainsi entendue comporte 12 espèces pour potentia, 45 pour
potestas
: elle est absolue ou réglée, divine ou créée,
infuse ou acquise, spirituelle ou corporelle, céleste ou terrestre,
épiscopale, pontificale, sacerdotale, royale, etc. L'importance
de ce troisième sens nous est suffisamment indiquée par la
lutte, sous ses formes si diverses, du sacerdoce et de l'empire.
4° Possibilité pour un être
(ad esse, ad essendum). Le mot potentia ou potestas
est synonyme de possibilitas, de potentialitas; il s'oppose
d'un côté à actes, de l'autre à impossibilitas,
à impotentia, à impotentialitas. (PL
/ F. Picavet).
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