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Qu'est-ce
que le vivant?
L'histoire de la biologie |
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Des théories philosophiques et scientifiques très diverses ont été proposées au cours du temps sur la nature de la vie, depuis les penseurs grecs jusqu'aux physiologistes et aux naturalistes modernes. On peut ramener ces théories à quelques types fondamentaux : les doctrines-mécanistes ou physico-chimiques, le vitalisme et l'animisme. Pour les doctrines, du premier groupe, les phénomènes vitaux s'expliquent par les mêmes forces mécaniques ou physico-chimiques que les modifications de la matière brute. Pour les vitalistes, les phénomènes vitaux ne peuvent s'expliquer que par une ou plusieurs forces à la fois distinctes de l'âme et irréductibles aux forces mécaniques, physiques et chimiques; les vitalistes qui font intervenir plusieurs forces différentes, inhérentes aux divers organes, pour expliquer les phénomènes vitaux, ont reçu le nom d'organicistes. Pour l'animisme, la force vitale se confond avec l'âme; c'est l'âme qui construit l'organisme selon un plan conçu d'avance par elle; c'est elle qui garantit à chaque instant tous les organes contre la destruction et c'est elle qui assure le concert harmonieux des diverses fonctions. En outre, parmi les animistes et les vitalistes, il en est qui généralisent leur théorie et l'appliquent à la nature entière : bien loin de croire qu'on puisse expliquer les phénomènes vitaux par les forces mécaniques et physiques, ils soutiennent que ces forces sont impuissantes à expliquer seules les phénomènes matériels eux-mêmes, et ils voient partout l'action d'une force analogue à la force vitale. Cette théorie a reçu le nom d'hylozoïsme. Nous allons résumer l'histoire de ces diverses doctrines et nous exposerons en terminant l'état de la question à l'aube du XXe siècle. | ||
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L'Antiquité
et le Moyen Âge
Dans l'Antiquité On comprend que ces penseurs, transportant
à la nature dans son ensemble les propriétés
de la matière vivante, n'aient pas distingué celle-ci de la matière
brute et que la formation, la différenciation, l'évolution
des espèces vivantes à partir de la matière
brute, ne leur aient pas semblé présenter plus de difficultés que l'évolution
géologique, la différenciation de l'atmosphère Chez Platon, d'un côté, la différence entre les organismes vivants et la matière brute s'explique par des causes toutes géométriques et mécaniques; d'un autre côté, le monde est conçu comme un organisme unique, d'une étendue limitée, dont le développement dure un temps déterminé, et où l'ordre des parties dans l'espace, l'ordre des phases dans le temps sont dus à l'action d'une âme intérieure, l'âme du monde, qui agit en vue de fins comme les âmes individuelles et dont l'activité, soumise aux lois des mathématiques, prend pour modèle l'ordre immuable, inétendu et intemporel des idées. Il y a là la combinaison d'une théorie mathématique et mécaniste avec un animisme-hylozoïste et finaliste; on y peut démêler à la fois l'influence de la philosophie mathématique des pythagoriciens, celle de l'hylozoïsme ionien et celle du finalisme d'Anaxagore. Aristote le premier, combattant tout ensemble le mécanisme mathématique et l'hylozoïsme, fait de la vie un principe distinct qu'il considère d'une part comme inexplicable par la mécanique ou par la physique et dont il ne prétend pas d'autre part retrouver l'action organisatrice dans la nature entière. Pour lui, l'univers est une hiérarchie de principes qualitativement irréductibles; chaque principe supérieur est l'acte dont le principe inférieur est la puissance, la forme dont il est la matière, la fin vers laquelle tend le principe inférieur et où il trouve son achèvement; ce rapport, qui est celui de la matière physiquement différenciée à la matière homogène définie seulement par ses propriétés mathématiques, est aussi celui de la vie à la matière brute de la physique. Le principe de la vie n'est autre que l'âme. La conception qui conduit Aristote à voir partout des qualités irréductibles, à nier la continuité et l'évolution, l'amène naturellement à envisager les espèces vivantes comme autant de types organiques invariables, de « formes » essentiellement distinctes; en même temps que l'originalité inexplicable de la vie, il admet la fixité des espèces. La doctrine aristotélicienne, qui devait
prendre au Moyen âge L'école philosophique d'Alexandrie ne s'écarta que peu du stoïcisme sur ce point. Et si l'un des médecins les plus illustres de l'antiquité, Galien, paraît s'inspirer dans une large mesure d'idées péripatéticiennes, les médecins empiriques ou sceptiques d'Alexandrie, au contraire, rejettent toute théorie philosophique de la vie, celle d'Aristote comme celle des mécanistes, et soutiennent qu'il faut s'en tenir à l'observation des faits particuliers. C'est seulement après la ruine de la civilisation antique, et lorsque s'organisent les doctrines de la scolastique qu'au conflit des théories succède l'autorité d'Aristote, dont saint Thomas reprend l'animisme et commente les opinions biologiques. Et jusqu'à la Renaissance, c'est le règne d'Aristote et de saint Thomas. La Renaissance et les Temps modernes A la Renaissance D'autre part, le vitalisme est défendu par Paracelse au XVe siècle, puis à la fin du XVIe par Van Helmont, qui se demande dans quelle partie du corps est le siège de la force vitale; au vitalisme unitaire de son prédécesseur, il est amené à substituer une théorie dont le point de départ doit être cherché jusque chez Galien, et qui disperse la force vitale dans les différents organes; il n'y a pas une seule force vitale, il y en a plusieurs, dont une directrice et prépondérante; c'est ce qu'on appellera plus tard l'organicisme. Descartes, au XVIIe siècle, rejette toute l'interprétation qualitative et finaliste que les scolastiques, après Aristote, donnaient de la nature et lui oppose une physique mathématique et mécaniste; pour ce qui est en particulier de la vie, il n'y voit pas une qualité inexplicable, une force qui a comme fin de construire l'organisme, de le conserver et d'en coordonner les actions; les phénomènes vitaux comme les autres faits physiques se ramènent à des combinaisons de mouvements et s'expliquent par les lois de la mécanique. La doctrine physiologique et biologique de Descartes a reçu le nom d'iatromécanicisme. Pour les iatromécanicistes, le corps est une machine toute composée de rouages mécaniques, ressorts, leviers, cribles, tuyaux, soupapes, etc. Cette théorie semblant trop simple pour rendre compte des faits et les recherches chimiques se développant, d'autres médecins expliquèrent la vie non plus par le jeu des forces purement mécaniques, mais par celui des forces chimiques; c'est l'iatrochimisme ou chimiâtrie. Pour les chimiâtres comme Sylvius le Boë, le corps était en quelque sorte un ensemble de cornues et d'alambics, où se réalisaient des fermentations, des acidités, des effervescences, etc. D'autres médecins encore s'écartèrent bientôt davantage du cartésianisme : de même que la physique mécanique de Descartes fut rejetée par Newton et l'école newtonienne, qui lui reprochèrent son goût exagéré pour la clarté et la simplicité des raisonnementsmathématiques et son impuissance à expliquer les données complexes de l'observation réelle, et qui fondèrent leur physique sur les idées d'action à distance et de fluides irréductibles, de même Stahl, dans le premier tiers du XVIIIe siècle, reprocha aux iatromécanicistes et aux iatrochimistes de négliger les caractères spécifiques des faits vitaux et restaura l'animisme-scolastique. Sa doctrine ne survécut guère aux railleries que lui adressa Bordeu en 1742. Et pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce fut le vitalisme de l'école de Montpellier qui l'emporta, avec Bordeu, Grimaud et Barthez. Ce dernier surtout en assura le triomphe parmi les médecins. Et le vitalisme, modifié dans le sens de l'organicisme par des anatomistes comme Bichat et Cuvier, demeura prépondérant pendant le premier tiers du XIXe siècle; en 1833, Johannes Müller, le fondateur de la physiologie en Allemagne, admettait encore une force vitale unique, en conflit avec les forces physiques et chimiques, cause et régulatrice des phénomènes biologiques. Le XIXe siècle Le vitalisme
eut un contre-coup, Ã la fin du XVIIIe
siècle et au commencement du XIXe
siècle, dans le domaine de la philosophie
générale et des sciences sociales ( Bien que les progrès des sciences-expérimentales, comme nous allons le montrer, aient battu en brèche depuis un demi-siècle la biologie vitaliste, la métaphysique vitaliste des romantiques va conserver jusqu'au début du XXe siècle une grande influence sur la philosophie générale. La doctrine de Spencer consiste à étendre à l'univers matériel et aux sociétés les idées de vie et d'organisme; tout en empruntant aux biologistes modernes leur théorie physico-chimique de la vie, il est resté sans le vouloir profondément imprégné d'idées romantiques et a laissé subsister par là une contradiction au coeur même de son système. Cette influence du vitalisme romantique est également très marquée chez Guyau, qui s'inspire dans une large mesure de Spencer; chez Nietzsche, qui a subi l'action de Spencer et celle du romantisme allemand; enfin chez Bergson, qui s'inspire de Ravaisson, disciple de Schelling et des vitalistes français. Chez tous les trois, et malgré les différences qui les séparent, le principe des choses, c'est la vie, et la vie est entendue comme une force mystérieuse, supérieure à la conscience réfléchie, qui se développe spontanément le plus complètement possible du dedans au dehors. Dès la fin du XVIIIe
siècle, cependant, Lavoisier, en
même temps qu'il transformait la chimie, avait, par ses recherches sur
la respiration C'est leur croyance au déterminisme physico-chimique qui a permis aux fondateurs de la physiologie, aux Claude Bernard en France, aux Brücke, aux Helmholtz, aux Ludwig en Allemagne, d'assurer dans leur science le triomphe de la méthode expérimentale. L'Introduction à la médecine expérimentale, publiée en 1864 par Claude Bernard, est l'exposé le plus complet de leurs idées sur la méthode; elle marque la déroute définitive du vitalisme régnant au commencement du XIXe siècle. La force vitale de l'école de Montpellier était plus nuisible aux progrès des connaissances que les fluides des physiciens newtoniens du XVIIIe siècle, parce que ces fluides étaient doués au moins de propriétés fixes, tandis que la spontanéité capricieuse de la force vitale apportait l'indétermination dans les phénomènes biologiques, et parce que le vitalisme, suivant les traces de l'aristotélisme scolastique, substituait à la recherche des causes celles des fins en vue desquelles les phénomènes étaient censés se produire. D'après Claude Bernard, un déterminisme rigoureux règne en physiologie comme en physique ou en chimie; tout phénomène a des conditions d'existence fixes et déterminées, qu'on peut découvrir par l'exploi de l'expérimentation comparative; il ne faut plus parler de l'action indéterminée et variable d'une force spontanée, mais de l'action invariable des lois naturelles, et ces lois ne sont pas des lois de finalité, mais de causalité. Partout où s'étend le domaine de la physiologie, c.-à -d. partout où il est question des phénomènes qui s'accomplissent dans un organisme vivant une fois construit, les savants sont aujourd'hui d'accord pour ne plus avoir recours dans leurs explications à d'autres forces qu'à celles de la physique et de la chimie. Lorsqu'il ne s'agit plus du fonctionnement de l'organisme une fois constitué, qu'étudie la physiologie, mais de la structure des êtres vivants, qu'étudie la morphologie, lorsqu'il s'agit du développement de l'organisme individuel, de l'évolution des espèces, de l'origine de la vie, il est vrai qu'à la fin du XIXe siècle, la théorie physico-chimique de la vie n'est pas encore universellement acceptée par les savants; mais elle n'en a pas moins gagné continuellement du terrain, et ses progrès sont liés avec l'emploi de plus en plus général de la méthode expérimentale. II est vrai par exemple que Claude Bernard, pour expliquer la structure et la formation des organismes individuels, parlait encore d'une «idée directrice», qu'un botaniste comme Reinke parle de « dominantes » et qu'on doit voir là le reste d'un vitalisme très atténué d'ailleurs et où le domaine de la force vitale demeure strictement délimité; mais les expériences de mérotomie ont établi que des cellules coupées en morceaux régénèrent dans certaines conditions leur forme primitive et que cette forme, invariable pour une même espèce de cellules, variable d'une espèce à l'autre, paraît liée à leur composition chimique; dès lors on peut admettre, estiment la plupart des biologistes de cette époque, que la structure des organismes représente la forme d'équilibre propre aux composés chimiques qui les constituent. Il est vrai également que les expériences
de Pasteur sur les fermentations ont prouvé
que dans les fermentations il ne se forme pas d'êtres vivants par voie
de génération spontanée à partir de la matière inorganique; mais la
vie des organismes élémentaires, unicellulaires, n'en a pas moins été
définie avec la même précision que le phénomène de la cristallisation
par exemple, et on a mis en lumière les nombreuses analogies que présentent
le phénomène de la vie et celui de la cristallisation. II est vrai enfin
que sur la formation des espèces vivantes, on ne possède à la fin du
XIXe siècle
(et aujourd'hui encore) que des hypothèses
contradictoires en bien des points les unes avec les autres et que l'emploi
d'expressions vagues comme celle d' «adaptation » semble autoriser un
certain nombre de naturalistes à voir dans le développement des espèces
vivantes l'action de forces internes agissant en vue d'une fin; mais du
moins les naturalistes admettent en général dès cette époque
que les espèces vivantes se sont formées par
évolution et ne constituent pas autant de
types organiques irréductibles et discontinus, autant de fins distinctes
à la réalisation desquelles tendrait la force vitale; et les transformistes,
malgré leurs divergences, qu'ils soient darwiniens ( Le Dantec et la vie C'est à Aristide Le Dantec, qui fut l'un des collaborateurs de Pasteur entre 1888 et 1892, et s'illustrera au début du XXe siècle par ses recherches sur le paludisme, que l'on doit l'exposé le plus systématique et le plus précis de la doctrine qui explique par des causes chimiques tous les phénomènes vitaux. Il distingue la vie et ce qu'il appelle la vie élémentaire; la vie élémentaire pour lui, c'est celle des organismes unicellulaires; la vie proprement dite, c.-à -d. celle des organismes pluricellulaires, est une simple résultante de la vie élémentaire des cellules qui les constituent. Il faut aller du simple au composé et étudier d'abord la vie élémentaire des organismes unicellulaires. Ce qui la définit, et ce qui distingue ces organismes de la matière brute; c'est l'assimilation; quand un corps inanimé, d'une composition déterminée, est le siège de réactions chimiques, sa quantité diminue et il finit par disparaître; au contraire, les réactions chimiques dont un organisme vivant est le siège ont pour effet, quand il se trouve dans un milieu physico-chimique favorable, de maintenir sa composition et d'accroître graduellement son volume; c'est cette propriété qui constitue l'assimilation; elle est nécessaire et suffisante, selon Le Dantec, pour caractériser la vie élémentaire. Quand un corps unicellulaire a atteint une certaine grandeur, il se divise et ses deux moitiés continuent à se développer chacune de son côté, jusqu'au moment où ayant atteint la même grandeur, elles se divisent à leur tour; et ainsi de suite. C'est ce qui constitue la reproduction, la seconde propriété caractéristique des êtres vivants. La forme et la grandeur-limite des corps unicellulaires est liée à leur composition chimique, et par là la morphologie dépend de la physiologie. Les nouveaux organismes qui résultent de la reproduction des cellules primitives ont la même composition chimique et, par suite, prennent la même forme et atteignent la même grandeur; par là s'explique l'hérédité, qui dans les organismes les plus simples est une conséquence nécessaire de l'assimilation. La mort, c'est la destruction de la matière vivante, c.-à -d. sa transformation en matière inorganique, incapable d'assimilation; elle ne paraît résulter pour les organismes unicellulaires, explique Le Dantec, que des transformations physicochimiques du milieu extérieur et non de changements internes; c'est ce qui a permis à Weissmann de dire que les corps unicellulaires sont « virtuellement immortels ». On soupçonne cependant que certains corps unicellulaires au moins, après s'être divisés un certain nombre de fois, cessent de se reproduire, c.-à -d. sont atteints de sénescence; peut-être si on les observait assez longtemps, ajoute-t-on, constaterait-on qu'ils finissent par se détruire, alors même que le milieu où ils sont plongés ne se modifie pas; dans ce cas, la nature même des réactions qui constituent la vie entraînerait déjà la vieillesse et la mort au bout d'un temps plus on moins long chez les êtres unicellulaires. Un corps unicellulaire, explique enfin Le Dantec, peut se conserver plus ou moins longtemps sans être le siège d'aucune réaction chimique et sans se détruire; c'est ce qu'on appelle ordinairement l'état de vie latente; c'est celui de beaucoup de germes. Si maintenant nous passons des corps unicellulaires
à ces agrégats de cellules qui constituent les organismes pluricellulaires,
les vivants supérieurs (métazoaires), plantes Cet ensemble complexe de réactions, résultante nécessaire de la vie élémentaire de chacune des cellules, voilà ce qui constitue la vie des organismes pluricellulaires différenciés, c.-à -d., pour Le Dantec, la vie proprement dite. Les organismes supérieurs, comme les corps unicellulaires, grandissent jusqu'à ce qu'ils aient atteint une certaine dimension et pris une certaine forme extérieure, à laquelle correspond une certaine structure interne et qui est liée avec leur composition chimique. Leur croissance, et c'est ce qui la distingue de celle des êtres unicellulaires, est accompagnée d'une différenciation interne. Comme les organismes inférieurs, ils sont susceptibles, au bout d'un certain temps et pendant une certaine période de leur vie, de se reproduire; ils transmettent par hérédité à leurs descendants la plupart de leurs propriétés physiologiques et morphologiques, bien que le mécanisme de l'hérédité devienne chez eux beaucoup plus complexe et demeure encore très obscur. Enfin, au bout d'un temps plus ou moins long, dont la limite extrême est à peu près déterminée pour chaque espèce, ils vieillissent et meurent, soit que ces propriétés appartiennent déjà aux cellules isolées dont ils sont composés, soit plutôt qu'elles résultent de l'accumulation croissante dans l'organisme de produits de désassimilation, constituant un milieu intérieur de plus en plus défavorable à la continuation de l'assimilation, c.-à -d. de la vie élémentaire des cellules. (René Berthelot).
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