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Les Cétacés et les Humains [Les Cétacés]

Aperçu
Les Anciens confondaient les Baleines, comme tous les Cétacés du reste, avec les Poissons, et c'est Bernard de Jussieu (1750) qui a reconnu le premier leur véritable nature de Mammifères vivipares. Linné lui-même, dans les premières éditions de son Systema naturae (1748-1756), ne les sépare pas des Poissons (sous le nom de Plagiures), et c'est pour la même raison que Buffon n'en parle pas dans son Histoire naturelle des quadrupèdes. Brisson, en 1756, dans son Regnum animale divisé en neuf classes, les rapproche seulement des Quadrupèdes vivipares, et en forme la seconde classe de son système. Enfin Linné, dans sa 12e édit. (1766), les réunit pour la première fois à la classe des Mammifères
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Hall : constellation de la Baleine.
La constellation de la Baleine (Cetus), dans l'Atlas de Sidney Hall (1825).

De tout temps, la capture d'une Baleine a été considérée comme une magnifique aubaine par les riverains des côtes sur lesquelles ils viennent échouer à la suite de quelque tempête. Dans ses Aventures d'un voyageur en Australie (chap. X), Perron d'Arc a décrit avec beaucoup d'humour les saturnales et les festins homériques qui signalèrent la rencontre d'une de ces gigantesques épaves par une tribu d'Aborigènes australiens. En six jours, ce cadavre, déjà à demi putréfié, fut dévoré. Ils ne l'abandonnèrent que lorsqu'il n'en resta plus que les os. A deux mille ans d'intervalle, on peut se figurer des scènes à peu près semblables sur les côtes de l'Océan et de la Manche, en mettant les Celtes à la place des Australiens. 

Il n'y a encore que quelques décennies, les Groenlandais se nourrissaient encore de la chair et même de la graisse et de l'huile des grands Cétacés et utilisaient toutes les parties de la Baleine, y compris ses os. Dès les premiers siècles de notre ère, les Basques, habitants des rivages du golfe de Gascogne, étaient devenus très habiles dans la pêche de la Baleine (Eubalaena glacialis), qu'ils poursuivaient au large, et des indices portent à supposer que quelques-uns de leurs navires ont pu s'aventurer ainsi jusqu'à Terre-Neuve, près de huit siècles avant la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. Cette pêche se pratiqua dans le golfe de Gascogne pendant tout la Moyen âge : on harponnait la Baleine à la manière des baleiniers modernes et on l'achevait à coups de lances, puis on la remorquait vers le rivage pour la dépecer : on mangeait sa chair, et la langue en particulier était considérée comme un mets délicat dont on faisait hommage aux monastères et aux églises. Le lard salé de l'animal était vendu dans une grande partie de l'Ouest de la France et servait particulièrement pendant le carême, étant considéré comme poisson ou viande maigre. 

Les mâchoires inférieures étaient placées, en guise d'ex-voto, de chaque côté de la porte des églises. Les vertèbres servaient de sièges comme on en a trouvé dans les vieilles maisons de Biarritz et comme on en verrait encore en usage en Irlande. Quant aux fanons, il est assez remarquable qu'on en ait fait des aigrettes pour casques de guerre avant de les faire servir à la confection des corsets de dames. En 1202, d'après plusieurs passages de la Philippide de Guillaume le Breton, les casques des chevaliers étaient ornés de panaches en fanons de baleines effilés, considérés comme un objet fort rare. 
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Baleine de saint Brandan.
Une Baleine sur une illustration du XVIe siècle de la Navigation de Saint-Brandan.

La Baleine des Basques était déjà rare sur les côtes françaises au XVIIIe siècle, au point que le souvenir de cette pêche s'était complètement perdu chez les habitants du littoral. La pêche s'était transportée dans les mers du Nord ou l'on poursuivait une autre espèce, la véritable Baleine franche (Balaena mysticetus). A la fin du XIXe siècle, cette dernière espèce est devenue elle-même très rare. La pêche aux grands Cétacés n'est plus pratiquée que par quelques pays. Mais de nouvelles techniques (harpon propulsé par un canon) l'ont relancée. Les premières décennies du XXe siècle seront ainsi catastrophiques pour les grands Cétacés. Dans la seconde moitié du XXe siècle, devant les menaces d'extinction imminente de plusieurs espèces, la chasse à la Baleine a été fortement limitée. Elle se poursuit encore de nos jours sous des prétextes variés. Les populations ont pu commencé à se reconstutuer. Mais leurs situation reste encore précaire.


Jalons

Les cétacés et les chasses d'antan

Dans les paragraphes qui suivent, nous empruntons à A.E. Brehm (ca. 1870) quelques informations sur les modes traditionnels de pêche, comme autant de jalons du  lamentable comportement des Humains à l'égard des Cétacés.

Bélugas. 
D'après Steller, les Kamtschadales disposent à l'embouchure des fleuves de grands filets, faits avec la peau de Béluga (Delphinaptère), et en prennent ainsi un grand nombre chaque année.

Mais la pêche de cet animal en pleine mer n'est guère fructueuse. Il est trop vif, trop agile; il faut faire force de rames pour l'approcher d'assez près, pour pouvoir le harponner; et même si le harpon l'atteint, sa graisse est si molle que le fer s'en détache facilement.

Plusieurs populations tirent profit de ces animaux; les Samoyèdes plantent des crânes de Bélugas sur des pieux, et les offrent à leurs divinités; quant au corps, ils le mangent.

Tous les peuples du Nord trouvent dans la chair et la graisse de cet animal un mets jugés délicieux.

On sèche et l'on tanne la peau du Béluga, et l'on s'en sert pour divers usages. Au Kamtchatka, on en fait des courroies très molles et très solides à la fois. L'huile et la graisse sont excellentes; mais l'animal en a si peu, que la petite pêche même n'y trouve pas son profit.

Dauphins communs.
L'Orque est pour le Dauphin commun un ennemi plus dangereux que l'Humain. Celui-ci ne le poursuit que quand il manque de nourriture fraîche. Cependant, quelquefois des pêcheurs, se réunissant, entourent avec leurs canots, comme le faisaient les anciens Grecs, une bande de Dauphins; ils poussent des cris, les effrayent, et cherchent à les amener vers le rivage où ils s'échouent. Ces animaux, dans leur angoisse, font entendre de profonds soupirs.

Jadis on mangeait la chair et la graisse du Dauphin, surtout pendant le carême. Les Anglais et les Français apprêtaieent cette chair avec, soin, et en faisaient un mets assez goûté. 

Chez les Romains, le Dauphin jouait un rôle en médecine. Son foie passait pour excellent contre les attaques de fièvres intermittentes; avec l'huile de foie de dauphin, on guérissait les ulcères; avec des fumigations de graisse de dauphin, les affections du bas-ventre. On brûlait les Dauphins en entier; on en mélangeait les cendres avec du miel, et on en faisait divers onguents. 

Globicéphales.
Depuis les temps les plus reculés lés habitants des pays du Nord sont adonnés à la pêche du Globicéphale noir, et du profit de cette pêche, dépend toute leur prospérité. Un naturaliste très consciencieux, Graba, a décrit dans un récit à la fois attrayant et précis, la pêche du Dauphin noir aux Feroé.

« Le 2 juillet, raconte-t-il, éclata tout à coup de toutes parts, le mot de grindabud. Une bande de dauphins noirs avait été découverte par un canot; en un instant, tout Thorshavn était en émoi; de toutes les bouches sortait ce cri de grindabud; sur tous ces visages rayonnaient la joie et l'espérance de faire bientôt un bon repas de cette chair. Les gens couraient dans les rues, comme si l'ors avait eu à redouter un débarquement des Sarrasins. Les uns mettaient les canots à la mer, les autres s'armaient de couteaux de baleiniers; là, une femme courait après son mari, lui portant un morceau de viande salée, pour qu'il n'eût pas à souffrir de la faim ; un homme, dans son empressement, tombait de son canot dans la mer. En dix minutes, onze canots ayant huit hommes d'équipage étaient à la mer; les rameurs avaient mis habit bas, et faisaient force d'avirons; les canots glissaient sur l'eau comme des flèches. Nous nous rendînies chez. le gouverneur, dont on préparait le bateau; en attendant, nous montâmes avec lui sur le fort, pour voir où se tenaient les Dauphins. Notre longue-vue nous fit reconnaître deux canots qui les indiquaient. Au même instant, une haute colonne de fumée s'élevait au-dessus du village voisin, et puis un autre, sur une montagne voisine; de tous côtés,, les signaux s'allumaient; tout le fjord était rempli d'embarcations. Nous montâmes le yacht du gouverneur, et bientôt nous eûmes rejoint la pêche. Nous vîmes alors les cétacés, autour desquels les canots de pêche décrivaient un vaste demi-cercle, au nombre de vingt ou trente; espacés d'environ cent pas, ils entouraient les dauphins, et les poussaient vers la baie de Thorshavn. On apercevait environ un quart de ces animaux : tantôt c'était une tête qui apparaissait et lançait en l'air une colonne d'eau, tantôt une nageoire dorsale, tantôt tout le dos d'un dauphin; cherchaient-ils à passer entre les canots, on leur jetait des pierres, des morceaux de plomb attachés à des cordes; se dirigeaient-ils en avant, on les suivait avec une telle rapidité, que les rames s'en brisaient. Là où le moindre désordre se mon trait, là où deux canots s'écartaient trop, le gou-. verneur s'y portait, et son yacht l'aurait emporté en vitesse sur un cheval lancé au galop.

Lorsque les dauphins furent près du port, de façon à ne plus pouvoir s'échapper, nous nous hâtâmes de rentrera la plage était couverte de gens désireux d'assister à ce charmant spectacle du massacre. Nous, nous choisîmes une bonne place, d'où nous pouvions tout voir et de près.

En approchant de terre, les Dauphins devenaient inquiets; ils se serraient les uns contre les autres; ne faisaient plus attention aux coups de pierres et d'avirons. Mais les bateaux avançaient toujours, leur cercle se resserrait, et, pré-, voyant le danger, les malheureuses victimes entraient lentement dans le port. Arrivées dans le Westervaag, elles refusèrent de se laisser ainsi conduire comme un troupeau de moutons, et firent mine de se retourner. C'était l'instant décisif. L'inquiétude, l'espérance, la soif de carnage se peignaient sur tous les traits; un cri sauvage remplit l'air; les canots s'élancèrent vers la bande des dauphins; les larges harpons frappaient ceux de ces animaux qui étaient trop éloignés pour atteindre de leur queue une embarcation et la fracasser. Blessés, les dauphins s'élançaient en avant avec une incroyable rapidité, les autres les suivaient, et bientôt tous étaient échoués sur la plage.

Alors, ce fut chose horrible à voir. Les marins poussaient leurs canots au milieu des Dauphins, les perçant de coups. Les gens qui étaient restés à terre entraient dans l'eau jusqu'aux épaules, enfonçaient dans le corps des animaux blessés des crochets attachés à de longues cordes, puis trois ou quatre hommes les tiraient à terre et leur coupaient le cou. L'animal à l'agonie fouettait l'eau de sa queue; les flots du port étaient rouges de sang; des jets de sang s'élançaient des évents. Comme le soldat qui dans l'ardeur du combat perd tout sentiment humain et devient une véritable bête féroce, la vue du sang rendait les pêcheurs fous et téméraires. Dans un espace de quelques, arpents, se pressaient trente canots, trois cents hommes, quatre-vingts dauphins tués ou vivants encore. Ce n'étaient partout que cris et agitation. Les vêtements, le visage et les mains couverts de sang, les paisibles habitants de ces îles ressemblaient aux cannibales des mers du Sud; chez eux, pas le moindre signe de pitié. Mais un Dauphin, d'un coup de queue, avait assommé un homme et brisé un canot; ils mirent alors un peu plus de prudence dans la poursuite du carnage. Quatre-vingts cadavres couvraient le rivage; pas un n'avait échappé. Quand l'eau est teinte de sang, que les coups de queue des agonisants la troublent, les autres en sont aveuglés, ils errent alors en cercle. Si même l'un s'échappe, il ne tarde pas à revenir près de ses compagnons.

Au grand étonnement de tous les insulaires, la pêche fut heureuse, bien que le pasteur Gad et plusieurs femmes enceintes y assistassent. Ils sont en effet persuadés que les Dauphins s'en retournent, dès qu'ils aperçoivent un pasteur, aussi prie-t-on toujours celui-ci de rester en arrière. Dans leurs croyances, les Dauphins ne peuvent non plus souffrir les femmes enceintes, ce qui porta plusieurs pêcheurs à venir demander au gouverneur de faire retirer celles qui étaient présentes. Mais, malgré pasteur et femmes enceintes, aucun dauphin n'échappa. D'ordinaire, on en laisse un s'enfuir, afin qu'il en ramène d'autres.

Il arrive souvent que les Dauphins ne se laissent pas ainsi chasser, surtout lorsqu'ils sont très-nombreux. Les pierres qu'on leur jette sont impuissantes à les faire retourner; ils passent sous les canots, et font prendre aux pêcheurs des peines souvent inutiles. D'autres fois, grâce à l'imprudence et à l'ardeur des poursuivants, ils parviennent encore à échapper, même quand ils sont poussés dans une baie. Quand ceux-ci commencent l'attaque trop tôt, de façon à ce qu'un premier élan ne fasse pas échouer les dauphins, ceux-ci regagnent la pleine mer et ne se laissent plus chasser au rivage; ou bien, lorsque les dauphins n'ont pas la tête tournée vers la plage, ceux qui sont blessés s'enfuient vers la pleine mer, et les autres les y suivent. Si la nuit tombe avant la fin de la pêche, les canots forment un demi-cercle à l'entrée de la baie, et l'on y allume des feux. Les dauphins, croyant que c'est la lune, se dirigent de ce côté, et restent tranquilles jusqu'au matin, où le carnage reprend son cours.

Parfois ils échappent, parce que l'on n'était pas prêt pour la pêche ; aussi, maintenant, le gouverneur et les syndics passent-ils chaque année, au mois de juin, l'inspection des canots, et l'on punit ceux qui n'ont pas les leurs en bon état.

Après une heure de repos, on réunit les cadavres, on les estime, et on leur grave sur la peau leur valeur en chiffres romains. La répartition en est faite proportionnellement à l'étendue de terre que chacun possède, comme cela se passait dans les temps reculés. Après avoir mesuré et estimé chaque dauphin, on prélève la dîme, le findlingswal, ou dauphin de découverte, le madwal, ou dauphin à manger, le schadenwal, ou dauphin des dégâts, la solde des gardes, les frais à partager et la part des pauvres.

La dîme se divise en trois parties, qui reviennent l'une à l'église, l'autre au pasteur, la troisième au roi ou à son représentant. Le findlingswal appartient au canot qui a découvert les Dauphins; sa valeur est variable; la tête revient à celui des matelots qui a le premier aperçu les animaux. Le madwal, ou dauphin à manger, est un petit Dauphin, qui fait immédiatement les frais du repas des assistants. Le schadenwal, ou dauphin des dégâts, est vendu, et le prix de cette vente sert à payer les avaries qui se sont produites pendant la chasse. La solde des gardes sert à payer les gens qui ont veillé pendant la nuit et qui ont gardé les dauphins jusqu'à la distribution. Le reste est divisé en deux parts, revenant l'une aux gens de la paroisse sur le terrain de laquelle la pêche s'est faite, l'autre aux habitants du pays. Chaque village a un certain nombre de canots, et chaque canot. a son équipage. Le butin est divisé par canots. Dès que le cri de grindabud a retenti, on dépêche des messagers à tous les villares qui ont droit à la distribution. Ceux-ci doivent envoyer leurs canots, et s'ils ne sont pas arrivés vingt-quatre ou quarante-huit heures au plus après la répartition, on vend leur part à l'enchère, et l'argent qui en résulte est versé dans la caisse des pauvres. La raison en est que les Dauphins se décomposent en deux jours, deviennent rances et immangeables.

La répartition faite, on dépèce les animaux. On commence par leur enlever les nageoires, puis on coupe le corps par le milieu. On détache la graisse en lanières d'environ un pied et demi de large, puis on divise la chair en morceaux de  quarante à cinquante livres; on enlève le foie, le coeur, les reins, les parties les plus délicates au goût des insulaires.

Cet animal est pour ce pays d'une très grande utilité. En moyenne, un Dauphin fournit de l'huile. On mange la graisse et la chair, fraîches ou salées et séchées. Plus la chair est fraîche, meilleure elle est. J'en ai mangé avec plaisir; elle a à peu près le goût de la viande de boeuf. La graisse m'a paru très désagréable. Quand les habitants des Feroé ont mangé pendant quinze jours de la chair fraîche de Dauphin, leur visage, leurs mains, leurs che veux sont luisants de graisse. Après quarante-huit heures, on ne peut manger cette viande; elle provoque des vomissements.

De la peau des nageoires, on fait des courroies pour les rames. Avec l'estomac, on confectionne des outres pour conserver l'huile. Le squelette sert à divers usages. Quant aux intestins (la seule partie de l'animal qui ne soit pas employée), on les charge sur des canots et on les jette à la mer, pour qu'ils ne se putréfient pas sur le rivage. »

Marsouins.
On a poursuivi activement le Marsouin et parce qu'il nuit aux pêches, et parce que sa chair et sa graisse sont d'un bon rapport. A l'époque de l'arrivée des bancs de Harengs, qu'il poursuit avec ardeur, on place dans les fleuves des filets forts, à grandes mailles, que les Harengs traversent, mais où les Marsouins ne peuvent passer.

Les Islandais, disposent leurs filets à l'époque du rut, époque durant laquelle le Marsouin est tellement surexcité, qu'il en devient aveugle, disent les gens. A certains endroits, on les tire à balle, plus pour faire preuve d'adresse, que pour s'en emparer facilement.
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Marsouins en captivité

A l'époque de Brehm, le Marsouin est le seul Cétacé que l'on ait tenu en captivité. On a raconté à cet auteur qu'un Américain a eu la chance d'en garder un en vie pendant longtemps.

Au Jardin zoologique de Londres, on a essayé plusieurs fois d'élever des Marsouins et d'autres Dauphins; mais, jusque là, on n'a obtenu aucun résultat satisfaisant. Il en a été de même d'un individu, à propos duquel le naturaliste donne les indications suivantes :

"Cet animal nous fut amené au mois d'août par un pêcheur qui l'avait pris la veille au soir, et lui avait fait passer la nuit dans un vivier. Il paraissait bien portant, très vif, et j'espérais pouvoir le garder au moins quelques jours. Nous le plaçâmes dans un fossé profond: il se mit à y nager avec rapidité. La surface du fossé étant recouverte de lentilles d'eau qui le gênaient quand il venait pour respirer, je crus nécessaire de le mettre dans le grand étang du jardin, qui lui offrait assez d'espace.

Il y nagea dans toutes les directions; et au bout d'une heure, il parut être parfaitement habitué à sa nouvelle demeure. Il se montrait à intervalles réguliers pour respirer, tantôt ici, tantôt là : je ne puis dire s'il poursuivait les poissons qui étaient dans l'étang; il semblait cependant faire une chasse quelconque. Il ne s'inquiétait nullement des oiseaux aquatiques; ceux-ci, par contre, paraissaient s'en méfier. Sur tous les points par où ce nouvel hôte sortait de l'eau, c'était une agitation considérable. Les cygnes levaient leur long cou, regardaient inquiets et stupéfaits; les oies et les canards se réfugiaient à terre, d'où ils suivaient de l'oeil les mouvements de l'animal. Il en fut ainsi toute la journée.

Le Marsouin nageait tranquillement, évitant les bas-fonds, et se tenant de préférence au milieu de l'étang. Il arrivait régulièrement à la surface, et lançait en l'air son jet d'eau. Il ne nous était possible de l'observer qu'un instant, l'eau étant trop trouble, et nous empêchant de le voir dans la profondeur. Malheureusement nous ne pûmes faire de longues observations sur notre Marsouin : le lendemain, il était mort.

Cette fin si prompte est toujours restée une énigme pour moi. Je n'ai pas de raisons pour croire que l'eau douce soit aussi rapidement mortelle pour un animal marin. Je ne puis admettre non plus qu'un animal de la taille du Marsouin puisse mourir de faim en vingt-quatre heures, et nous ne pouvons cependant invoquer d'autre cause : notre captif n'avait aucune blessure.

Le Marsouin semble donc, comme la taupe, avoir besoin pour vivre de satisfaire toute sa voracité.

On ignore quel âge peut atteindre un Marsouin. On sait seulement qu'à l'agonie, il pousse des cris de douleur, et que, comme bien d'autres Cétacés, il verse des pleurs.

Dès qu'il est mort, son cadavre arrive à la surface de l'eau, aussi la chasse à la carabine n'est pas sans succès."

Autrefois, sa chair était très estimée. Les Anciens Romains savaient parfaitement en préparer d'excellentes saucisses; plus tard, on servait des Marsouins, surtout en Angleterre, à la table des rois et des seigneurs. Plus tard, la chair du Marsouin resta un mets délicieux pour les pauvres habitants des côtes, et pour les marins privés depuis longtemps de toute, viande fraîche. La chair des vieux Marsouins est noire, dure, filamenteuse, grasse et huileuse, par conséquent très indigeste; celle des jeunes est très délicate et très bonne; salée et fumée, elle paraît excellente aux habitants peu gâtés des pays du Nord.

L'huile ressemble à celle de la Baleine, mais elle est plus fine; aussi est-elle plus estimée. Les Groenlandais s'en servent pour graisser leurs aliments.

La peau, quand elle est tannée, donne un bon cuir.

Cachalots.
Depuis longtemps les baleiniers poursuivent le Cachalot; mais ce n'est que depuis la fin du XVIIe siècle que cet animal est devenu l'objet d'une pêche régulière. En 1677, les Américains armèrent des navires pour cette pêche; les Anglais ne suivirent leur exemple que cent ans plus tard. Depuis le commencement du XIXe siècle, la mer du Sud est l'endroit le plus fréquenté par les pêcheurs, presque tous Anglais ou Américains du Nord. De 1820 à 1830, les baleiniers anglais recueillirent 45,933 tonnes de spermaceti, soit en moyenne 4600 par an. En 1831 et 1831, la quantité monta à 7605 et 7165 tonnes. Par la suite, elle a diminué, car les frais d'armement étaient trop élevés, et le succès de cette pêche trop incertain.

La pêche du Cachalot est bien plus dangereuse que celle de la Baleine. Il est rare que celle-ci tienne tête à ses ennemis; celui-là, au contraire, quand il est attaqué, non seulement se défend, mais encore s'élance courageusement sur ses agresseurs, faisant arme de sa queue vigoureuse et de sa terrible denture. L'histoire rapporte plusieurs sinistres causés par les cachalots.

En 1820, des matelots de l'Essex, qui avaient blessé un de ces animaux, durent gagner leur navire, car l'animal, d'un coup de queue, avait avarié leur canot. Tandis qu'on cherchait à le radouber, un autre cachalot apparut à peu de distance du navire, le considéra pendant environ une demi-minute, et s'enfonça dans les flots. Un instant après, il reparut à la surface, s'élança contre le bâtiment, le frappa d'un tel coup de tête, que les matelots crurent avoir touché à un récif. L'animal furieux se dégagea, se retourna, et fit une seconde attaque, enfonça la proue et fit sombrer le navire : une partie de l'équipage fut seule sauvée. Cet épisode dramatique semble avoir inspiré Herman Melville pour son roman Moby Dick (1851). 
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Un ancêtre de Moby Dick (Olaus Magnus, ca. 1555).

Un autre bâtiment américain, l'Alexander, fut de même coulé bas par un Cachalot; un troisième, la barque Cook, ne dut son salut qu'à un coup de canon bien pointé. Quatre mois après le naufrage de l'Alexander, l'équipage de la Rebecca captura un énorme cachalot, qui se laissa prendre sans résistance. On trouva dans son corps deux harpons, avec le nom Alexander; sa tête était fortement blessée, et dans ses plaies horribles étaient enfoncés de grands morceaux de planches de navire.

On cite même des Cachalots qui ont attaqué des navires sans cause aucune. Un bâtiment anglais chargé de fruits, le Waterloo, fut ainsi coulé bas par un Cachalot dans la mer du Nord. Il serait difficile d'énumérer tous les navires dont ces animaux ont causé la perte.

A l'époque, les bénéfices que peut produire la pêche du Cachalot sont balancés par les dangers qu'offre cette pêche, et cependant ces bénéfices sont loin d'être petits. La graisse fournit une huile excellente; le spermaceti et l'ambre gris sont deux produits d'un très grand prix. 

A l'état frais, le spermaceti est liquide, transparent, presque incolore; il se fige à une température basse et prend une couleur blanche. Plus il est purifié, plus il devient blanc et sec, et finit par se convertir en une substance farineuse au toucher, et formée de petites écailles nacrées. On l'emploie alors en médecine; et l'on en fait des bougies très estimées.

L'ambre gris, qui a été le sujet de bien des fables depuis les temps les plus reculés, a bien plus de valeur encore. C'est un corps léger, ressemblant à de la cire, de couleur variable, gras au toucher et d'une odeur très agréable. Il se ramollit à la chaleur, se transforme en un liquide huileux dans l'eau bouillante, et se volatilise à une haute température. On l'emploie surtout en fumigations. Il entre dans la composition de diverses huiles et de plusieurs savons parfumés. Les anciens Romains et les Arabes le connaissaient déjà et l'estimaient; les Grecs l'employaient en médecine comme un calmant et un antispasmodique; au XVIIIe siècle, on le trouvait dans toutes les pharmacies. Il garde encore au siècle suivant une très grande valeur.

L'origine de l'ambre gris a été longtemps inconnue. Les Grecs regardaient cette substance, et avec raison, comme le produit d'excrétion d'un animal; plus tard, d'autres opinions prévalurent. Tantôt, on le considérait comme excrément d'un oiseau fabuleux, qui ne se nourrissait que de plantes aromatiques; tantôt comme une plante marine analogue à l'éponge; d'autres fois comme une résine, ou comme une concrétion de l'écume de la mer. Enfin, en 1724, Boylston en reconnut par hasard la  nature. Il fut admis que cette substance est une sorte de calcul intestinal rejeté par le Cachalot. Guibourt a fait voir que l'ambre prenait son odeur agréable en s'oxydant au contact de l'air. 

L'on pêche l'ambre gris, plus encore qu'on ne le trouve dans le corps des Cachalots. On raconte que des pêcheurs heureux ont trouvé dans de grands Cachalots des morceaux de cette substance du poids de 25 kilogrammes, et l'on croyait autrefois que dans le liquide huileux de la vessie nageaient dès morceaux pesant de 65 à 75 kilogrammes. Il n'est pas douteux que l'on a rencontré des masses d'ambre gris, du poids de 90 kilogrammes, ayant plus de 1,60 m de long et de 66 cm de diamètre; mais ces masses résultaient probablement de la fusion de plusieurs morceaux que les vagues avaient poussés les uns contre les autres et qui s'étaient accolés, par suite d'une fusion produite par la chaleur solaire.

« En brisant de bons échantillons d'ambre gris, dit S. Piesse, j'ai invariablement trouvé des becs dans un état parfait de conservation, qui semblent ou avoir échappé à la digestion, ou ne pouvoir être digérés et qui sont ainsi évacués avec de la matière biliaire. »
Les dents du Cachalot trouvent aussi leur emploi dans les arts : elles sont dures, lourdes, faciles à polir et à travailler, et elles auraient la valeur de l'ivoire, si elles en avaient la belle couleur.
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Hiroshige : Chasse à la Baleine au Japon.
Chasse à la Baleine au Japon, par Utagawa Hiroshige.

Historique de la pêche à la baleine

Il est à peu près avéré aujourd'hui que ce sont les riverains du golfe de Gascogne, tant en France qu'en Espagne qui, les premiers, ont élevé la pêche de la Baleine à la hauteur d'une grande industrie. On peut voir encore sur ces côtes les ruines des tours de garde où l'on faisait le guet pour signaler les nombreuses baleines qui, chaque année, visitaient ces parages et les débris des établissements où le lard était fondu. Au XIIe et au XIIIe siècle, des documents officiels, des règlements royaux parlent de la pêche de la baleine comme d'une industrie déjà très ancienne ; la plupart des villes du littoral basque : Fontarabie, Guétary, Motrico, etc. montrent des Baleines ou des ustensiles de pêche dans leurs armoiries. En France, certains couvents prélevaient une partie des animaux tués, généralement les langues qui, salées, fournissaient des provisions pour le carême.

Les Basques, qui furent probablement les premiers à se servir du harpon, ne se contentèrent bientôt plus de chasser les Baleines sur leurs côtes et se lancèrent à leur poursuite dans la Manche et dans la mer du Nord. Leur exemple fut suivi par les riverains de ces mers et les ports de Normandie et des Flandres firent des armements. À la fin du XIVe siècle, ils se lançaient en plein océan Atlantique, jusque vers les parages où cent ans plus tard Cabot découvrait Terre-Neuve. A la fin du XVIe siècle (1578), il y avait dans ces parages 300 navires français, espagnols, portugais et anglais. C'est vers cette époque que commença également l'exploitation des mers polaires dans lesquelles des navigateurs hollandais , à la recherche d'un passage dans l'Inde par le Nord de l'Europe, avaient signalé de nombreuses Baleines. 

La découverte et la prise de possession du Spitzberg (Svalbard) par les Hollandais en fut la conséquence, mais les Anglais leur disputèrent cette terre et en 1617 une entente eut lieu entre les diverses nations prenant part à la pêche; on se partagea les baies du Spitzberg, les Hollandais prirent le Nord, les Anglais le Sud; le reste de l'île fut réparti entre les armateurs du Danemark, de Brême, de Hambourg et les Basques. Au XVIIe siècle, la Hollande, qui primait les autres nations, y envoyait chaque année environ 400 navires avec 20,000 matelots. Vers la même époque eut lieu l'exploitation de la baie de Baffin. 

La pêche du Nord se continua sur une grande échelle jusqu'aux premières années de notre siècle. Les Hollandais virent disparaître leur flotte baleinière avec les grandes guerres de la fin du XVIIIe siècle; les Anglais, bien qu'encouragés par les fortes primes que payait leur gouvernement, ne continuèrent à exploiter les mers du Nord que très timidement. A la fin du XIXe siècle, nous apprend H. Jouan, les ports du Nord de la Grande-Bretagne et quelques ports de Norvège et du Danemark continuent seuls à armer pour le Nord, mais ces armements se réduisent de plus en plus. On ne comptait que 13 navires anglais, chaque année, presque tous à vapeur, employés au Groenland, et la pêche de la baleine n'était guère plus qu'un accessoire de la chasse aux Phoques.

Tandis que les nations de l'Europe pêchaient dans le Nord, les colons de la Nouvelle-Angleterre se mirent de bonne heure à chasser les baleines communes dans leurs parages et, vers l'an 1700, ils se lancèrent dans l'Atlantique à la poursuite des Baleines franches et des Cachalots, qui avaient été signalés en grand nombre dans l'Atlantique Sud. De 1770 à 1775, les ports du Massachusetts comptaient à eux seuls 304 navires disséminés dans toute l'étendue de l'Atlantique. Cette industrie était tout à fait tombée en France où elle avait pris naissance, et des essais faits en 1749 et en 1755 par des armateurs de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, étaient restés sans résultat quand, en 1784, Louis XVI fit armer pour son propre compte, à Dunkerque, six navires qui furent montés en grande partie par des marins de Nantucket et amenés en France à grands frais. 
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Chasse à la Baleine.
Les derniers instants d'une Baleine.

Cet exemple fut suivi et, en 1790, les Français avaient quarante baleiniers à la mer; ils pouvait augurer favorablement de l'avenir de cette industrie lorsque la guerre vint l'étouffer en germe et détruire leur petite flotte baleinière. Jusqu'à la Restauration, il n'en fut plus question. A cette époque un ancien baleinier américain vint se fixer au Havre : il arma pour la pêche et fut imité par les négociants français encouragés par de fortes primes, graduées suivant qu'il s'agissait de pêcher la Baleine franche ou le Cachalot, que la pêche avait lieu dans l'Atlantique ou au delà des caps; mais, malgré les avantages faits par le gouvernement, le nombre des baleiniers français ne dépassa jamais 40 ou 50, et ces chiffres ne furent atteints qu'à l'époque de la pêche du Banc du Breuil, c.-à-d. dans l'Atlantique austral où les chargements se faisaient promptement et où les voyages étaient courts. Dans la dernière décennie du XIXe s., la France ne possédait plus un seul baleinier.

En revanche, les baleiniers sortis des ports de l'Amérique du Nord devenaient de jour en jour plus nombreux; les guerres maritimes de la fin du XVIIIe siècle et des quinze premières années du XIXe, en les débarrassant des concurrents, ne firent qu'accroître cette supériorité et leurs pêcheurs, après avoir exploité l'océan Atlantique Sud, doublèrent, les uns, le cap de Bonne-Espérance et pêchèrent dans la partie australe de l'océan Indien; les autres le cap Horn, exploitant le Sud du Pacifique, depuis le Chili jusqu'à la Nouvelle-Zélande. Les armements des Américains servirent alors de types et leur vocabulaire fut adopté presque entièrement par les autres nations. Les Anglais venaient immédiatement après eux; mais, malgré les primes et d'autres avantages, ils ne purent soutenir la concurrence américaine qui n'avait pourtant pas les mêmes auxilliaires. La flotte baleinière anglaise qui, en 1821, comptait 323 navires, n'en avait plus, en 1844, que 85 à opposer aux 650 possédés par les Américains. L'industrie faisait vivre 70,000 individus. 

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les choses ont bien changé, la rareté des Cétacés a amené la réduction des armements; néanmoins, un certain nombre d'armateurs luttaient encore: ils ne voulaient pas céder devant la fatalité des faits accomplis.

La pêche à la fin du XIXe siècle.
L'équipage d'un baleinier comprend environ trente à quarante hommes, suivant le nombre d'embarcations qu'il peut mettre à la mer; l'armement de chacune d'elles comportant six individus. Dès qu'une Baleine est signalée, tout le monde est en mouvement sur le pont; le cap du navire est tourné dans la direction où elle a été signalée, l'apparence des souffles  fait bien vite reconnaître à quelle espèce de cétacés on a affaire. Quand le navire est arrivé à un mille et demi de l'objet de sa poursuite, il s'arrête et met en panne, les pirogues amenées par leurs équipes désignées à l'avance quittent le bord en luttant de vitesse; c'est à qui aura l'honneur de piquer le premier. En approchant on ralentit la vitesse pour ne pas effrayer la Baleine. La pirogue la première arrivée s'avance seule doucement, les autres restant stationnaires, prêtes à lui venir en aide. Le harponneur, placé à l'avant, abandonne son aviron et se tient debout, le harpon en main, prêt à frapper. La pirogue n'est plus qu'à deux ou trois brasses de la Baleine: Pique! s'écrie l'officier qui gouverne. Le premier harpon est lancé; le cétacé a souvent un mouvement de surprise qui permet de le harponner une seconde fois. Puis, sous le coup de la douleur que lui causent ses blessures, il s'enfuit en sondant, entraînant la pirogue et la ligne; le frottement que celle-ci exerce sur le logger-head et sur la cannelure de l'étrave est tel que le feu y prendrait si l'on n'avait le soin de jeter constamment de l'eau dessus. Les autres pirogues suivent, à force de rames et s'amarrent à la première pour augmenter encore la résistance; il arrive souvent que, malgré cela, la baleine sondant toujours, les 200 brasses de la ligne ne suffisent pas et qu'il faille ajouter les lignes des autres embarcations.
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Chasse à la Baleine près des côtes de la Norvège.
Chasse à la Baleine près des côtes de la Norvège (fin du XIXe siècle).

Après avoir piqué le harponneur change de place avec l'officier auquel revient le soin de tuer la Baleine. Aussitôt qu'elle revient sur l'eau pour respirer, ce dont on s'aperçoit au mou que prend la ligne, on se hàle sur celle-ci de manière à se rapprocher de l'animal pour lui jeter une lance autant que possible un peu en arrière d'une des pectorales. Il peut arriver qu'un seul coup de lance suffise pour tuer la Baleine, mais c'est bien rare, elle s'enfuit de nouveau et il faut recommencer plutôt dix fois qu'une. 
Quelquefois, avec un louchet adroitement lancé, on parvient à couper les tendons qui relient la caudale à la queue, ce qui paralyse les moyens de propulsion du Cétacé; mais ce procédé est dangereux, car d'un soubresaut l'animal peut se débarrasser du louchet qui peut aller frapper la pirogue, blesser et même tuer des hommes. Enfin, harassée par la douleur, par le poids de la ligne qui lui semble de plus en plus lourd à mesure que ses forces diminuent, la malheureuse bête respire avec précipitation; son souffle monte à une grande hauteur et est bientôt remplacé par deux colonnes de sang qui rougissent la mer, la pirogue et les pêcheurs. Les marins disent alors que la Baleine fleurit. Son agonie dure quelquefois plus d'une heure, dans des convulsions terribles et redoutables; enfin, elle lève une de ses pectorales en l'air, se renverse sur le dos, le ventre à fleur d'eau : elle est morte.

Il arrive fréquemment que les choses ne se passent pas aussi simplement que nous venons de le raconter, aussi bien avec les cachalots qu'avec les baleines. Ainsi, il arrive qu'au moment de piquer, le Cétacé, effrayé, plonge; ou bien le harpon n'a pas pénétré assez profondément, l'animal s'en débarrasse et s'enfuit; c'est une pirogue brisée d'un coup d'aileron pendant que les autres repêchent les hommes, le gibier s'en va. C'est la ligne qui s'est embrouillée en filant et qu'il faut couper sous peine de voir la pirogue sombrer la baleine est perdue. Quelquefois, au moment ou, morte, elle se renverse le ventre en l'air, les cris de triomphe se changent en imprécations de rage : elle coule à fond, soit parce qu'elle est trop maigre, soit encore parce que, - ce qui peut arriver quand elle a été tuée du premier coup de lance, sans avoir rendu de sang par sa blessure et ses évents, - elle aura été étouffée par un épanchement intérieur qui empêche l'air de remplir ses poumons et la rend spécifiquement plus lourde que l'eau. Toutes les embarcations remorquent la baleine morte vers le navire qui s'est rapproché du théâtre de la lutte. On la maintient le long du bord, la tête dirigée vers l'arrière, au moyen d'une chaîne passée autour de la queue et on procède au dépècement, à la fonte.

Les périls que courent les pêcheurs, en s'approchant de la baleine assez près pour la harponner et la tuer à coups de lance, ont de bonne heure inspiré l'idée de chercher les moyens de l'atteindre de loin. Déjà, du temps des Basques. on avait pensé à se servir de balistes pour jeter le harpon; plus tard, on essaya des petits canons, mais on ne tarda pas à renoncer à ces appareils, qui n'avaient qu'un tir très incertain à cause des mouvements saccadés que la mer leur imprime toujours. Les dangers pour amarrer la baleine sont bien moindres que ceux auxquels on s'expose pour lui donner le coup de la mort, au milieu des convulsions de son agonie; de là l'invention et l'application des bombes lancées pour remplacer la lance. Ces engins se composent d'un tube en fonte de fer aigu, rempli de poudre, terminé par un bout en pointe aiguë, portant une mèche à l'autre bout et projeté au moyen d'un fusil de fort calibre. Ce tube est quelquefois muni de bandes de caoutchouc qui, au moment où il sort du fusil, se développent comme les plumes d'une flèche et dirigent le projectile dans sa trajectoire en l'empêchant de culbuter. Ce dernier a un effet utile à 15 ou 20 brasses de distance et, s'il éclate dans une partie vitale, le cétacé peut être tué du premier coup. Ce procédé ne fut pas adopté immédiatement, il en coûtait aux baleiniers de renoncer, non seulement à d'anciennes habitudes, mais encore à leur importance professionnelle. 

Par la suite, deux nouveaux systèmes ont été en présence; l'une a été soumis, dans les années 1880, par le Dr Thiercelin, à l'Académie des sciences. Il consiste dans l'emploi de la bombe-lance ordinaire, dans l'intérieur de laquelle il loge une cartouche renfermant de 35 à 40 grammes d'une poudre fine qui provient du mélange d'un sel de strychnine avec un vingtième de curare et paraît conserver indéfiniment ses propriétés toxiques. L'effet de cette poudre répandue sur la surface saignante de la plaie déterminée par l'explosion de la bombe, est d'abord de paralyser, pour ainsi dire, les mouvements de l'animal, puis de le faire mourir : le tout dure de 10 à 15 minutes. Mais Thiercelin s'est heurté à une répugnance invincible des pêcheurs de se servir de cet engin, effrayés qu'ils étaient à l'idée de dépecer des baleines mortes par le poison.

L'autre système a été mis en pratique par un riche armateur un armateur de Tonsberg, Svend Foyn, propriétaire de la pêcherie de Vadsö, dans le Varenger Fjord, sur la côte du Finmark (Norvège). Foyn avait trois bateaux à vapeur à hélice, longs de 20 mètres, portant à l'avant un canon pivotant dans tous les sens. On tuait ordinairement la baleine à 30 m. Le projectile de ce canon se compose d'un fer de lance sur lequel sont vissés un obus et un harpon à quatre branches. Dès qu'une Baleine est à portée, on tire à plein corps. Grâce au fer de lance, l'obus entre facilement, suivi du harpon. A ce moment l'animal blessé cherche à fuir; les branches du harpon, en se détachant, font agir un marteau qui frappe la capsule de fulminate de mercure et l'obus éclate; la baleine est tuée du coup. Elle coule ordinairement, mais le harpon a assez de tenue pour qu'on puisse la ramener à la surface au moyen de la ligne. Ce procédé a facilité la chasse aux   Balénoptères que les pêcheurs avaient toujours dédaignés à cause du rendement inférieur de leur huile et de la taille de leurs fanons, et plus particulièrement le grand Balénoptère du Nord, dont cet établissement capturait en moyenne une centaine d'individus chaque année et dont toutes les parties étaient utilisées, le dépècement se faisant à terre comme chez les anciens Basques.  (L.-FI. Pharaon).

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