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L'Antarctique
Découvertes et explorations
Aperçu L'hypothèse 
du continent austral
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de découverte
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au XXe siècle
L'hypothèse du continent austral

L'Antiquité et le Moyen âge.
Les Grecs et les Romains. - L'hypothèse d'un continent austral  est apparue dans la cosmographie grecque à peu près en même temps que celle de la rotondité de la Terre mise en avant par les Pythagoriciens (vers 500 av. J.-C). Ceux-ci sont également à l'origine de la division de notre globe en zones géographiques, disposées symétriquement dans l'hémisphère Nord et dans l'hémisphère Sud. Ils distinguaient cinq zones parallèles, définissant (ou définie par) un climat : au Nord comme au Sud devaient exister une zone froide et inhabitée délimitée par le cercle polaire, au latitudes moyennes se plaçait une zone tempérée, et entre chacune des zones tempérées; située entre les deux tropiques, se plaçait la zone équatoriale, torride et pour cette raison inhabitable. Il semble que Parménide, vers la même époque, ait complété ce schéma en y ajoutant divers continents, attachés à chacune de ces zones, et surtout imaginé de placer un océan au centre de la zone équatoriale. Cet océan peut-il être franchi? Non, affirme Parménide, mais les réponses que l'on fera par la suite seront diverses. De même que la réponse à la question de savoir si des continents existent au-delà de cet océan.

Pythéas, qui, vers 330, voyage à des latitudes élevées témoigne du climat qui effectivement y règne, et si le froid dont il parle semble une pure exagération à la plupart de ses contemporains, la logique des zones climatiques, elle, s'enracine, comme celle qui lui semble alors inhérente d'une zone torride à l'équateur, opposée dans toutes ses qualités à la zone froide du nord, et tout aussi inhabitable et infranchissable qu'elle. Aristote impose cette conception de toute son autorité, ainsi que celle d'un continent austral nécessaire selon lui pour équilibrer la masse des terres de l'hémisphère Nord. Grâce à la théorie des zones, et aux perfectionnements successifs qu'ils lui auront apporté, les Grecs peuvent ainsi opposer à l'Arctique (Arktos = Ours, par référence à la constellation de la Grande Ourse qui indique la direction du Nord), un Antarctique dont l'idée est cependant encore très éloignée de celle que l'on s'en fait aujourd'hui. Lorsqu'ils évoquaient un continent austral, c'était bien moins à un continent antarctique qu'ils songeaient, qu'à cette zone tempérée symétrique de celle habitée par les humains, que, déjà au temps d'Homère et de la Terre plate, l'on appelait l'Oekoumène. Et la principale question qui maintenant allait s'ajouter aux précédentes était de savoir si cet Oekoumène pouvait être étendu à l'autre hémisphère, autrement dit de savoir s'il existait non seulement des continents, mais aussi des peuples antipodes

Pour certains, comme Platon (vers 400 av. J.-C), l'existence d'humanités inconnues était tout à fait recevable (Phédon). Platon qui, d'ailleurs, en plus de reprendre l'hypothèse d'un continent austral, réinvente le mythe des antipodes de l'Ouest, avec cette Atlantide (Timée, Critias), héritière directe des conceptions mythologiques (la Mythologie grecque), plaçant à l'ouest le pays des Morts (Les Champs Élysées, l'île des Bienheureux...). Un siècle plus tard, Hipparque, qui revient à une géographie plus... terre à terre, renonce à l'infranchissabilité d'un océan équatorial, imagine plutôt une sorte de "pangée", un continent unique immense, percé de deux mers fermées, l'océan Atlantique et l'Océan Indien. Un idée qui sera encore, au IIe siècle après J.-C; celle de Ptolémée, et qui sonne comme l'acceptation implicite de l'habitabilité et de l'accessibilité de la totalité de la Terre. 

Entre-temps, d'autres, seront revenus au schéma pythagoricien ou auront tenté d'audacieuses synthèses. C'est le cas de  Cratès de Mallos (IIe siècle av. J.-C.), commentateur d'Homère. Il perfectionne la théorie des zones et complique le schéma de Parménide sur la répartition des continents et des océans, en y introduisant à son tour les antipodes de l'Ouest. Dans le monde de Cratès, il y a ainsi quatre masses continentales : deux au Sud, et deux oekoumènes au Nord. Le monde connu occupe le quadrant nord-est. Il est séparé des continents austraux par l'océan équatorial, et des continents occidentaux par l'Atlantique. Une vision assez étonnante, même s'il convient de remarquer aussitôt que ces antipodes de l'Ouest tels qu'ils sont pensés à l'époque - et pour très longtemps encore - sont aussi éloignés de l'Amérique que les antipodes du Sud le sont de l'Antarctide. 

Chez les Romains, Pomponius Mela au IIe siècle de notre ère, pour sa part épure les hypothèses de ses aînés et tente de les accorder au mieux avec les faits concrets. Ainsi imagine-t-il que l'île de Trapobane (c'est-à-dire Sri-Lanka) correspond en fait à la pointe septentrionale du continent austral. Virgile (les Géorgiques), Pline (l'Histoire Naturelle), Lucain (la Pharsale), Manilius (les Astronomiques) adoptent eux aussi l'idée des Antipodes, mais croient en même temps à l'infranchissabilité de la zone torride (d'ailleurs peuplée selon toute vraisemblance de toutes sortes de monstres qui aurait prémuni contre la tentation éventuelle d'aller vérifier), et donc de ne jamais pouvoir obtenir de réponse. Un point de vue qui arrangera les penseurs médiévaux...

Le Moyen âge. - Lorsqu'on aborde les conceptions cosmographiques du Moyen âge, il est nécessaire de distinguer entre la situation qui prévaut entre le Ve et le Xe siècle (haut Moyen âge), et celle que l'on aura après le Xe siècle. Pendant le haut Moyen âge, les Pères de l'Église, avec Lactance et Augustin à leur tête, étalent simplement l'Oekoumène sur une Terre plate, conformément à leur interprétation de la Bible. Isidore, l'évêque de Séville, fait partie pendant cette première période, des rares à chercher encore à sauver l'héritage de l'Antiquité et, adepte d'une Terre sphérique, se prononce pour l'existence d'un possible continent austral. D'autres encore maintiennent vivante la conception de la Terre sphérique et, avec elle, la question des antipodes. On la trouve en particulier dans un commentaire de Macrobe (399-422) sur le Songe de Scipion (épisode la République de Cicéron), que l'on ne cessera de lire et de relire pendant toute cette période. On y retrouve, tout empreinte ici du néoplatonisme de l'Antiquité tardive, la conception de la Terre divisée en cinq zones et où un grand continent occupe presque tout l'hémisphère austral. A partir du IXe siècle circuleront même des cartes construites selon ce schéma  (illustration ci-dessous). 


Carte inspirée de la cosmographie de Macrobe.
(Source : Cartes et Figures de la Terre, 1984).

Cette vision prendra encore plus de force après le Xe siècle, c'est-à-dire à partir des Croisades, quand les contacts avec l'Orient qui était le dépositaire des connaissances et les conceptions des anciens Grecs permettent de renouer le dialogue avec eux. Au XIIe siècle, par exemple, Lambert de Saint-Omer publiera une encyclopédie, dont la cosmographie recueille l'héritage de Macrobe, et où le l'existence des Antipodes, en même temps que leur inaccessibilité, sont affirmées. A la même époque circulent aussi, et depuis deux siècles, des cartes qui reproduisent les conceptions défendues par Beatus de Liebana, évêque d'Osma (Espagne) au VIIIe siècle, des cartes qui, toutes différentes qu'elles soient de celles dérivées de Macrobe, conservent elles aussi une place à un petit continent austral. 

La redécouverte des textes d'Aristote à partir des XIIe et XIIIe siècles donnera bien sûr un supplément de force à l'hypothèse des antipodes. Sacrobosco (De Sphaera), Gautier de Metz (Image du Monde), Vincent de Beauvais (Speculum naturae), Roger Bacon, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, en sont d'ardents partisans, suivis de près par Dante et Pétrarque. En fait, pendant ces siècles de haute spéculation, toute la gamme des opinions possibles sur le sujet aura été défendue. On rencontre des auteurs qui vont encore plus loin, tels Guillaume de Conches, défenseur dès le XIIe siècle, non seulement des antipodes du Sud, mais aussi des antipodes de l'Ouest; d'autres, à l'image de Nicole Oresme, au XIVe siècle, qui résistent tant qu'il le peuvent à l'idée des peuples antipodes, auxquels le Christ n'aurait jamais prêché la bonne parole. Et l'on trouve même des auteurs qui, à l'instar de Pierre d'Ailly (Imago Mundi), évoquent, à la même époque, la possibilité des Antipodes, mais ne se prononcent pas sur leur réalité. Curieusement, personne ne songe encore à introduire dans le débat les découvertes de Marco Polo, dont les voyages ont pourtant montré, dès la fin du XIIIe siècle, que cette zone équatoriale torride que l'on avait voulu rendre jusque là infranchissable ne l'était en rien. Elle était parfaitement habitable et même habitée par des peuples tout ce qu'il y a de civilisés.

Au temps des grandes découvertes.
Les premiers Occidentaux, après Marco Polo, à franchir le tropique du Cancer et à s'engager dans la zone torride le long des côtes africaines sont les navigateurs portugais de la fin du XVe siècle. Diego Cam, en 1484, passe l'équateur, et Bartolomé Diaz atteint le cap de Bonne espérance en 1486. Mais les Portugais se préoccupent bien plus d'ouvrir une route maritime des épices que de spéculations géographiques. La découverte de l'Amérique et de ses contours jouera un rôle évidemment plus important dans le débat; mais on vogue encore un moment entre géographie et illusion. Christophe Colomb, en atteignant les bouches de l'Orénoque en 1499, croit avoir touché à l'un des fleuves du Paradis terrestre; Amerigo Vespucci, vers 1501, parle pour sa part explicitement de son voyage aux Antipodes. Mais de quels Antipodes s'agit-il? Ceux de l'Ouest ou du Sud? L'Amérique du Sud pourrait se prévaloir des deux titres à la fois. Reste qu'au total personne n'est satisfait. Le continent austral auquel on songe depuis l'Antiquité, c'est autre chose. Pourrait-il s'agir de la Terre de feu? Lorsque Ferdinand Magellan, en 1520, contourne l'Amérique du Sud pour atteindre le Pacifique, il se faufile entre le continent proprement dit et cette île, laissant ouverte la question de sa nature exacte. Francis Drake, après avoir atteint les mêmes parages en 1579, laissera encore planer le doute. Il faudra attendre le voyage de Lemaire et Schouten qui, le 26 janvier 1616, sont les premiers à doubler le cap Horn, pour que la question soit réglée : la Terre de Feu n'est pas le continent austral hypothétique.
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Le continent antarctique sur la carte d'Oronce Fine (1531).
(Source : Cartes et Figures de la Terre, 1984).
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Les grandes navigations semblent donc quelque peu changer la donne; elles ne mettent pas pour autant fin aux hypothèses les plus contradictoires, comme en témoignent des auteurs tels que Ramus, Postel ou Thévet, et surtout les cartes que l'on publie à partir de cette époque. Beaucoup continuent de croire à l'existence, au Sud du monde, de cette Terra australis incognita, qui hante la géographie depuis Ptolémée. En 1529, Franciscus Monachus trace un continent austral au sud de l'Amérique du sud. En 1531, Oronce Fine dessine une carte où figure un continent aux contours et à la topographie aussi détaillés qu'imaginaires (ci-dessus). Il est suivi de près par Mercator en 1538, et encore dans sa célèbre mappemonde de 1569, ainsi que par Ortelius dans son Theatrum orbis terrarum (1570), Jode en 1593, Wytfliets en 1597 (ci-dessous).
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Le continent austral, selon la carte de Wytfliets (1597).
(Source : Perry-Castañeda Library map collection).

Tout n'est pourtant pas si simple, comme en témoignent cette fois les doutes d'un Schöner. Dans son globe de 1515, il donnait une place au continent austral, qu'il lui retire en 1523. En 1533, le supposé continent austral réapparaît dans un dernier globe... D'autres découvertes commencent également à intervenir dans la problématique. Non plus désormais au Sud de l'Amérique, mais au Sud de l'Asie orientale, avec les premiers soupçons d'Australie, peut-être dès 1520. Les cartographes dieppois parlent vers cette époque d'une Grande et d'une Petite Jave. La Grande Jave est supposée s'étendre jusqu'au pôle antarctique; quelque chose qui pourrait être la bordure septentrionale du continent austral semble donc se profiler. 

La découverte de l'Australie, qui continuera à s'écrire jusqu'au XIXe siècle, n'a pas davantage rassasié les géographes de leur faim de Terra incognita que ne l'avait fait la découverte de l'Amérique. Parfois, on n'aura couru qu'à la poursuite d'une utopie, à l'image de La Popelinière (1582), à d'autres moments, on aura eu en tête de nouveaux marchés, comme ce semble avoir été le cas avec Charles de Brosses, entre autre actionnaire de la Compagnie des Indes, et partisan, au milieu du XVIIIe siècle, de l'expansion coloniale de la France sur le continent austral... Pendant toute cette période, on aura beaucoup cherché (Gonneville, Lozier-Bouvet, Kerguelen, Crozet...) et peu trouvé (quelques îles éparses dans l'Océan austral). Le continent austral véritable, l'Antarctide, s'avérera au final exister, presque tout entier inscrit, après les voyages de Cook, à l'intérieur du cercle polaire antarctique. Il est enfin aperçu dans les années 1820 par les Bellingshausen, Bransfield, Palmer, Weddell, Bicoe, etc. Mais ressemble-t-il encore à ce monde dont rêvait déjà l'Antiquité?



En bibliothèque - Numa Broc, De l'Antichtone à l'Antarctique, in Cartes et Figures de la Terre, Centre Georges Pompidou, 1984. Un article auquel cette page doit l'essentiel de ses informations.
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