| Brosses (Charles de). - Erudit et littérateur né à Dijon le 7 février 1709, mort à Paris le 7 mai 1777. Sa famille, originaire de la Savoie, était alliée à celle de Fevret, qui a donné à la Bourgogne quelques-uns de ses savants et jurisconsultes les plus illustres. Élève du collège des jésuites de sa ville natale, où il eut, entre autres professeurs, le P. Oudin, l'intime ami du président Bouhier, Charles de Brosses soutint avec éclat les épreuves de la licence et fut admis, à peine âgé de vingt et un ans (13 février 1731), aux fonctions de conseiller au parlement. Président à mortier en 1741, il prit part à la résistance du parlement de Bourgogne lorsqu'en 1744 celui-ci refusa de rendre aux commandants de province les mêmes honneurs qu'aux princes du sang et fut exilé à Gannat; puis, devenu en 1756 président de la grande chambre, il fut de nouveau exilé en 1771, lors de la substitution des créatures de Meaupou à l'ancien personnel des cours suprêmes et ne fut rétabli dans son titre et ses prérogatives qu'en 1775. Durant ce long exercice, il montra les plus sérieuses qualités professionnelles et il doit être à bon droit considéré comme l'un des chefs de cette résistance aux empiétements du pouvoir absolu qui fut un des symptômes de la révolution future. Tout en vaquant aux devoirs de sa charge, il cultivait avec une égale ardeur les lettres et l'archéologie, et fréquentait le cabinet et la bibliothèque de Bouhier. Bientôt il conçut le dessein de donner une édition critique des oeuvres de Salluste, non seulement revue sur les meilleurs manuscrits, mais complétée par les moindres fragments qu'il se flattait de découvrir et qu'il se proposait d'encadrer dans un texte latin, serrant d'aussi près que possible l'original. Pour mieux accomplir cette tâche complexe et ardue, il résolut de collationner les diverses leçons de Salluste, acceptées jusqu'alors, avec celles des manuscrits des bibliothèques de Rome, de Naples et de Florence. Il partit donc au mois de mai 1739, en compagnie de son cousin, Loppin, géomètre, « ami intime des lignes droites », et rejoignit à Avignon un autre compatriote, Legouz de Gerland, et les deux frères Lacurne, qu'une même curiosité d'érudition attirait vers l'Italie. Le voyage dura dix mois et s'il n'amena pas pour l'éditeur de Salluste toutes les découvertes qu'il en espérait, il lui fournit en revanche maintes occasions de montrer dans ses lettres à ses amis de Bourgogne les dons les plus heureux. « Nul plus que lui, a dit Sainte-Beuve, n'eut le goût fin et délicat des arts, la sensibilité italienne unie à la malice et à la naïveté gauloise », et, le comparant à des voyageurs plus modernes (Chateaubriand, Courier, Stendhal), il ajoutait : « De Brosses reste le premier critique pénétrant, fin, gai et de grand coup d'oeil, qui a bien vu dans ses contradictions et ses merveilles ce monde d'Italie »; mais ces lettres, dont quelques-unes, par leur proportion et leur importance, sont de véritables mémoires, ne devaient être connues du public que soixante ans plus tard. Lorsqu'il fut élu correspondant honoraire de l'Académie des inscriptions de Paris, il n'avait encore rien publié; toutefois, dès l'année suivante, il lut ou adressa à la compagnie divers mémoires dont la plupart se rattachaient soit à ses travaux sur son auteur favori, soit à la géographie et à l'histoire anciennes, et il mit au jour, en 1750, des Lettres sur l'état actuel de la ville d'Herculée (in-8), où il attira l'un des premiers l'attention sur ces ruines jusque là inexplorées. En 1756, il fit paraître, sur les instances de Buffon, son Histoire des navigations aux terres australes (2 vol. in-4), dont les inductions ne furent pas inutiles plus tard à Bougainville et aux explorateurs anglais Walter et Carteret. Dans le même ordre de travaux on peut citer son mémoire lu à l'Académie de Dijon sur la Communication du Grand Océan des deux Indes avec les mers du Nord, vulgairement appelé détroit d'Anion (1761), dont les assertions furent confirmées depuis, lors des expéditions de Cook (1776) et de Vancouver (1791-1795). Un autre mémoire, présenté par l'auteur en 1757 à l'Académie des inscriptions, ne fut point, en raison de sa hardiesse, inséré dans le recueil officiel; de Brosses le reprit et le publia sous ce titre Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l'ancienne religion de l'Égypte avec la religion actuelle de Nigritie 1760, in-12). Malgré ce qu'il avait pu emprunter aux entretiens de Diderot et à la lecture de Hume, il y atteste, dit Sainte-Beuve, un esprit philosophique qui n'est pas allé à toutes ses conséquences. Vers le même temps, il collaborait à l'Encyclopédie, sinon directement, du moins par des articles sur les Langues, l'Étymologie, l'Onomatopée, etc., dont l'abbé Mollet et Turgot se chargeaient de faire l'extrait et par lesquels il préludait à son Traité de la formation mécanique des langues (1765, 2 vol. in-12; nouv. édit., 1804, id.), oeuvre ingénieuse, bien dépassée aujourd'hui, mais qui fit longtemps autorité. La nature de ses travaux, ses liaisons avec les principaux représentants du parti philosophique, l'eussent conduit à l'Académie française sans une malencontreuse querelle avec Voltaire, dont les incidents, longtemps ignorés, ne sont aujourd'hui que trop bien connus pour la gloire du patriarche de Ferney. On sait quelle fut l'origine de cette discussion. Voltaire, qui avait loué de de Brosses, par un bail à vie (11 décembre 1758), la terre de Tournay dans le bailliage de Gex, s'y était livré à son goût très vif pour la plantation et la bâtisse, jetant bas une partie du château et pratiquant de larges coupes dans les bois. Ce fut l'un de ses abattis qui amena entre le propriétaire réel et l'usufruitier une discussion, d'abord badine et courtoise, puis aigre-douce et finalement menaçante de part et d'autre; le litige était par lui-même assez mince : un paysan réclamait à Voltaire le paiement de quatorze moules de bois que celui-ci prétendait avoir reçues de de Brosses à titre gratuit, bien qu'une clause du contrat eût formellement établi le contraire. Peut-être le président, fort de son bon droit, mit-il trop d'entêtement à ne point accéder aux sollicitations de son illustre et fantasque locataire; mais alors, et plus tard surtout, Voltaire dépassa toutes mesures dans les représailles. S'il parlait dès ce moment de le « déshonorer», le président lui signifiait qu'il le pourrait, s'il le voulait, conduire à la Table de marbre (juridiction spéciale des eaux et forêts, de la connétablie et de l'amirauté), déclarait que ce présent de quatorze moules de bois était au plus digne d'« un couvent de capucins », le sommait de ne plus lui écrire « dans ses moments d'aliénation d'esprit », de ne point faire de lui « le bureau d'adresse de toutes ses sottises » et lui souhaitait, en marge d'une de ses propres lettres, mens sana in corpore sano. Il lui proposait en même temps, pour en finir, de donner quittance au paysan, à condition que l'argent fût remis par Voltaire au curé de Tournay et distribué par celui-ci à ses pauvres. Ce fut en apparence l'épilogue de ce différend, qui avait duré près de quatre ans et qui ne fut définitivement réglé qu'en 1781 par une transaction entre le fils de de Brosses et Mme Denis. Voltaire, pour la première fois de sa vie, n'avait pas eu le dernier mot, mais le président devait payer cher sa victoire. Un moment candidat à la mort d'Hardion (1766), il se retira devant Thomas et ne disputa pas davantage à Condillac, à Saint-Lambert et à Loménie de Brienne les fauteuils de d'Olivet, de Trublet et du duc de Villars (1768-1770). Quelques mois plus tard cependant, il brigua la succession d'Hénault; mais un mot d'ordre parti de Ferney arrêta court les dispositions des partisans assez nombreux de de Brosses : Voltaire l'accusa de l'avoir menacé de le dénoncer comme auteur d'ouvrages poursuivis par les lois, calomnie odieuse dont Voltaire, quoi qu'il en dise, n'eût jamais pu faire la preuve et qui, sans être prise au sérieux par personne, écarta pour toujours de Brosses des honneurs auxquels il pouvait légitimement prétendre, car les mêmes manoeuvres se renouvelèrent lors des élections de Belloy (1771), de Bréquigny et de Beauzée (1772), de Suard et de Delille (1774) et du marquis de Chastellux (1775); ce qui n'empêcha pas Voltaire, par une lettre d'affaires restée sans réponse (28 novembre 1776), de se flatter « de mourir dans les bonnes grâces » de son adversaire ! Cinq mois après, de Brosses succombait à une courte maladie, durant un de ses voyages à Paris. Il avait mis au jour, la même année, son Histoire de la République romaine dans le cours du VIIe siècle, en partie traduite du latin sur l'original de Salluste, en partie rétablie et composée sur les fragments qui sont restés de ses livres perdus (Dijon, 1777, 3 vol. in-4), fruit de quarante ans de labeur. Il laissait inédits divers travaux philologiques et géographiques, destinés à compléter ceux qui sont énumérés plus haut, ainsi que ses fameuses lettres sur l'Italie dont Lalande avait eu connaissance, puisqu'il.en avait cité quelques fragments dans son Voyage d'un Français en Italie (1769, 8 vol. in-12), mais dont les copies complètes n'avaient pas circulé au delà d'un cercle restreint d'intimes. L'une de ces copies, saisie dans la bibliothèque du fils de l'auteur, René de Brosses, prévenu d'émigration et officier dans l'armée royaliste, tomba aux mains d'Antoine Serieys, alors conservateur du dépôt littéraire des Enfants de la patrie (hospice de la Pitié). Serieys les publia en 1799 avec l'incurie et l'absence de critique dont il devait donner tant d'autres preuves, sous le titre de Lettres historiques et critiques (3 vol. in-8). Ce fut seulement en 1836 qu'à ce texte, où fourmillaient les erreurs et les interpolations, R. Colomb substitua une révision meilleure faite, paraît-il, sur les autographes, et intitulée l'Italie il y a cent ans (2 vol. in-8). Depuis, il en a été simultanément donné deux autres réimpressions, l'une par les soins de Poulet-Malassis et avec préface de H. Babou, sous le titre de Lettres familières (1858, 2 vol. in-12), l'autre sous celui de : le Président de Brosses en Italie (1858, 2 vol. in-8), qui reproduisait le texte et les notes de l'édition Colomb. La Correspondance de Voltaire et du président a été publiée pour la première fois par Th. Foisset (1836, in-8; 2e éd., 1858, in-8) et n'a pris place que dans la grande édition des Oeuvres complètes dirigée par Louis Moland (1878-1885, 52 vol. in-8). (Maurice Tourneux).
| En bibliothèque - Th. Foisset, le Président de Brosses, histoire des lettres et des parlements au XVIIIe siècle, 1802, in-8. - Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VII (deux articles). - G. Desnoireterres, Voltaire et la société du XVIIIe siècle (Voltaire et J.-J. Rousseau). - H. Mamet, le Président de Brosses, sa vie et ses ouvrages (thèse de doctorat); Lille, 1874, in-8.- G. Boissier, Un grand homme de province, le président de Brosses (Revue des Deux Mondes, 15 déc. 1875). - Lucien Brunel, l'Académie française et les philosophes au XVIIIe siècle, 1884, in-8. - Cunisset-Carnot, la Querelle de Voltaire et du président de Brosses (Revue des Deux Mondes, 15 fév. 1888). | | |