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Les Géorgiques
(du grec gè, terre, et ergon, travail) sont un poème
didactique composé par Virgile,
à la prière de Mécène,
son protecteur, entre les années 717 et 724 de Rome (36 et 26 av.
J. C.), dans le but de remettre en honneur parmi les Romains l'agriculture
que les guerres de la République
avaient presque ruinée, et de les ramener à la simplicité
des moeurs de leurs ancêtres. Ce sujet devait sourire à plus
d'un titre au poète, dont l'art s'était éveillé
dans ces riantes campagnes de l'Italie,
au sein de ces populations livrées aux travaux rustiques que sa
muse allait si heureusement ennoblir.
Le poème est divisé en quatre
livres. Des invocations, des préceptes sur le sujet spécial
de chacun des chants des épisodes destinés à prévenir
la monotonie d'une exposition continuellement didactique, telle est la
marche constante de Virgile.
• Le ler
traite des moissons et de tout ce qui s'y rapporte : labourage et instruments
aratoires, époque semailles, signes annonçant l'orage ou
les beaux jours. Cette dernière partie amène, comme naturellement,
le magnifique épisode de la mort de César,
qui clôt le livre; l'auteur, par une heureuse transition, rappelle
les lugubres pronostics qui, croyait-on, précédèrent
et suivirent cet événement.
• Le IIe
livre a pour objet la culture des arbres, spécialement de l'olivier
et de la vigne.
Virgile y décrit non seulement en poète inimitable, mais
en homme expérimenté, les divers modes de reproduction des
arbres et des arbustes; indique la nature des terrains propres à
chacun; fait en passant, dans une digression célèbre, l'éloge
de l'Italie; s'étend avec détail sur les soins multipliés
qu'exige la culture de la vigne; énumère rapidement les autres
plantes, et termine par l'éloge de la vie champêtre.
-
Éloge
de la vie champêtre
« Trop heureux
les laboureurs s'ils connaissaient leurs vrais biens! Loin du bruit des
armes et des discordes furieuses, la terre équitable répand
pour eux une facile nourriture. Ils ne voient pas le matin nos palais superbes
rejeter, par leurs mille portiques, le flot tumultueux des clients ; ils
ne vont pas s'ébahir devant ces portes incrustées de magnifiques
écailles, devant ces vêtements chamarrés d'or, devant
l'airain précieux de Corinthe. Pour eux, les poisons d'Assyrie n'altèrent
pas la blanche laine; la pure liqueur de l'olive n'est point corrompue
par la case; mais ils ont une vie tranquille, assurée, innocente
et riche de mille biens; mais ils goûtent le repos dans leurs vastes
domaines. Ils ont des grottes, des lacs d'eau vive; ils ont les fraîches
vallées, les gémissements des troupeaux et les doux sommeils
à l'ombre de leurs arbres ; là sont les pâtis et les
repaires des bêtes fauves; c'est là qu'on trouve une jeunesse
dure au travail, et accoutumée à vivre de peu. C'est là
que la religion est en honneur, et les pères vénérés
à l'égal des dieux ce fut parmi les laboureurs qu'Astrée,
prête à quitter la terre, laissa la trace de ses derniers
pas [...].
Heureux celui qui
a mis sous ses pieds toutes les vaines terreurs des mortels, le destin
inexorable et les vains bruits de l'avare Achéron! Heureux aussi
celui qui connaît les dieux champêtres, Pau, le vieux Sylvain
et la troupe des nymphes! Rien ne l'émeut : ni les faisceaux que
le peuple donne, ni la pourpre des rois, ni la discorde qui met aux prises
les frères perfides, ni les Daces conjurés, descendant des
bords de l'Ister, ni les affaires romaines et les empires périssables
de la terre. Content des biens que ses champs, d'eux-mêmes et sans
effort, lui abandonnent, il cueille les fruits de ses arbres : il ne connaît
ni les lois de fer, ni le Forum et ses fureurs, ni les actes publics [...].
Cependant le laboureur
ouvre la terre avec une charrue recourbée. C'est le travail de toute
l'année; c'est par là qu'il soutient sa patrie, ses enfants,
ses troupeaux, ses boeufs, qui ont bien mérité de lui. Point
de repos pour le laboureur avant que l'année ne l'ait comblé
de fruits, n'ait repeuplé ses bergeries, rempli ses sillons de gerbes
fécondes, et de moissons entassées ait fait gémir
ses greniers. Voici venir l'hiver : alors on broie sous le pressoir l'olive
de Sycion; les pourceaux, repus de glands, reviennent joyeux à l'étable;
la forêt donne ses baies sauvages; l'automne laisse tomber tous ses
fruits à la fois [...].
Ainsi vivaient les
anciens Sabins ; ainsi vécurent les frères Romulus et Rémus;
c'est par là que s'accrut la belliqueuse Étrurie, que Rome
devint la merveille du monde, et que, seule entre les cités, elle
renferma sept collines dans ses murs ». (Virgile, Géorgiques,
liv. II.) |
• Le Ille
livre traite de la manière d'élever les troupeaux génisses
et taureaux, brebis et chèvres Le poète, après s'être
arrêté avec complaisance sur les humbles devoirs de la vie
pastorale, s'élève sans effort à ces descriptions
si justement admirées du cheval et des courses de chevaux, de l'hiver
dans la Scythie, et surtout de la peste des animaux; ce sont autant de
morceaux achevés.
• Le IVe
livre est consacré tout entier à l'éducation et au
soin des abeilles.
Il semble que Virgile ait pris plaisir à déployer dans cette
partie, moins féconde en apparence, plus de richesses poétiques
que dans les autres; les moeurs de ces insectes,
les lois qui régissent leurs républiques, les maladies dont
ils peuvent être atteints, tout est décrit avec une sorte
de magnificence épique. Sans abandonner son sujet, il le varie
par l'aimable tableau de l'heureux vieillard de Tarente et surtout par
l'éyisode d'Aristée, qui termine le poème.
On a reproché à Virgile le manque
d'ordre : mais, si la méthode n'est pas complètement rigoureuse,
elle est suffisamment nette et claire, et on ne peut pas exiger d'un poème
la même rigueur que d'un traité régulier en prose.
Virgile n'a pas épuisé tout son sujet; mais s'il a omis plus
d'un point important, par exemple, la culture des jardins, c'est volontairement
et déterminé par son goût de poète, ou bien
parce que ces parties de l'agriculture étaient étrangères
au but qu'il se proposait, l'utile, et non l'agréable.
Virgile (II, 175) semble se donner comme
un imitateur d'Hésiode; cependant le poème
les Travaux et les Jours
n'a presque rien de commun avec les Géorgiques que la similitude
du genre. L'auteur latin a beaucoup moins emprunté aux Grecs qu'à
Varron et à Caton
: son ouvrage n'est pas seulement un résumé de la science
antique, il contient aussi les résultats de sa propre expérience,
et il est devenu une autorité pour les Anciens, puisque Pline
et Columelle le citent fréquemment.
Les Géorgiques sont un parfait
modèle de l'art de relever et d'embellir les détails les
plus communs de la vie rustique: la variété des tons, la
rapidité de la marche, le charme continu du style,
tout concourt à en faire un poème rempli de beautés
supérieures, plein d'imagination et de goût, production d'un
art qui avait atteint toute sa vigueur et sa maturité.
«
Les Géorgiques, dit Delille, sont le monument le plus achevé
de la littérature antique. Théocrite et Homère ont
toujours disputé la palme à Virgile, l'un dans le poème
pastoral, l'autre dans le poème épique; mais il a laissé
Hésiode bien loin derrière lui dans le poème géorgique.
Hésiode était plus agriculteur que poète; il songe
toujours à instruire, rarement à plaire; jamais une digression
agréable ne rompt, chez lui, la continuité des préceptes.
Cette manière de décrire chaque mois, l'un après l'autre,
a quelque chose de trop uniforme et de trop simple, et donne à son
ouvrage l'air d'un almanach en vers [...]. Virgile, au contraire, réunit
dans son poème l'agrément et l'utilité [...]. Pour
l'agrément, on ne conçoit pas de sujet plus heureux.
L'attrait naturel
de la campagne, les travaux et les amusements champêtres, l'admirable.
variété des trésors qui couvrent la terre, l'abondance
des moissons, la richesse des vendanges, les vergers. les troupeaux, les
abeilles; tous ces objets qui, malgré la dépravation de nos
moeurs, les préjugés de l'orgueil, ont des droits si puissants
sur notre âme, voilà ce que présente le poème
de Virgile; il est riche comme la nature, inépuisable comme elle.
»
Outre les leçons les plus utiles sur
un art qui est de tous les temps et de tous les lieux, cet ouvrage offre
encore mille préceptes de morale, empruntés comme naturellement
aux tableaux qui s'y déroulent. La forme en est parfaite.
«
Virgile, dit encore Delille, ennoblit les opérations les plus simples
et les instruments les plus vils; il parle aussi noblement de la faux du
cultivateur que de l'épée du guerrier, d'un char rustique
que d'un char de triomphe; il saitrendre la charrue digne et des consuls
et des dictateurs. »
Nous avons dit avec quel art il fait jaillir
du sujet lui-même les épisodes qui en rompent l'uniformité;
il les y rattache par des transitions pour ainsi dire insensibles, une
conjonction lui suffit ordinairement; rien d'inutile, tout est plein de
sens. L'harmonie et le charme du style se soutiennent constamment; aussi
peut-on conclure, avec son élégant traducteur, que non seulement
Virgile a surpassé les autres écrivains, mais qu'il s'est
surpassé lui-même dans les Géorgiques.
Si, donc, Virgile a eu des continuateurs
ou des imitateurs, il jamais de rivaux. Columelle a traité en vers
des jardins, dans le 10e livre de son Traité
De re rustica; le P. Vanière a donné le Praedium
rusticum, en XVI chants; le P. Rapin, Hortorum libri IV; l'Anglais
Thompson, les Saisons, en IV chants, imitées en France dans
les Saisons de Saint-Lambert et les Mois de Roucher;
Rosset a composé l'Agriculture, en IX chants. Les Géorgiques
ont été traduites en vers français par l'abbé
Marolles, Segrais, Martin, Lefranc
de Pompignan, et enfin Delille, qui les a
fait oublier tous et a composé lui-même les Trois règnes
en VIII chants, les Jardins en IV chants, l'Homme des champs
en IV chants. Toutes ces oeuvres complémentaires, toutes ces traductions,
ne servent qu'à faire sentir plus profondément la désespérante
perfection de Virgile. (F. B. / JMJA).
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En
bibliothèque - Voir dans le
tome II du Génie de Virgile par Malfilâtre,
des Réflexions sur les Géorgiques, des analyses, de
nombreuses traductions et imitations en vers; le Discours préliminaire
en tête de la traduction de Delille; les Notices historiques,
arguments et appréciations littéraires de l'édition
de Virgile, par M. Bouchot, 1860.
En
librairie - Virgile, Bucoliques
/Géorgiques, Flammarion (GF), 2001; Georgiques, Imprimerie
nationale, 1997; Géorgiques, série latine des Belles
lettres.
Gianfranco
Stroppini, L'amour dans les Georgiques de Virgile, L'Harmattan,
2003.
Et au chapitre de la littérature contemporaine, l'ouvrage de Claude
Simon portant ce même titre, et son commentaire : Claude Simon,
Les Géorgiques, Minuit Editions, 1981; Nathalie Piegay-Gros,
Claude Simon (les Géorgiques), PUF, 1998. |
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