| Pomponius Mela est le premier en date des géographes romains, ayant précédé Pline de plusieurs années. Il est à peu près prouvé aujourd'hui qu'il vécut sous Claude, et il dit lui-même qu'il était originaire de Tingentera (Algésiras?), en Espagne. C'était probablement un jeune noble ibérien, romanisé de moeurs et de nom-: on a supposé qu'il était entré par adoption dans l'illustre famille Pomponia, et Mela pouvait être son nom espagnol. II fit des études sérieuses, notamment en géographie, et résuma les connaissances de son temps, transmises par l'école d'Alexandrie aux Romains et augmentées par ceux-ci, dans un livre intéressant, intitulé De situ orbis et aussi connu sous les titres de Geographia ou Cosmographia. Ce livre, écrit dans un style parfois tourmenté, offre de temps à autre de fort belles pages, comme la description de l'Araxe, et toujours des particularités curieuses. C'est dans son tableau de la Gaule qu'on trouve, sur les druides, ce passage remarquable et si souvent cité : Ils ont répandu dans la foule un dogme destiné à rendre les hommes plus vaillants aux combats; celui de l'éternité des âmes et de la vie. au delà du tombeau [...] Les Gaulois poussent cette croyance si loin, qu'ils renvoient à cette autre vie le règlement de leurs affaires et le payement de ce qui leur est dû : on en a vu se jeter dans le bûcher de leurs proches, sûrs de revivre avec eux (una victuri). Du reste, on peut voir dans Mela à quel point la Gaule était mal connue, même un siècle après sa conquête par César : ainsi une partie de sa description de la Garonne, bien écrite d'ailleurs, et qui a tant tourmenté les géographes modernes, s'applique à l'embouchure de la Loire. En parlant de la Scythie, il raconte que les peuples de ce pays marchent au combat avec leurs femmes, et que celles-ci se servent de lassos (laquei) pour garrotter ou étrangler l'ennemi en l'entraînant au galop. Comme quoi l'histoire des Amazones a aussi son côté réel... Quant au système général de Pomponius, on en trouve une esquisse dans la mappemonde ci-dessous, extraite d'un manuscrit de ses oeuvres qui se trouve à la Bibliothèque de Reims : Ce manuscrit, daté de 1417 et du concile de Constance, fut donné à l'évêché de Reims par un doyen de cette église, le cardinal de Saint-Marc; et par une combinaison ingénieuse, la première phrase du livre commençant par un O (Orbis situm dicere aggredior), l'artiste a fait de cet O ornemental la mappemonde qui résume les idées géographiques de l'auteur. L'absence de coloris rend notre copie terne et confuse auprès de l'original, où l'intérieur même de la carte (et à plus forte raison les illustrations) offre une combinaison de couleurs très vive et très agréable à l'oeil. - Mappemonde contenue dans une lettre ornée du Pomponius Mela de la Bibliothèque de Reims (manuscrit de 1417). Les trois parties du monde alors connu sont entourées par la mer Océane; la côte occidentale de l'Afrique est déclarée terre inconnue; les îles qui ferment la mer des Indes au sud sont un souvenir de la vieille conception ptoléméenne; quatre génies figurent les vents principaux. | On remarquera dans ce disque, qui rappelle un peu la géographie d'Homère, l'ensemble des terres entouré par l'étroit Océan (La géographie des précurseurs grecs). La Méditerranée seule a quelque exactitude; la Caspienne débouche par un fleuve septentrional dans l'océan Polaire (c'est la Volga, mais dirigée à rebours). L'Asie a pour fleuves le Gange, l'indus, le Tigre, l'Euphrate, plus un fleuve anonyme; et ses montagnes sont le Caucase et l'Hiran (dessiné, mais pas nommé). Au delà de l'Inde, il n'y a rien, sauf le pays des Sères (Tibet?). En Europe, il y a tous les noms de la géographie ancienne, l'Espagne, la Gaule, la Germanie (Ginania), la Scythie, la Grèce, les Alpes; le Danube, etc. Cependant l'artiste a ajouté de son cru quelques traits modernes à ceux de son auteur. Ainsi la Grande-Bretagne est appelée par lui Angleterre (Anglia), et, sur les bords du Don (Thanays), il a placé Tana, colonie génoise importante, comparable à la moderne Odessa, et que les Turcs enlevèrent aux Génois postérieurement à l'objet que nous décrivons : c'est aujourd'hui Azov. En Afrique, notre calligraphe a placé l'Atlas et le Nil : sur le cours et la source de celui-ci, il a été influencé par les contes arabes sur le Nil Blanc. Les fleuves qu'il dessine en Maurétanie et en Numidie, bien qu'il ne les nomme pas, se reconnaissent aisément pour la Moulouya et le Medjerdah. Voilà ce qu'il connaît; mais on ferait un long article de ce qu'il connaît mal ou qu'il ignore. Il donne tant bien que, mal la Baltique, qu'il porte de l'ouest à l'est : au-delà, il ne sait pas grand chose. Sur la côte orientale de la Baltique, il a placé une grande ville : serait ce Novgorod-la-Grande, la Venise russe du Moyen âge? Parmi les autres villes qu'il indique, on trouve Cathay : celle qu'il dessine avec le plus de complaisance, c'est Paris; à côté d'une belle fleur de lis d'or. En dehors dés régions connues des Anciens il se borne à écrire : Terra incognita; et au delà de ces signes; une chaîne de hautes montages entre la Scythie et l'Océan, Peborei montes (nom estropié des monts Hyperboréens, qui doivent être l'Oural). En Afrique, il place en Abyssinie, ou plus exactement sur la côte d'Ajan, les Indes du Prêtre Jean; au delà de la Numidie, il y a l'Éthiopie; et au delà, la mer. En somme, en comparant cette carte avec le texte de Mela, on voit qu'elle est construite sur les données de ce géographe, sauf les antichtones ou antipodes qu'il admettait, et sauf quelques concessions à la géographie du XVIe siècle, comme le Cathay et le Prêtre Jean. (M. P.). | |