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Aperçu | La vie de Kant | La période antécritique | Le criticisme* | L'influence de Kant |
Kant est un contemporain de Frédéric II et de la Révolution française. Ses principaux ouvrages parurent de 1770 à 1797. Il goûta plus les triomphes du droit que ceux de la force, mais il ne consentit jamais à séparer la liberté de l'ordre et de la discipline. Le milieu moral où sa pensée s'est développée consista, d'une part dans le piétisme, de l'autre dans la philosophie du XVIIIe siècle. Le piétisme, opposé au protestantisme théologique et abstrait, mettait la pratique au-dessus du dogme, exaltait le sentiment, la dévotion, la piété intérieure, l'interprétation individuelle des Ecritures. La philosophie du XVIIIe siècle, la philosophie des Lumières, l'Aufklärung, selon le nom qu'elle porte en Allemagne, enseigne que tous les maux dont soufre l'humanité résultent de l'ignorance et de l'asservissement qui en résulte, et que le progrès des lumières procure nécessairement le bonheur avec l'affranchissement. La vie de Kant se divise assez naturellement en trois périodes, qui correspondent aux phases de son développement philosophique : 1° la jeunesse, de 1724 à 1755, époque des études et des premiers essais; 2° le stage comme privat-docent, de 1755 à 1770, époque des travaux antécritiques; 3° le professorat, de 1770 à 1797, époque des travaux critiques et du développement doctrinal. La jeunesse de Kant (1724 à 1755). A l'âge de neuf ans il entra au collège Frédéric, dirigé par Schulz, professeur ordinaire de théologie à l'université de Koenigsberg. Schulz fut le premier maître de Kant. Ardent piétiste, il impregnait tout l'enseignement de son esprit. Kant apprit, auprès de lui, à mettre la piété intime de l'âme au-dessus du raisonnement, la pratique au-dessus du dogme. On remarque qu'il a toujours parlé avec respect et reconnaissance de ses maîtres piétistes. Est-ce le philosophe, est-ce l'ancien piétiste qui écrit en 1782, dans l'épitaphe du pasteur Lilienthal qui avait marié ses parents : Ce que nous devons faire, voilà la seule chose dont nous soyons certains? Kant passa sept années au collège Frédéric. Il s'y passionna notamment pour le latin et pour le stoïcisme romain, en qui il trouvait la religion de la discipline. Jusqu'à la fin de sa vie il répéta, comme une devise, les vers de Juvénal : Summum crede nefas animam praeferre pudoriEn 1740, âgé de dix-sept ans, il entra à l'université de Koenigsberg, dans le dessein d'y étudier la théologie. II songeait alors à devenir pasteur, mais ne persista pas dans cette pensée. II commença par suivre le cours de Martin Knutzen, professeur de mathématiques et de philosophie Knutzen fut son deuxième maître. Lui aussi était piétiste. En philosophie, quoique disciple de Wolf, il combattait le dualisme, et revenait à la pure doctrine de Leibniz, suivant laquelle la force représentative et la force motrice participent l'une de l'autre et se supposent réciproquement. A Knutzen, Kant dut de connaître les oeuvres de Newton, que l'on peut appeler son troisième et peut-être son principal maître. Le newtonisme fut pour Kant la preuve expérimentale de la possibilité d'une science a priori de la nature. Il se proposera d'expliquer cette possibilité, et, par là, d'être lui-même le Newton de la métaphysique. Knutzen contribue à tourner Kant de la théologie vers la philosophie. Et peu à peu du piétisme Kant écarte l'orthodoxie rigoureuse pour n'en retenir que la rigidité morale. Ne pouvant vivre du produit de ses leçons, Kant se fit précepteur (1746). Il le demeura neuf ans. Cette fonction le mit en rapport avec les étrangers et la noblesse. Il prit un goût très vif pour la politique et les littératures étrangères. Il fréquenta le monde et tint à y faire figure d'honnête homme. Cette première période de son existence se termine par la publication anonyme de sa Physique universelle et théorie du ciel (1755), ouvrage qui prélude à la théorie de Laplace sur la formation des astres. Pour approfondir les questions morales il lut les moralistes anglais : Shaftesbury, Hutcheson, Hume. Bientôt, vers 1762, il connut, de ce dernier, non plus seulement les théories morales, mais les théories métaphysiques. Cette initiation fut un moment décisif dans le développement de sa pensée. « Ce fut Hume, dit-il, qui le premier interrompit mon assoupissement dogmatique et donna à mes recherches, dans le champ de la philosophie spéculative, une direction toute nouvelle. »II est vrai qu'il ajoute aussitôt : « Je n'avais garde, sans doute, d'accepter ses conclusions. »Le scepticisme de Hume était à ses yeux suffisamment réfuté par la réalité de la détermination morale. Il s'agissait pour lui de faire droit aux critiques de Hume sans aboutir à ses conclusions, de se frayer un passage entre le scepticisme et le dogmatisme, comme entre Charybde et Scylla. Une faible indication qu'il trouve dans Locke (liv. IV, ch. III, § 9 et suiv.) fut le point de départ de sa théorie. Ainsi l'influence de Hume, qui fut, certes, très importante, consista surtout pour Kant dans un avertissement, dans une excitation à réfléchir. Rien ne prouve que Kant ait eu sa phase de scepticisme; en revanche, c'est pour pouvoir échapper au scepticisme qu'il chercha une position en dehors du dogmatisme traditionnel. Peut-être son idéalisme transcendantal s'inspira-t-il de la doctrine de Leibniz, enfin révélée dans sa pureté par la publication des Nouveaux Essais (1765). Leibniz enseigne, en effet, comment on peut maintenir l'innéité, tout en considérant l'expérience comme indispensable à la formation de la connaissance. Mais les formes et les catégories de Kant sont tout autre chose que les virtualités leibniziennes. - Emmanuel Kant (1724-1804). Le professorat (1770 à 1797). Le problème de la critique ne tarde pas à l'absorber. Comment peut s'expliquer l'accord d'idées a priori avec des choses existant en dehors de nous? Il crut d'abord que quelques mois lui suffiraient pour résoudre cette question : il y employa douze ans. Encore ne donna-t-il que quatre ou cinq mois à la rédaction, de peur d'être entraîné à de trop longs délais. Ce fut au commencement de 1781, à Riga, que parut la Critique de la raison pure, l'un des chefs-d'oeuvre de l'esprit humain. Kant avait cinquante-sept ans. L'originalité et la portée de son ouvrage ne furent pas comprises dès l'abord. On ne voulut voir en lui qu'un rêveur platonicien, ou un idéaliste cartésien; Hamann l'appelle un Hume prussien. Kant s'explique avec insistance dans un opuscule intitulé Prolégomènes à toute métaphysique future visant à se présenter comme science (1783), ainsi que dans la préface à la seconde édition de la Critique (1787). Et sûr, quant à lui, de son principe, il s'applique de plus en plus exclusivement à en développer les conséquences; à achever son oeuvre critique et à établir sur cette base une doctrine complète de philosophie spéculative et morale. De 1785 à 1797 paraissent les ouvrages consacrés à cette tâche. L'opinion, cependant, lui devenait de plus en plus favorable. En 1790, le jeune Fichte lui adresse ses Aphorismes sur la religion et le déisme, avec une lettre enthousiaste. Schiller étudie l'esthétique de Kant et la fait étudier à Goethe. J.-P. Richter écrit que Kant n'est pas une lumière du monde, mais tout un système de soleils éclatants. Kant est commenté aux Pays-Bas et en Angleterre. En France on traduit sa dissertation sur la paix éternelle, parue en 1795. D'ailleurs, il ne fut plus inquiété par le gouvernement, malgré sa sympathie pour la Révolution française. Cette sympathie est un trait de sa physionomie morale. Il voyait dans la Révolution l'effort pour fonder sur la raison l'organisation des sociétés humaines. Même après 1794, il persévéra dans ses convictions politiques, tout en désespérant de voir les choses tourner à bien en France. Jusqu'à la fin il crut à la justice, à la valeur pratique de la théorie, au droit comme principe, à la paix éternelle comme fin de la politique. Derrière les disputes des personnes, il vouait le conflit de l'histoire et de la philosophie, du positif et du rationnel, et il comptait sur le triomphe de la raison. Dès l'année 1790, sa puissance intellectuelle s'était affaiblie. En 1797, il quitta sa chaire. Il travaillait pourtant encore; il travailla jusqu'à la fin à un ouvrage dont il espérait faire son chef-d'oeuvre, et où il voulait exposer le passage de la métaphysique de la science de la nature à la physique. Cet ouvrage, resté inachevé, était perdu : il a été retrouvé à la fin du XIXe siècle. La dernière année de Kant fut marquée par une décadence croissante. Il mourut le 12 février 1804. Son dernier mot fut : Es ist gut (c'est bien). Ses obsèques eurent lieu au milieu des hommages d'une admiration universelle. Son corps fut enterré sous les arcades de la cathédrale de Koenigsberg. Plusieurs statues lui furent élevées, dont la plus célèbre est celle de Rauch, à Koenigsberg. (Emile Boutroux; sources : la correspondance de Kant; la 2° partie du t. XI de l'édition Rosenkranz et Schubert des oeuvres de Kant, Kuno Fischer, Gesch. d. n. Phil., t. III). |
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