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Le Congrès de Vienne (1814-1815)
Les Traités de Vienne
Le congrès qui se réunit à Vienne, de septembre 1814 à juin 1815, eut pour objet de réorganiser l'Europe, bouleversée par vingt-cinq années de guerre; de partager entre les membres de la coalition les dépouilles de la France vaincue, et de constituer un nouvel équilibre européen qui pût être durable.

Le Congrès

Préliminaires du congrès. Situation des puissances.
Le traité de Paris (30 mai 1814) (Les Traités de Paris), qui terminait la guerre contre Napoléon, tranchait déjà la plupart des questions à résoudre. Il fixait d'abord les limites de la France vaincue à ses frontières en 1792, et augmentée seulement du Comtat-Venaissin, de Montbéliard et du département du Mont-Blanc. De plus, ses articles secrets traçaient les grandes lignes de la réorganisation de l'Europe. L'Allemagne devait être reconstituée en corps fédératif indépendant; la Suisse, reprendre son ancienne forme et sa neutralité; la Belgique, être réunie à la Hollande, pour former, sous la maison d'Orange, le royaume des Pays-Bas; l'Autriche, obtenir la possession de l'Italie du Nord, et s'étendre, par ses archiducs et archiduchesses, dans l'Italie du centre; la Sardaigne, recevoir Gênes; la Suède, acquérir la Norvège; l'Angleterre, conserver la position maritime qu'elle avait conquise. En même temps que la distribution des territoires, les articles secrets du traité de Paris réglaient la forme des négociations. Ils stipulaient, en effet, que « les dispositions à faire des territoires auxquels Sa Majesté Très-Chrétienne renonce, et les rapports desquels doit résulter un système d'équilibre réel et durable en Europe, seront réglés au congrès sur les bases arrêtées par les puissances alliées entre elles ». D'après ce programme, la Russie, la Prusse, l'Autriche et l'Angleterre auraient, après entente préalable, dicté toutes les décisions; la France et les petits Etats se seraient bornés à les enregistrer.

Ce plan échoua par les divisions de ceux qui l'avaient conçu et par l'habileté du représentant de la France, Talleyrand. Tout d'abord les alliés ne s'entendaient pas sur le sort du royaume de Saxe et du grand-duché de Varsovie. La Prusse voulait s'arroger le premier, et la Russie garder en entier le second, que l'empereur Alexandre destinait à former un royaume de Pologne, avec une constitution indépendante; l'Autriche cédait sans hésiter la Pologne, mais avait quelques scrupules sur le sacrifice entier de la Saxe, tandis que l'Angleterre abandonnait bien volontiers la Saxe à la Prusse, mais craignait d'agrandir la Russie de ce reste de Pologne. En second lieu, Talleyrand, ministre de Louis XVIII, apportait au congrès un principe qu'il sut admirablement utiliser pour servir les intérêts des Bourbons : c'était le principe de la légitimité, qui distinguait entre la possession de droit et la possession de fait. Il permit de répudier pour la France toute velléité d'agrandissement, comme le craignaient les alliés, d'exiger le détrônement de Murat et le rétablissement du roi de Saxe, comme le désirait Louis XVIII, enfin de mettre aux prises la Russie et la Prusse d'une part, l'Angleterre et l'Autriche d'autre part.

Réunion du Congrès. Premiers travaux.
Dans les premiers jours de septembre 1814, on vit arriver à Vienne, où Metternich représentait l'Autriche, Nesselrode pour la Russie, G. de Humboldt et Hardenberg pour la Prusse, Castlereagh et son frère Charles Stewart pour l'Angleterre; Talleyrand et Dalberg, pour la France; ils furent suivis des souverains de Prusse et de Russie et de ministres de tous les petits Etats; il y eut à Vienne jusqu'à 216 chefs de mission. Aussitôt commencèrent des fêtes qui devaient se prolonger jusqu'à la fin du congrès, coûter 40 millions. et faire dire au prince de Ligne : « Le congrès ne marche pas, il danse ».

Les premières séances du congrès furent marquées par de vives escarmouches entre Talleyrand et les alliés. Ceux-ci voulaient, conformément au traité de Paris, former un comité dirigeant, qui trancherait toutes les questions pour en imposer la solution aux autres Etats. Talleyrand protesta contre cette prétention dans une note solennelle (1er octobre; puis il obtint (8 octobre) que ce comité s'adjoindrait la France, la Suède, l'Espagne et le Portugal, également signataires du traité de Paris; que ses délibérations n'auraient qu'une valeur consultative; enfin que les arrangements à intervenir seraient conformes au droit public; cette dernière proposition souleva, mais inutilement, les colères des plénipotentiaires prussiens.

Les questions de Pologne et de Saxe. Le Traité du 3 janvier 1815.
Presque aussitôt après, un conflit éclata : d'une part, entre Alexandre et Frédéric-Guillaume d'accord pour occuper Varsovie et Dresde; d'autre part, entre Metternich et Castlereagh, divisés sur le sort de la Saxe; unis pour refuser la Pologne à la Russie. Ces deux derniers essayèrent d'abord, l'un après l'autre, de résoudre la question sans l'intervention de la France, en séparant la Prusse de la Russie; mais ces tentatives ne firent que rendre l'union d'Alexandre et de Frédéric plus intime et les déterminer à mettre l'Europe en face d'un fait accompli. Au début de novembre, le prince Repnine, commandant les troupes unies en Saxe, annonça dans une proclamation retentissante que le pays serait évacué par ses troupes et reviendrait définitivement à la Prusse; peu après, le grand-duc Constantin, dans une proclamation analogue, invitait les Polonais à considérer en lui le chef de la Pologne reconstituée. Ces deux manifestes irritèrent Metternich, exaspérèrent l'Allemagne, et consommèrent la rupture entre les alliés de Chaumont (Haute-Marne); ceux-ci formaient deux partis, égaux en force, entre lesquels l'intervention de la France pouvait seule décider.

Talleyrand n'avait rien négligé pour la rendre nécessaire. Après avoir protesté de son désintéressement territorial et repoussé les avances du tsar, pour désarmer les défiances de Castlereagh et de Metternich; après avoir obtenu de Louis XVIII qu'il augmentât l'armée, pour faire de l'alliance française un appoint décisif, il rédigea, le 19 décembre, une note solennelle pour affirmer sa volonté de maintenir le roi de Saxe sur son trône. Quelques jours après, en présence du langage menaçant des militaires prussiens, il réussit à persuader à Castlereagh et à Metternich de signer avec lui un traité d'alliance. Par ce traité (3 janvier 1815), la France, l'Autriche et l'Angleterre s'engageaient à soutenir réciproquement leurs, prétentions et à mettre chacune 150.000 hommes au service des deux autres. C'était là un succès diplomatique que Talleyrand, dans une lettre au roi, caractérisait en ces termes : 

« Maintenant, Sire, la coalition est dissoute, et elle l'est pour toujours; non seulement Votre Majesté n'est plus isolée en Europe; mais Votre Majesté a déjà un système fédératif tel que cinquante ans de négociations ne sembleraient pas pouvoir parvenir à lui donner. Elle marche de concert avec deux des plus grandes puissances... ».
Les contemporains et la plupart des historiens ultérieurs n'ont pourtant pas partagé cet enthousiasme. Plusieurs d'entre eux (notamment Thiers, Mignet et Henri Houssaye) ont même reproché à Talleyrand de n'avoir pas pris parti pour la Prusse et la Russie contre l'Angleterre et l'Autriche. Leur argumentation peut se résumer ainsi. D'une part, l'empereur Alexandre, qui désirait ardemment l'appui de la France, fit, à trois reprises, à son représentant des avances non dissimulées. N'aurait-on pu obtenir de lui cette augmentation de territoire à laquelle ni Metternich, ni Castlereagh ne voulurent souscrire? D'autre part, les ministres prussiens tenaient tellement à annexer la Saxe tout entière, qu'ils offrirent, comme compensation, à son roi, une souveraineté de 700.000 habitants, à former avec les provinces rhénanes. Ne valait-il pas mieux placer entre la Saxe et le Rhin, à quelques marches de notre capitale, un petit Etat qu'un grand, un souverain nécessairement inoffensif qu'une puissance de premier ordre, qui servait alors d'avant-garde à l'Europe? Ne valait-il, pas mieux la Prusse sur les flancs de la Bohème que sur la frontière de la France? Ne valait-il pas mieux accroître sa rivalité avec l'Autriche en Allemagne, en multipliant leurs points de contact, et rendre ses futurs rapports avec la France plus faciles, en l'éloignant de son territoire? A ces arguments on oppose les suivants résumés par Sorel :
1° l'empereur Alexandre proposa à Talleyrand son appui dans la question de Naples, mais ne lui offrit jamais d'acquisitions territoriales, que son allié prussien n'aurait d'ailleurs jamais acceptées;

2° la Prusse se serait bien plus fortifiée par l'acquisition de la Saxe, contiguë, à son territoire, que par celle des provinces rhénanes séparées d'elles, non seulement par la distance, mais encore par la différence de religion et par le souvenir de la domination francaise;

3° le roi de Saxe, même placé sur le Rhin, n'aurait pas tardé à être entraîné dans l'orbite de la politique prussienne, comme tous les petits princes de l'Allemagne du Sud;

4° enfin l'attitude prise par Talleyrand dans cette question a été la conséquence logique et nécessaire du système qu'il avait adopté, de concert avec Louis XVIII.

Quoiqu'il en soit de ce procès historique, le traité du 3 janvier eut pour et d'amener une transaction et de rendre la Russie et la Prusse plus accommodantes. L'une détacha de la Pologne Thorn qu'elle céda à la seconde la Prusse, par. contre, se contenta des deux tiers de la Saxe, qui subsista comme souveraineté indépendante.

La question de Naples.
Restait à résoudre la question de Naples qui divisait encore les grandes puissances. Louis XVIII avait donné mission à son représentant de ne rien épargner pour détrôner Murat, qu'il détestait comme allié de Napoléon et usurpateur des Deux-Siciles. Mais Talleyrand se heurtait à l'indifférence de Hardenberg et de Castlereagh, et surtout à la mauvaise volonté de Metternich, qui, par un traité formel (11 janvier 1814), avait promis à Murat la conservation de son royaume on échange de son concours contre Napoléon. La question semblait insoluble, quand le principal intéressé vint lui-même la trancher au gré de ses ennemis. Craignant d'être dépossédé, il résolut de prendre l'offensive, et déclara qu'il se réservait le droit de traverser en armes plusieurs Etats italiens. Metternich, se croyant délié de ses promesses, répondit à cette manifestation en envoyant en Italie une armée pour le détrôner.

Fin du Congrès. 
Le 1er mars 1815, Napoléon débarqua à Fréjus; toutes les puissances représentées à Vienne le mirent aussitôt au ban de l'Europe et s'allièrent contre lui (25 mars 1815). La guerre accéléra les travaux du congrès, et le 9 juin les huit puissances signataires du traité de Paris conclurent l'acte final, auquel on a donné le nom générique de Traités de Vienne.

Les Traités de Vienne

L'acte final du congrès était divisé en 121 articles et contenait : 1° des clauses territoriales; 2° des clauses juridiques.

Clauses territoriales.
Russie et Pologne (articles 1-14). Le grand-duché de Varsovie devait être uni à la Russie par le lien d'une union réelle et recevoir « une représentation et des institutions nationales ». On en détachait, toutefois, la Posnanie, dévolue à la Prusse, la Galicie rendue à l'Autriche, et Cracovie destinée à former une principauté indépendante et neutre.

Allemagne (articles 15 à 52). 
La Prusse recevait les deux tiers de la Saxe, les anciens départements français de la rive gauche du Rhin, et plusieurs districts sur la rive droite. L'électorat de Hanovre était rétabli et érigé en royaume. La Bavière s'augmentait du grand-duché de Würtzbourg et de la principauté de Aschaffenbourg. Francfort était déclarée ville libre. L'Autriche recouvrait en Allemagne le Tyrol, le Vorarlberg, le cercle de Hausruck.

La Confédération germanique (articles 53 à 63). 
Tous les princes et villes libres d'Allemagne, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche pour leurs provinces germaniques, le roi du Danemark pour le Holstein, et le roi des Pays-Bas pour le grand-duché de Luxembourg (en tout 38 membres), devaient former une confédération perpétuelle, qui porterait le nom de Confédération germanique. Sa direction en était confiée à une diète de 17 membres siégeant à Francfort, sous la présidence de l'Autriche, chargée de faire des propositions, et obligée de les soumettre, pour toutes les questions importantes, à une assemblée plénière de 69 membres. L'organisation militaire de la Confédération devait être réglée ultérieurement.

Les Pays-Bas (articles 65 à 73). 
Les anciennes Provinces-Unies et les provinces belges devaient former un seul royaume, dévolu à la maison d'Orange-Nassau, dont le souverain porterait le titre de grand-duc de Luxembourg.

La Suisse (articles 74 à 84). 
La Suisse formait une confédération dont la neutralité était de nouveau solennellement garantie et dont les 19 cantons étaient portés au chiffre de 22, par l'adjonction du Valais, de Genève et de Neuchâtel.

L'Italie (articles 85 à 105).
Le roi de Sardaigne recouvrait ses anciens Etats, augmentés des territoires de l'ancienne république de Gênes. L'Autriche acquérait la Lombardie, la Vénétie, la Valteline et le littoral oriental de l'Adriatique jusqu'à Raguse (auj. Dubrovnik). Un archiduc, François d'Este, recevait les duchés de Modène, Reggio et Mirandole; une archiduchesse, Marie-Béatrice d'Este, Massa et Carrare; l'ex-impératrice Marie-Louise, Parme, Plaisance et Cuastalla. La Toscane était rendue à son ancien possesseur, l'archiduc Ferdinand, qui obtenait l'expectation de Lucques, provisoirement donné à la veuve de l'ancien roi d'Etrurie. Le pape et le souverain des Deux-Siciles restaient en possession de leurs anciens Etats, tels qu'ils étaient délimités en 1789; mais l'Autriche gardait le droit de tenir garnison à Ferrare.

Clauses juridiques.
La réunion d'un congrès général avait paru à l'Europe une occasion unique de régler certaines questions d'un caractère international, pendantes depuis des siècles, et dont la solution importait à toutes les nations : 1° les articles 108 à 117 proclamaient et réglementaient la libre navigation des fleuves; 2° le principe de la suppression de la traite des esclaves était affirmé (article 118, n° 15); 3° enfin les agents diplomatiques étaient partagés en trois classes dans les privilèges, et les préséances étaient nettement fixées (article 118, n° 17).

L'Angleterre et la France.
Ni l'Angleterre ni la France n'étaient visées par les articles des traités. La première gardait les conquêtes qu'elle avait faites pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire. Le sort de la seconde, déjà réglé parle premier traité de Paris (30 mai 1814), fut aggravé parle second, qui lui enlevait Philippeville, Marienbourg, Bouillon, Landau, Sarrelouis et le reste de la Savoie.

Caractère général des Traités de Vienne.
L'oeuvre du congrès de Vienne a été, pendant toute la première moitié du XIXe siècle, très défavorablement appréciée. On lui a reproché d'avoir agrandi outre mesure les grands Etats aux dépens des petits, de n'avoir tenu nul compte des volontés des populations, enfin d'avoir trop durement traité la France. Ces reproches sont en grande partie justifiés. Il est certain que la Russie, agrandie de la Finlande et de toute la Pologne; que l'Autriche, arrondis dans l'Europe centrale, et maîtresse directe ou indirecte de la péninsule italique; que la Prusse, presque doublée par la possession des provinces rhénanes, étaient bien plus menaçantes après 1845 qu'avant 1789. Il est certain, d'autre part, que certains petits Etats furent supprimés sans phrases, comme Gênes, ou dépouillés de moitié, comme le Danemark ou la Saxe; que des nationalités entières furent définitivement supprimées en Pologne, démembrées en Italie, divisées en Allemagne. Il est certain enfin que la France seule ne sortait pas agrandie du congrès, alors que toutes les puissances avaient reçu des accroissements territoriaux, et que par là l'équilibre européen se trouvait rompu à son détriment. Ce sont là autant de raisons de faiblesse très réelles, qui devaient plus tard provoquer une violente réaction contre l'oeuvre du congrès de Vienne.

Mais il semble, d'autre part, que cette oeuvre ait été appréciée un peu différemment, après qu'elle ait disparu pour faire place à la politique des nationalités. Le congrès de Vienne a donné à l'Europe trente années de paix : c'est assez pour qu'on excuse ses erreurs. (A. Pingaud).

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