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Le siècle de l'agonie |
Le XIXe
siècle, est pour l'empire
ottoman celui de sa dislocation progressive. Elle interviendra d'une
part sous l'effet des tensions intérieures croissantes (montée
des nationalismes, régime politique archaïque), mais surtout
sous la pression des grandes puissance européennes, engagées
dans une politique d'accès aux mers chaudes (La
Question d'Orient). La disparition effective de l'empire n'interviendra
sans doute qu'au début du XXe
siècle, mais on ne l'envisageait plus désormais
en Europe que comme un butin à se partager.
En même temps, à l'intérieur, le désordre éclatait de toutes parts et ajoutent à l'affaiblissement d'un régime devenu de plus en plus archaïque : les pachas Ali, Djezzar, Méhémet-Ali se révoltaient; il n'y avait ni armée, ni marine, ni finances. Les choses semblèrent changer de face à l'avènement de Mahmoud II (règne : 1808 - 1839). Un politique de réformes (Le Tanzimât) visant à enrayer la chute n'y changeront rien. La bonne volonté et l'énergie de ce prince s'épuisèrent devant des obstacles insurmontables. Sous lui, la Bessarabie, l'Abasie, la Mingrélie, enfin la Grèce furent perdues et la flotte turque ruinée à Navarin. Abd-ul-Medjid
(1839) s'engagea lui aussi, à
la suite de Mahmoud, dans la voie des réformes pacifiques et intérieures,
et songea, le premier, a donner une espèce de constitution, le khairié
tanzimat (= heureuse organisation). Il était encouragé,
aidé même par la France, et. l'Angleterre. Seule la Russie
persistait à voir dans l'empire
Le traité de Paris (1856) assura la Turquie contre de nouvelles tentatives. Mais l'Europe a beau faire : cette malheureuse puissance est lancée sur une pente trop rapide pour s'arrêter dans sa dislocation dès le règne d'Abd-ul-Hamid II, dont le gouvernement, commencé en 1876 sous d'apparents bons auspices, mais devenu de plus en plus autoritaire, conduira à sa déposition en 1908. Dates clés : 1826 - Mahmoud II dissout du corps des Janissaires. |
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Sélim
III.
A la mort d'Abdul-Hamid Ier mourut, le 7 avril 1789, ce fut son neveu, Sélim III qui lui succéda. Ses débuts virent les défaites de Fokchani et de Martinesti ou du Rymnik dues aux efforts combinés de Souvorov et du prince de Saxe-Cobourg et au découragement des troupes ottomanes, dont l'artillerie, malgré les efforts du baron de Tott, restait inférieure à celle de leurs adversaires, et qui refusaient de renoncer à leur tactique surannée pour étudier les formations réglées des troupes européennes. Belgrade capitula (8 octobre 1789). La mort de Joseph II décida son frère Léopold à se séparer des Russes et à conclure avec la Turquie la paix de Sistov (4 août 1794). Souvorov avait enlevé d'assaut Ismaïl (22 décembre 1790); les Russes, vainqueurs à Matchin, s'apprêtaient à envahir l'Empire, lorsque l'intervention de l'Angleterre et de la Prusse amena la paix de Iassi (19 janvier 1791) qui fixait au Dniestr la limite des deux États. La situation générale de l'Europe, la guerre prévue en France, les préparatifs du démembrement définitif de la Pologne obligèrent la tsarine à renoncer à son rêve de reconstituer l'Empire byzantin. Un nouveau délai fut accordé à l'Empire ottoman. Un jeune Géorgien,
favori du sultan, nommé Koutchouk-Husseïn, nommé grand
amiral, tenta de réorganiser les forces militaires; on fit venir
des ingénieurs de France et de Suède, on réforma les
équipages de la flotte; on essaya d'exercer à l'européenne
les troupes de terre. C'est au milieu de ces préparatifs que l'armée
française, sous les ordres du général Bonaparte,
avait débarqué en Égypte (juillet 1798).
Les troupes envoyées en Syrie furent défaites au pied du
mont Thabor; l'armée débarquée sur la plage d'Aboukir
par Moustafa Pacha y fut taillée en pièces (juillet 1799).
La Russie et la Porte ayant réussi à enlever aux Français,
qui les avaient prises aux Vénitiens, les îles Ioniennes et
plusieurs places de la côte d'Epire,
un traité conclu le 21 mars 1800
entre les deux alliés décida que ces derniers points resteraient
aux mains de la Turquie, et que les îles Ioniennes seraient constituées
en république tributaire placée
sous la protection du sultan. En 1801,
la paix fut signée avec la France.
Sélim III. Pendant ce temps, l'Empire était livré à l'anarchie. Les Serbes s'étaient soulevés sous les ordres de Georges Petrovitch; Ali de Tépé-Dilen, pacha de Janina, se considérait comme indépendant; les Wahhabites s'étaient emparés des villes saintes d'Arabie et massacraient les caravanes de pèlerins. Ahmed Djezzar était le maître de la Syrie; les mamelouks d'Égypte n'obéissaient plus. L'Angleterre ayant résolu des mesures comminatoires pour forcer la Turquie à entrer dans la coalition contre la France, et ayant envoyé une escadre devant les Dardanelles, le vice-amiral Dukworth força le détroit et parut devant Istanbul; l'enthousiasme de la population musulmane de la capitale, qui courut achever la construction des batteries commencées, sous la direction des officiers de la suite du général Sébastiani, ambassadeur de France, effraya les Anglais qui se retirèrent. Une autre tentative de l'Angleterre pour occuper l'Égypte échoua (22 août 1807). Mais le sultan ayant, à l'instigation de la France, révoqué les hospodars russophiles de Moldavie et de Valachie, ces principautés furent occupées par la Russie. Sélim poursuivait
des réformes, conseillées par la France : réorganisation
du Divan, amélioration de la situation des raïas (sujets
chrétiens). Les intrigues du Kaïmakam Moustafa Pacha, ennemi
de la nouvelle organisation des troupes (nizam djédid), qui
avait mis à profit le départ du grand vizir Ibrahim Pacha
pour la campagne de Serbie, soulevèrent les janissaires qui devinrent
maîtres de la capitale sous les ordres de Kabaktchi-Oghlou et exigèrent
la déposition de Sélim (27 mai 1807),
qui fut remplacé par son cousin Moustafa IV, né en 1779 et
fils d'Abdul-Hamid Ier.
Mahmoud II. La guerre encore.
La Porte réprima la rébellion des Serbes; leur chef, Czerni George, vaincu, se réfugia en Russie. Ali, pacha de Janina, ayant été mis au ban de l'Empire, se déclara en révolte ouverte, souleva les Grecs et s'attacha des bandes de Klephtes ou brigands; assiégé dans sa forteresse, il y résista jusqu'au 5 février 1822. L'insurrection éclata en Morée, et les îles de l'Archipel équipèrent des corsaires; le patriarche Grégoire, accusé de trahison, bien qu'il eût excommunié les rebelles, fut pendu à Constantinople le jour de Pâques1821, probablement en représailles des atrocités exercées par les pirates sur le mollah de la Mecque qui revenait en Turquie : sa mort fut suivie de massacres et de profanations. Le prince Cantacuzène est battu à Galatz par Youssouf Pacha; Alexandre Ypsilanti est défait à Dragatchémi et, forcé de se réfugier sur le territoire autrichien. Ismaïl Pacha entre à Iassi. Mais les Grecs battent les Ottomans à Cassandra et aux Thermopyles et établissent à Tripolitza un gouvernement provisoire qui se transporte plus tard à Corinthe. La mort du pacha de Janina laissait les coudées franches aux Ottomans, qui s'emparèrent de Chio et y commirent des ravages qui soulevèrent la réprobation de l'Europe (1822). Dervich, pacha de Widdin, essaya en vain de soumettre le Péloponnèse; Ibrahim Pacha, fils de Méhémet-Ali, débarqua à Modon et prit Navarin et Tripolitza. Missolonghi, assiégée
depuis si longtemps sans succès, succomba enfin devant le général
égyptien (22 avril 1826).
La joie que ressentirent les Ottomans à la suite de ce fait d'armes
décida Mahmoud Il, inquiet de la résistance opiniâtre
des Grecs, à changer l'organisation de l'armée, projet déjà
rêvé par Sélim III, et à
remplacer, par des troupes réglées et exercées à
la tactique européenne, l'institution vieillie des janissaires qui
étaient devenus plus que jamais un corps de milice prêt à
toutes les insubordinations. C'est de ce moment que date la période
de l'histoire ottomane qui l'occupera pendant
presque tout son denier siècle d'existence, celle du Tanzimat
(ou des réformes).
Le « Tanzimat » L'abolition du
corps des janissaires.
"Sultan Mahmoud-Khan II, empereur des Ottomans". Mahmoud ayant refusé l'intervention de la France, de l'Angleterre et de la Russie en faveur des Grecs, vit ces puissances se coaliser contre lui; la capitulation d'Athènes, dressée par Réchid Pacha, n'empêcha pas la flotte égyptienne d'être complètement détruite à Navarin (20 octobre 1827). Puis la Russie parvint en 1829à placer dans son giron la Moldavie, la Valachie et la Serbie, et à effrayer assez le sultan pour lui arracher le libre passage du Bosphore et des Dardanelles, parmi d'autres concessions. Cette paix humiliante permit du moins à Mahmoud de freiner la décomposition de son Empire. En 1834, deux rébellions furent étouffées, celle du gouverneur de Scutari et celle du dernier pacha indépendant de Bagdad, Daoud Pacha; mais celle de Méhémet-Ali fut autrement grave; elle faillit amener la chute de l'Empire ottoman ou sa transformation au profit d'une nouvelle dynastie. Méhémet-Ali, pacha d'Égypte et maître d'Arabie, frustré dans son espoir d'acquérir la Morée par l'intervention des puissances européennes en faveur des Grecs, voulut se dédommager en conquérant la Syrie. Son fils lbrahim assiégea Saint-Jean-d'Acre (décembre 1834) qui se rendit le 27 mai 1832; puis il occupa Damas, défit les troupes turques à Homs et au défilé de Béilan (Portes Syriennes), franchit le Taurus. Mis hors la loi par le sultan, il détruisit à Konya l'armée du grand vizir Réchid Pacha (21 décembre 1832). Beaucoup de Turcs hostiles aux réformes de Mahmoud étaient prêts à acclamer le nouveau champion de la foi musulmane. L'affaire se régla avec une nouvelle intervention des grandes puissances et la signature, 8 juillet 1833, du traité d'Unkiar-Skélessi (La Question d'Orient). Mahmoud mit à profit la paix pour continuer ses efforts de réorganisation. Une flotte envoyée à Tripoli de Barbarie mit fin au pouvoir semi-indépendant des Karamanli, et fit de cette régence une simple province de l'Empire (25 mail 1835); Scutari d'Albanie, qui s'était révoltée, fut réduite (18 septembre). Mahmoud fut le premier sultan qui mit le pied à bord d'un bateau à vapeur, et qui visita une partie de son Empire; soit inspection porta sur les forteresses du Danube, récemment évacuées par les Russes. Ces innovations déplurent à l'esprit routinier du parti rétrograde; un derviche fanatique l'insulta sur le pont de Galata; une conspiration se forma pour l'assassiner. Malgré ces difficultés, Mahmoud n'en poursuivit pas moins sa tâche. Un journal officiel fut créé sous le titre de Moniteur ottoman; le système des quarantaines fut établi (mars 1838) et sauva Constantinople de la peste (Les pestes au Moyen âge); un théâtre fut construit à Péra; on ouvrit un cabinet de lecture. La dignité de grand vizir fut supprimée; Réouf Pacha reçut le titre de bachvékil (premier ministre), et celui de grand vizir ne fut rétabli que sous Abd-ul-Medjid, le successeur de Mahmoud II. Des officiers anglais furent engagés pour servir de chefs et d'instructeurs à la flotte; une école de médecine fut fondée. Cependant Mahmoud avait pour objectif principal de recouvrer la Syrie et de réduire son vassal Méhémet-Ali. Ce dernier voulait obtenir la possession héréditaire de toutes ses provinces. Un nouveau conflit semblait inévitable. Il eut une issue toute différente du premier à cause du revirement de l'Angleterre. Celle-ci s'inquiétait devoir Méhémet-Ali convoiter la Mésopotamie et ne voulait pas lui laisser prendre pied sur le golfe Persique. Elle conclut en 1838 un traité de commerce avec la Porte, qui lui accorda libre accès dans tout l'Empire ottoman, y compris la Syrie et l'Égypte. Méhémet-Ali refusant de reconnaître ce traité, le sultan le déposa de toutes ses dignités et fit envahir la Syrie par l'armée qu'il avait concentrée sur l'Euphrate sous les ordres de Hafiz Pacha, assisté d'officiers prussiens tels que Moltke. Deux mois après, cette armée fut complètement défaite à Nezib par les officiers français d'Ibrahim (24 juin 1839). Mahmoud mourut six jours après, laissant l'Empire à son fils aîné Abd-ul-Medjid. Abd-ul-Medjid II Abd-ul-Medjid (né le 28 avril 1823, mort le 25 juin 1861) seize ans et deux mois lorsqu'il succéda à son père. Fils aîné du sultan Mahmoud, Abd-ul-Medjid est le 31e souverain de la famille d'Osman et le 28e depuis la prise de Constantinople (D'Osman à Bayézid II). L'empire ottoman était alors dans une des plus critiques situations où il se soit jamais trouvé. Mahmoud venait de perdre, six jours auparavant, la bataille de Nezib gagnée par Ibrâhim, fils de Méhémet-Ali. Cette victoire décisive consacrait pour les troupes égyptiennes leurs conquêtes antérieures en Syrie, et leur ouvrait le chemin d'Istanbul. Et cette guerre laissait aussi sans marine, sans armée, sans finances un empire Ottoman, désormais livré à l'intrigue et la à trahison, entamé de toutes parts, et qui ne pouvait plus subsister que par la protection de l'Europe. En 1840,
l'Angleterre,
la Russie,
l'Autriche
et la Prusse
s'unirent contre Méhémet-Ali et s'engagèrent à
maintenir l'intégrité du territoire ottoman. Il était
temps. Depuis dix années l'empire s'émiettait. La régence
d'Alger et la Grèce lui avaient échappé;
l'Égypte indépendante avait conquis la Syrie et menaçait
l'Anatolie; l'Arabie était en révolte permanente; l'Arménie
était sillonnée d'agents de la Russie qui, en Europe, exerçait
une véritable souveraineté en Moldavie
et en Valachie;
la Bosnie subissait de fait l'influence autrichienne. Seules, la Serbie
et l'Albanie obéissaient encore nominalement. La dislocation de
la puissance ottomane n'avait d'égale que la démoralisation
des sujets. Ce n'était pas un enfant de seize ans, sans autre expérience
que celle acquise dans le harem, d'une intelligence moyenne et entouré
d'intrigants habiles, qui aurait pu, avec de tels débris, reconstituer
l'ancienne puissance des Osmanlis. Aussi l'intervention effective et l'influence
intéressée des États de l'Europe occidentale sont-elles
les caractéristiques du règne d'Abdul-Medjid, du commencement
à la fin.
Abdul Medjid. La poursuite des
réformes.
« le gouvernement du jeune sultan se maintiendrait dans les principes de réformes qui avaient guidé Mahmoûd, et que la même politique progressive animait le Divan et tous les ministres de la Sublime Porte. »Les actes vinrent confirmer les paroles. Lorsque Abd-ul-Medjid alla ceindre le sabre d'Othman à la mosquée d'Eyyoub (ce qui constituait pour les sultans la cérémonie du sacre), il s'y rendit vêtu du pantalon et de la redingote à la franque et coiffé du fez. Pour la première fois également l'Europe, en la personne de ses représentants, fut conviée à cette cérémonie. Bientôt après Abd-ul-Medjid, subissant l'influence de son ministre des affaires étrangères, Rechid-Pacha, promulgua solennellement l'acte mémorable de Gul-Hâné (3 novembre 1839) qui faisait entrer de plain-pied la Turquie dans le courant de la civilisation européenne (Le Tanzimat). Cet acte de Gul-Hâné, bien qu'il ne soit en réalité qu'une déclaration de principes, n'en a pas moins eu une importance capitale dans les destinées de la Turquie. Il est, pour ainsi dire, la préface des lois nouvelles et des réformes qui ont donné à la Turquie son organisation jusqu'au début du XXe siècle, lois et réformes dont l'ensemble constitue le Tanzimat-Khaïrie (= l'Organisation Heureuse). Le parti « vieux turc » (partit réactionnaire) n'a jamais pardonné à Abd-ul-Medjid l'acte de Gul-Hâné, et ce parti, qui verra cependant son influence diminuer journellement, ne cessera de protester contre le Tanzimat. Si Abd-ul-Medjid eût été doué d'une intelligence et d'une énergie égales à celles qui caractérisaient son père, il eût pu faire sortir de l'acte de Gul-Hâné les conséquences les plus heureuses pour l'avenir de la Turquie. Mais son caractère indécis le fit sans cesse osciller entre les partisans et les ennemis des réformes, qui se partageaient à tour de rôle l'influence dans les conseils du Divan. Ce système de bascule diminua son autorité morale, et, en détrompant les espérances de l'Europe, fut pour lui une cause de faiblesse à l'extérieur. L'effervescence
des provinces.
Le hatti-hûmayoun.
Abd-ul-Medjld mourut peu après (25 juin 1861). Digne continuateur de son père, prince humain et bienveillant, il avait manqué de la force nécessaire pour briser les résistances. D'après le droit de succession établi, ce ne devait pas être son fils aîné Mourad, né le 22 septembre 1840, qui lui succéda. C'était le frère du sultan Abd-ul-Aziz (né le 9 février 1830) qui était, selon le droit héréditaire ottoman, l'héritier présomptif de l'empire ottoman. Ce fut donc lui qui succéda à Abd-ul-Medjid. Il revint de poursuivre l'oeuvre de ses réformes. Abd-ul-Aziz L'avènement d'Abd-ul Aziz fut salué avec joie par le parti « vieux turc » ennemi des réformes inaugurées par l'acte de Gul-Hané (1839) et le Tanzimat. Déjà, en 1859, ce parti, irrité des concessions faites par Abd-ul-Medjîd aux Occidentaux et à leurs normes, avait fomenté une conspiration pour élever au pouvoir Abd-ul-Aziz. Cette conspiration avait échoué et Abd-ul-Medjîd fit grâce à son frère qui put prouver que l'on s'était servi de son nom sans son autorisation. Signes d'ouverture
au milieu des troubles.
Les premières années du règne d'Abd-ul-Azizfurent marquées par des luttes sanglantes dans les provinces du Danube. Pendant que les Monténégrins se faisaient massacrer dans les défilés de la Donga, les Turcs, cernés dans Belgrade, bombardaient la ville. Les puissances européennes intervinrent et firent accorder, par la conférence de Belgrade (1863), des conditions de paix acceptables aux Monténégrins et aux Serbes. Les rapports d'Abd-ul-Azîz avec l'Égypte furent généralement bons, quelquefois cordiaux. Ismaïl-Pacha sut habilement obtenir, par des concessions d'argent, des avantages politiques. Il vint à Istanbul demander au sultan, l'investiture, et Abd-ul Aziz, en lui rendant sa visite à Alexandrie, reçut tous les honneurs dus à un suzerain (1863). Plus tard, tard il accéda à la demande du vice-roi et autorisa, en sa faveur, une dérogation à la loi musulmane en lui accordant le droit de reconnaître son fils comme héritier présomptif (1866). L'année suivante nouvelle concession : Ismaïl-Pacha prend le titre de khédive et est investi d'un pouvoir absolu pour l'administration intérieure de ses États. Un firman de 1873 consacra à nouveau ces droits, et, moyennant un faible tribut annuel, reconnut l'indépendance effective de l'Égypte. Des révoltes périodiques en Turquie d'Asie (1864-66), l'insurrection de Crète (1866-68), une insurrection en Bulgarie (1868), sévèrement réprimée, enfin l'insurrection de l'Herzégovine et de la Bosnie (1875), prélude de la guerre turco-russe, jetèrent la Turquie, sous Abd-ul-Aziz, dans une agitation continuelle. Des réformes utiles, et témoignant d'un sincère désir d'ouvrir l'empire au progrès, furent cependant opérées pendant ces années de troubles. Dès 1862, en effet, Abd-ul-Aziz donna l'exemple de la tolérance en faisant remettre à l'évêque grec de Brousse une somme importante pour la construction d'une église. Il voulut aussi que la Turquie sortit de son isolement commercial; il la fit représenter à l'exposition de Londres (1862) et conclut des traités de commerce avec la France et l'Angleterre. Lui-même fit à l'Exposition universelle de Paris, en 1867, une visite où il déploya un faste éblouissant. En 1868il inaugure un conseil d'État et fonde le Lycée de Galata-Seraï, sur le modèle des lycées français. Il crée aussi un observatoire météorologique. Il publie un projet de code civil (1869). La Porte évacua la citadelle de Belgrade (mars 1867) et envoya des troupes contre les Crétois révoltés; bien que le grand vizir Ali Pacha se fût rendu lui-même en Crète pour négocier, les insurgés ne cédèrent qu'à la force ; ils ne furent écrasés qu'au prix de grands sacrifices (février 1869).Il accorde aux étrangers le droit d'acquérir les propriétés foncières; il restreint les privilèges des mosquées sur les biens vakoufs; il cherche à établir l'unité administrative en divisant l'empire en vilayets. La crise des finances.
En même temps, sous la direction d'Edhem Pacha, on commença de grands travaux publics, la route de Trébizonde à Erzeroum, le chemin de fer Varna-Roustchouk et l'amélioration des bouches du Danube. On accorda aussi divers privilèges à l'industrie, on annonça qu'on voulait transformer l'empire d'une manière définitive. Cependant les emprunts se succédaient presque annuellement. En 1875 on fut obligé de réduire de moitié le paiement des coupons de la dette, l'autre moitié fut soldée en bons 5% avec promesse de remboursement dans cinq ans. L'empire souffrira jusqu'à la fin de cette crise financière. Les conséquences en furent graves même à l'intérieur; il fallut demander aux provinces de l'empire de nouvelles ressources; ces exigences fiscales furent cause de la révolte de la Bosnie et de l'Herzégovine. Abd-ul-Aziz, pour calmer la révolte, s'engagea par des firmans datés du 1er septembre et du 2 octobre 1875 à accomplir des réformes; aux termes de ces firmans, le quart supplémentaire de la dîme ne devait pas être perçu et les arriérés d'impôts devaient être abandonnés aux contribuables; ces mesures partielles ne purent arrêter le mouvement. Les Occidentaux intervinrent alors, et un irâdé solennel (février 1876) promit que les réformes demandées seraient appliquées à la Bosnie et à l'Herzégovine et étendues à toutes les parties de l'empire. Il était trop tard. Ali Pacha essaya de réorganiser l'administration et promulgua plusieurs lois réformatrices; mais il mourut peu de temps après la conférence de Londres (23 mai 1871), qui rendait à la Russie une partie des avantages qui lui avaient été enlevés par le traité de Paris.
Le grand-vizir Méhémet-Ruchdi-Pacha, le ministre de la guerre, Husein-Avni-Pacha, et Midhat-Pacha se concertèrent à cet effet le 27 mai 1876. Voulant donner à l'abdication une apparence légale, ils s'adressèrent au Cheikh-ul-islam, Khaïr-Ullah, qui consentit à signer un fetva déclarant au nom de la religion que le sultan devait être déposé du trône. Husein-Avni-Pacha fut chargé de prendre les dispositions nécessaires pour l'exécution de l'entreprise. Le 20 mai 1876 les ministres se rendirent chez le sultan et, après un entretien dans lequel ils lui exposèrent la situation et toutes les difficultés où se trouvait engagé l'empire, ils demandèrent à Abd-ul-Aziz d'abdiquer en faveur de son neveu Mourad. Le sultan entra d'abord dans une violente colère, mais il finit par céder. Il fut alors interné au palais de Top-Capoû (Topkapi) avec sa mère et ses femmes. Pendant quatre jours on le vit passer alternativement du plus profond abattement à la plus extrême colère. Le 4 juin, voyant sur le Bosphore les vaisseaux stationnaires étrangers se couvrir de pavois, il crut voir dans cette manifestation une preuve, que son neveu venait d'être reconnu sultan à sa place; il eut un nouvel accès de colère puis parut se calmer et s'enferma chez lui. Le 4 juin 1876, une de ses femmes ayant fait forcer la porte de l'appartement où il était renfermé, on trouva Abd-ul-Aziz baignant dans son sang; les veines du bras étaient ouvertes; à ses côtés se trouvait une paire de petits ciseaux. Trois ans après, Abd-ul-Hâmid fit poursuivre Midhat, Khaïr-Ullah, Husein-Avni-Pacha comme meurtriers d'Abd-al-Aziz; tous trois sont morts, en 1884, en exil, au Yémen. Abd-ul-Hâmid, qui avait très vite succédé à à Mourad V, héritier de Abd-ul-Aziz, et dont les facultés mentales, atteintes par les tragédies auxquelles il avait assisté, par l'émotion que lui causa la mort d'Abd-ul-Aziz, et par l'assassinat de plusieurs des ministres par le Circassien Hassan, ne lui permirent pas de régner plus de trois mois. Abd-ul-Hamid II Abdul-ul-Hamîd II, parvenu au trône le 31 août 1876 était né le 22 septembre 1842. Il fils du sultan Abd-ul-Medjid-Khân, et frère Mourad V. Au moment de son accession au pouvoir son pays venait d'entrer en guerre avec la Serbie et le Monténégro, puis la Russie. Elle aura pour issue un traité qui diminua, certes les avantages concédés à la Russie, mais n'en fut pas moins décevant pour la Turquie, car il autorisait l'Autriche-Hongrie à occuper et à administrer la Bosnie et l'Herzégovine. En outre, comme prix d'un traité d'alliance défensive, l'Angleterre se fit donner l'île de Chypre (4 juin 1878). Les débuts de la politique extérieure d'Abd-ul-Hâmid n'avaient donc pas été heureux. Le jeune souverain avait subi les conséquences d'une situation dont il n'était pas l'auteur. La constitution.
Dès le 10 septembre 1876, un hatti-chérif annonça des réformes radicales dans la constitution et l'administration de l'empire; le 27 septembre fut institué un conseil général de réforme, composé de trente musulmans et de trente chrétiens et le 23 décembre 1876 (7 zi'l-hidjdjé 1293 de l'hégire) une constitution fut donnée à la Turquie. Cette constitution portait indivisibilité de l'empire, irresponsabilité du sultan, égalité devant la loi des sujets de l'empire, admissibilité des chrétiens aux emplois publics, inviolabilité de la liberté individuelle et de celle du domicile, liberté de l'enseignement, indépendance des tribunaux, réforme du budget, décentralisation des Provinces. Elle établissait un Sénat, dont les membres étaient nommés à vie par le sultan, et une Chambre des députés élue au scrutin secret, pour quatre ans; un député par 50 000 Ottomans. Les ministres avaient l'initiative des lois; ils étaient responsables devant les Chambres, qui avaient le droit de contrôle. Le sultan pouvait avancer eu retarder, prolonger ou abréger les sessions. Mais bientôt
Midhat-Pacha tomba en disgrâce, fut arrêté et exilé
(5 février 1877),
après avoir été grand-vizir pendant moins de deux
mois; le 14 février 1878,
le conseil de réforme fut renvoyé, Abd-ul-Hâmid allait
prendre en main le pouvoir et tout administrer par lui-même. Cette
politique donna des résultats satisfaisants. Il réussit à
exécuter à peu près complètement les stipulations
du traité de Berlin
et à éviter les dangers d'une situation singulièrement
difficile. S'appuyant de préférence sur l'Allemagne, il travailla
à la réorganistaion administrative et financière de
son empire. La visite que lui fit l'empereur d'Allemagne Guillaume II (1889)
visait à lui fire croire que la Turquie conservait son rang parmi
les grandes puissances. C'était une illusion, et cela déjà
bien avant que ce rapprochement avec l'allemagne ne préfigure la
disparition définitive de l'empire. Le navire faisait déjà
eau de toutes parts.
Abdul-Hamid II. La dislocation.
L'établissement de trois évêques schismatiques bulgares en Macédoine provoqua de vives protestations du patriarche oecuménique de Constantinople, en juillet 1890. La même année la Turquie conclut un traité de commerce de vingt et un ans avec l'Allemagne; en 1891, la Russie obtint que ses navires battant pavillon commercial pussent passer par les Dardanelles, et causa ainsi la chute du grand vizir Kiamil Pacha, opposé à cette mesure. Une des caractéristiques de la politique d'Abd-ul Hamid a été l'annulation du grand vizir, dont il remplaça l'action par sa politique personnelle; en septembre 1891, Dschewad Pacha fut nommé grand vizir; en 1890, 1892 et 1898, des soulèvements redoutables au Yémen montrèrent l'impuissance ottomane dans cette région. Une insurrection en Crète se produisit aussi en 1894 et réclama la nomination d'un gouverneur chrétien et d'une assemblée nationale, privilèges perdus à la suite du soulèvement de 1889-90 : les sanglantes répressions des Turcs en mai 1896 amenèrent une révolte presque générale et provoquèrent l'intervention des puissances qui obligèrent le sultan à accorder aux Crétois une sorte d'autonomie (1er septembre 1896). En Macédoine la population slave, encouragée par l'annexion de la Roumélie en 1886, s'agitait pour obtenir l'union avec la Bulgarie, tandis que la population d'origine grecque, moins nombreuse, tournait les yeux vers la Grèce; ces aspirations se traduisirent en 1895 et 1896 par des soulèvements armés. En même temps, l'insurrection des Arméniens causait de grandes difficultés à la Turquie : au congrès de Berlin, elle avait promis de leur accorder des réformes et de les protéger contre les violences des Kurdes. Ces promesses restaient illusoires, et les Arméniens tentèrent d'échapper au joug turc pour constituer un Etat indépendant; à l'automne de 1894, la révolte éclata et de violents combats se produisirent, dans le vilayet de Biteis, entre Arméniens et Kurdes; le 8 octobre 1895 des centaines d'Arméniens furent égorgés à Trébizonde; les puissances occidentales se décidèrent à intervenir, et le sultan promit des réformes consistant à adjoindre à chaque mutessarif un chrétien, et à composer la gendarmerie en proportion de la population de soldats chrétiens et musulmans. En Syrie, les Druzes se remuèrent, mais les Turcs, après quelques combats, se rendirent maîtres du mouvement. A Istanbul même, le sultan Abd-ul Hamid Il avait pris en main tout le pouvoir; à la place des fonctionnaires, il s'entoura d'une camarilla de cour qui dirigeait tout; le vizir Said Pacha se retira en juin 1895, quand les flottes des Occidentaux exigeant des réformes parurent dans la mer Egée; il fut remplacé par Kiamil Pacha qui, voulant reprendre l'ancien pouvoir du grand vizir, irrita à tel point le sultan que celui-ci le renvoya au bout de quatre semaines; son successeur, Halil-Rifaat Pacha, n'eut qu'une autorité nominale, tandis que le véritable régent était Izzet bey, chef de la camarilla du palais; un comité jeune-turc se forma alors contre la cour et les favoris du sultan, pour réclamer la représentation nationale organisée en 1876-77par Midhat Pacha. En même temps, des pogroms sont perpetrés en Anatolie orientale, où périssent quelque 150 000 Arméniens. Ceux-ci cherchent alors à pousser les puissances à intervenir en intensifiant les troubles : le 30 juin 1895, ils firent une première démonstration à Istanbul; au cours d'un deuxième soulèvement, le 30 septembre, des centaines d'Arméniens furent encore massacrés; mais ces cruautés furent dépassées de loin le 28 août 1896, à la suite de l'occupation à Istanbul de la Banque ottomane par les révolutionnaires arméniens, qui jetèrent des bombes de dynamite sur leurs adversaires; le fanatisme religieux se déchaîna contre tous les Arméniens, et, dans la ville même, des milliers d'entre eux furent mis à mort, assommés ou noyés. En Crète, les comités nationaux grecs maintenaient l'agitation, et les hostilités reprirent au début de 1897 entre chrétiens et musulmans : le 15 février, des troupes grecques débarquèrent dans l'île, et les puissances y envoyèrent également des détachements. Les Grecs, encouragés par l'impuissance des efforts de l'Europe pour maintenir la paix, massèrent des troupes sur la frontière thessalienne; le 17 avril, la Turquie, irritée par les incursions des troupes helléniques sur son territoire, déclara la guerre; elle remporta victoires sur victoires et allait pousser jusqu'à Athènes quand les Grecs demandèrent la paix (18 mai). Les négociations de paix auxquelles les puissances prirent part à Constantinople aboutirent le 4 décembre 1897; la Turquie fut obligée par l'Europe de se contenter d'une petite rectification de frontières et d'une indemnité de guerre de 4 millions de livres. Mais l'orgueil ottoman fut grandement accru par cette guerre victorieuse, et la Turquie montra beaucoup de résistance pour le règlement de la question crétoise; la Grèce avait été obligée de retirer ses troupes, l'Allemagne et l'Autriche en avaient fait autant, mais les autres puissances les avaient maintenues et décidèrent (France, Russie, Angleterre, Italie) la nomination du prince Georges de Grèce comme gouverneur de Crète pour trois ans (août 1898), avec une constitution et une assemblée crétoises. Après une explosion sanglante du fanatisme musulman à Candie (Héraklion), le 6 septembre 1898, réprimée par les Anglais, le sultan souscrivit au désarmement de la population et aux décisions des puissances européennes. Des Jeunes Turcs à Atatürk Malgré les difficultés considérables dans lesquelles se débattait le gouvernement ottoman et l'autoritarisme de plus en plus marqué de son sultan, l'oeuvre des réformes se poursuivait par le complément de la législation, tandis que le crédit se relevait, grâce à la constitution d'une administration internationale, représentant les intérêts des bondholders ou porteurs de titres de la dette extérieure et chargée de percevoir les revenus de l'Etat qui lui étaient concédés, tels que le tabac (remis plus tard à la Régie coïntéressée), le sel, les spiritueux, etc. L'établissement de nombreuses écoles primaires musulmanes, la création d'un réseau de routes, l'achèvement de plusieurs lignes de chemin de fer, la construction de ports et autres travaux d'utilité publique, indiquaient à la fin du XIXe siècle la vitalité de la Turquie et le désir de son gouvernement de sortir de l'ornière où elle s'était trop longtemps laissé traîner. En pure perte. En 1908, le parti des « Jeunes Turcs », en principe des libéraux partisans des réformes, impose le rétablissement de la constitution (23 juillet) et, l'année suivante, la déposition d'Abd-ul Hamid II (13 avril 1909). Une évolution qui ne freine pas le durcissement du régime envers les minorités. Simplement, alors que sous le sultan, on massacrait au nom du panislamisme, voilà désormais qu'on le fait au nom du nationalisme turc. Et encore une fois, ce seront les Arméniens qui en paieront le pris le plus lourd, avec, à partir de 1915, après l'insurrection, le 7 avril, de Van, la déportation et le massacre d'un million à un million et demi de personnes. C'est le premier des grands génocides qui souilleront le XXe siècle. Mais entretemps, une autre tuerie a commencé, la Première Guerre mondiale, surgie des tensions qui étaient nées justement du dépeçage de l'empire Ottoman par les grandes puissances et du dessin absurde des frontières des territoires qui en avait résulté. La guerre, dans laquelle l'empire s'engage aux côtés de l'Allemagne le 31 octobre 1914, lui coûtera son démantèlement définitif. En 1923, la proclamation de la république turque par Mustapha Kémal (dit Atatürk), puis l'année suivante l'abolition du califat (3 mars 1924), en signeront la fin complète. (Cl. Huart / J. Blochet / E. Dutemple).
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