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La Mecque
(en arabe Makka, la Macoraba de Ptolémée,
surnommée Al-Mocharrafa, l'anoblie; Omm al-Kora, la mère
des cités; Al-Balad al-Amîn, la ville sûre). Capitale religieuse
de l'Arabie, la première des trois villes saintes (avec Médine et Jérusalem)
des musulmans, lieu de leur principal pèlerinage.
le sanctuaire et le berceau de l'Islam,
située dans la partie Sud du Hidjâz, par 21°28' de latitude Nord, 39°5'
de longitude Est, à 70 kilomètres environ à l'Est de Djeddah, qui lui
sert de port sur la mer Rouge et d'aéroport. La ville ouverte, mais protégée
par trois citadelles, s'étend du Nord
au Sud-Ouest entre le djebel Kobeis à l'Est et le djebel Hindi à l'Ouest,
dans une étroite vallée aride et sablonneuse, sur une longueur totale
d'environ 2500 m et sur une largeur variant de 500 à 1000 m, dominée
de tous côtés par des montagnes nues et désolées hautes de 80 à 250
m. L'insalubrité du climat a été exagérée; la température en été
est très élevée et la chaleur étouffante, mais la sécheresse de l'air
ainsi que la nature pierreuse et aride du sol sont de puissants obstacles
a la propagation des germes infectieux, malgré l'affluence considérable
des pèlerins. Les épidémies de choléras restant cependant une menace
possible, ainsi que les incendies qui ravagent de temps à autre le village
de tentes du plateau d'Arafat, l'une des étapes du pèlerinage à la sortie
de la ville. Bien que la sécheresse soit la caractéristique de la contrée,
il arrive, en moyenne, tous les quinze ou vingt ans, qu'Ã la suite de
pluies tombées dans la région, un torrent impétueux se précipite Ã
travers la vallée, causant de graves dommages et faisant de nombreuses
victimes. Un aqueduc, long de plus de 40 kilomètres, construit par Zobeida,
épouse d'Haroun er-Rachid, amène une bonne
eau des montagnes de l'Est.
La Mecque est reliée à Djeddah par une
autoroute qui se continue vers Médine, où se trouve le tombeau du Prophète
et qui est souvent la première destination des pèlerins arrivés par
bateau ou par avion à Djeddah. L'autoroute se continue également
à partir de La Mecque vers Taïf, grosse bourgade dans les montagnes Ã
l'Est, où les Mecquois vont passer l'été, et au-delà , jusqu'à Riyad,
la capitale de l'Arabie Saoudite. En dépit de la présence de nombreux
immeubles modernes, la physionomie générale de la ville a peu changé
depuis les premiers temps de l'Islam.
Au XIXe siècle, sous la domination ottomane,
un palais du gouvernement, la Hamldiya, et une imprimerie y ont été construits
dans le style européen. Les maisons bien bâties et hautes souvent
de cinq étages sont pourvues de nombreuses fenêtres; les rues, assez
larges, convergent toutes vers la place centrale, Ã l'endroit le plus
large de la vallée occupée par le Masdjid al-Haram (la Sainte Mosquée),
vaste rectangle irrégulier de 192 m de long sur 132 de large, entouré
d'un portique intérieur, large d'une vingtaine
de mètres et haut de 7; plus de 550 colonnes de marbre, de granit, de
pierre commune, supportent les arcades de
ce portique dont le toit est orné de 120 coupoles;
sept minarets s'élèvent au-dessus du temple.
Plusieurs fois ruinée et réparée, cette mosquée a été reconstruite
en 1572, de sorte qu'on n'y rencontre aucune trace d'antiquité. Vers le
milieu de la cour de la mosquée se dresse la Kaaba
[le cube, la maison carrée].
A côté de la Kaaba, on montre les tombes
d'Agar et d'Ismaël. A une dizaine de mètres du coin où est enchâssée
la Pierre noire de la Kaaba
s'élève le monument qui recouvre le puits de Zemzem (bir Zemzem); d'après
la tradition, c'est la source qu'Agar découvrit au moment où Ismaël
allait périr de soif; il s'agissait déjà d'une destination de
pèlerinage
avant l'avènement de l'Islam.
L'eau de ce puits, légèrement saumâtre, mais exempte de produits organiques,
est tenue en grande estime; employée comme boisson et pour les ablutions,
on en envoie aussi dans les pays musulmans. Autour de la Kaaba se trouvent
encore quatre petites chapelles représentant les quatre rites orthodoxes.
A côté de la mosquée s'étend le Manya,
grande rue bordée de hautes maisons et terminée par les deux collines
de Sana et de Marwa, que les pèlerins doivent parcourir sept fois en courant,
en commémoration du désespoir d'Agar (les autres principales obligations
du pèlerinage [hadjj] que doit accomplir au moins une fois dans sa vie
tout musulman en état de le faire, sont d'assister au sermon d'Arafat,
le 9 de Dhou l-Hidjdja, d'immoler le lendemain une victime à Mina en souvenir
du sacrifice d'Abraham et de faire les sept tournées autour de la Kaaba).
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Vue
générale de la Mecque et de la Grande mosquée (vers 1920).
La population actuelle de la Mecque est,
selon les sources , comprise entre 500 000 et 1 500 000 habitants (disons
donc d'environ 1 million), soit dix à vingt fois plus qu'il y a un siècle.
Il ne reste, hors de nombreux chérifs, que de rares descendants
des anciennes familles. Aux Bédouins du Hidjâz ou leurs descendants s'ajoutent
une forte proportion d'immigrés : Yéménites, Soudanais, Égyptiens,
Pakistanais, etc.; A l'époque du pèlerinage,
la ville reçoit plus de deux millions de visiteurs supplémentaires. Chaque
année quelques pèlerins se fixent définitivement à La Mecque; un plus
grand nombre y séjourne quelque temps pour s'y occuper de commerce ou
s'y livrer à l'étude, quoique l'enseignement y soit bien inférieur Ã
celui donné au Caire, par exemple. Parmi les
habitants de la Mecque, les uns s'adonnent à l'enseignement, les autres
s'occupent des affaires publiques; le commerce devient en période de pèlerinage
une activité très importante. Il existe également une institution, celle
des mutawiff, guides ou référents des pèlerins, qui pour l'essentiel
s'occupent de les héberger (ou plutôt de les entasser dans des
locaux insalubres) contre rémunération.
D'après la tradition musulmane, La Mecque
est le premier point qui surgit des eaux lors de la création. Ismaël
y vécut et y fut enseveli après avoir élevé un temple au dieu de son
père Abraham.
Sa nombreuse postérité fut dépossédée de la garde de ce temple par
les Banou Djorhom, tribu yéménite. La Kaaba
et la Pierre noire doivent, dès une haute antiquité, avoir attiré les
pèlerins de l'Arabie entière; Diodore de Sicile
parle d'une pierre très sainte vénérée des Arabes qui ne peut être
que la Pierre noire. A leur tour les Djorhom furent dépouillés de l'autorité
par les Khozâa, tribu venue du Yémen vers l'an 240 ap. J.-C. Le premier
chef de cette tribu, Amr ibn-Lohay, fut, dit-on, celui qui apporta de Syrie
des idoles dans la Kaaba. Aucun temple n'avait en Arabie le prestige de
la Kaaba; elle contenait 360 idoles qui, avec les images d'Abraham,
de Jésus
et de Marie
qui s'y trouvaient, ne représentaient que des puissances subalternes soumises
au Très-Haut (Allah Tââla), auprès duquel elles jouaient le
rôle d'intermédiaires.
Vers l'an 450, un ancêtre de Mohammed,
Kossaï, de la tribu de Koreïch, issue d'Ismaël, parvint à supplanter
les Khozâa dans la garde du temple; il s'empara des avantages qui y sont
attachés et en assura la propriété à sa famille qui l'a conservée
jusqu'à l'époque moderne. Jusque-là les habitants demeuraient dans des
tentes au milieu des montagnes environnantes; Kossaï, le premier, éleva
des maisons autour de la Kaaba.
Outre le service de celle-ci, les Koreïchites s'occupaient activement
de commerce et envoyaient des caravanes en Syrie et au Yémen. En 570,
année de la naissance du Prophète,
la ville, menacée par les Abyssins chrétiens venus pour détruire la
Kaaba, repousse l'ennemi, qui est décimé par un fléau inconnu (guerre
de l'Éléphant). La Mecque fit d'abord une opposition acharnée Ã
la rénovation religieuse entreprise par Mohammed qui dut se retirer Ã
Médine pour sauver sa vie (622); ce ne fut que dans la huitième année
de l'hégire, après avoir vaincu la résistance de ses concitoyens, qu'il
put imposer la Loi nouvelle.
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La
Mecque. Visualisation 3D World Wind.
© Imago Mundi, 2005.
Pendant les premiers siècles de l'hégire,
l'autorité des califes domine à La Mecque,
malgré quelques soulèvements (siège et prise de la ville par Al-Hadjdjâdj,
692). En 930, elle est dévastée par les Karmathes
qui y commettent toutes sortes d'excès. Peu à peu cependant l'influence
des chérifs se fortifie au détriment du pouvoir central duquel ils finissent
par se rendre presque entièrement indépendants. Néanmoins les Fâtimites,
les sultans mamelouks et après eux les sultans d'Istanbul
furent reconnus comme suzerains, et, depuis les conquêtes de Selim
Ier (1517),
les chérifs ont gouverné au nom de la Sublime-Porte (Le
siècle de Soliman).
En 1803, les Wahhâbites
s'emparent de La Mecque d'où ils sont chassés dix ans plus tard par l'armée
de Méhémet-Ali. Dès ce moment la puissance
des chérifs ne cesse de diminuer; en 1840, la Porte envoie un gouverneur
(vali) qui, jusqu'Ã la chute de l'empire ottoman,
eut à lutter contre leur hostilité; à la place de leur gouvernement
personnel, tyrannique et capricieux, Istanbul s'efforça d'installer une
administration régulière. Les chérifs cependant jouissaient encore d'une
grande influence sur les Bédouins. La haine qu'ils nourrissaient contre
les Turcs fut d'ailleurs exploitée par les Occidentaux. Dès le milieu
du XIXe siècle, l'Anglais Richard
Burton écrivait déjà :
«
Il n'est pas besoin de la clairvoyance d'un prophète pour prévoir le
jour où la nécessité politique nous obligera à nous emparer de la source
de l'Islam. »
L'activité déployée dans la région au
début du XXe siècle par les agents de
la Grande-Bretagne (T. E. Lawrence, notamment) s'inscrivait encore dans
cette perspective. L'indépendance du Hidjâz en 1916, avec la Mecque pour
capitale, puis son absorption (entre 1924 et 1932) par l'État féodal,
d'inspiration wahhabite,
fondé par Ibn Saoud en Arabie, et enfin les traités conclus à partir
de 1927 par les Occidentaux ont sans doute permis à ces derniers de réaliser
une partie de leurs ambitions. Le caractère ultra-religieux de l'État
a cependant consacré la fermeture de la première ville sainte de l'Islam.
A la fin du XIXe siècle, seulement une
quinzaine d'Européens avaient visité La Mecque sous le déguisement de
pèlerin. L'Italien L. Bartema (1508) , puis l'Espagnol Badia
(Ali Bey), le Suisse Burckhardt, le Français
Roches, les Anglais Burton, Keane, le Hollandais
Snouck-Hurgronje, sont les principaux voyageurs qui l'ont fait connaître
en Occident. Le dernier, qui put y passer six mois (1885), en a publié
une excellente description topographique, historique et sociale, accompagnée
de deux atlas de photographies. Au XXe
siècle, des reportages et des documentaires audiovisuels l'ont également
fait encore mieux connaître. Mais la Mecque reste aujourd'hui une ville
au statut très spécial. Interdite au non-musulmans (dans un périmètre
en forme de losange d'une dizaine de kilomètres de long, centré sur la
Kaaba),
et à l'accès aux musulmans eux-mêmes très surveillé. Il est vrai que
ce haut lieu symbolique reste une poudrière : en novembre 1979 (hors de
la période du pèlerinage),
200 activistes musulmans occupent la Grande Mosquée
et en sont délogés par un massacre; depuis des violences y interviennent
régulièrement, comme en 1987, par exemple. (L. Leriche). |
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