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La Révolution française
Le Directoire
27 octobre 1795  - 10 novembre 1799
Aperçu Causes Constituante Législative Convention Directoire
Succédant à la Convention, le Directoire ou Directoire exécutif de la République française, gouverna la France du 5 brumaire an IV (27 octobre 1795), au 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799). 

Conformément à la Constitution de l'an III , et suivant la procédure singulière que nous avons exposée dans notre page sur le Conseil des Cinq-Cents, les nouvelles assemblées législatives, définitivement constituées le 8 brumaire avaient élu le 10 les membres du Directoire exécutif. La Reveillère-Lepaux avait obtenu 317 voix, Rewbell, 246; Sieyès, 239; Letourneur, 214; Barras, 206; Cambacérès, 143. Sieyès démissionna aussitôt (11 brumaire) sous le bizarre prétexte que sa personnalité n'était pas de nature à favoriser l'union entre les partis. Il fut remplacé le lendemain par Carnot. Tous les directeurs étaient d'anciens conventionnels ayant voté la mort de Louis XVI. Ainsi l'avaient voulu les Cinq-Cents, pour mieux tenir en mains le gouvernement de leur choix. 

La Reveillère-Lepaux, l'un des fondateurs de la secte des théophilanthropes, fort intolérant comme tous les créateurs de systèmes, esprit étroit et nuageux, mais austère et désintéressé, plein de zèle pour la République, avait la nuance politique des Girondins; Rewbell avait celle des Jacobins. Il trouvait, si l'on en croit les mémoires de Carnot, que Robespierre « avait été trop doux », et il avait une fâcheuse tendance à découvrir partout des conspirations. Il possédait de réelles qualités d'homme d'État et une entière probité. Barras, ancien officier criblé de dettes, joueur et débauché, élégant et don-juanesque, avait servi un peu tous les partis avec l'unique préoccupation de se mettre en lumière et de jouer un premier rôle, plutôt par vanité que par ambition. Il était totalement incapable de rien comprendre au maniement des affaires et s'en souciait peu; mais il savait se former des opinions conformes à ses appétits et les faire prévaloir, étant doué d'une volonté ferme et d'un caractère absolu. Carnot, l'organisateur de la victoire, administrateur de talent, inclinait vers les solutions modérées; de même Letourneur, caractère effacé et timide. 

En somme, le Directoire, composé de personnalités d'opinions politiques différentes, presque dissemblables, destinées à se heurter fatalement et à s'entre-détruire, était bien créé à l'image de cette époque troublée qui suivit la période conventionnelle : sorte de chaos où les éléments sociaux les plus contradictoires s'agitaient à grand bruit. 

A peine sortie des rigueurs révolutionnaires, lassée d'une continuelle tension des nerfs, la société se précipitait frénétiquement vers les plaisirs. Jamais les moeurs ne furent plus dissolues, les divorces plus fréquents et plus faciles, l'agiotage et le jeu plus effrénés, la licence de la presse et du livre plus entière, l'audace des spectacles plus grande. Cette détente tournant parfois à l'excès ne se manifestait pas seulement dans la vie privée. Il n'existait plus d'autorité dans le gouvernement, d'ordre dans les finances, de régularité dans l'administration. Les Compagnies de Jésus (ou de Jéhu) et du Soleil ensanglantaient le midi de la France, les royalistes entretenaient dans l'Ouest la guerre civile. Il n'y avait plus que des partis acharnés à se disputer le pouvoir : républicains divisés entre eux, mais excommuniant systématiquement toute personnalité non marquée de l'estampille révolutionnaire, de manière à garder intacte I'autorité exécutive qu'ils ont réussi à conserver ; modérés et réactionnaires s'ingéniant à pénétrer dans les assemblées législatives et y pénétrant dans le seul but de combattre et d'annihiler l'exécutif. Et dehors de ces partis, une armée victorieuse et disciplinée qui bénéficiera de leurs luttes et du discrédit où ils tomberont sûrement, et représentée par un général ambitieux et bien doué, rétablira enfin l'ordre en étouffant la liberté.

Les directeurs, qui s'étaient donné pour rehausser leur prestige un costume fort brillant : hermine, chapeau à grandes plumes, manteau théâtral, s'établirent au Luxembourg. Ils constituèrent (le 14 brumaire) un ministère composé de six départements : relations extérieures, confiées à Charles Delacroix, ancien conventionnel qui avait eu à remplir plusieurs missions à l'étranger; justice, à Merlin de Douai, aussi ancien conventionnel, auteur de la loi des suspects; guerre, au général en chef de l'armée des côte, de Cherbourg, Aubert Dubayet; trésorerie, à Gandin, qui refusa et fut remplacé par Faypoult, employé secondaire des finances; marine, au contre-amiral Truguet  intérieur, à Benezech, commissaire de l'organisation et du mouvement des armées. Puis ils adressèrent au peuple français une proclamation dont la rédaction leur causa mille difficultés : les partis étant fort divisés et eux-mêmes peu d'accord sur la politique à suivre. On eut recours à des formules très générales : 

« Notre ferme volonté est de consolider la République et de donner à la Constitution toute son autorité et toute sa force [...]. Faire régner la concorde, ramener la paix, régénérer les moeurs, rouvrir les sources de la production, ranimer le commerce et l'industrie, étouffer l'agiotage, donner une nouvelle vie aux arts et aux sciences, rétablir l'abondance et le crédit public, remettre l'ordre social à la place du chaos inséparable des révolutions, voilà la tâche de la Législature et du Directoire exécutif! » 
Ce programme était trop vaste et trop compréhensif pour qu'on pût espérer le réaliser entièrement. Le Directoire s'y attacha néanmoins et envoya à ses commissaires près les administrations centrales de département des instructions détaillées où tout de suite on découvre les caractéristiques de la politique de bascule qu'il se proposait d'appliquer pour dominer les partis, en leur accordant et en leur retirant tour à tour les faveurs et l'appui du gouvernement : 
« Pour écraser le royalisme et l'anarchie, disait-il, pour détruire l'agiotage, pour rendre à la nation sa physionomie, sa moralité, pour rappeler la confiance et ramener l'abondance, pour éteindre le volcan de la Vendée, pour terminer cette guerre funeste qui menace de dépeupler l'Europe, une seule chose suffit : c'est de le vouloir sincèrement, fortement, uniquement [..]. Quoique toutes les lois méritent également votre attention, il en est cependant qui, dans les circonstances terribles où nous nous trouvons, exigent une sollicitude particulière : la loi sur les contributions [...]. La loi contre les déserteurs; calculez toutes les calamités dont sont auteurs les lâches qui ont abandonné leurs drapeaux, les lâches qui n'ont pas voulu les joindre. Dans l'Ouest ce sont les jeunes gens échappés à la première réquisition qui ont fourni les premiers bataillons des Vendéens. Une pitié cruelle, un fanatisme imbécile les ont retenus dans leurs foyers. Ont-ils échappé aux massacres de la guerre sacrilège qu'ils ont alimentée? A Lyon, à Aix, à Marseille, quels sont les provocateurs, les instruments des assassinats qui ont signalé la réaction qui nous tue? des déserteurs [...]. » 
Même recommandation pour les prêtres insoumis et les émigrés : 
« Le mauvais prêtre, instruit, accoutumé à publier effrontément ce qu'il ne pense pas, vit de mensonges, d'intrigues et de conjurations [...] que vos regards n'abandonnent pas un seul instant ces instruments de meurtre, de royalisme et d'anarchie, et que la loi qui comprime, qui frappe ou qui déporte les réfractaires reçoive une prompte et entière exécution. Les émigrés! ceux-là sont les auteurs de toutes les calamités qui nous désolent; ils ont armé l'univers contre leur patrie [...], ils ont trempé leurs mains parricides dans le sang de leurs frères : ce sang ne s'effacera-plus [...]. Déployez contre ces assassins la toute-puissance nationale; qu'ils fuient du territoire français, ou, s'ils ont l'audace de fouler encore la terre de la liberté, que cette terre les dévore! Prêchez les moeurs, républicains, donnez les premiers l'exemple, rendez au nom sacré de citoyen sa pureté originelle, sa religieuse grandeur; soyez les prêtres de la morale publique, exercez ce grand sacerdoce avec ce zèle, avec cet enthousiasme, avec ce fanatisme qui fait des martyrs et des héros! »
Réellement, la situation politique et économique de la France semblait alors désespérée. Pour voir plus clair dans le chaos administratif et financier, les directeurs se partagèrent les attributions diverses du pouvoir; mais ce partage eut pour effet de créer de véritables dictatures. Carnot et Rewbell se disputèrent les affaires étrangères où leur influence prédomina tour à tour. Barras s'occupa plus spécialement des marchés avec les fournisseurs où il trouva occasion d'agioter, malgré la surveillance inquiète de Rewbell, qui se résignait difficilement aux dilapidations. La Reveillère était absorbé par des préoccupations morales et religieuses, et il se mit à persécuter toutes les religions ennemies naturelles de sa théophilanthropie. Quant aux finances proprement dites, personne n'osa prendre la responsabilité d'en assumer la gestion. C'était la branche administrative la plus importante, et l'on crut bien faire en la soumettant au contrôle des cinq directeurs, du ministre spécial, des conseils législatifs, voire des fournisseurs et des banquiers. Il en résulta une complication et un désordre effroyables auxquels aucune mesure gouvernementale ou législative ne put remédier. Les assignats firent définitivement banqueroute, bientôt suivis dans cette voie par les cédules hypothécaires ou mandats territoriaux; l'emprunt forcé ne réussit pas mieux, et l'agiotage continua à régner en maître. Néanmoins ces échecs financiers répétés et la prodigieuse banqueroute de 33 milliards qui ruina de très nombreux rentiers, eurent l'avantage de retirer enfin de la circulation le papier-monnaie : le retour du numéraire amena presque aussitôt la reprise des transactions commerciales. Obtenant tout des conseils législatifs, le Directoire s'était fait autoriser à nommer à tous les emplois juges de paix, officiers municipaux, fonctionnaires de toute sorte qui auraient dû être élus, et il peupla les ministères et les municipalités de ses créatures. Ses choix ne furent pas toujours heureux. On les attaqua passionnément, et il reconnut lui-même ses erreurs : 
« Les intentions pures qui ont dirigé le Directoire dans le choix des citoyens auxquels il a confié des fonctions publiques ont pu être entravées par les efforts de l'intrigue et de la malveillance; il ne veut pas souiller l'autorité en la laissant entre les mains d'hommes dénoncés pour vols ou pour assassinats, ou de ceux qui ont coopéré aux crimes commis par les scélérats connus sous les dénominations de Compagnies de Jésus, du Soleil ou autres. »
La presse réactionnaire et la presse ultra-révolutionnaire l'inquiétaient : leurs attaques incessantes, leur polémique d'une violence furieuse, dénonçaient l'existence de deux partis puissants, d'opinions politiques très divergentes, mais acharnés à la destruction du Directoire. Il réclama et obtint (1er janvier 1796) la création d'un ministère de la police dont fut chargé Merlin, remplacé à la justice par Génissieu. Il poursuivit les journaux devant le jury qui les acquitta. Alors il ferma le club du Panthéon où prêchait Gracchus Babeuf, deux autres clubs révolutionnaires et plusieurs cercles catholiques, fit arrêter force déserteurs et force réfractaires qu'il envoyait soit aux travaux forcés, soit aux armées, étouffa le complot de Babeuf où Barras avait trempé, réprima l'insurrection du camp de Grenelle, et la conspiration royaliste de Brottier et Lavilleheurnois.

Les mesures de vigueur coïncidèrent avec la répression définitive des troubles de Vendée. Hoche avait mené contre les « blancs» une campagne des plus habiles. Il s'était rendu compte de l'esprit des populations, et par sa tolérance religieuse autant que par sa ténacité et la supériorité de ses dispositions militaires, il les avait enfin pacifiées. Il écrivait au Directoire :

 « Je l'ai dit vingt fois au Directoire; si l'on n'admet la tolérance religieuse, il faut renoncer à l'espoir de la paix dans ces contrées. Le dernier habitant, acharné d'aller en paradis, se fera tuer en défendant l'homme qu'il croit lui en avoir ouvert les portes. Qu'on oublie une fois les prêtres et il n'y aura plus ni prêtres ni guerre; qu'on les poursuive collectivement et l'on aura la guerre et des prêtres pendant mille ans [...]. Je le demande hardiment, cette multitude qui ne connaît que ses prêtres et ses boeufs peut-elle adopter tout à coup des idées de morale et de philosophie? D'ailleurs faut-il fusiller les gens pour les éclairer? » 
Charette et Stofflet furent pris et fusillés. Les royalistes eux-même se décourageaient. Cadoudal, qui se soumit le dernier, pressait les curés de désarmer les paroisses, et à un récalcitrant écrivait : 
« Toutes les puissances reconnaissent la République; le pape lui-même traite avec elle. Quel secours attendre de l'empereur qui tout récemment vient de signifier au roi de France l'ordre de quitter l'armée de Condé? et quelles pourraient être nos ressources à l'intérieur?-» 
La guerre civile était terminée. La guerre étrangère cependant était poursuivie avec vigueur. Pour ses débuts, le Directoire avait eu à enregistrer de graves insuccès. Pichegru avait laissé prendre Mannheim, Jourdan avait battu en retraite jusqu'à Dusseldorf; la situation sur le Rhin était compromise. Fort heureusement, l'Autriche s'empressa de proposer un armistice que le Directoire accepta aussitôt (29 frimaire, 19 décembre 1795). Pichegru, soupçonné de trahison par Carnot, offrit sa démission. Il pensait qu'on la lui refuserait. Carnot le remplaça par Moreau (10 avril 1796). On résolut de lancer trois armées sur l'Autriche, les deux premières partant du Rhin, la troisième d'Italie. Le commandement de celle-ci fut confié à Bonaparte sur la recommandation de Barras et de Carnot (26 mars).

A ce moment s'ouvre la cinquième campagne des guerres de la Révolution. La France ayant pour auxiliaires la République batave, l'Espagne (depuis le 18 août 1795) a pour ennemis la Sardaigne (jusqu'au 15 mai 1796), la Grande-Bretagne, le Portugal, l'Empire germanique, Naples (jusqu'au 10 octobre), l'Autriche (jusqu'au 17 octobre.) et le pape (jusqu'au 19 février 1797). Bonaparte remporta tout de suite des succès considérables; ses brillantes victoires vinrent en aide à la diplomatie du Directoire qui réussit à détacher de la coalition le duc de Wurtemberg, le margrave de Bade, l'électeur de Bavière; à signer un traité de paix avec le roi de Sardaigne, un traité d'alliance offensive et défensive avec l'Espagne, un traité de paix avec le duc de Parme, un autre avec le roi des Deux-Siciles. Mais L'entente entre le gouvernement et le général n'était pas parfaite. Il se produisit même des tiraillements violents. La Reveillère-Lepeaux voulait renverser le pape auquel il avait voué une sorte de haine personnelle. Les autres directeurs étaient inquiets de l'influence et de la popularité croissantes de Bonaparte. Ils prétendirent lui imposer le partage de son commandement avec Kellerman. Bonaparte offrit purement et simplement sa démission que le Directoire ne put accepter : il n'avait, pour le faire, ni assez d'énergie ni assez d'autorité. Bonaparte conquit alors une entière indépendance, refusa de suivre les plans militaires qu'on lui traça, resta sourd à l'ordre d'expulser de Rome les émigrés et les prêtres insermentés qu'on ne cessait de lui renouveler, et signa directement des traités avec les puissances. 

Les victoires persistantes de la France inspirèrent alors à l'Angleterre l'idée de proposer la paix. Le cabinet Pitt, sous la pression de l'opinion publique, envoya à Paris avec une certaine pompe, un plénipotentiaire, lord Malmesbury. Il n'avait au fond aucune intention de traiter. Le Directoire était encore plus mal disposé. Lord Malmesbury fut accueilli par les diatribes des journaux officiels. Les restitutions et compensations qu'il proposait furent considérées comme dérisoires. Au cours même des négociations, le Directoire fit adopter par les conseils une loi relative à la prohibition des marchandises anglaises : finalement il signifia au plénipotentiaire d'avoir à quitter Paris dans les quarante-huit heures. Il voulut alors détacher l'Autriche de l'Angleterre et envoya Clarke à Vienne pour proposer un armistice. Bonaparte démontra qu'une telle démarche serait plus nuisible qu'utile, et l'on décida un débarquement en Irlande. L'amiral Truguet, trop confiant dans les forces de la marine , comptait mener à bien l'expédition qui, annihilée par une tempête, se termina par la lamentable affaire de la baie de Bantry. Pendant ce temps, Bonaparte signait avec l'Autriche les préliminaires de Leoben (18 avril 1797) non sans accuser le Directoire de l'avoir mal secondé et d'avoir empêché, par jalousie, les armées du Rhin d'appuyer ses opérations en Italie et en Allemagne

A l'intérieur, la situation ne s'améliorait pas. Les troubles persistaient, bien qu'on eût donné la police à Cochon de Lapparent, plus vigoureux que Merlin qui reprit son portefeuille à la justice. La légion de police, qui causait du désordre au lieu de le réprimer, fut dissoute : on renouvela une partie des maires et adjoints de Paris, et on continua d'expulser une foule de suspects, principalement des fonctionnaires destitués ou d'anciens militaires sans emploi. Privé de la ressource du papier-monnaie, le Directoire fit appel au commerce pour fonder une banque. Il pria les grandes villes de déléguer à Paris les plus notables commerçants. Quelques-unes refusèrent de participer à cette mesure; beaucoup de députés élus n'acceptèrent pas leur mandat. Ceux qui se réunirent s'emportèrent tout d'abord contre les valeurs fiduciaires. Ils ne parlèrent que de la ruine du commerce, de la disparition des capitaux, du bouleversement causé par les perpétuels changements apportés dans les lois. Finalement ils tombèrent d'accord pour déclarer « que le succès d'une banque leur semblait impossible dans les circonstances actuelles ».

Si d'une part les victoires des armées françaises avaient jeté un très vif éclat sur le Directoire qui les avait préparées, d'autre part, il avait soulevé contre lui une légion de mécontents. On lui reprochait ses persécutions continuelles contre les émigrés et les prêtres, ses actes de despotisme, et pardessus tout le désordre des finances produit par les dilapidations qu'il semblait autoriser, les orgies de Barras et l'espèce de marché qu'il avait institué au Luxembourg où il trafiquait des emplois administratifs, des postes judiciaires, des commandements militaires, des subsistances du peuple, des fournitures de l'armée. Aussi les élections de l'an V pour le renouvellement du Corps législatif furent-elles désastreuses pour le gouvernement (20 mai 1797). Elles furent faites la plupart sous l'influence des réactionnaires qui entrèrent en masse dans les conseils. Le directeur sortant désigné par le sort, Letourneur, fut remplacé par F. Barthélemy, ministre de France en Suisse, qu'on appelait communément le pacificateur de l'Europe. Il obtint 138 voix sur 218 votants, n'ayant d'autre concurrent que Cochon qui obtint 75 voix. Il arriva à Paris, animé d'excellentes intentions :

« Dirai-je que j'ai été conduit par l'espoir de trouver dans le Directoire les éléments d'une pacification générale? J'ai pensé qu'après un grand développement de force et de puissance, la République française se montrerait juste et pacifique même envers ses plus cruels ennemis! » 
Carnot approuva ces tendances :
« Vos vastes connaissances et l'esprit de modération qui vous anime sont un sûr garant du succès avec lequel vous travaillerez, de concert avec nous, à l'achèvement du grand ouvrage de la paix. » 
Mais leurs collègues étaient d'avis tout différent, non seulement au sujet de la politique extérieure, mais surtout à l'occasion de la politique intérieure qui prenait un caractère de plus en plus agressif. La guerre était en effet déclarée entre les conseils et le Directoire. Dans l'ardeur de leur victoire les réactionnaires ne parlaient rien moins que de l'abrogation de toutes les lois révolutionnaires et de la mise en accusation du Directoire. II fallait, ou briser cette opposition nombreuses, ou traiter avec elle à d'onéreuses conditions. Carnot et Barthélemy, fidèles à leurs idées de pacification, voulaient céder, ce qui eût été plus conforme au régime constitutionnel. Mais La Réveillère, Barras, Rewbell n'entendaient pas composer avec le parti royaliste. Ils ne cachaient guère leurs intentions, et des bruits de coups d'Etat commencèrent à courir avec persistance.

L'affaire de la marche inconstitutionnelle des troupes (Cinq-Cents) vint empirer les rapports déjà trop tendus de pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif. L'armée prenait parti pour le Directoire et s'emportait, par la voie des adresses, en menaces violentes contre les royalistes. Le Directoire à son tour défendait devant les Chambres cette attitude singulière des troupes.

«  La cause de la démarche des défenseurs de la patrie est dans l'inquiétude générale qui depuis quelques mois s'étant emparée de tous les esprits a succédé à la tranquillité profonde qui régnait et à la confiance qui s'établissait de toutes parts; elle est dans le défaut des revenus publics qui laisse toutes les parties de l'administration dans la situation la plus déplorable et prive souvent de leur solde et de leur subsistance ces hommes qui, depuis des années, ont versé leur sang et ruiné leur santé pour servir la République; elle est dans la persécution et les assassinats exercés sur les défenseurs de la patrie et pour mieux dire sur tous ceux qui ont osé se montrer amis de la République; elle est dans L'impunité du crime et dans la partialité de certains tribunaux; elle est dans l'insolence des émigrés et des prêtres réfractaires qui, rappelés et favorisés ouvertement, débordent de toutes parts, soufflent le feu de la discorde et inspirent le mépris des lois; elle est dans cette foule de journaux dont l'armée est inondée comme l'intérieur, dans ces fouilles qui ne prêchent que le meurtre des soutiens de la liberté, qui avilissent toutes les institutions républicaines, qui rappellent sans ménagement et sans pudeur la royauté, etc.-» 
Le 10 fructidor, La Reveillère, qui présidait alors le Directoire, répondit officiellement à Bernadotte qui lui présentait, au nom de Bonaparte, des drapeaux conquis en Italie
« Brave général, c'est en vain que les éternels ennemis de la liberté française redoublent d'efforts pour la renverser; c'est en vain que, pour les seconder, de lâches déserteurs de la cause républicaine ont, par un pacte honteux, vendu à l'étranger et à la race des Bourbons et leur honneur et leur patrie! [...] Le Directoire exécutif bravera tout pour assurer aux Français leur liberté, leur constitution, leurs propriétés, leur repos et leur gloire, fruits trop mérités de sept ans de travaux et de malheurs et d'une suite inouïe des plus étonnantes victoires. Il ne pactisera point avec les ennemis de la République pour en faire un honteux trafic. Ses devoirs seuls seront sa règle: il ne se laissera point effrayer par les dangers les plus réels, non plus que séduire par de trompeuses promesses. Il ne reconnaîtra d'autorités que celles que la constitution a créées et il ne les reconnaîtra que dans la ligne qu'elle leur a tracée. Il n'oubliera pas qu'elle doit également régner sur tous et que l'autorité qui se place au-dessus d'elle a par là même cessé d'être légitime. » 
Ce discours était fort clair. Une semaine plus tard, le coup d'Etat du 18 fructidor qu'il annonçait était un fait accompli. La veille (17 fructidor) les trois conjurés avaient siégé très tranquillement en conseil avec les deux collègues qu'ils devaient proscrire. Carnot, averti, se donna philosophiquement le spectacle de la joie contenue et, malgré tout, débordante de La Reveillère.
« Un poignard, écrit-il, semblait s'élancer de chacun des angles de sa figure; sa tête était penchée sur son épaule; ses yeux devenus presque opaques regardaient obliquement; le haut de ses joues était agité d'un mouvement convulsif et ses lèvres s'entrouvraient et se portaient en avant comme à l'approche d'une coupe remplie du sang de sa victime. »
II put s'enfuir à temps. Il y eut des proscriptions en masse. Cent quatre-vingts prêtres furent déportés en Guyane en même temps que Barthélemy, Pichegru, Willot, Rovère, Bourdon de l'Oise, Murinais, Delarue, Tronçon-Ducoudray, Barbé-Marbois, Laffon-Ladebat, Ramel, Dossonville, Gilbert-Desmolières. Parmi les proscrits figuraient Fontanes, Lacretelle, Michaud, Laharpe, Royou, Fievée et autres personnalités connues. A la vérité, le Directoire laissa à beaucoup d'entre eux les moyens de se cacher ou de s'enfuir. Le public, qui se souciait peu de ces coups d'Etats continuels, fut averti par des affiches, où la vraisemblance n'était même pas observée, que le Directoire avait sauvé la patrie.
« Un grand nombre d'émigrés, d'égorgeurs de Lyon, de brigands de la Vendée, attirés ici par les intrigues du royalisme et le tendre intérêt qu'on ne craignait pas de leur témoigner publiquement, ont attaqué les postes qui environnaient le Directoire exécutif, mais la vigilance du gouvernement et des chefs de la force armée ont rendu nuls leurs criminels efforts. » 
Le ministère avait été remanié : il y entrait des hommes dont le nom seul prêtait une signification particulière au revirement politique qui venait de se produire. Talleyrand prenait les affaires étrangères, Scherer la guerre, l'amiral Pleville la marine, François de Neufchâteau l'intérieur, Sottin de Plantes la police. Carnot et Barthélemy furent remplacés par Merlin de Douai et François de Neufchateau qui cédèrent leurs portefeuilles à Lambrechts et à Letourheur. Augereau, qui avait commandé la force armée pendant le coup d'Etat, obtint un assez grand nombre de voix et il se montra fort mécontent de n'être pas élu.

A ce moment, Bonaparte avait signé le traité de Campo-Formio et, malgré le Directoire, qui déclarait que l'abandon de Venise « serait une honte, une perfidie sans excuse ›, il avait cédé Venise à l'Autriche (17 octobre 1797). Sa popularité prenait de telles proportions que le gouvernement n'osait rien lui refuser et qu'il la nomma plénipotentiaire au congrès de Rastadt et général en chef de l'armée d'Angleterre. Bien plus, on lui prépara, pour la remise de l'original du traité de Campo-Formio une fête triomphale dans le genre de celles que François de Neufchateau se plaisait à organiser sous les vocables de la Jeunesse, de la Vieillesse, de l'Hyménée ou de la souveraineté du peuple. La cérémonie eut lieu dans la cour du palais du Luxembourg (10 décembre 1797). Les directeurs, en costume romain, siégeaient sur une estrade au pied de l'autel de la patrie. Les ministres, les ambassadeurs étrangers, les membres des conseils, les chefs des administrations les entouraient. Bonaparte parut, au son d'une musique guerrière et des salves de canon; suivi d'un brillant état-major, il passa sous une voûte de drapeaux pris à l'ennemi. Talleyrand et Barras le haranguèrent, rivalisant de plates adulations.

« Tout en Bonaparte, disait Talleyrand, est l'ouvrage de cet amour insatiable de la patrie et de l'humanité et c'est là un fonds toujours ouvert que les belles actions, loin de l'épuiser, remplissent chaque jour davantage [...]. II déteste le luxe et l'éclat, misérable ambition des âmes communes; et il aime les chants d'Ossian surtout parce qu'ils détachent de la terre!-» 
Et Barras :
« La nature a épuisé toutes ses richesses pour créer Bonaparte. Bonaparte a médité  ses conquêtes avec la pensée de Socrate ; il a réconcilié l'homme avec la guerre. » 
On chanta un hymne patriotique de Chénier, puis Joubert et Andréossy apportèrent un immense drapeau, hommage de la République à l'armée d'Italie, où étaient inscrits les noms de dix-huit victoires. La foule enthousiasmée criait : Vive Bonaparte! Vive la République! Le général se montra peu satisfait de cette réception trop pompeuse et trop théâtrale pour être sincère. Il ne se trompait pas. Fort inquiets de son ambition, les directeurs cherchèrent à lui opposer Augereau qui, prenant son rôle au sérieux, inonda la France et l'Allemagne de pamphlets révolutionnaires; ils firent encore répandre le bruit que Bonaparte cherchait à renverser le Directoire pour confisquer le pouvoir à son profit. A la vérité, le général n'avait pas craint de dire en plein Luxembourg : 
« Lorsque le bonheur du peuple français sera assis sur de meilleures lois organiques, l'Europe entière deviendra libre. »
En dépit de toutes les protestations officielles en faveur de la paix, la guerre continuait. L'Angleterre avait bien essayé, le 1er juin 1797, de nouvelles ouvertures, mais sitôt que le Directoire les eut accueillies, elle désigna pour plénipotentiaire lord Malmesbury. Le Directoire protesta, avec raison, qu'un autre choix lui eût paru d'un plus heureux augure pour la conclusion de la paix. De fait, les négociations entamées à Lille n'aboutirent pas et lord Malmesbury fut congédié aussi brutalement qu'il l'avait déjà été. Il crut cette fois devoir s'en plaindre en termes très vifs. 
« Le roi ne peut plus traiter dans un pays ennemi sans être certain que les coutumes établies entre toutes les nations civilisées à l'égard des ministres publics et spécialement de ceux qui sont chargés de négocier le rétablissement de la paix seront respectées. » 
Le Directoire, de son côté, récrimina contre la mauvaise foi de l'Angleterre, et Pitt prêta au gouvernement français les mêmes intentions qu'il donnait au sien. 
« Pour moi, toutes mes conjectures me donnèrent la forte conviction que les démonstrations pacifiques du Directoire n'avaient rien de sincère et qu'elles n'étaient qu'un piège adroit tendu à l'opinion publique. »
Le Directoire persista à poursuivre la politique qui consistait à créer tout autour de la France une série de républiques dotées de constitutions copiées sur la constitution de l'an III. Il résolut d'abord de détrôner le pape, fit éclater une révolution à Rome et ordonna au général Berthier de s'emparer de Pie VI, de le conduire au Portugal, et d'établir à Rome dans les dix jours un gouvernement composé de six consuls et de deux conseils législatifs. Berthier, qui avait signé avec le pape une convention, en se contentant de le garder à vue dans son palais, fut remplacé par Masséna, qui accomplit de point en point le programme directorial. Pie VI fut conduit à Sienne (20 février 1798). Mêmes errements suivis en Suisse. Barthélemy, partisan de la neutralité, fut remplacé par Mengaud, chargé de constituer une république' démocratique. Brune, nommé commandant en chef de l'armée d'Helvétie, appuya le ministre. La République helvétique fut proclamée, non sans grande effusion de sang. Genève fut incorporée à la France. Même politique rigoureusement appliquée à la Hollande, où Joubert et Delacroix créent la République batave. 

A ce moment, Bonaparte était parti pour l'Egypte à la grande satisfaction des directeurs, sauf de La Reveillère qui jugeait l'expédition inutile et dangereuse. Tout semblait leur réussir : ils avaient accru énormément le territoire français et toutes leurs entreprises militaires avaient été couronnées de succès. Ils voulurent consolider encore leur pouvoir en faisant tourner à leur bénéfice les élections de l'an VI (mars-avril 1798), d'autant plus importantes qu'elles portaient sur quatre cent trente-sept sièges. Ils supprimèrent une vingtaine de journaux républicains, comme ils avaient supprimé en fructidor les organes royalistes, et exercèrent sur les assemblées électorales une pression violente. Seulement comme leur violence et leur arbitraire n'étaient pas de nature à séduire les électeurs, une grande majorité d'opposants fut nommée. Le Directoire eut aussitôt recours à son grand argument : la conspiration. Il tonna contre les anarchistes :

« Ces hommes couverts de sang et de rapines, prêchant le bonheur commun pour s'enrichir sur la ruine de tous, ne parlant d'égalité que pour être despotes, capables de toutes les bassesses et de tous les crimes, soupirant après leurs anciens pouvoirs; ces hommes enfin qui, au 8 thermidor, étaient les agents de Robespierre et occupaient les places dans toute la République, et qui, depuis le 9 thermidor, avaient figuré dans tous les mouvements, trempé dans toutes les machinations, qui étaient les affidés de Babeuf et les conspirateurs du camp de Grenelle! » 
Il usa par ailleurs d'indignes artifices pour éliminer des conseils le plus qu'il put d'opposants (Cinq-Cents). 

Treilhard fut élu au Directoire par 126 voix sur 163 suffrages, en remplacement de Français de Neufchâteau. A partir de cette époque, la situation à l'extérieur s'assombrit et à l'intérieur prend une tournure menaçante pour le gouvernement. Une seconde coalition des puissances se formait contre la France : elle comprenait la Prusse, l'Espagne et la Hollande en moins, mais la Russie et la Turquie en plus, Le Directoire, sous l'imminence du péril, change brusquement sa diplomatie : de tracassière et agressive elle devient conciliatrice. Mais cette conversion s'opère trop tard et il est inexorablement condamné aux moyens violents. Il tente de soulever l'Irlande, mais cette entreprise échoue. ll écrase la cour de Naples et fonde la République parthénopéenne ; il réunit le Piémont à la France, installe une nouvelle république à Lucques, occupe et fait administrer la Toscane par Reinhard, poursuit le pape qui, enlevé de Sienne et conduit à Valence, y meurt aussitôt. La Reveillère s'inquiète de l'indépendance des généraux, trop enclins à imiter Bonaparte. Il leur adjoint des commissaires civils pour les surveiller. Championnet veut expulser Faypoult et est destitué. Joubert démissionne. La guerre est déclarée à l'Autriche le 2 ventôse (20 février 1799) ; elle débute mal : les armées françaises se trouvent en présence de forces très supérieures; elles sont mal équipées, disséminées sur un front trop vaste, des bouches du Rhin au golfe de Tarente. Jourdan est battu par l'archiduc Charles à plusieurs reprises. Scherer est battu par les Russes en Italie. Il est remplacé par Moreau qui exécute de belles manoeuvres et une admirable retraite; mais le Milanais est perdu, le Piémont envahi. Les plénipotentiaires français sont assassinés à Rastadt. Macdonald est battu à la Trébie par Souvarov. Cette série de désastres met le comble au mécontentement public contre les directeurs qu'on appelle avec mépris « des avocats ». 

De lui-même, le Directoire se désagrège. Barras, habile à séparer sa cause de celle des collègues dont il prévoit la perte, attaque publiquement Rewbell et La Reveillère. C'est à ce montent critique que se font les élections de floréal an VII. De nombreux patriotes et militaires furent élus, Rewbell est remplacé par Sieyès, le plus grand détracteur du Directoire. Et comme les défaites s'accentuent, que les alliés s'avancent sur les frontières de la France, les récriminations contre le gouvernement redoublent et les conseils législatifs, jusquelà asservis par lui, prennent une tardive énergie et manient à leur tour l'arme à double tranchant du coup d'Etat. Ils obligent Treilhard à se démettre, le remplacent par Gohier, forcent La Reveillère et Merlin à abdiquer, les remplacent par Roger-Ducos et le général Moulins (coup d'Etat du 30 prairial). 

« Le Directoire, avec son système de bascule, ses moyens de police et ses coups d'Etat, s'était aliéné tout le monde, aussi bien les révolutionnaires que les contre-révolutionnaires; même les patriotes étrangers le blâmaient. Au lieu d'appeler et de rallier à lui la masse des hommes d'ordre toujours prêts à soutenir le gouvernement de fait, ils l'avaient écartée et rendue au moins indifférente. Il s'était enfermé dès les premiers jours dans un cercle étroit et il l'avait continuellement rétréci davantage. Enfin il s'était aliéné l'armée et ne trouvait plus partout que malveillance et hostilité. Après s'être longtemps maintenu en équilibre, il tombait tout à coup faute d'appuis. » (Dareste).
En même temps que les conseils prenaient de la force, le Directoire, où jusqu'alors l'entente n'avait jamais pu s'établir, tombait dans la pire anarchie. Sieyès ne rêvait qu'à
désorganiser entièrement ce qui restait du gouvernement créé par la constitution de l'an III. Il ne cachait d'ailleurs pas son jeu. Ses premières paroles à Gohier furent :
« Nous voilà membres d'un gouvernement qui est, nous ne pouvons le dissimuler, menacé de sa chute prochaine; mais, quand la glace se rompt, les pilotes habiles savent échapper à la débâcle. Un gouvernement qui tombe n'entraîne pas toujours dans sa perte ceux qui sont à sa tête. »
Dans cette oeuvre de destruction, il eut pour appuis son collègue Roger-Ducos et le conseil des Anciens. Barras, qui avait admirablement réussi à se maintenir par l'unique raison qu'il ne suivait aucune politique personnelle et ne s'embarrassait d'aucun principe, avait entamé des négociations avec Louis XVIII; mais, suivant son habitude, il n'avait pris aucun engagement formel, se réservant la faculté de choisir à son heure, entre la monarchie ou le gouvernement quelconque qui l'emporterait sur elle. Moulins et Gohier tenaient pour le maintien de la constitution et ils étaient soutenus par le conseil des Cinq-Cents et le club républicain du Manège formé des débris des clubs de Salm,
du Panthéon et des Jacobins. Mais Sieyès avait encore pour lui l'armée et la classe moyenne lassée de tant de changements politiques et réclamant avec insistance quelque stabilité dans l'Etat : aussi devait-il l'emporter. 

Le 9 messidor (27 juin 1799), le Directoire adressa aux conseils un message sur les dangers de la patrie. II insistait sur la gravité de la situation intérieure et sur l'urgente nécessité de réformer les administrations peuplées d'hommes faibles, de stimuler la mollesse des tribunaux, de détruire le brigandage qui renaissait dans l'Ouest et dans le Midi, de conjurer la guerre civile prête à reparaître à cause du grand nombre des conscrits réfractaires. Il rejetait sur ses prédécesseurs la responsabilité de ces malheurs et les accusait formellement de n'avoir pas su défendre la Révolution. Des emplois furent partout donnés aux patriotes ardents c'était une satisfaction donnée aux Cinq-Cents. Bernadotte fut pourvu du portefeuille de la guerre. Mais comme les revers continuaient en Italie où la France ne possédait plus que la Ligurie et que les républicains exaspérés prêtaient à Sieyès l'intention de livrer la République à l'archiduc Charles ou à Brunswick, Sieyès, aidé de Barras, courut sus aux patriotes. Le ministère s'était transformé : Talleyrand, démissionnaire, avait été remplacé par Reinhardt, Robert Lindet avait pris les finances et Fouché était entré à la police. Les clubs républicains furent fermés. Sieyès, dans les solennités révolutionnaires des 14 juillet, 9 thermidor, 10 août, tonna contre les Jacobins. II flétrit l'époque où s'étaient accréditées les maximes 
« que les lumières doivent céder à l'ignorance, la sagesse à la folie, la réflexion à l'emportement [...] où tous ceux qui avaient servi ou étaient capables de servir la patrie étaient déconsidérés, outragés, persécutés, où l'autorité la plus tutélaire était la plus haïe par cela même qu'elle était autorité; où toutes les notions étaient confondues au point que tous ceux qui ne devaient être chargés de rien se chargeaient obstinément de tout ».  Il flétrit les hommes « insensés et féroces qui créaient des obstacles, détruisaient les moyens, s'irritaient des résistances et punissaient la France de leur incapacité à gouverner ». II combattit ceux qui pensaient « qu'affermir un gouvernement est une lâcheté et que détruire est toujours une gloire; qui, ennemis effrénés de tout ce qui est ordre ou même apparence d'ordre, voulaient gouverner par des cris et non par des lois ».
Ces accès d'éloquence et les coups de force qui les suivirent ne parurent qu'envenimer les choses. Il y eut des troubles à Bordeaux, à Marseille, à Amiens, à Paris, même une insurrection royaliste dans la Haute-Garonne. A l'extérieur, Joubert perdait la grande bataille de Novi, où il était tué; La France éprouvait de grands échecs en Hollande. A ces nouvelles, il se produisit une vive effervescence à Paris. Le Directoire, violemment attaqué dans les conseils, s'en prit aux journalistes qu'il accusa de tout le mal. Treize journaux furent supprimés, soixante-huit imprimeurs et rédacteurs arrêtés et transportés à Oléron. Alors on suspecta le Directoire de tramer un coup d'Etat. L'accusation était fondée. Sieyès cherchait avec persistance un général qui lui servit d'instrument pour imposer de force la fameuse constitution qu'il travaillait avec amour depuis si longtemps. Cependant Masséna avait écrasé les Russes en Suisse et Brune avait battu les Anglo-Russes en Hollande. On était encore sous l'impression de ces heureux succès lorsque le bruit se répandit que Bonaparte était revenu d'Egypte. Il fut accueilli avec un immense enthousiasme. Bénéficiant de l'impopularité des directeurs, il apparaissait comme l'homme nécessaire, seul capable de rétablir l'ordre et la sécurité auxquels tout le monde aspirait. Gohier et Moulins voulurent le faire arrêter pour avoir quitté sans ordre son armée. Sieyès s'y opposa. Les généraux, les chefs politiques comme Talleyrand et Cambacérès, se groupèrent autour de Bonaparte. On songea un moment à le faire entrer au Directoire, mais il n'avait pas l'âge requis, et Gohier et Moulins s'opposèrent à toute illégalité. Fouché voulut le rapprocher de Barras qui se tint sur la réserve. Alors Bonaparte, rejetant avec un souverain mépris « le chef des pourris », consentit à s'entendre avec Sieyès. Le Directoire sombra dans un dernier coup d'Etat : le 18 brumaire. Bonaparte lui avait porté le dernier coup dans l'apostrophe célèbre :
« Qu'avez-vous fait de cette France que j'avais laissée si brillante? J'avais laissé la paix, j'ai retrouvé la guerre; j'avais laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers ; j'avais laissé les millions de l'Italie, j'ai retrouvé des lois spoliatrices et la misère! Que sont devenus cent mille hommes qui sont disparus du sol français? C'étaient mes compagnons d'armes! ils sont morts! Un tel état de choses ne peut durer : il mènerait au despotisme par l'anarchie!-» 
(R. S.).
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