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La Révolution française
Le conseil des Cinq-cents
Aperçu Causes Constituante Législative Convention Directoire
Le Conseil des Cinq-Cents était une assemblée créée par la constitution de l'an III et qui succéda immédiatement à la Convention : elle siégea du 6 brumaire an IV au 19 brumaire an VIII (28 octobre 1795 - 10 novembre 1799). Elle formait, avec le Conseil des Anciens le Corps législatif. Elle se composait de 500 membres, élus pour 3 ans. Ils devaient être âgés de plus de 30 ans et domiciliés depuis 10 ans sur le territoire de la République. Cette assemblée proposait les lois. Le Conseil des Cinq-Cents siégeait dans la salle du Manège (située dans ce qui est aujourd'hui la rue de Rivoli). Dans la journée du 18 fructidor an V, les Directeurs expulsèrent 42 de ses membres, qui tendaient à la contre-révolution. Le 18 brumaire an VIII, ce Conseil, transféré à Saint-Cloud, fut violemment dissous, en même temps que le Conseil des Anciens, par le général Bonaparte.

Jalons chronologiques.
En imposant constitutionnellement aux assemblées électorales la réélection des deux tiers des représentants du peuple parmi les conventionnels, les républicains s'étaient surtout proposé de maintenir et d'organiser fortement la République déjà battue en brèche par une puissante réaction monarchiste. Leurs craintes n'étaient pas exagérées. Les électeurs, las du despotisme de la Convention, s'empressèrent de nommer les conventionnels les plus modérés (Lanjuinais, qui fut élu dans 73 départements; Boissy d'Anglas dans 72, Pelet de la Lozère dans 71, Pontécoulant dans 33, Thibaudeau dans 32, Daunou dans 27, etc.), et, pour le tiers abandonné à leur libre choix, les candidats quels qu'ils fussent qui se déclaraient adversaires irréconciliables des ,jacobins. Malgré les précautions prises, les républicains (on les appelait alors soit patriotes, soit jacobins), allaient se trouver presque en minorité dans le corps législatif. Ils parèrent sans retard à ce danger. Par suite des abstentions ou des élections multiples, il manquait 104 membres pour compléter les deux tiers conventionnels : les 379 réélus, conformément au décret du 5 fructidor an IV, choisirent eux-mêmes ces 104 membres parmi leurs anciens collègues. Puis, sans attendre que les députés nouveaux fussent tous arrivés, on constitua le conseil des Anciens en tirant au sort, parmi les représentants mariés ou veufs et âgés de quarante ans, 167 conventionnels et 83 nouveaux. 

Restait à élire le Directoire exécutif. Les Cinq-Cents, pour plus de garantie voulurent confier le gouvernement à cinq régicides et comme les Anciens paraissaient peu disposés à se prêter à cette combinaison, ils la leur imposèrent par un procédé extrêmement habile. D'après la constitution ils devaient former une liste de cinquante noms sur laquelle le conseil des Anciens devait choisir les cinq directeurs. Ils eurent soin de n'y inscrire que six noms connus : les quarante-quatre autres étaient ceux des hommes les plus obscurs et les plus nuls qu'ils purent trouver. Les Anciens, après quelques protestations, se virent forcés de nommer La Reveillère-Lepaux, Letourneur de la Manche, Rewbell, Barras et Sieyès. Ce dernier refusa et fut remplacé par Carnot, (10-13 brumaire). La forme du gouvernement était sauve. La proclamation que les directeurs adressèrent au peuple le 14 brumaire ne permet aucun doute sur leurs intentions et sur leur politique. Ils étaient fermement résolus à « consolider la République, à livrer une guerre active au royalisme, à raviver le patriotisme, à réprimer d'une main vigoureuse toutes les factions ».

 Ils constituèrent aussitôt le ministère (14 brumaire [5 novembre 1795]) en donnant la justice à Merlin de Douai, les relations extérieures à Delacroix, les finances à Gaudin, bientôt remplacé par Faypoult (8 novembre), la guerre à Aubert Dubayet, la marine à Truguet, l'intérieur à Bénezech. Les chambres et le gouvernement se trouvaient en présence d'une effroyable crise financière, qui se perpétua pendant toute la durée de leur brève existence et qui excita contre eux le mécontentement de la nation. Le Directoire avait trouvé les caisses vides. Il demanda par message au conseil des Cinq-Cents une somme de trois milliards en assignats pour les services administratifs. Ils lui furent accordés d'urgence. Mais les Anciens rejetèrent les crédits parce qu'ils devaient être ouverts aux ministres et non aux directeurs. Ceux-ci durent reproduire leur demande dans les formes légales. Ce conflit entre les deux assemblées fut très remarqué et produisit dans le publie une désagréable impression. La famine désolait Paris. Les assignats étaient tellement dépréciés qu'il fallait payer 14.000 livres le sac de farine, 50 livres la pinte de lait, et que le cours du louis d'or variait de 3 à 4.000 livres. De toutes parts on réclamait du corps législatif des mesures énergiques pour remédier à cette fâcheuse situation.

Le gouvernement fut autorisé à percevoir immédiatement 250.000 quintaux de blé dans les départements avoisinant Paris, à valoir sur la partie de l'impôt payable en nature. Ce palliatif était insuffisant. Les Cinq-Cents n'osaient pas supprimer tout d'un coup les assignats comme beaucoup de bons esprits le conseillaient : c'eût été en quelque sorte proclamer la banqueroute. Ils s'épuisèrent en combinaisons vaines, en discussions financières tellement contradictoires que les spéculateurs faisaient varier à leur gré la valeur du louis et par suite produisaient des perturbations continuelles et brusques dans le prix du travail et des objets de consommation. Finalement ils décrétèrent un emprunt forcé de 600 millions qui ne produisit rien parce qu'il était arbitraire et manquait de sanction pénale (frimaire an IV [décembre 1795]). L'opposition royaliste jouissait de ces embarras et ne manquait pas une occasion de discréditer le corps législatif. Ainsi les assemblées électorales qui devaient élire aux places vacantes dans les tribunaux, les justices de paix et les municipalités n'ayant pu procéder à ces élections faute de temps, les Cinq-Cents remirent provisoirement les nominations au Directoire. 

Les royalistes crièrent à l'usurpation et prolongèrent les débats pendant plusieurs séances (14 brumaire, 12 au 25 frimaire). Bientôt les rapports entre la majorité et la minorité devinrent violents. Des dénonciations étaient apportées à la tribune contre des représentants comme Cadroy, contre des commissaires comme Fréron, accusés d'avoir terrorisé le Midi, causaient des scènes tumultueuses, des interpellations véhémentes, voire même des pugilats (17 frimaire, 30 ventôse, 23 germinal). La vérification des pouvoirs des députés du tiers nouveau amenait les mêmes scandales. La majorité exaspérée exclut quelques membres, dont Job Aymé et Menou du Loiret, et en suspendit plusieurs autres comme parents d'émigrés ou simplement compagnons de Jéhu

« Les deux partis s'animent de plus en plus l'un contre l'autre. A entendre les royalistes, il se forme un grand complot à Paris pour ramener le règne de la Terreur, des arrestations et des échafauds. Les terroristes crient de leur côté que les royalistes lèvent partout la tête et que leur fureur médite le massacre de tous les patriotes qu'ils affectent de confondre avec les Jacobins. Les uns et les autres accusent le gouvernement de trop de tolérance. »
A vrai dire, le Directoireétait fort embarrassé. Après avoir tenté de la conciliation, il s'effraya de la marée montante du royalisme et prit quelques mesures énergiques. Le 5 nivôse, il demandait la création d'un ministère de la police générale qui lui fut accordée sans grande difficulté (1er janvier 1796). Ce portefeuille fut confié à Merlin de Douai, remplacé lui-même à la justice par Genissieu. Les conseils, après avoir discuté une loi restrictive de la liberté de la presse qui n'aboutit pas d'ailleurs, se montrèrent très disposés à appuyer fortement le gouvernement. On vota 500.000 F de fonds secrets, on approuva la fermeture de plusieurs réunions politiques, on autorisa l'expulsion de Paris d'une infinité de gens suspects, on adopta même une loi pénale fort sévère contre les provocateurs à la royauté, au pillage des propriétés, au massacre du corps législatif et contre les rassemblements tumultueux (27 germinal). Ces dispositions à la rigueur furent encore fortifiées par la découverte de la conspiration de Babeuf. Le 21 floréal, Carnot annonçait au milieu de l'émotion générale 
« l'arrestation de plusieurs chefs d'un complot dont l'objet était de renverser la constitution, d'égorger le corps législatif, tous les membres du gouvernement, l'état-major de l'armée de l'intérieur, toutes les autorités constituées de Paris, de livrer cette grande commune à un pillage général et aux plus affreux massacres. » 
En deux séances les Cinq-Cents décrétèrent que tous les ex-conventionnels, tous les fonctionnaires destitués, tous les militaires sans emploi, tous les prévenus d'émigration, tous les amnistiés, etc., seraient tenus de quitter Paris dans trois fois vingt-quatre heures et de se retirer à dix lieues de la ville sous peine de déportation. Le même jour une résolution accordait aux membres du bureau central de Paris, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, l'autorisation de décerner des mandats d'amener. Cet attentat, qui avait si fort ému le corps législatif, passa presque inaperçu dans le public qui se préoccupait presque uniquement de l'avilissement progressif des assignats et des spéculations effrénées des agioteurs. Le louis était monté à 10.000 livres. Les Cinq-Cents arrêtèrent enfin (3 prairial) que les assignats au-dessus de 100 livres seraient échangés contre des mandats ou des promesses de mandats à 30 capitaux pour un; que cet échange serait terminé le 25 prairial pour le département de la Seine et le 10 messidor pour les autres départements; enfin que ceux des assignats non échangés ne pourraient plus l'être qu'à raison de 100 capitaux pour un. Cette mesure, toute insuffisante qu'elle fut, produisit tout d'abord un excellent effet. Mais l'agiotage reprit sur les mandats et la misère devint de ,plus en plus insupportable. Il fallait donner de 30 à 40.000 livres en assignats pour avoir 100 F en mandats qui ne valaient eux-mêmes en numéraire que 5 à 7 F. Le pain se vendait 125 livres. Des plaintes furieuses s'élevèrent contre le Corps législatif. On accusait couramment les députés d'agioter, d'acquérir à vil prix des biens nationaux, de légiférer sans règle fixe au hasard des circonstances, de pousser au désordre et de fomenter des complots. Quelques-unes de ces récriminations n'étaient que trop fondées. Les séances des Cinq-Cents étaient le plus souvent violentes et désordonnées; royalistes et constitutionnels s'interpellaient passionnément, chaque parti dénonçant en pleine tribune les intrigues vraies ou fausses de l'autre. Un nouveau mouvement insurrectionnel compliqua la situation. Dans la nuit du 23 au 24 fructidor (9 au 10 septembre 1796) quelques centaines de terroristes cherchèrent à soulever l'armée du camp de Grenelle aux cris de : Vive la République! à bas les conseils! à bas les nouveaux tyrans! 

Le complot échoua et un grand nombre de conjurés furent condamnés à mort et exécutés. Le corps législatif subit alors une sorte de réaction. La loi conventionnelle du 3 brumaire excluant des charges et fonctions publiques les parents d'émigrés et ceux qui dans les dernières assemblées primaires avaient provoqué ou signé des mesures contre-révolutionnaires fut révisée dans le sens d'une large amnistie; on restreignit la liberté de la presse. Mais on découvrit alors une troisième conspiration. Elle était menée par des agents de Louis XVIII qui avaient essayé d'endoctriner les casernes. Théodore Dunan (Duverne de Presle), Poly, de la Villelieurnois, l'abbé Brottier furent arrêtés et on trouva dans leurs papiers la preuve que le parti monarchiste prenait une large part aux intrigues parlementaires et travaillait surtout à assurer le succès des nouvelles élections (11-12-16 pluviôse an V [janvier - février 1797]). Du coup, le mouvement de réaction qui entrainaît les conseils fut entravé et la majorité républicaine songea sérieusement à se détendre. Il n'était que temps. On était à la veille du renouvellement d'un tiers des Cinq-Cents, et ce renouvellement devait porter exclusivement sur les conventionnels. On mit en campagne les fonctionnaires. Le Directoire, le 11 ventôse, lança une proclamation où les agissements des royalistes étaient qualifiés « d'efforts du crime » et où il recommandait aux assemblées primaires « de déjouer les projets de la malveillance et d'empêcher que des hommes perfides ne fissent rejeter leur choix en les entraînant au delà des objets de leur convocation. » Le corps législatif décréta que dans chaque assemblée électorale les citoyens devraient prononcer à haute et intelligible voix le serment suivant : 

« Je promets attachement et fidélité à la République et à la constitution de l'an III. Je m'engage à les défendre de tout mon pouvoir contre les attaques de la royauté et de l'anarchie. » 
On prit au Trésor 750.000 F. « pour assurer le calme des élections », enfin on mena grand bruit d'une tentative d'assassinat de Sieyès par l'abbé Poule, qu'on représenta comme un émissaire de Louis XVIII. Cette énorme pression fut inutile. Les comités royalistes dirigés par un comité central parisien siégeant rue de Clichy exploitèrent avec la plus grande habileté la conspiration de Babeuf et réussirent à présenter ses projets monstrueux comme émanant du Directoire et du corps législatif. Ils étaient secondés par une presse alerte et spirituelle, largement alimentée par l'argent étranger. Les élections de germinal an V (20 mai 1797) furent désastreuses. La réaction était victorieuse dans 250 collèges. Certains choix étaient significatifs : Pichegru, Marmontel, Willot, Bourlet valet de chambre du comte d'Artois. Paris avait nommé Boissy d'Anglas, Emmery, Dufresne, Quatremère, Desbonnières. Immédiatement dans le conseil des Cinq-Cents la majorité passa de gauche à droite, le centre se ralliant aux monarchistes. Le nouveau tiers à peine installé (1er prairial) les Clichyens composèrent le bureau avec leurs créatures. Pichegru fut élu président à la presque unanimité (387 voix sur 404). Les administrations furent peuplées d'employés royalistes, les émigrés rentrèrent en masse. La constitution imposait le changement d'un des directeurs. Le sort ayant désigné Letourneur, un royaliste, Barthélemy, fut élu à sa place. La fameuse loi du 3 brumaire  fut abrogée. Une guerre furieuse s'engagea entre les Clichyens et les conventionnels. Toute la politique de ces derniers fut attaquée. On abolit la peine de la déportation prononcée contre les prêtres réfractaires. On éplucha les finances, à vrai dire fort sujettes à caution. Le fastueux Barras fut accusé de concussion. Les Cinq-Cents enlevèrent au Directoire la perception des ressources en numéraire et la confièrent aux commissaires de la Trésorerie. Le conseil des Anciens refusa de sanctionner cette mesure ; mais le coup était porté. Barras, La Réveillère et Rewbell résolurent de «-purger » la majorité réactionnaire.

Ils firent entrer au ministère des hommes sûrs : François de Neufchâteau (intérieur), Schérer (guerre), Sotin (police générale), Talleyrand (relations extérieures) Pléville le Peley (marine), s'assurèrent le concours de l'armée, celui surtout de Bonaparte et d'Augereau. Un club constitutionnel fut fondé et opposé au club de Clichy. C'était la guerre ouverte entre le Directoire et la majorité du conseil des Cinq-Cents. Les discussions législatives furent remplacées par des altercations scandaleuses. Le changement de ministère fut qualifié de calamité publique par Camille Jordan, qui ajoutait : 

« Il existe une conspiration ostensible de terroristes, de Jacobins, de scélérats subalternes; je suis convaincu que l'en prépare un mouvement pour nous assassiner. » 
Des troupes de Sambre-et-Meuse étant venues camper à la Ferté-Alais, sur l'ordre du Directoire, on cria au coup d'Etat parce que cette ville était à sept lieues de Paris et que la constitution interdisait de faire passer ou séjourner un corps de troupe dans la distance de six myriamètres (= 60 km) de la commune où le corps législatif siégeait. On voulut réorganiser la garde nationale, augmenter la garde des chambres. Le Directoire accusait les représentants de priver les troupes de vêtements et de solde et publiait des adresses de l'armée d'Italie, où apparaissait, avec trop de netteté, l'intention de chasser les royalistes des conseils. Les droites lui répondirent en proposant de mettre en accusation Barras, Rewbell et La Reveillère et en ordonnant «-que sur toutes les routes à six myriamètres de Paris seraient placées des bornes avec cette inscription : «-limite constitutionnelle pour les troupes. » De ces mesures, l'une fut rejetée, l'autre était inefficace et un peu ridicule. Le Directoire était prêt. Le gouvernement de Paris fut confié au général Augereau. 

Dans la nuit du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), il cerna les Tuileries avec 12.000 hommes. Des affiches apposées sur torts les murs annonçaient la découverte d'une conspiration en faveur de Louis XVIII, justifiant ce mouvement. Dix-neuf députés furent arrêtés et enfermés au Temple. Barthélemy fut également arrêté, Carnot put s'enfuir à temps. Nulle protestation de la part du peuple. Augereau s'empressa de faire part à Bonaparte du succès de son expédition. 

« Le Directoire s'est déterminé à un coup de vigueur [...]. A minuit, j'ai envoyé l'ordre à toutes les troupes de se mettre en marche vers des points désignés. Avant le jour, tous les points et toutes les places étaient occupés avec du canon. A la pointe du jour, les salles des conseils étaient cernées; les gardes des conseils fraternisaient et les membres dont vous verrez la liste ci-après ont été arrêtés et conduits au Temple. On est à la poursuite d'un plus grand nombre. Carnot a disparu; n'oubliez pas la lettre de change de 25.000 F, cela est urgent. » 
Le conseil des Cinq-Cents fut alors convoqué à l'Odéon, et, d'accord avec le conseil des Anciens réuni à l'Ecole de médecine, il vota toutes les mesures que les directeurs lui soumirent : autorisation de faire entrer les troupes dans le rayon constitutionnel, annulation des opérations des assemblées électorales de quarante-neuf départements, déportation de quarante-deux membres du conseil des Cinq-Cents, de onze membres du conseil des Anciens, de Carnot et de Barthélemy, de Dossonville employé à la police, de Suard, journaliste royaliste et d'un très grand nombre de ses confrères, de Ramel, commandant de la garde du corps législatif, des généraux Miranda et Morgan, de Cochon de Lapparent, ancien ministre de la police, etc.. Leurs biens furent séquestrés; les individus non rayés de la liste des émigrés reçurent l'ordre de sortir dans les vingt-quatre heures de Paris et de toutes les communes au-dessus de 20.000 habitants et des autres communes dans les quinze jours après la publication de la loi. Le Directoire fut investi du droit de déporter par arrêtés les prêtres qui troubleraient la tranquillité publique, de placer, pendant un an sous l'inspection de la police, les journaux et les imprimeurs, de mettre les communes en état de siège, de fermer nombre de réunions et de sociétés considérées comme hostiles à la Constitution. Le 20 fructidor, le corps législatif rédigeait une adresse aux Français, apologie étrange « de l'immortelle journée du 18 fructidor » dont il vaut la peine de relever quelques passages :
« Dans les deux conseils, une minorité courageuse et clairvoyante sentait que la constitution, en ne prévoyant point le cas où une faction de législateurs la renverserait en s'environnant de l'apparence des formes, laissait par cela même à ceux qui voudraient la sauver le droit d'employer tous les moyens. Le Corps législatif, dégagé de l'oppression, éclairé sur les manoeuvres réitérées des coupables, sentant sa dignité et ses devoirs, n'a pas manqué à l'une et a rempli les autres avec courage. Il n'a pas mis, il n'a pas dù mettre des considérations quelconques en balance avec le salut de la patrie et de la constitution; mais en frappant des conspirateurs, il n'a point oublié qu'il représentait une nation sensible et grande. Ces hommes, évidemment coupables du plus grand des crimes, ces hommes, qui n'eurent épargné la vie d'aucun républicain, iront traîner la leur loin de nous avec les remords et l'opprobre : ils sont déportés. »
Enfin l'ère du coup d'Etat fut close par l'élection au Directoire de François de Neufchâteau et de Merlin de Douai (10 septembre 1797) et la nomination de Le Tourneur au ministère de l'intérieur (14 septembre) et de Lambrechts à la Justice (24 septembre). Ainsi on avait réussi à « prévenir la guerre civile et l'effusion du sang, purger le sol français des ennemis de la liberté et de la constitution ». Les conseils étaient si bien purgés qu'ils se composèrent d'abord uniquement de partisans du Directoire ou directoriaux jusqu'à ce que, par la force même des choses, il s'y formât une opposition de patriotes et de constitutionnels. En attendant les proscriptions continuèrent. Boulay de la Meurthe voulait chasser de France tous les nobles, tous les anciens hauts fonctionnaires de la monarchie. Grâce à l'intervention de Tallien et de Chénier on se contenta de décréter que les nobles seraient placés dans la position d'étrangers et qu'ils ne pourraient exercer leurs droits de citoyens qu'après avoir obtenu la naturalisation. Les lois de déportation furent exécutées avec la dernière rigueur et des commissions militaires sévirent contre les émigrés rentrés. Il y eut assez d'exécutions pour que le public se soulevât et y mit fin en témoignant ainsi son mécontentement. Il était urgent de s'occuper sérieusement des finances. La loi du 9 vendémiaire an VI réduisit la rente de deux tiers, le capital étant remboursé au moyen de bons au porteur admissibles en paiement des biens nationaux. Le tiers consolidé devait être exempt de toute retenue présente et future, mais le gouvernement n'en payait pas les arrérages. Ces mesures couvraient, à vrai dire, le déficit, mais imposaient des pertes énormes aux rentiers qui éclatèrent en récriminations violentes. Le 14 brumaire, le budget de l'an VI fut arrêté à 616 millions en dépenses que les recettes ne suffisaient pas à balancer. Il fallut rétablir la loterie, rehausser le droit de timbre, l'étendre aux feuilles périodiques, augmenter les droits sur le tabac étranger, créer des droits hypothécaires, une taxe des routes. D'où nouveaux mécontentements. Les clubs démocratiques se rouvrirent et commencèrent à reprocher au Directoire et aux conseils d'avoir fait à leur unique profit le 18 Fructidor et de trahir les intérêts de la Révolution. A vrai dire, le Directoire avait accru sa force aux dépens de celle du corps législatif qui se contentait désormais d'enregistrer ses actes presque sans discussion.

Les élections de l'an VI approchaient. Le Directoire, après avoir redouté et brisé le parti royaliste, en était venu en quelques mois à redouter le parti démocratique qui il prétendit briser de même. Il voulut intimider les électeurs et inonda le pays de proclamations menaçantes : 

« Citoyens, rassurez-vous, le gouvernement veille et connaît les ennemis qui s'agitent encore; leurs complots seront déjoués. Si le corps législatif a su, le 18 fructidor, chasser de son sein des traîtres qui y siégeaient depuis quatre mois, il saura bien écarter aussi ceux qu'on voudrait y faire entrer aujourd'hui. » 
Engagées sous de tels auspices, les opérations électorales furent très tumultueuses. La plupart des collèges se scindèrent en une majorité et une minorité qui toutes deux nommèrent imperturbablement des députés (19 mai 1798). Bien loin d'annuler les scrutins, le Directoire s'empressa de tirer parti de ce désordre qu'il mit, bien entendu, sur le compte d'une conspiration anarchiste. Il proposa de distinguer parmi les nouveaux élus les bons républicains des mauvais, de valider les uns et d'exclure les autres. Ce plan monstrueux mais extrêmement simple, fut admis par le conseil des Cinq-Cents malgré les protestations indignées de quelques membres : Lamarque, Quirot, Jourdan (Haute-Vienne), Ronchon. La loi du 22 floréal déclara qu' « une faction a voulu arracher aux assemblées primaires, et, par suite, aux assemblées électorales, des choix contraires à la volonté du peuple » et qu'en conséquence les conseils avaient le devoir «-de rejeter sans ménagement tous les choix qui étaient le produit de la conspiration, mais qu'ils devaient aussi rechercher tous ceux qui porteraient le caractère de la volonté nationale, quand même ils auraient été faits dans des assemblées électorales à qui il en aurait été surpris d'autres évidemment contraires au veeu du peuple. » 

Le sort ayant désigné François de Neufchâteau pour sortir du Directoire, Treilliard fut élu à sa place, bien que la Constitution interdit à un député d'être nommé directeur s'il n'avait quitté ses fonctions depuis un an au moins. L'élimination des membres hostiles ou suspects du Directoire n'avait pas tué toute opposition dans le conseil des Cinq-Cents. Les mesures arbitraires provoquent d'ailleurs des réactions nécessaires. La. situation intérieure de la France n'était point brillante : partout des émeutes, des mécontentements provoqués surtout par l'incertitude de l'état social. La situation extérieure était plus menaçante encore. Bonaparte, affolé d'ambition, venait d'entraîner une armée en Egypte, tandis que l'Angleterre formait une seconde coalition. 

Les finances et l'armée turent donc l'objet des préoccupations dominantes du corps législatif. Il n'y manquait pas de motifs d'opposition. Le projet de budget pour l'an VII, évalué à 600 millions, était en déficit. Les comptes de dépenses de l'an VI témoignaient de nombreuses dilapidations. On combla le déficit à l'aide de divers impôts. On voulut même réimposer le sel, ce qui eût donné 30 millions. Mais cette taxe, qui rappelait trop le souvenir odieux des gabelles, fut rejetée après une longue discussion où Lucien Bonaparte, élu député en juin 1798, se distingua. On dénonça à la tribune des procédés abusifs de l'administration et d'étranges faits de corruption qui produisirent dans le public une émotion considérable. D'autre part, sur le rapport de Jourdan, on vota la grande loi de recrutement du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798). Tous les jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans turent soumis ait service militaire et répartis en cinq classes qui pouvaient être appelées successivement ou simultanément, suivant les besoins. Les soldats devaient cinq ans de service. 

Une autre question fut discutée avec animation. Le Directoire tenait à conserver sa dictature sur la presse. La commission des Cinq-Cents, composée de Daunou, de Lucien Bonaparte, de Berlier, de Génissieux, refusait de la proroger pendant plus de trois mois. Le conseil finit par donner tort à sa commission. Les affaires empiraient au dehors. Les armées avaient subi de graves échecs en Allemagne et en Italie (Les guerres de la révolution). On parla de revenir aux procédés de la Convention : permanence des conseils, déclaration du danger de la patrie, création d'un comité de salut public, appel de tout le monde aux armes, loi des suspects. On se contenta d'autoriser la levée de 200.000 conscrits et d'essayer de trouver de nouvelles ressources pour combler le déficit à l'aide de rectifications du tarif des douanes, de l'impôt des tabacs et de l'impôt du sel. Cette dernière taxe fut aussi mal accueillie que précédemment, mais le Directoire ayant déclaré qu'il « se déchargeait de toute responsabilité pour les suites désastreuses qu'entraînerait une interruption des services les plus urgents et les plus sacrés », elle finit par passer à quarante-six voix de majorité. Les Anciens d'ailleurs la rejetèrent, en sorte que le déficit demeura. On découvrit même qu'il s'élevait non plus à 55 mais à 67 millions. De nouveaux fonds furent accordés, grâce surtout au doublement de la taxe des portes et fenêtres (février-mai 1799). Les élections de l'an VII se ressentirent de tous ces désordres. Malgré une pression administrative violente, elles furent tout au bénéfice du parti démocratique. Beaucoup d'anciens conventionnels furent élus, et beaucoup d'ennemis du Directoire qui, cette fois, n'essaya même pas de renouveler Fructidor. Sieyès remplaça Rewbell, directeur sortant. Dès les débuts de la session une opposition formidable se dessina. 

Les nouvelles de l'extérieur étaient de plus en plus mauvaises. Les plénipotentiaires français venaient d'être assassinés à Rastadt (mai 1799). On vota d'urgence 50 millions de rehaussement sur les contributions directes, et le rapporteur du projet, Berlier, réclama en même temps des renseignements sur la gestion de l'ancien ministre de la guerre Scherer, parent de Rewbell. Le ministre des finances essaya de justifier le déficit, même il se crut assez fort pour faire remonter la responsabilité de tous les revers subis par les armées françaises aux chambres qui avaient marchandé les subsides. Il ne réussit qu'à hâter les représailles et à provoquer une alliance offensive des deux conseils qui, sous prétexte de l'irrégularité de la nomination de Treilliard, le remplacèrent par Gohier le 28 prairial. Restaient deux directeurs insupportables à la majorité; on ne pouvait pas les expulser légalement. On prit le parti de leur rendre la vie impossible en les attaquant violemment à la tribune. Bertrand du Calvados s'écriait : 

« Pâlissez, impudents et ineptes triumvirs, je vais tracer la longue série de vos crimes! » 
Et Boulay de la Meurthe : 
« Cet inepte et atroce système est l'ouvrage de deux hommes, Merlin et La Reveillère; ce Merlin, homme à petites vues, à petites passions, à petites vengeances, à petits arrêtés, a mis en vigueur le machiavélisme le plus rétréci et le plus dégoûtant [...]. La Reveillère-Lepaux a de la moralité, j'en conviens, mais son entêtement est sans exemple, son fanatisme le porte à créer je ne sais quelle religion pour l'établissement de laquelle il sacrifie toutes les idées reçues, il foule aux pieds toutes les règles du bon sens, il viole tous les principes et attaque la liberté des consciences. » 
Un  Liégeois, Diniepe, était encore plus dramatique :
« Merlin, tu as été pour mon pays un second duc d'Albe, je vote contre toi le décret d'accusation je ne sais pas transiger avec les ennemis de mon pays! » 
Déjà, on avait abrogé la loi de censure sur les journaux, ce qui avait permis de déchainer toute la presse contre les directeurs. On nomma une commission composée de Boulay, Bergoing, Français de Nantes, Talot, Petiot, Joibert, Quirot, Poulain-Grandprey, Augereau, Jourdan, Lucien Bonaparte, pour présenter les mesures exigées par les circonstances. A cette dernière menace, Merlin et La Reveillère démissionnèrent non sans dignité. Merlin écrivit : 
« Lorsque d'affreux déchirements menacent la patrie, ceux dont la présence cause des mouvements politiques ou leur sert de prétexte, doivent s'éloigner des fonctions publiques. Ces motifs seuls m'ont décidé à donner nia démission. Je ne suis mû par anémie crainte ni aucun espoir. Je reste au sein de ma famille, toujours prêt à rendre compte de nia conduite, parce qu'elle a été constaminent dirigée par le patriotisme le plus pur et le plus désintéressé. » 
Roger Ducos et le général Moulins furent élus directeurs. Le coup d'Etat du 30 prairial (18 juin 1799) était accompli. Le conseil des Cinq-Cents, qui s'était déclaré en permanence le 28 floréal, continua à siéger sans interruption jusqu'au Il messidor. La commission des onze commençait à exciter des inquiétudes et des défiances, on la comparait au comité de salut public. Aussi fut-elle dissoute aussitôt que le nouveau Directoire eut présenté son message dans lequel il traçait l'exposé des fautes du précédent gouvernement, réclamait des troupes et de l'argent.

Après le 30 prairial il se produisit une nouvelle évolution dans le conseil des Cinq-Cents. La Constitution de l'an III avait été violée tant de fois que personne ne la prenait plus au sérieux et que tout le monde était d'avis qu'il la fallait réformer. On attendait beaucoup de Sieyès, le grand faiseur de constitutions. Il groupa autour de lui un assez grand nombre de représentants qu'on appela les constitutionnels ou les directoriaux. Mais les républicains, qui faisaient peu de fond sur le caractère de Sieyès, formèrent un groupe compact autour de Gohier et de Moulins. Ils s'appuyaient en outre sur Bernadotte, ministre de la guerre, Marbot, commandant de Paris, Jourdan, Augereau et Lamarque. Entre ces deux partis flottait un centre indécis. Pour compliquer la situation, le conseil des Anciens se montra animé d'un esprit rétrograde complètement opposé à celui qui inspirait le conseil des Cinq-Cents. La lutte allait s'engager entre les Cinq-Cents et une portion du Directoire, soutenue d'abord assez mollement, puis très énergiquement par les Anciens. Les directeurs commencèrent par renouveler le personnel administratif. Notamment, les 4 et 5 messidor, les ministres de l'intérieur et de la police, François de Neufchâteau et Duval de Rouen, furent remplacés par Quinette et Bourguignon-Dumolard qui eut lui-même pour successeur quatre semaines plus tard Joseph Fouché, tandis que Cambacerès prenait le portefeuille de la justice, Robert Lindet celui des finances, Reinhard celui des relations extérieures (20 juillet), la marine avait été donnée le 2 juillet à Bourdon de Vatry et la guerre à Bernadotte. Le général Lefebvre succéda à Marbot. 

Ces dernières nominations étaient manifestement des mesures de garanties contre les républicains. Ceux-ci, comme représailles, faisaient passer le 22 messidor la fameuse loi des otages. Les troubles en province étaient aussi graves que fréquents. Il y avait des insurrections, des assassinats dans le Midi, en Vendée, en Bretagne, dans la Haute-Garonne; les agents royalistes étaient les auteurs de la plupart de ces troubles. Aussi l'administration fut-elle armée de pouvoirs terribles. Dès qu'une commune était déclarée en état de trouble, elle était autorisée à choisir des otages parmi les parents des émigrés, les ci-devant nobles et les parents des rebelles faisant partie des rassemblements armés. Ces otages devaient être emprisonnés. Ceux qui s'évaderaient seraient assimilés aux émigrés. Tout assassinat commis sur un citoyen ayant été depuis la Révolution fonctionnaire public ou défenseur de la patrie ou acquéreur de biens nationaux, entraînait la déportation de quatre otages. Les otages en masse étaient solidairement condamnés à une amende de 5.000 F pour chaque individu assassiné. Tout citoyen qui contribuait à l'arrestation d'un émigré ou d'un prêtre réfractaire recevait une prime de 300 à 2.400 F. Les Anciens montrèrent quelque velléité de résistance, mais ils finirent par sanctionner la loi le 24 messidor. Quelques salons de Paris que fréquentaient des royalistes crièrent à la résurrection de la Terreur et des échafauds.

Lucien Bonaparte se fit l'éche de ces bruits et dénonça la Société des Amis de l'égalité et de la liberté, plus connue sous le nom de Société du Manège, qui avait sans doute, à ses veux le tort de s'inquiéter déjà des sourdes manoeuvres de Sieyès soupçonné de tramer « un complot pour proclamer un roi constitutionnel », et d'attaquer trop vivement certains ministres suspects : Fouché, Reinhard et Bourdon. Le local où ce club s'assemblait dépendait du conseil des Anciens : il fut fermé par son ordre le 9 thermidor. Persistant dans une politique d'action énergique, les Cinq-Cents avaient voté le Il de ce mois un emprunt forcé de cent millions établi sur la classe aisée des citoyens. La taxe était progressive, les nobles devaient payer une cotisation double, les parents d'émigrés une cotisation triple. Cette fois, les Anciens opposèrent leur veto : on transigea en supprimant l'article relatif aux nobles et aux émigrés. Peu après ils se montrèrent intraitables en rejetant un projet ,contre las prêtres déportés. Sieyès les encourageait; il fit fermer manu militari la société du Manège qui s'était installée dans le Temple de la Paix, rue du bac, et s'appelait maintenant les Nouveaux Jacobins. Les républicains s'inquiétèrent. Le Journal des hommes libres attaqua violemment Sieyès et Barras :

« Sieyès et Barras n'ont pas cessé de conspirer contre leur patrie, et Sieyès et Barras dénoncent les amis de la patrie comme des conspirateurs! quelle sera l'issue de cette lutte de la tyrannie contre la liberté? » 
Même une pétition réclama, le 3 fructidor, la radiation de Sieyès du Directoire sous prétexte que son élection avait été faite, comme celle de Treilhard, contrairement aux prescriptions de l'article 156 de la Constitution. Au milieu d'un véritable tumulte, les Cinq-Cents passèrent néanmoins à l'ordre du jour. Cependant la situation extérieure n'était rien moins que rassurante. L'Italie était évacuée, Joubert venait d'être tué, une armée anglo-russe ouvrait campagne en Hollande. Sur les instances de Briot, de Lamarque, d'Eschasseriaux, les républicains obtinrent la nomination d'une commission de sept membres chargée de présenter des mesures de salut public. Mais leurs adversaires, au lieu de se contenter de la procédure ordinaire, c.-à-d. de laisser au président de l'Assemblée le choix des commissaires, furent assez habiles pour réclamer le scrutin secret. Lucien Bonaparte, Chénier, Daunou, Lamarque, Eschasseriaux, Boulay de la Meurthe, Berlier furent donc élus et demeurèrent volontairement inactifs. Les désastres s'accumulant sur les frontières, les journaux patriotes perdirent toute mesure et toute prudence, ce qui donna à Sieyès l'occasion de faire arrêter onze journalistes et de mettre les scellés sur leurs presses. Alors Briot monta à la tribune:
« Je le déclare à la France, dit-il, qu'il se prépare un coup d'Etat [...]. Peut-être les directeurs des calamités publiques ont-ils un traité de paix dans une poche et une constitution dans l'autre. Si l'acte que je viens d'annoncer se consomme, il faut que le peuple vienne à notre secours et quand nous n'aurons plus ni liberté ni indépendance, il faut qu'il se lève et qu'il se sauve lui-même. » 
Jourdan réclama la permanence du conseil et la déclaration du danger de la patrie. Après deux séances extrêmement orageuses (27-28 fructidor [13-14 septembre 1799]), ces mesures furent repoussées par 245 voix contre 171 sur 416 votants. Le coup d'Etat de Brumaire était virtuellement accompli. Des rassemblements se produisirent autour du Palais-Bourbon : on insulta les députés, on leur cria « Nous sauverons la patrie malgré vous! » Sieyès, presque sûr d'une majorité aux Cinq-Cents, soutenu par le conseil des Anciens tout entier, remplaça Bernadotte par Milet-Mureau et changea l'administration centrale de Paris malgré les protestations de Jourdan qui s'écriait vainement : 
« J'aime à croire que ces changements ne sont pas le prélude d'un coup d'Etat. Si cela était, jurons qu'on ne nous enlèvera de nos chaises curules qu'après nous y avoir donné la mort! »
Déjà Bonaparte avait été rappelé secrètement. Talleyrand, Barras et ses frères le tenaient journellement au courant des affaires intérieures et l'avisèrent du moment favorable. Bonaparte était alors le seul homme vraiment populaire en France et sa popularité, soigneusement préparée, habilement entretenue, n'avait fait que s'accroître des divisions et de l'impuissance bruyante des conseils législatifs. La fameuse constitution de Sieyès, discutée secrètement par un comité composé de Lucien Bonaparte, Lemercier, Talleyrand, Boulay de la Meurthe, Regnier, Roederer, Cabanis, était toute prête. Mais il y fallait le patronage du général populaire. Talleyrand trouva un terrain d'entente. 
« Vous voulez du pouvoir, dit-il à Bonaparte, et Sieyès veut une nouvelle constitution; unissez-vous pour détruire ce qui est puisque ce qui est est un obstacle pour tous deux. » 
Son conseil fut suivi et l'on régla à l'avance et dans tous ses détails le coup d'Etat du 18 brumaire. Bonaparte, débarqué le 17 vendémiaire à Fréjus, était à Paris le 24. Partout le peuple lui faisait un accueil enthousiaste. Tous les partis espéraient en lui et rêvaient de se le concilier . il n'en décourageait aucun : 
« ... A mon retour, je m'observais beaucoup; c'est une des époques de ma vie où j'ai été le plus habile. Je voyais l'abbé Sieyès et lui promettais l'exécution de sa verbeuse constitution. Je recevais les chefs des Jacobins, les agents des Bourbons. Je ne refusais les conseils de personne, mais je n'en donnais que dans l'intérêt de Files plans... Chacun s'enterrait dans mes lacs et quand je devins le chef de l'Etat, il n'existait pas en France un parti qui ne plaçât quelque espoir dans mon succès. » 
Nous avons exposé ailleurs (18 Brumaire) les principales phases du coup d'Etat. Nous nous bornerons ici au récit des événements qui se passèrent dans le conseil des Cinq-Cents. Au commencement de brumaire les bureaux furent renouvelés et, comme par hasard, ils se composaient d'hommes pour la plupart dévoués à Bonaparte. Lucien était élu président, les inspecteurs de la salle, qui avaient le commandement de la garde du palais législatif et la police de son enceinte, furent Gourlay, Beauveais, Dewinck-Thierri, Casenave, le général Fregeville. Le 15 de ce mois, le corps législatif donnait à Bonaparte et à Moreau un grand banquet dans le temple de la Victoire (église Saint-Sulpice). On avait eu l'idée de ce festin le jour du retour de Bonaparte. Maintenant le complot était tellement avancé qu'on se fût volontiers passé d'une manifestation publique où les conjurés firent, piètre figure. 
« On s'observait, dit Lucien, réciproquement et fort sérieusement., il y avait certes plus d'inquiétude que de gaieté parmi les convives. » 
De fait, c'est après le repas que Bonaparte et Sieyès arrêtèrent leurs dernières mesures. Le 18 brumaire, à onze heures du matin, le conseil des Cinq-Cents, convoqué extraordinairement et fort peu nombreux, reçut communication du décret des Anciens, transférant le corps législatif à Saint-Cloud sous prétexte d'un complot anarchiste dirigé contre la représentation nationale. Quelques protestations se firent entendre, mais Lucien leva immédiatement la séance aux cris de :
« Vive la République! Vive la Constitution! » 
Le lendemain, la séance fixée à midi ne put être ouverte qu'à une heure et demie, l'Orangerie n'étant pas encore prête à recevoir les Cinq-Cents. Les républicains profitèrent de ce délai pour concerter un plan de résistance. Lorsque Gaudin, confident de Bonaparte, vint rééditer à la tribune la fable de la conspiration anarchiste, il fut interrompu par de violents murmures. Delbrel s'écria : 
« Avant tout, la Constitution! la Constitution ou la mort. Les baïonnettes ne nous effrayent pas : nous sommes libres ici! »
Il demande, appuyé par Grandmaison, que l'on renouvelle individuellement le serment de fidélité à la Constitution. Cette proposition fut accueillie par un tonnerre d'applaudissements. On perdit deux heures à l'accomplissement d'une formalité plus théâtrale qu'utile. Après quoi on apprit avec stupeur la démission de Barras et par suite la désorganisation complète du Directoire, Gohier et Moulins étant restés à Paris sous bonne garde. Il était question de remplacer immédiatement Barras, lorsque Bonaparte, accompagné de quelques grenadiers, pénétra dans l'Orangerie. Son arrivée déchaîna un indescriptible tumulte, les représentants grimpés sur leurs sièges poussaient les cris de : Hors la loi le dictateur! Mourons à notre poste! Vive la République! etc., tandis que les spectateurs effarés se précipitaient dans les jardins par les fenêtres basses. Sur un signe de son frère, le général se retira. Alors Bertrand du Calvados, Talot, d'autres encore insistèrent sur l'illégalité commise par le conseil des Anciens en nommant Bonaparte commandant en chef, et sur l'illégalité commise par Bonaparte lui-même en pénétrant dans le conseil sans y être mandé. Ils demandaient que le commandement des troupes lui fût enlevé. Lucien refusa de mettre aux voix cette proposition qui eût fort compromis le succès du coup d'État, et comme son attitude soulevait des rumeurs, il jeta dramatiquement sa toge sur la tribune en disant : 
« Il n'y a plus ici de liberté! »
Puis il sortit protégé par un détachement de grenadiers. Peu après l'Orangerie était envahie par la force armée et les représentants, après quelques protestations, s'enfuyaient par les fenêtres. Cette expulsion violente n'était point la solution rêvée par Sieyès, même par Bonaparte, elle n'avait d'ailleurs pas été prévue dans le plan du complot. Il fallait que les actes des conjurés fussent sanctionnés par un semblant de corps législatif. On rassembla le plus de députés qu'on put. Une petite assemblée de cinquante membres environ se réunit vers neuf heures du soir à l'Orangerie. Lucien y prononça des discours à sensation, cynique apologie de l'attentat commis :
« Représentants du peuple, entendez le cri sublime de la postérité! Si la liberté naquit dans le Jeu de Paume à Versailles, elle fut consolidée dans l'Orangerie de Saint-Cloud! les constituants de 1789 lurent les pères de la Révolution, les législateurs de l'an VIII lurent les pères et les pacificateurs de la patrie ! »
Sur sa proposition une commission spéciale de neuf membres fut chargée de proposer les moyens d'améliorer la situation de la République. Boulay de la Meurthe, rapporteur de cette commission, établit la nécessité de constituer un état provisoire et intermédiaire pendant lequel on préparerait les meilleurs moyens de remédier aux défauts de l'organisation constitutionnelle et soumit au vote de l'Assemblée le projet arrêté à l'avance par Sieyès. 

Entre-temps, le conseil « considérant que le général Bonaparte, les généraux et. l'armée sons ses ordres ont sauvé la majorité du corps législatif et la République attaquées par une minorité composé d'assassins », leur adressa des remerciements solennels. Sur la proposition de Cabanis, une adresse aux Français fut rédigée. Elle résume assez bien l'histoire lamentable du Directoire; 
« Français, la République vient encore une fois d'échapper aux fureurs des factieux! Vos fidèles représentants ont brisé le poignard dans les mains parricides... Des hommes séditieux ont attaqué sans cesse avec audace les parties faibles de notre Constitution ; ils ont habilement saisi celles qui pouvaient prêter à des commotions nouvelles. Le régime constitutionnel n'a bientôt plus été qu'une suite de révolutions dans tous les sens, dont les différents partis se sont successivement emparé : ceux même qui voulaient le plus sincèrement le maintien de cette Constitution ont été forcés de la violer à chaque instant pour l'empécher de périr [...] Il est temps de mettre un terme à ces orages [..]. » 
Suspendue à minuit, la séance fut rouverte à une heure. Un message des Anciens informa les Cinq-Cents de la ratification de leurs propositions. A deux heures, les consuls, Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos vinrent jurer « fidélité à la souveraineté du peuple, à la République française rue et indivisible, à la légalité, à la liberté et au système représentatif ». Puis les Commissions législatives, ayant été élues, les conseils se séparèrent. Ils étaient en principe ajournés au 1er ventôse, mais plus jamais ils ne devaient se réunir. (R. S.).
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