Jalons |
L'anarchisme
dans l'histoire
Le 29 septembre 1872
une scission violente éclatait, au congrès de la Haye, dans
l'Association internationale des Travailleurs, entre les partisans de Karl
Marx et ceux de Bakounine. C'est à
cette date qu'il convient de faire remonter les débuts du parti
anarchiste. Bakounine et ses amis organisèrent la Fédération
jurassienne qui rayonna bientôt sur la Suisse ,
le Nord de l'Italie ,
l'Est de la France
et, grâce à l'active propagande de Fanelli, sur toute l'Espagne .
Un journal, l'Avant-Garde, fut fondé à Genève,
sous la direction de Paul Brousse. La Fédération jurassienne
et son organe, l'Avant-Garde, furent nettement anarchistes. Toutefois,
à part la prise d'armes de Bénévent
(1877), il ne se produisit rien de
bien sérieux et ce n'est véritablement qu'à partir
de la fin de l'année 1878, quand l'Avant-Garde,
poursuivie et condamnée, a été remplacée par
le Révolté que fondèrent
Elisée
Reclus et Kropotkine, qu'on peut constater
et suivre le développement du mouvement anarchiste dans la plus
grande partie de l'Europe
et en Amérique .
Mais, pour en faire une présentaion tel qu'il apparaît à
la fin du XIXe
siècle, il devient nécessaire d'étudier
ce mouvement séparément dans chaque pays.
France
Du 20 au 30 octobre 1879,
un congrès socialiste, réuni
à Marseille, adopta, à une
forte majorité, les solutions collectivistes,
en les exprimant toutefois d'une façon assez vague pour que tous
les groupes révolutionnaires pussent y trouver leur compte. Après
le congrès, une scission ne tarda pas à se produire, à
Paris,
entre l'Union fédérative et l'Alliance des groupes socialistes
révolutionnaires (avril 1880).
Le premier groupe voulait qu'on prit part au mouvement électoral;
le second groupe préconisait l'abstention électorale et l'action
révolutionnaire. Quand un congrès régional se réunit
à Paris, cette scission s'accentua et dans les congrès de
province se manifestèrent les mêmes divisions. Au congrès
de la région de l'Est, à Lyon,
Bernard, délégué des groupes de Grenoble,
proposa la formation d'un parti révolutionnaire en dehors de toute
action se rattachant au suffrage universel. La proposition fut renvoyée
au congrès national. Le congrès régional du Midi,
tenu à Marseille, vit s'affirmer une forte minorité anarchiste.
Anarchistes aussi ne tardèrent pas à se déclarer les
groupes abstentionnistes de Paris et de la région de l'Est. Un rapprochement
momentané s'effectua, au congrès national du Havre ,
entre collectivistes et anarchistes, dans le but de combattre les délégués
opportunistes, et les anarchistes obtinrent que le Communisme
libertaire fût posé comme but définitif des efforts
du prolétariat. Mais les divisions, le congrès fini, ne tardèrent
pas à se produire de nouveau.
Les anarchistes eurent alors, pendant
environ un an (1880-1881), un journal
qui soutint leurs doctrines et leurs revendications. Ce journal était
la Révolution sociale. Vers le milieu de 1881,
un nouveau congrès socialiste se réunissait à Paris.
Sept groupes anarchistes s'y firent représenter par 21 délégués.
A la suite de scènes violentes, les délégués
anarchistes furent expulsés et organisèrent un congrès
révolutionnaire indépendant. De chaleureuses adhésions
vinrent de Lyon et du Midi; le mouvement anarchiste commença à
prendre corps; des groupes furent fondés à Narbonne ,
à Béziers
et à Cette, et le congrès de la région du Midi, tenu
dans cette dernière ville, adhéra aux idées anarchistes
à
une forte majorité. Bientôt même le mouvement prit un
développement tel à Lyon,
Grenoble,
Vienne ,
Roanne ,
Villefranche ,
Saint-Etienne,
qu'un journal hebdomadaire, le Droit social, put être, fondé
à Lyon.
En juillet 1881, un certain nombre d'anarchistes
de France ,
Belgique ,
Italie ,
Espagne ,
Allemagne ,
Autriche ,
Suisse ,
Etats-Unis ,
se réunirent à Londres et y
échangèrent leurs vues sur la direction à imprimer
à la propagande. Il n'en sortit, en somme, aucune association définitive,
mais le gouvernement français voulut y voir quelques mois plus tard,
lors du procès de Lyon, une sorte de résurrection de l'Association
internationale des Travailleurs.
Des troubles révolutionnaires se
produisirent à Monceau-les-Mines et à Blanzy (Saône-et-Loire);
plusieurs explosions eurent lieu et la chapelle du Bois-Duverne fut détruite.
Le pays fut occupé militairement et on opéra de nombreuses
arrestations. Une trentaine d'ouvriers furent traduits devant la cour d'assises
de Châlon-sur-Saône ,
mais le procès fut finalement renvoyé devant la cour d'assises
de Riom .
Pendant ce temps le mouvement anarchiste
continuait à se développer. Les anarchistes parisiens lancèrent,
à 40 000 exemplaires, un placard intitulé l'Anarchie,
où, pour la première fois (mars 1882),
les théories communistes anarchistes du parti étaient affirmées
avec une très grande clarté.
Quelque temps après, les anarchistes
parisiens rédigèrent un autre placard, Mort aux voleurs!
De 1882 à 1886
il faut signaler le procès de Lyon, où
Kropotkine,
Gautier, Bordat et cinquante autres furent condamnés à des
peines variant de 1 à 5 ans de prison; la manifestation de l'Esplanade
des Invalides ,
la condamnation de Louise Michel et de Pouget
à 6 ans de réclusion, les manifestations, arrestations et
condamnations nombreuses qui suivirent l'apparition à Paris de l'organe
anarchiste
Terre et Liberté, qui dura 3 mois. Hebdomadaire,
il atteignit un tirage de 15 000 exemplaires et succomba après quatre
condamnations. En
1886 le mouvement
anarchiste en France
paraissait bien assoupi. Toutefois, le
Révolté, hebdomadaire,
qui paraissait à Paris et dont les principaux rédacteurs
étaient Kropotkine, E. Reclus et Grave
avait un tirage de 8 000 exemplaires.
Espagne
Au congrès de La Haye ,
les délégués espagnols soutinrent Bakounine
et, lors de la scission de l'Internationale, les révolutionnaires
de la Péninsule Ibérique
marchèrent d'accord avec la Fédération jurassienne.
Toutefois, l'active propagande de Fanelli ne put que jeter les bases d'une
organisation qui ne commença à se développer sérieusement
qu'à partir de
1880. En 1881
(25
septembre), au congrès tenu à Barcelone,
fut définitivement fondée la Fédération espagnole
de l'Association internationale des Travailleurs. Elle se proclama anarchiste,
mais collectiviste au point de vue de la réforme économique;
elle déclara que son but était le renversement violent de
l'ordre de choses établi. Les anarchistes espagnols s'organisèrent
à un double point de vue : syndical et local. Au point de vue local,
ils formèrent des sections locales et provinciales, s'unissant dans
la fédération nationale. Au point de vue syndical, les ouvriers
anarchistes de même profession formèrent des sociétés
communales, des unions provinciales, s'unissant dans une fédération
nationale des métiers Il fut convenu que chaque groupe jouirait
d'une entière autonomie.
Le mouvement ainsi lancé fit de
grands progrès et le congrès de Séville
(24-25 sept.
1882) réunit 254
délégués représentant 10 unions provinciales,
209 sociétés communales, et 632 sections locales. On calcula
que le parti comptait déjà 58 000 adhérents. Le journal
du parti, la Revista social, qui s'imprimait à Barcelone,
avait 40 000 abonnés. Il y avait en outre une douzaine de feuilles
locales et 8 congrès syndicaux avaient été tenus par
des associations ouvrières imbues des idées anarchistes.
La fin de l'année 1882 fut marquée
par les violences de l'association de la Main noire, en Andalousie .
Le gouvernement fit retomber la responsabilité des actes commis
sur tout le parti anarchiste et plus de 200 arrestations furent opérées.
Toutefois, il se trouva encore 140 délégués au congrès
de Barcelone (25 septembre 1883). Un
nouveau congrès du parti anarchiste espagnol devait avoir lieu en
1885,
à Madrid. Il a été renvoyé
à une date ultérieure.
La Revista social, sous le coup
de poursuites multipliées, a dû disparaître, mais le
parti disposait en 1886 d'une quinzaine
de journaux locaux, dont les plus connus étaient le Cosmopolita,
de Valladolid, et le Federacion, à Igualada.
Les anarchistes, regroupés au sein
de la Fédération anarchiste ibérique (FAI), rangés
dans le camp des Républicains, mais aussi souvent en conflit avec
eux, joueront ensuite un rôle important dans le déroulement
de la guerre civile, entre 1936 et
1939.
Italie
En 1871,
l'Internationale comptait 10 000 adhérents en Italie; les sections
de la Péninsule épousèrent la querelle de Bakounine
contre Karl Marx, jusqu'au jour où Andrea
Costa, rompant brusquement avec les ultrarévolutionnaires, devint
le chef d'un parti socialiste légaliste et poussa le modérantisme
jusqu'à prêter, une fois élu député,
le serment parlementaire au roi Humbert.
C'est à partir de 1878,
après l'attentat de Passanante contre le roi (16 novembre), qu'un
mouvement anarchiste commença à se dessiner. En effet, la
prise d'armes de Bénevent (1877)
ne fut qu'un incident isolé. 27 révolutionnaires, gradés
par Carlo Cafiero, occupèrent plusieurs communes, brûlèrent
les papiers publics, distribuèrent au peuple l'argent qu'ils trouvèrent
dans les caisses municipales. Cernés au bout de 4 jours par les
troupes italiennes, ils durent mettre bas les armes et furent condamnés
à plusieurs années de réclusion
Après le congrès de Londres
(1881), des groupes anarchistes furent
fondés à Bologne ,
Ravenne, Naples ,
Milan,
Forli ,
Rome.
Un congrès, tenu à Chiasso, réunit 40 délégués
(1883); des troubles éclatèrent
sur divers points de la Romagne. Henri Malatesta fut arrêté
à Florence et l'avocat Merlino à
Naples. Tous deux ont été condamnés, à Rome,
le 1erfévrier
1884,
à 3 années de réclusion.
Le seul journal qui restait aux anarchistes
en Italie était le Proximus tuus, de Milan. Comme les Français
et contrairement aux Espagnols, les anarchistes italiens sont communistes
et non collectivistes.
Suisse
Nous avons dit comment fut fondée
la Fédération jurassienne et comment, après la défection
de Paul Brousse, au journal l'Avant-Garde succéda le Révolté,
fondé en mars 1878, par Elisée
Reclus et le prince Kropotkine. Des groupes anarchistes s'organisèrent
à Genève, Fribourg, Zurich,
Lausanne ,
la Chaux-de-Fonds, Berne, Lucerne. Une active
propagande fut faite. Des congrès eurent lieu à Lausanne
(4 juin 1882), Genève (13-14
août 1882), la Chaux-de-Fonds
(7-9 juilet 1883). On s'occupa surtout
dans ce dernier congrès de l'organisation «d'une caisse
internationale de secours pour les victimes de la bourgeoisie».
C'est au congrès de Genève
que fut adopté, à l'unanimité des délégués,
l'envoi, à tous les groupes socialistes des deux mondes, d'un manifèste
qui est l'œuvre de l'éminent géographe Elisée Reclus
Jusqu'au mois de mars 1885,
la Suisse avait paru, pour les anarchistes de toute nationalité,
un asile à peu près sûr, quand brusquement les gouvernants
de la Confédération helvétique firent arrêter
60 anarchistes à Genève, Berne, Saint-Gall, Lucerne Zurich,
etc. (2-4 mars 1885). Les anarchistes
furent accusés d'avoir voulu faire sauter le palais fédéral;
ils repoussèrent énergiquement cette imputation.
Le journal le Révolté,
à Genève, a été saisi et son imprimerie fermée;
mais la saisie a été levée au bout de deux jours.
Cependant le Révolté n'a point reparu à Genève
et les anarchistes l'ont transporté à Paris.
Belgique
L'Internationale ne comptait pas moins
de 70 000 adhérents en Belgique, dès l'année 1869.
Lors de la scission de la puissante association, les sections belges se
divisèrent et une tentative de rapprochement faite au congrès
de Gand (9-16 septembre 1877) n'amena
pas de résultat. En 1880, au
congrès de Bruxelles, on vit nettement se dessiner les deux courants
: d'un côté, le parti ouvrier socialiste, obéissant
à l'influence des députés allemands, et représenté
surtout par le docteur César de Paepe et Brismée; de l'autre,
les anarchistes de Verviers et de Bruxelles (Gerombou, Piette, Delsaute,
Huyskens, etc.), les anciens internationalistes qui avaient, en 1872,
soutenu Bakounine dans sa lutte contre Karl
Marx (Govaerts, Verrycken, Steens, Debuyger, etc.), et les révolutionnaires
indépendants des Cercles réunis, association récemment
fondée par Chauvière, Crié, Claes, Stuyck, F. Monier,
Delfosse, etc.
La scission s'aggrava et les anarchistes
fondèrent, avec les internationalistes et les indépendants,
une Union révolutionnaire qui tint des congrès trimestriels
à Bruxelles
(19 septembre 1880), Verviers (25 décembre
1880),
Cuesmes (20 mars 1880). Des conférences
furent faites à la Louvière, Liège, Herstal ,
Ensival, Verviers, Cuesmes, Paturages, Gilly, Frameries, Elouges, Wasmes,
Jemmapes; de nombreux meetings eurent lieu à Bruxelles; un journal
hebdomadaire, les Droits du peuple, rédigé par Chauvière
et Crié, atteignit rapidement un tirage de 2 000 exemplaires; en
1880,
le drapeau rouge fut arboré à trois reprises différentes
dans les rues de Bruxelles; deux collisions avec la police eurent lieu
près du palais du roi et près de la gare du Midi. Une vive
agitation se produisit dans les bassins houillers du Borinage .
En 1881 (23 mars), après le
congrès de Cuesmes où le drapeau rouge avait été
arboré et suivi d'un cortège de 3000 ouvriers chantant la
Carmagnole
et criant : Vive la Commune! le gouvernement belge fit arrêter
et expulser du pays 3 révolutionnaires étrangers.
Le mouvement, un instant désorganisé,
n'a pas tardé à reprendre sa marche progressive. Les anarchistes
de Verviers ont publié la Persévérance (tirage
1500 exemplaires); cet organe a disparu en 1882,
mais un nouveau journal anarchiste, l'insurgé, a paru à
Bruxelles au mois de mars 1885. Il
y a des groupes anarchistes à Bruxelles ,
Saint-Josse-ten-Noode, Ixelles ,
Schaerbech, Etterbeck, Liège, Verviers, Cuesmes, Gand et Anvers .
Citons pour mémoire la curieuse
affaire de Ganshoren (explosion de matières explosibles dans une
expérience en pleine campagne), à la suite de laquelle Cyvoet
fut arrêté et livré à la justice française.
Les anarchistes n'ont eu qu'une très faible part dans les désordres
de Liège et Charleroi
en 1886. A Bruxelles, l'Insurgé
disparu a été remplacé par Ni Dieu ni maître
Allemagne
Contrairement aux pays dont nous venons
de parler, ce n'est point au congrès de la Haye (1872),
à la querelle de Marx avec Bakounine,
à la scission de l'lnternationale. qu'il faut faire remonter les
débuts du mouvement anarchiste en Allemagne. C'est beaucoup plus
tard, après les attentats d'Haedel (11 mai 1878),
et du docteur Nobiling (2 juin 1878),
contre l'empereur Guillaume, et après la loi contre les socialistes
(22 octobre 1878), que la scission
éclata, dans le parti socialiste allemand, beaucoup moins entre
les autoritaires et les anarchistes, qu'entre les parlementaires et les
révolutionnaires,
les modérés et les violents. Bebel et Liebknecht réprouvèrent
les attentats commis contre l'empereur; Most et Hasselman les glorifièrent
; le congrès de Wahren, près Leipzig
(septembre 1879), donna la majorité
aux modérés et la rupture ne tarda pas à être
complète. Le Sozial-Demokrat (fondé à Zurich
en 1879), organe des parlementaires,
et la Freiheit (fondée à Londres en
1880),
organe des révolutionnaires, se firent une guerre acharnée.
Most, ayant fait l'apologie du meurtre du tsar Alexandre II, fut condamné,
en Angleterre ,
à 18 mois de travaux forcés. La peine achevée, il
transporta la Freiheit aux États-Unis, où elle paraissait
encore. au mois de mai 1886. Son tirage atteint environ 15 000 exemplaires
dont 10 000 au moins s'écoulent tant en Allemagne qu'en Autriche-Hongrie .
Depuis la fin de l'année 1883,
les anarchistes ont fait de notables progrès en Allemagne, surtout
à Berlin,
Hambourg,
Francfort
et dans les provinces rhénanes. En 1884
ils tentèrent de faire sauter l'empereur, au moment où il
se rendait à l'inauguration du Niederwald, monument élevé
à la gloire de l'Allemagne. Leur entreprise échoua et, quelque
temps après, les auteurs de cette tentative furent arrêtés.
Le principal d'entre eux, Rheinsdorff, revendiqua hautement devant le tribunal
ses convictions anarchistes révolutionnaires et la responsabilité
de l'acte qu'il avait voulu accomplir; Kuchler et les autres accusés
furent moins énergiques. Rheinsdorff et Kuchler, condamnés
à mort, furent exécutés, le 6 février 1885,
dans la prison de Halle .
Ils moururent avec un grand courage.
Quelques jours après la condamnation
à mort de Rheinsdorff et de Kuchler, un des principaux agents de
la police allemande, Rumpf, qui avait joué un rôle accusateur
prépondérant dans le procès de Rhemsdorff, tombait,
à Francfort, frappé de deux coups de poignard.
Autriche-Hongrie
En 1880,
au congrès de Julienfeld, près Brünn, les socialistes
révolutionnaires d'Autriche déclaraient qu'ils entendaient
garder la plus complète neutralité entre les parlementaires
et les anarchistes, le Sozial Demokrat et la Freiheit, Most
et Liebknecht. Un autre congrès, à Pesth (16-17 mai 1880),
où assistaient 110 délégués, observa la même
neutralité. Mais des symptômes d'une scission prochaine ne
tardèrent pas à se manifester. Le 4 décembre 1881,
le commissaire de police Kladec voulut dissoudre une réunion anarchiste;
ses agents furent repoussés et lui-même grièvement
blessé. En février et mars 1882,
des émeutes eurent lieu dans plusieurs centres industriels. Après
l'affaire Merstallinger (attaque et pillage d'une maison, à main
armée, juillet 1882), les socialistes
parlementaires se séparèrent définitivement des anarchistes
au congrès de Brünn (15-16 octobre 1882);
44 délégués assistaient à ce congrès.
De nouvelles émeutes éclatèrent
à Vienne
les 10 août, 2 septembre et 16 septembre 1883;
un congrès anarchiste fut tenu à Lang-Enzersdorf, près
Vienne, les 26 et 27 septembre 1883.
Le commissaire de police Hlubeek fut tué à Florirsdorf, le
20 novembre 1883, un agent de police
tué à Vienne, le 15 décembre, un autre agent, nommé
Bloch, tué également à Vienne le 24 janvier 1884.
Des émeutes eurent lieu en Galicie
et dans les bassins houillers de la Bohème .
Les mesures terroristes prises par le gouvernement
n'ont point paru ralentir le mouvement; ni la suppression de plusieurs
journaux, ni l'emprisonnement d'une quarantaine de révolutionnaires,
ni la condamnation à mort et l'exécution d'Hermann Stellmacher,
n'ont empêché des groupes anarchistes, nombreux et ardents,
de s'organiser à Vienne ,
Cracovie ,
Budapest ,
Presbourg
(auj. Bratislava, en Slovaquie), Oedenbourg, Agram, Semlin, Temesvar
(auj. Timisoara, en Roumanie), en Bohème, en Galicie ,
en Styrie ,
en Carniole
et en Carinthie .
Les anarchistes n'ont plus qu'un journal,
le Radical, qui parait à Pesth, le gouvernement ayant supprimé
le Zukunft, qui paraissait à Vienne sous l'intelligente direction
du peintre Peukert. De nombreux numéros de la Freiheit sont
aussi répandus en Autriche-Hongrie. Enfin, des brochures mensuelles,
portant le titre de Dernière presse libre de la Cisleithanie ,
sont distribuées à un très grand nombre d'exemplaires.
C'est l'élément tchécoslave qui fournit le plus de
recrues aux anarchistes.
Angleterre
De même pour l'Angleterre, il faudrait
bien se garder de prendre pour des anarchistes, les communistes révolutionnaires
de Londres, de Manchester et
de Birmingham ,
les révoltés agraires d'Écosse
et les nationalistes, fenians, invincibles, dynamiteurs d'Irlande .
L'histoire de leurs efforts, de leurs divisions, de leurs luttes, de leurs
progrès, rentre dans le cadre du mouvement socialiste
en général ou dans des cadres particuliers.
Signalons pourtant à Londres la
présence d'un certain nombre de cercles anarchistes de langue française,
italienne, allemande, hongroise et espagnole, mais ils s'occupent exclusivement
de la propagande de leurs idées dans leurs pays respectifs.
Nous avons dit que c'était à
Londres que Most, l'anarchiste allemand, avait fondé la Freiheit
et qu'il la transporta aux États-Unis
après une condamnation à 48 mois de travaux forcés,
pour apologie du meurtre de l'empereur Alexandre II
II s'est pourtant créé à
Londres, en 1885 et 1886,
quelques groupes d'anarchistes anglais dont l'organe, hebdomadaire, The
Anarchist, a atteint un tirage de 5 000 exemplaires.
États-Unis
Les premières traces d'un mouvement
anarchiste, aux États-Unis, remontent à 1878.
Au congrès d'Albany, la majorité des délégués,
partisans des moyens de propagande pacifique, se trouva en présence
d'une minorité radicalement révolutionnaire, dont le principal
leader était un ami de Most, Justus Schwab, de New-York,
qui avait pour organe, à Saint-Louis, le journal la Voix du peuple
(tirage 5 000 exemplaires). Le chef des modérés, Philippe
de Patten, eut encore à combattre un autre groupe révolutionnaire,
dirigé par M. Grotkau, qui admettait la participation aux élections,
mais seulement comme moyen de propagande, n'attendant aucune solution définitive
que de la force. L'organe des amis de M. Grotkau était l'Arbeiter-Zeitung
(Gazette des travailleurs), dont le tirage dépassait 8 000
exemplaires. L'année suivante, au congrès d'Alleghany (1879),
la rupture fut définitive entre les modérés et les
deux autres fractions socialistes; M. Grotkau fut chassé par les
modérés. Les révolutionnaires firent de notables progrès;
à Boston ,
The
Anarchist et après sa disparition le journal Liberty
soutinrent les doctrines anarchistes; le 21 octobre
1881,
49 délégués, représentant 12 villes américaines,
fondèrent, à Chicago, le Parti révolutionnaire des
Etats Unis. Des associations ouvrières s'exercèrent publiquement
à Chicago au maniement des armes et le nombre des enregistrements
dépassait 3 000 à la fin de l'année 1884.
Le Club socialiste révolutionnaire de New -York, dont la fondation
datait du 15 novembre 1880, sut acquérir
une très grande influence, et l'arrivée de Most en Amérique
(18 décembre 1882) donna une
nouvelle impulsion au mouvement anarchiste.
En 1883
(14-16 octobre), un congrès anarchiste se réunit à
Pittsburgh, 28 délégués y assistalent, représentant
22 villes ; Grotkau s'y rendit avec ses amis et la Fédération
américaine de l'association internationale des Travailleurs fut
définitivement organisée. Signalons simplement les troubles
anarchistes vite apaisés, qui se sont produits à Chicago
en 1886, et la condamnation de Most
à un an de réclusion.
Dans
les autres pays
II s'est formé, au Mexique ,
deux groupes anarchistes : à Mexico et à Veracruz; un journal
anarchiste hebdomadaire, la Révolution sociale, paraît
à Mexico. Deux journaux anarchistes hebdomadaires représentent
les idées anarchistes dans l'Amérique du Sud
: la Révolution sociale à Santiago (Chili )
et l'Internationale à Montevideo.
Le mouvement nihiliste
russe n'est pas un mouvement anarchiste. Il se rencontre certes des anarchistes
dans les deux groupes du parti nihiliste : les popularistes et les terroristes.
Mais le mouvement eut lui-même un caractère révolutionnaire
tout particulier qui ne doit point lui donner place dans cette étude
consacrée exclusivement au mouvement anarchiste. Il n'y a point
de mouvement anarchiste en Hollande; un seul groupe, peu nombreux, d'Amsterdam ,
s'est rallié à cette doctrine.
Au Danemark ,
en Suède
et en Norvège ,
il y a des socialistes de diverses nuances,
et il y a même un certain nombre d'anarchistes à Copenhague.
Mais, à la fin du XIXe
siècle, il n'existe pas, à proprement parler,
de mouvement anarchiste dans ces trois pays. Le mouvement anarchiste n'a
pas gagné non plus le Portugal
où l'on ne trouve que des socialistes. (A. Crié).
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Laurent
Maréchaux, Hors
la loi : Anarchistes, illégistes, as de la gâchette... Ils
ont choisi la liberté, Arthaud , 2009.
2700301528
On
ne naît pas hors-la-loi, on le devient... Ils se sont révoltés
contre toutes les formes d'injustices, ils se sont révoltés
contre le monopole des grandes puissances maritimes, contre l'avènement
du monde industriel, ils étaient nostalgiques des grands espaces
vierges.
Plutôt
que de perdre leur liberté, ils ont préféré
se diriger vers une mort certaine, anticipant avec sang-froid une issue
inéluctable. Pour Mandrin, Olivier Misson - le pirate philosophe
-, Calamity Jane, Marius Jacob... et tant d'autres assoiffés de
liberté, la quête d'un monde meilleur tourne à l'obsession
et devient leur ultime convoitise. Une justice arbitraire, l'enrichissement
éhonté d'une minorité, l'oppression des plus pauvres
font de ces hommes d'honneur écorchés vifs des hors-la-loi
redoutés.
Leur
soif d'idéal appelle le sacrifice et se paie au prix fort: la roue,
le peloton d'exécution ou l'acharnement aveugle des forces de police.
Le vol, la cavale, la solitude marquent la destinée hors-normes
de ces affranchis. Et si la plupart des faits d'armes de ces aventuriers
sont connus de tous, leur véritable révolte est trop souvent
passée sous silence. D'abord considérés comme de redoutables
malfrats, ces hommes hors des lois exercent sur chacun d'entre nous une
obscure fascination. Difficile de ne pas partager en secret leur soif de
rébellion. (couv.). |
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