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La souveraine sous
le règne de qui s'est consommée la séparation de l'Eglise catholique
et de l'Eglise anglicane ,
commencée depuis près de trente ans, c'est Elisabeth
(Elizabeth) Tudor
(reine de 1558 Ã 1603),
la soeur de Marie (Mary) Tudor.
Lorsque, quelques heures après la mort
de celle-ci (27 novembre 1558), le
Parlement proclama « Madame Elisabeth », la fille de Henry
VIII et d'Anne Boleyn avait vingt-cinq ans,
car elle était née le 7 septembre 1533,
quelques semaines seulement après le couronnement de sa mère à Westminster
(1er juin). Grande, rousse, le front
haut, les yeux clairs, les traits accentués, la démarche majestueuse,
elle donnait l'impression de la froideur et de la dureté. Elle avait le
don des réparties très vives ou même triviales; elle se moquait des
gens les plus graves et battait ses dames d'honneur. Elle était coquette,
sensuelle comme sa mère, et, sans parler de l'intrigue fameuse qu'elle
eut, Ã quatorze ans, avec le beau Seymour, on
peut se demander si elle s'en tint au flirt et au marivaudage. Sa culture
générale était très poussée, et son précepteur Roger
Ascham écrivait au recteur du gymnase protestant de Strasbourg
:
«
Tout ce qu'Aristote requiert de qualités s'est
donné rendez-vous dans sa personne. Elle a un peu plus de seize ans, et
elle a la passion de la vraie religion et de la meilleure littérature.
Elle parle le français et l'italien comme l'anglais ; le latin avec facilité,
propriété et jugement ; le grec médiocrement, mais souvent et volontiers
dans ses entretiens. Elle est fort habile en musique, sans y prendre grand
plaisir. »
Fut-elle la souveraine aux qualités incomparables
dont Hume lui fait honneur, la reine au jugement
sûr et à l'esprit net, « la grande vestale assise sur le trône d'Occident
» dont parle Shakespeare? Faut-il, au contraire,
voir en elle, avec Froude, une vieille fille sans charme, sans intelligence,
sans volonté, n'ayant que fort peu contribué aux grandes choses qui remplirent
son règne? Fut-elle encore, comme l'a dit un de ses ministres, « la pire
des femmes et le plus grand des hommes »? Dans tous les cas, lors de son
avènement, les vicissitudes de son existence antérieure n'avaient pas
été sans la mûrir.
-
Elisabeth
I d'Angleterre (1533-1603), fille de
Henri
VIII et d'Anne Boleyn, par Porbus.
(musée
de Versailles).
Dès sa plus tendre enfance, en effet,
Elisabeth avait été déclarée illégitime
et, après la mort de sa mère (1536),
un acte du Parlement l'avait mise hors de la famille royale; si, onze ans
plus tard, le testament de son père l'avait rétablie dans son rang, Elisabeth
avait pu craindre tôt après de se voir impliquée dans le procès qui
se termina par la mort de l'amiral d'Angleterre Thomas
Seymour, lord Sudley (1549) puis
ce furent, au temps de Marie Tudor, son internement
à la Tour de Londres, sa relégation loin
de la capitale, l'obligation d'assister à la messe catholique ,
bref une vie de brusques et angoissantes alternatives. Lors donc que sonna
pour elle l'heure des responsabilités, Elisabeth se trouvait vraiment
formée par les événements, tout au moins dans une certaine mesure. Mais
les brusques revirements de sa vie avaient développé dans son esprit,
sinon de la timidité, du moins une véritable indécision que l'exercice
du pouvoir masqua par la suite, sans l'effacer complètement. De là les
flottements, les incertitudes, les hésitations que l'on remarque parfois
dans la conduite d'Elisabeth, et dont toutes ne furent pas feintes. Sans
doute y était-elle disposée, comme aux colères, à la dissimulation,
à la faiblesse, au despotisme et la cruauté de la « lionne Tudor »;
mais les alternatives de son passé ont certainement contribué pour une
part, elles aussi, à l'essor de ses défauts comme à celui de ses qualités
de souveraine.
Les conseillers
d'Elisabeth.
Peut-être même convient-il d'aller plus
loin et de dire que ces allernatives ont porté d'autres fruits. Elles
sont pour quelque chose dans la remarquable façon dont Elisabeth
sut choisir ses conseillers et leur assigner à chacun son rôle dans le
Conseil privé, demeuré le principal organe du gouvernement de cette reine
foncièrement et intégralement Anglaise. William Cecil, qui sera plus
tard lord Burleigh, et Nicolas Bacon, son beau-frère, sir Francis Walsingham,
le grand diplomate, plus tard le grand Francis Bacon,
y représentent une politique Norfolk. Dudley
en incarnent une autre. La reine les écoute, les excite, les déconcerte
et s'assure leur fidélité en les divisant. Aucun ne la domine, mais tous
sont dominés, et, si elle ne se marie pas, c'est apparemment qu'elle ne
veut pas se donner un maître. Elle le regrette parfois; le jour, par exemple,
où elle apprend la naissance de Jacques
VI d'Écosse ,
elle se compare à «-une
souche stérile »; mais l'amour du pouvoir a tôt fait de la consoler
de tels dépits, sinon de calmer une jalousie et un orgueil dont Marie
Stuart, et d'autres comme elle, ont connu tous les effets entre 1558
et 1603. Ce n'est pas, toutefois, dans
les premiers temps de son règne, qu'Elisabeth a fait montre de dureté,
et, plus encore, de cruauté. Elle devait en effet consolider tout d'abord
son autorité souveraine et établir définitivement la prédominance de
l'anglicanisme
dans ses Etats.
La politique religieuse
: le tiomphe de l'Anglicanisme.
En 1558,
de bons esprits doutaient encore de la possibilité de la victoire des
idées nouvelles en Angleterre. Comme
l'écrivait à Philippe II d'Espagne
un observateur attentif (c'était Féria, son ambassadeur à Londres),
les catholiques y constituaient la majorité
du peuple; et si la capitale, le pays de Kent
et les ports de mer adhéraient aux doctrines de la Réforme, le reste
du pays demeurait attaché à la religion romaine. Mais déjà la plupart
des jeunes nobles et aussi les universités s'étaient éloignés de celle-ci.
Pour Elisabeth, profonde admiratrice de son père et résolue à se comporter
comme lui en toutes choses, il y avait là de précieux auxiliaires dans
une entreprise qu'elle sut mener à bien avec une prudence, un doigté,
une dextérité vraiment remarquables.
L'Angleterre était lasse des brusques
changements de religion que depuis près de vingt-cinq ans, lui avaient
imposés ses souverains et qui l'avaient d'abord écartée de Rome pour
constituer une Eglise indépendante, puis l'avaient ramenée dans le giron
du Saint-Siège .
Elisabeth eut le grand mérite de le comprendre et d'agir avec une lente
et sage progression, se comportant dès le lendemain de son avènement
en chef de l'Église d'Angleterre, mais n'assumant que le gouvernement
de cette Église et ne s'en déclarant jamais « le chef suprême » -
the suprerne head -, comme l'avait naguère fait Henri
VIII. Le « Livre de la commune prière
» fut remanié, et les réformes de Matthew Parker, sacré archevêque
de Canterbury selon l'ordinal d'Édouard
VI (1559), aboutirent, après une
série de mesures préparatoires, à l'Acte d'uniformité (1564),
qui rendit obligatoire Trente-neuf articles sur les Quarante-deux
dont se composait la déclaration rédigée sous Édouard VI. Le corps
officiel de la doctrine anglicane rejetait la suprématie spirituelle du
pape, le sacrifice de la messe, la transsubstantiation, le purgatoire ,
l'invocation des saints ,
le culte des images, les indulgences. Le pape Pie V condamna le « Livre
de la commune prière », et, un peu plus tard, en promulguant la bulle
Regnum Dei, prononça l'excommunication et la déposition d'Elisabeth
(1570). Mais l'anglicanisme
était désormais établi en Angleterre.
-
Arrestation
des catholiques à l'époque d'Elisabeth. - Les scènes réunies sur
cette
estampe
représentent : 1° l'arrivée des soldats dans une pièce où un prêtre
célèbre la
messe
catholique; 2° l'arrestation du prêtre officiant et des fidèles assistants;
3°
l'internement
des catholiques dans une prison; 4° la conduite d'un prêtre catholique
au
supplice (Bibl. Nat.).
La querelle avec
Marie Stuart.
La nouvelle confession n'était cependant
pas acceptée par tous : la fille de Henri
VIII avait pu s'en rendre compte avant même d'avoir été frappée
d'excommunication par Pie V, dès le lendemain du jour où Marie
Stuart, vaincue par ses sujets révoltés, était venue chercher un
asile dans les États de sa « bonne cousine
» Elisabeth. Sans raconter longuement
l'histoire de Marie Stuart, du moins faut-il rappeler que cette fille de
Jacques V et de Marie de Lorraine s'était
trouvée reine d'Ecosse
quelques jours après sa naissance (décembre 1542);
que, dès sa plus tendre enfance, elle avait été mariée au Dauphin de
France
et avait été envoyée sur le continent pour y recevoir une éducation
toute française (août 1548); enfin
que Henri II avait fait prendre à ses enfants
les titres de roi d'Ecosse, d'Angleterre et d'Irlande .
Vainement, après la mort de son père, François
II, devenu roi de France, et Marie
Stuart, autorisée par son époux, avaient-ils formellement reconnu les
droits d'Elisabeth à la couronne d'Angleterre; jamais la « reine vierge
» n'oublia l'affront qui lui avait été fait tout d'abord. Marie Stuart
en eut la preuve lorsqu'en 1561, après
la mort de François II, elle regagna l'Écosse où, jusqu'à l'année
précédente, sa mère avait agi au mieux des intérêts du pays et de
sa fille, en dépit de difficultés grandissantes.
Introduction
de la réforme en Ecosse.
Ces difficultés tenaient pour une part
à la traditionnelle indocilité des lairds écossais, mais pour une bonne
part aussi à l'esprit nouveau que la Réforme avait introduit dans la
contrée. Et non pas une réforme luthérienne ,
comme l'avaient d'abord prêchée quelques étudiants des universités
du continent (Hamilton en 1527,
George Wishart en 1544-1546),
mais une réforme calviniste ,
celle dont John Knox s'était fait le propagateur
à son retour de Genève en 1559.
Auparavant déjà , les seigneurs gagnés aux doctrines protestantes avaient
signé à Édimbourg
le fameux accord ou Covenant instituant la «
Congrégation » de Christ
contre celle de Satan et
de l'idolâtrie (3 décembre 1557)
et empêché Marie de Lorraine de réaliser en Ecosse une réforme purement
catholique .
Tôt après l'arrivée de Knox et sous son influence, le «-Parlement
de la Réforme » (Reforrnalion Parliament) adoptait la «
Confession de foi professée par les protestants
d'Ecosse », abolissait toute juridiction de l'évêque de Rome
dans le royaume et confiait à ce farouche Pasteur le soin d'organiser
l'Église presbytérienne, la Kirk. Ainsi, quand Marie
Stuart, veuve de François II, rentra
en Écosse, le protestantisme y était définitivement constitué. Le calvinisme,
- un calvinisme particulièrement rigide, républicain et laïque, - y
était devenu la religion officielle : pas d'évêques, rien que des ministres,
et un certain nombre d'« anciens », tous élus; la messe était
proscrite sous peine d'amende, puis de prison, enfin de mort.
Les
difficultés et la mort de Marie Stuart.
Fervente catholique, Marie Stuart se refusa
toujours à ratifier les actes de 1560,
tout en essayant de calmer les défiances qui l'avaient accueillie à son
retour. Mais peut-on réellement désarmer la passion religieuse? En faisant
célébrer la messe dans la chapelle d'Holyrood ,
la reine d'Écosse
déchaîna une vraie tempête. Dès lors, consciente de sa faiblesse, elle
se chercha des soutiens. Elisabeth ayant
répondu à ses avances de la façon la plus décevante et les princes
étrangers aspirant à sa main étant presque tous protestants, Marie prit
pour époux un catholique parmi ses sujets. Son choix s'arrêta sur son
cousin Henry Darnley, fils du comte Lennox et arrière-petit-fils de Henry
VIl Tudor.
Darnley, brillant cavalier, mais âme couarde
et caractère jaloux, ne donna pas à la reine un appui sérieux et, par
contre, ce mariage décevant mécontenta les grandes familles d'Écosse ,
fournit un thème inépuisable aux prédicants presbytériens et exaspéra
Elisabeth. Bientôt même, Darnley, dépité de se voir refuser la couronne
royale, qu'il réclamait, se tourna contre marie et fit assassiner l'Italien
Rizzio, son principal conseiller (mars 1566).
Si quelques semaines plus tard, et à la veille de la naissance de son
fils Jacques VI (19 juin, la reine
d'Écosse se réconciliait avec son époux, de nouvelles querelles vinrent
très vite séparer la femme et le mari, et l'assassinat de Darnley par
les chefs de la noblesse rendit Marie Stuart
veuve une seconde fois (10 février 1567).
On sait le reste : Ã la suite de circonstances encore mal connues, celle-ci
ne tarda pas à prendre pour époux le comte de Bothwell, le principal
assassin de Darnley (15 mai 1567),
et l'Écosse tout entière se souleva contre sa souveraine. Vaincue sans
combat à Carberry-Hill et enfermée à Lochleven, d'où elle ne tarda
pas à s'échapper, vaincue de nouveau à Langside un peu plus tard, Marie
Stuart ne se vit plus d'autre ressource, le 16 mai 1568,
que de demander un asile en Angleterre à la reine Elisabeth.
-
Exécution
de Marie Stuart, dans une salle du château de Fotheringay,
(Northumberland)
le 8 février 1587. Le château fut ensuite détruit sur l'ordre de
Jacques
Ier, fils de Marie Stuart. (Gravure de De Lille,
d'après
un dessin de B. Picard, Bibl. Nat.).
Celle-ci, qui détestait les tendances
démocratiques du calvinisme
et qui avait surtout pour sujets des catholiques ,
s'était bien gardée, au début de son règne, de soutenir les presbytériens
écossais dans leurs luttes contre Marie de Lorraine; pour demeurer maîtresse
dans ses propres États, elle avait adopté une attitude de stricte neutralité,
tout au moins apparente, et s'était même, en quelque façon, posée en
arbitre. Elle garda encore cette attitude le jour où Marie
Stuart lui eut demandé l'hospitalité, ne voulant la laisser passer
ni en France ,
ni en Espagne ,
où elle eût été trop dangereuse. Mais voici que, bientôt, la présence
de la reine d'Écosse s'avère un péril pour l'autorité d'Elisabeth;
les catholiques anglais n'attendent-ils pas d'elle, en effet, la restauration
de leur religion dans la contrée? Dès 1569,
il se produit un soulèvement dans les pays du Nord, Northumberland et
Westmoreland. Bientôt, la situation devient plus grave encore : le pape
a déclaré bâtarde Elisabeth et a dégagé tous ses sujets de leur serment
d'allégeance envers elle, ce qui détermine contre la reine d'Angleterre
nombre de complots ou même de véritables conspirations. Celles-ci sont
réprimées de manière sanglante et finissent par atteindre Marie Stuart
elle-même; des catholiques anglais, des prêtres formés dans les collèges
fondés sur le continent (à Douai
surtout) pour évangéliser le royaume, des jésuites
sont pris et exécutés. Un jour vient où Elisabeth fait voter par le
Parlement et promulgue une loi autorisant à condamner à mort toute personne
se croyant des droits à la couronne et en faveur de qui aurait été projetée
ou fomentée quelque insurrection ou quelque atteinte à la personne de
la reine Elisabeth. Peu après, le complot de Babington est découvert
et Marie Stuart y est impliquée; à la suite d'un procès où tout fut
irrégulier, la haute cour de justice devant laquelle elle avait été
traduite prononça contre elle la peine capitale. Elisabeth eût voulu
éviter la responsabilité de cette mort et elle invita le gardien de la
reine d'Écosse, qui s'y refusa, à la faire disparaître. Chacun connaît
la touchante résignation et la fermeté de Marie Stuart sur l'échafaud
: c'est en reine qu'elle mourut au château de Fotheringay, le 8 février
1587, après quelque dix-neuf ans de
captivité.
L' « Invincible
armada ».
Philippe
II aurait pu naguère donner son fils don Carlos
pour époux à Marie Stuart et, depuis longtemps
déjà , il s'était intéressé à son sort; sa main se retrouve dans plusieurs
des conspirations tramées à l'époque en Angleterre. N'ayant pu la secourir
en temps opportun, il voulut du moins venger sa mort ce même temps que
satisfaire ses nombreux griefs personnels contre Elisabeth. N'avait-il
pas été écarté par elle quand il avait brigué sa main? N'avait-il
pas à se plaindre fortement d'elle, en tant que catholique? Et enfin,
comme roi d'Espagne ,
n'avait-il pas à venger les coups de main que, depuis vingt ans, les corsaires
anglais ne cessaient de diriger au delà de la «-ligne
des amitiés » contre ses flottes ou contre ses principaux ports d'outre-mer?
Minutieusement, Philippe II prépara donc une descente espagnole en Angleterre;
toute la force de l'Espagne fut mobilisée au cours de l'année 1587.
Une flotte partie de Lisbonne devait venir
embarquer l'armée du duc de Parme
dans les Pays-Bas
et la débarquer sur les rivages britanniques.
L'alarme fut poignante, les préparatifs
de défense un peu décousus. Lord Howard, chef suprême de la flotte,
eut sous ses ordres, comme vice-amiral, Francis Drake,
qui s'était signalé par le pillage des ports du Chili ,
du Pérou
et enfin de Cadix .
La plupart des « chiens de mer », comme s'appelaient les pirates anglais,
accoururent. La défense sur terre fut préparée précipitamment. Depuis
la bataille de Lépante, l'Espagne
passait pour invincible sur mer. Elle lança sur l'Océan cent trente-deux
vaisseaux bien commandés et pourvus de bons équipages, qui arrivèrent
le 19 juillet 1588 en vue de l'Angleterre.
Si Medina Sidonia avait aussitôt attaqué Plymouth,
il aurait paralysé la défense. Il n'osa pas s'écarter des ordres précis
de son maître et défila le long des côtes, laissant aux trente-quatre
médiocres bâtiments de la marine royale et à l'innombrable essaim des
corsaires et des navires de commerce l'avantage de l'offensive.
« Nous allons leur arracher les plumes»,
dit Howard à ses marins, et bientôt l' «-Armada
» fut harcelée de jour et de nuit. Ses équipages furent déconcertés
par cette tactique nouvelle, ses manoeuvres contrariées par une brusque
saute des vents et la traîtrise des courants de la Manche. Aussi l' «
Armada » arriva-t-elle en désordre devant Dunkerque ,
où le duc de Parme renonça à la traversée. Medina Sidonia entreprit
alors de retourner en Espagne en contournant l'archipel britannique. Il
n'avait plus que cinquante-trois vaisseaux quand il reparut dans son pays.
Tout danger n'était pas conjuré : les Espagnols eurent même certains
succès, quelques-uns aux dépens aussi des Français,
comme la prise de Blavet, de la presqu île de Crozon, où se trouve encore
la Pointe des Espagnols, dont la reprise coûta la vie à Frobisher,
un des plus renommés des corsaires. L'attaque de Cadix
fut alors décidée : Howard, Essex, Raleigh
forcèrent l'entrée du port, la ville fut prise d'assaut, pillée, rançonnée
(1596). L'Espagne était vaincue et
bien vaincue.
La politique extérieure
d'Elisabeth. Sa popularité en Angleterre.
Elisabeth
n'avait pas attendu ce triomphe pour jouer en dehors de son propre royaume
le rôle de protecteur du protestantisme. En France ,
dès le début des Guerres de religion
et jusqu'au jour où Henri IV eut achevé de
conquérir son royaume ; aux Pays-Bas
où, après de longues hésitations, elle envoya des subsides et des secours
militaires, - qu'elle prétendit d'ailleurs se faire payer par la reconnaissance
de son protectorat sur les Provinces-Unies, - elle était intervenue de
façon plus ou moins heureuse, mais elle avait toujours combattu la politique
catholique de Philippe Il et avait
su donner une haute idée de sa puissance. Aussi, déjà avant 1588,
la considérait-on, dans toutes les parties du monde protestant, comme
le soutien de la Réforme.
Les Anglais le savaient et ils en étaient
fiers. De là , les louanges données par les poètes au gouvernement de
la « reine vierge »; et l'exaltation de l'amour-propre national, après
l'échec de l'invasion espagnole, - une exaltation proportionnelle à la
crainte que la menace avait inspirée, - vint encore accroitre la bonne
opinion qu'ils avaient du gouvernement de leur souveraine. Il en résulta
un nouvel accroissement d'autorité pour Elisabeth et une recrudescence
du loyalisme de ses sujets. Déjà , en 1588, les catholiques avaient fait
bloc avec le reste de la nation britannique contre l'envahisseur du dehors.
Par la suite, ceux-là même qui ne partageaient
pas les croyances nouvelles et qui étaient persécutés, les catholiques
demeurés nombreux jusqu'à la fin du règne, les puritains dont Elisabeth
redoutait et combattait rudement les doctrines avancées, tous lui demeurèrent
indéfectiblement attachés. On vit un puritain, après l'amputation de
sa main droite, lancer son chapeau en
l'air avec sa main gauche en criant :
«
Vive la reine! »
La politique intérieure
et le malaise social.
L'habile et heureuse politique extérieure
d'Elisabeth faisait ainsi oublier aux
Anglais les erreurs et la dureté de sa domination intérieure. Rarement,
en effet, l'Angleterre subit un despotisme plus rigoureux qu'au temps de
la dernière des Tudor. Jalouse de son autorité
comme elle l'était, elle n'aimait pas les Parlements, alors même qu'ils
se montraient empressés à lui complaire; elle ne les réunit donc qu'assez
rarement - treize fois en quarante-quatre années de règne - et seulement
en cas de nécessité absolue, pour voter les subsides dont elle avait
besoin. Du moins eut-elle le mérite de ne pas les supprimer et, parfois
même, de les remercier de leurs remontrances et d'en tenir compte? Celles-ci
se produisirent surtout à propos de la politique financière d'Elisabeth,
dont tous les historiens sont unanimes à reconnaître l'avarice extrême;
elle tardait à pourvoir à la nomination des sièges épiscopaux vacants,
afin de s'en réserver les revenus. Cette avarice ne suffit pas toutefois
à expliquer les côtés tragiques du temps; il faut encore tenir compte
de nombre de causes, à commencer par la situation financière que ses
prédécesseurs lui avaient léguée, auxquelles elle remédia de son mieux,
dès son avènement; une refonte des monnaies d'or et d'argent remit en
circulation des pièces de bon aloi.
Mais ces mesures ne suffirent pas à améliorer
vraiment la crise sociale qu'avait déterminée en Angleterre la révolution
religieuse. Cette révolution avait porté aux artisans ruraux un coup
terrible; elle les avait privés sans compensation de la majeure partie
de leur travail et leur avait retiré leur meilleure clientèle, les églises
et les monastères. En vain, dès le début de son règne, Elisabeth prit
une série de mesures pour la répression du vagabondage et de la mendicité;
force lui fut d'y revenir par la suite à plus d'une reprise et d'édicter
des « lois des pauvres », poor laws, qui, « inspirées de l'esprit
médiéval, moins la charité », ne laissèrent aux artisans ruraux aucune
possibilité d'économie ni aucune chance d'amélioration de leur sort.
Là réside, comme aussi dans la « misère d'Irlande
», le côté regrettable du règne d'Elisabeth.
Par contre, les classes industrielles et
commerçantes des villes bénéficièrent d'une réelle prospérité. Les
lois sur l'apprentissage et sur la journée de douze heures, tôt promulguées,
contribuèrent à un progrès industriel auquel ajouta un afflux de tisserands
hollandais chassés de leur pays par les rigueurs du duc
d'Albe. Dès lors, aux industries de la laine s'ajouta (dans le comté
de Norfolk) la fabrication des étoffes de lin. En même temps, le commerce
extérieur se développait; tandis que continuaient les relations avec
la Moscovie, Thomas Gresham fondait la Bourse de Londres,
et la Compagnie des Merciers, ses collègues, fournissait des preuves multiples
de son active et audacieuse initiative. La Compagnie des Indes orientales
recevait sa charte de fondation, au dernier jour du siècle finissant (31
décembre 1500). Ainsi s'explique,
comme aussi par la splendeur de la littérature anglaise du temps, le souvenir
que le peuple britannique a gardé des jours de la « bonne reine Bess».
La reconnaissance populaire a prêté à Elisabeth des qualités et des
mérites qu'elle n'avait pas et l'a fait bénéficier d'une auréole qui
revient davantage à tout le pays qu'à sa souveraine. (HGP). |
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