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Les Lombriciens
sont un sous-ordre d'Annélides de l'ordre
des Haplotaxidae, qui appartient à la classe des Oligochètes (Annélides).
Ce sont des vers terrestres cylindriques, plus ou moins allongés, généralement
gros, contractiles, a tégument résistant,
distinctement annelé; soies rétractiles simples en nombre variable disposées
le plus fréquemment en quatre faisceaux par anneau formant dans leur ensemble
quatre séries longitudinales; bouche antérieure,
toujours privée de mâchoires et sans trompe
distincte; anus terminal; jamais de ventouses;
dépourvus d'yeux. Sang rouge;
vaisseau dorsal sans caecums
ramifiés et n'émettant au plus qu'une branche périgastrique par anneau;
des touffes de vaisseaux entourent les organes segmentaires d'excrétion.
Hermaphrodites;
canaux déférents réunis de chaque côté en un tube simple avant d'aboutir
à l'orifice extérieur; pondent plusieurs petits oeufs
entourés d'albumine dans un cocon commun formé de mucosités durcies
et qui se sépare du corps de la même manière que chez les Sangsues.
Ce sous-ordre comprend notamment les genres
suivants :
Megascolex, Echinodrilus, Hypogaeon,
Titanus, Hehesipile, Urochaeta, Lumbricus, Helodrilus, Ceiodrilus, Acanthodrilus,
Moniligaster, Digaster, Typhaeus, Antaeus, Eudrilus, Geogenia, Plutellus,
Pontodrilus, Tritogenia, Phreoryctes. Pontoscolex. (Vignes)
Caractètes généraux
Le Lombric ordinaire, Ver de terre, étant
le plus commun, c'est lui que nous prendrons comme type de ce groupe.
Le corps des Lombriciens est arrondi, aminci
aux deux extrémités, surtout en arrière; le lobe céphalique court et
obtus échancre l'anneau buccal; les soies sont disposées symétriquement,
par rangées, dont le nombre varie suivant les genres. Une cavité générale
s'étend entre la paroi interne des téguments et la paroi externe du tube
digestif, elle est divisée en un grand nombre de chambres, par des cloisons
transversales, et mise en rapport avec le monde extérieur au moyen des
nombreux orifices des organes segmentaires, des canaux déférents et des
oviductes.
Le tube digestif s'étend en droite ligne du premier au dernier anneau
du corps où s'ouvre l'anus, et se divise en six
régions distinctes : la région buccale, le pharynx
ou trompe (Perrier), l'oesophage et les glandes
du calcaire, l'estomac, le gésier (Perrier),
et enfin l'intestin proprement dit.
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Lumbricus
cubellus. - 1. Individu entier; Cl. clitellum; 2. Extrémité antérieure
vue en dessous montrant le protoméride au-dessus de l'orifice buccal;
3. Soie locomotrice. (D'après Eisen). |
La partie la plus intéressante de l'oesophage
sur laquelle il est utile d'insister, consiste dans des bourrelets glandulaires
désignés pa rWilliams et Ray Lankester, sous le nom de glandes calcifères,
et plus justement par Perrier,
glandes de Morren. D'après Claparède,
les Lombrics avalent de la terre végétale et des détritus organiques
de toutes sortes; or les glandes du calcaire, sécrétant, d'après lui,
de petits cristaux de carbonate de chaux, auraient pour effet en mélangeant
ces cristaux avec les substances alimentaires contenues dans le gésier,
d'aider ce dernier dans son action triturante, broyant ou usant les substances
absorbées, lorsqu'ils sont comprimés avec elles par le gésier. Cette
théorie tombe devant une étude attentive, et Perrier a montré que les
glandes de Morren agissent, non pas mécaniquement mais chimiquement, sur
les matières ingérées pour servir à l'alimentation.
Quant au pharynx, dont le rôle principal
est de servir à la préhension des aliments, et qui, au point de vue physiologique,
doit être considéré comme analogue à ce que l'on connaît chez les
autres Annélides, le nom de trompe lui convient beaucoup mieux. Comme
pour les autres Annélides, la trompe contribue aussi puissamment à la
locomotion
de l'animal, et c'est avec son aide que les Lombrics creusent les galeries
où ils habitent.
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Lumbricus
herculeus ouvert le long de la ligne médiane dorsale et dont les téguments
ont été rabattus lattéralement pour montrer l'organisation interne qui
a été un peu schématisé. - B. Région buccale du tube digestif; P.
Région pharyngienne; entre ces deux régions les ganglions cérébroïdes;
lg. Ligaments; d. Dissépiments; S1, S2, S3. Sacs spermatiques; P1, P2.
Poches copulatrices ou spermathèques; r, r'. Pavillons vibratiles du canal
déférent libres chez les Allolophora, ils sont enfermés chez les
Lumbrucus dans les sacs spermatiques; C, C. Glandes du calcaire et leur
réseau vasculaire spécial issu du vaisseau dorsal; O. Sac ovarien;V.
Oviducte; XV. Orifice mâle sur le 13e segment; N. Néphridies; j. Jabot;
G. Gésier; vl. Vaisseaux latéraux naissant en l du vaisseau dorsal; cl.
Coeurs latéraux, allant du vaisseau dorsal au vaisseau sus-nervien; vd.
Vaiseau dorsal; vs. Vaiseau ventral sus-nervien; i. Branche de communication
entre le tronc vasculaire des glandes calcaires et les vaisseaux latéraux;
k. Veine tégumentaire, allant au vaisseau latéral; vi. Vaisseau ventral
sous-nervien; pr. Anses péri-intestinales faisant communiquer le vaisseau
dorsal avec le vaisseau sous-nervien et recevant la veine tégumentaire;
h. Artère tégumentaire issue du vaisseau sus-nervien; cl. Tronc sus-intestinal.
(E. Perrier). |
L'intestin proprement dit, affectant la
forme d'un tube droit, s'étrangle à son passage à travers chacune des
cloisons inter-annulaires, il paraît ainsi constitué par une série d'ampoules
placées bout à bout et dont chacune correspond à un anneau. A la ligne
dorsale médiane de cet intestin, existe une sorte de repli longitudinal
cylindrique, désigné par Morren
sous le nom de typhlosolis. Quatrefages a, le premier, montré que
cet organe était un simple repli de l'intestin lui-même.
Le système
nerveux se compose d'une paire de ganglions cérébroïdes peu distincts
l'un de l'autre, occupant la partie postérieure du troisième anneau (Perrier)
et d'une chaîne oesophagienne, composée d'autant de ganglions que le
corps compte d'anneaux; le ganglion sous-oesophagien, envoie un certain
nombre de nerfs aux premiers anneaux; quant aux
ganglions suivants, ils émettent chacun trois paires de nerfs. Indépendamment
de ce système, il existe aussi chez les Lombrics un système nerveux splanchnique
que Quatretages a le premier fait connaître.
Les Lombriciens possèdent un seul appareil
d'excrétion formé de tubes entortillés nommés par Williams organes
segmentaires, qui, en dehors de leur fonction excrétrice, ont pris une
importance particulière.
La plupart des Vers présentent des organes
dont l'homologie avec les organes segmentaires des Lombrics ne saurait
être douteuse (Perrier); chez les Lombriciens, la position des orifices
segmentaires est intimement liée à colle des follicules sétigères;
cette liaison paraît être une des lois les mieux établies de la morphologie
de ces animaux (Perrier).
L'appareil circulatoire se compose ordinairement
de trois vaisseaux longitudinaux, un dorsal
et deux ventraux, reliés entre eux par des anses latérales dont quelques-unes
se renflent et prennent un aspect moniliforme, ces anses deviennent contractiles
et forment autant de coeurs latéraux.
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Organes
génitaux du Lumbricus herculeus.
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T. Testicules enveloppés à gauche, dans les sacs spermatiques qui ont
été supprimés à droite; Rc. Spermathèques ou poches copulatrices;
St. Pavillons vibratiles des canaux déférents, Vd; Ov. Ovaires; Od. Oviductes.
(D'après Hering).
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Les Lombriciens sont hermaphrodites, ce
qui les distingue des autres Annélides, dioïques. Il existe chez eux
un organe particulier que l'on ne peut passer sous silence, c'est la ceinture
ou clitellum; cette ceinture consiste
en une sorte de bourrelet temporaire, occupant la partie médiane du corps,
d'une opacité complète et éminemment glandulaire. Son développement
acquiert son plus haut degré à l'époque de la ponte; le rôle physiologique
de cet organe a été longtemps méconnu, Hering, le premier, en a fait
connaître le rôle.
Les Lombrics pondent des capsules dans
lesquelles sont déposés de petits oeufs. Kowalewsky
en a étudié le développement. Le vitellus
se partage d'abord en deux, ainsi ,que la vésicule germinative, puis la
segmentation devient irrégulière. Cependant les sphères de segmentation
se séparent en feuillets supérieur et inférieur limitant entre eux une
cavité. La couche cellulaire inférieure se recourbe en dessous du feuillet
cutané, de telle sorte qu'il se produit une cavité centrale; autour de
l'ouverture de cette cavité, se forme dans le feuillet externe un bourrelet
de cellules; l'ébauche symétrique et bilatérale du feuillet moyen développe
la bandelette primitive qui se divise en anneaux au fur et à mesure que
l'embryon s'allonge; bientôt après, la membrane
vitelline se déchire, et l'embryon pénètre dans la masse d'albumine
qu'il introduit en si grande quantité dans sa cavité digestive, que la
partie inférieure de cette dernière s'élargit comme un sac vitellin
sur lequel reposerait la bandelette primitive. Au fur et à mesure du développement,
les cellules des bords postérieurs des cloisons se transforment en organes
segmentaires; puis, pendant que l'embryon s'allonge, le feuillet moyen
finit par envelopper complètement le côté dorsal.
Distribution géographique.
On trouve des Lombriciens presque partourt
dans le monde : des Etats-Unis, Ã la
Nouvelle-Calédonie,
du Brésil à l'Inde, des
Antilles
à Madagascar. Un grand nombre également
vivent en Europe.
Moeurs, habitudes, régime.
Darwin
s'est longuement étendu sur les moeurs de quelques espèces anglaises,
et sur le rôle qu'elles jouent dans l'aménagement des terres. Pour lui,
l'intelligence de ces animaux atteint un degré de supériorité remarquable,
et lorsqu'il décrit la manière dont ils creusent leurs galeries, les
fragments de plantes à l'aide desquels ils en ferment l'ouverture, il
semblerait, en lisant le savant zoologiste, que les Lombrics, du moins
ceux d'Angleterre, possèdent une connaissance
des végétaux que plus d'un botaniste pourrait leur envier. Tout en faisant
la part de l'exagération et en accordant aux Lombrics une intelligence
relative, tout en reconnaissant l'exactitude de certains détails de moeurs
relatés par Darwin, on ne peut laisser ignorer que bien longtemps avant
lui, Hoffmeister avait publié des faits identiquement semblables.
« L'une
des espèces les plus grandes et les plus fortes de l'Allemagne, dit-il,
le Lombricus agricola, pouvant atteindre une longueur de 40 centimètres,
et habitant les sols luxuriants, ne se contente pas pour sa nourriture
de la terre végétale seule, il recherche les débris végétaux, et Ã
leur défaut, il prépare son repas en entraînant dans son trou tout ce
qu'il trouve. Chacun sait que les brins de chaume, les plumes, les feuilles,
les bouts de papier qu'on trouve épars le matin dans les cours et dans
les jardins, comme si un enfant les y avait plantés, sont entraînés
pendant la nuit par ces Vers. Peu de personnes ont observé avec quels
pauvres appareils ces vers arrivent à s'emparer d'objets aussi grands.
Mais, lorsqu'on essaye d'extraire un Ver de son trou, on se rend compte
de la force de résistance qu'il oppose, car il peut tirer avec force sur
un brin de chaume, le plier au milieu pour le faire pénétrer dans ses
galeries; il entraîne également de larges plumes de poules avec leurs
barbes et les enfouit sans peine dans un trou fort étroit.
[...]
« Il existe,
dans la peau des Lombrics, quelques parties qui semblent en rapport, dit
Perrier, avec le sens du toucher; mais le sens de l'ouïe et celui de la
vue paraissent complètement absents. Cependant, suivant Hoffmeister, ils
se montrent sensibles à la lumière.
Ce n'est pas sans
difficultés qu'on peut observer les moeurs de ces animaux, en raison de
leur susceptibilité à la lumière. Une flamme approchée d'eux avec les
plus grandes précautions les met en fuite rapidement et les fait rentrer
dans leurs trous. Il semble pourtant que la perception exige pour eux un
certain temps, car dans le premier moment, ils continuent à se mouvoir
malgré la flamme; puis ils cessent soudain de se tourner de côté et
d'autre, et rentrent ensuite dans leurs cachettes en un clin d'oeil. Une
fois l'impression perçue, on ne peut arrêter leur fuite en retirant rapidement
la lumière; le contraste semble au contraire les effaroucher davantage.
Ce n'est pas le corps entier, mais l'ensemble des deux premiers anneaux,
sur lesquels reposent les faisceaux nerveux émanant du collet oesophagien,
qui est le siège de cette impression. Un Ver, dont la tête avait pénétré
dans le trou d'un de ses voisins où elle se trouvait cachée sous un morceau
de bois, toléra fort bien l'approche d'une flamme jusqu'au moment où
il releva la tête : alors il disparut sur-lechamp. Lorsqu'on cherche Ã
examiner là bouche d'un de ces Vers à la lumière solaire et qu'on place
son extrémité dans une écuelle pleine d'eau, on le voit toujours se
diriger du côté opposé à la lumière. »
Des expériences
ont démontré d'une manière positive le peu de fondement des données
émises par Hoffmeister. Pour nous, les Lombrics sont complètement insensibles
à l'action de la lumière, tandis que le plus léger bruit les met en
fuite.
« La plupart
des Lombriciens remplissent leur tube digestif de la même manière que
les Vers des sables; mais ils choisissent les portions de terre les plus
riches en humus, parce qu'ils y trouvent les matières animales et végétales
en décomposition qu'ils utilisent pour leur nourriture.
Certains auteurs
prétendent que la terre absorbée par les Lombrics ne sert en nulle façon
à les nourrir, et qu'ils l'avalent uniquement pour creuser leurs galeries.
Il suffit de regarder un Ver de terre pénétrer dans le sol, pour reconnaître
le peu de valeur de cette allégation et voir que le mécanisme employé
est semblable à celui de certaines Annélides citées dans les pages précédentes.
Jamais les Lombrics
n'avalent la terre en creusant leurs galeries, et les portions absorbées
le sont uniquement dans le but de servir à leur alimentation (de Rochebranc).
Les galeries des
Lombrics, dit Darwin, se terminent en chambres circulaires où plusieurs
individus sont souvent réunis. Malgré les recherches les plus minutieuses,
il nous a été personnellement impossible de constater le fait; en revanche,
ils se construisent ce que l'on pourrait appeler des chambres d'hivernage,
consistant en une cavité complètement fermée de toutes parts, lisse
et polie à l'intérieur; simulant extérieurement une petite motte de
terre, où ils demeurent enfermés pendant l'hiver.
Les chambres de Darwin
ne seraient-elles pas identiques à celles de A. de Rochebrune? Tout tend
à le faire supposer. Quoi qu'il en soit; on a pu constater l'existence
des chambres d'hivernage, et établir que les Lombrics les construisent
non seulement pour éviter le froid, mais aussi pour se soustraire à l'influence
de la chaleur et dans un sol sec et aride. Un seul individu les occupe,
enroulé sur lui-même et comme pelotonné. »
La dernière oeuvre de Darwin, à laquelle
nous faisions allusion tout à l'heure, a été spécialement analysée
dans le but de faire ressortir le rôle que les Lombrics, en contribuant
à la formation de la terre, seraient appelés à jouer incidemment dans
les épizooties particulièrement fréquentes en Russie.
Nous empruntons à Marie Raffalovich les passages suivants :
« L'incessante
activité des Vers, ces laboureurs invisibles qui vivent au sein de la
terre, fouillent en tous sens le sol et ramènent à la surface les particules
enfouies à une certaine profondeur, propagent dans des circonstances données
des maladies infectieuses. »
« Les belles expériences
de M. Pasteur ont prouvé que l'herbe qui poussait sur une fosse où avaient
été enfouis, douze ans auparavant, des animaux charbonneux, avait suffi
à donner cette maladie à des moutons. Ce savant a également cité le
cas d'un troupeau de 900 moutons, dont 400 moururent pour avoir été couchés
sur de la terre apportée d'un endroit où des bêtes malades avaient été
enterrées longtemps aupara vant. »
« Si l'on réfléchit
que chaque hectare de terre donne abri, suivant les évaluations de Darwin,
à 133,000 Vers vivants, et que la quantité de terre rejetée par ces
animaux, monte à quatre onces par jour pour chacun d'eux, soit à dix
tonnes par an, on ne s'étonnera plus du rôle important qu'ils jouent
dans l'économie du globe. Leur travail ne se borne pas à triturer la
terre et à la séparer des matières inorganiques impropres à la végétation
(on sait que leur corps leur sert de tamis pour diviser la terre et la
réduire en une sorte de pâte), ils sont encore les agents les plus actifs
du recouvrement des anciennes constructions par des couches régulières
de terre. »
« On pourrait les
nommer à juste titre les premiers conservateurs des monuments historiques.
Les médailles, les pavés en mosaïque, les ornements d'or, les instruments
de pierre, tout ce qui s'est trouvé par les hasards des dispersions abandonné
sur le sol, a été soigneusement enfoui dans la terre par ces ouvriers
consciencieux. L'archéologie leur doit beaucoup. La géologie ne leur
est pas moins redevable. On peut les placer au même rang que les influences
atmosphériques, les variations de température, le vent, la pluie, l'action
des vagues de la mer et celle des cours d'eau dans les changements successifs
qu'Ã subis la surface du monde. Les Lombriciens, pour leur donner leur
nom de famille, aident indirectement à la décomposition chimique des
roches par les différents acides qui se produisent chez eux pendant le
travail de la digestion, et directement, par la dénudation des roches
cristallines et le transport de la matière désintégrée sur les pentes
et dans le fond des vallées. Ils étendent ainsi peu à peu une mince
couche d'alluvions dans les niveaux inférieurs. Non contents d'avoir contribué
à revêtir le sol d'un manteau de terre végétale, ils l'améliorent
sans cesse, l'aèrent et augmentent sa richesse organique par la quantité
prodigieuse de feuilles à moitié décomposées qu'ils emmagasinent dans
leurs trous. »
« Le peintre de
paysage, l'habitant des villes arides, qui repaissent leurs yeux de la
vue d'un large espace recouvert de gazon, se doutent-ils que des myriades
d'êtres obscurs et assidus travaillent sans relâche à aplanir le terrain,
à lui donner cet aspect uni aux grandes lignes calmes où les traînées
blanches
des Marguerites se mêlent au flot uniforme de verdure? Et quand on songe
que ces laboureurs, ces jardiniers, sont privés de bras et jambes, qu'ils
n'ont pas d'yeux ni de dents, l'étonnement devient presque de l'admiration.
On s'explique alors que, des naturalistes tels que Charles Darwin et Edmond
Perrier aient consacré des mois et des années à observer l'organisation
de ces êtres infimes, chez lesquels le nombre et l'énergie suppléent
à la petitesse; on conçoit que ces investigateurs de la matière animée
aient apporté leurs soins à compter les segments dont se compose le corps
de ces Annélides, - 100 à 200 par individu, suivant sa grosseur, - qu'ils
aient décrit les soies tantôt courbes, tantôt droites qui lés revêtent,
qu'ils aient voulu connaître leurs instincts, et recherché la limite
qui sépare l'impulsion aveugle avec l'intelligence qui met à profit l'expérience
individuelle. »
« Darwin s'intéressa
d'une façon toute particulière aux Lombrics, surtout lorsqu'il remarqua
qu'ils apportaient, autant de discernement dans leur besogne qu'en aurait
mis un homme chargé de bouclier un tube cylindrique avec différentes
espèces de feuilles, de triangles de papier, etc. Les Vers saisissent
ordinairement les objets par leurs extrémités pointues; les aiguilles
de sapin sont au contraire attirées par la base, et les objets très minces
par le côté le plus large. »
« Ce n'est pas uniquement
pour se nourrir que ces animaux entassent des feuilles, des flocons de
laine, des plumes, etc., Ã l'orifice de leurs habitations, c'est aussi
pour en masquer soigneusement l'entrée. Ils disposent les feuilles en
forme de panier autour de l'orifice, et quand ils mettent la tête dehors,
ce qui leur arrive souvent, ils sont protégés contre l'humidité du sol
et la malveillante curiosité de leurs ennemis. A défaut de feuilles,
etc., ils bouchent l'orifice de leurs trous à l'aide de petits cailloux.
»
« Indifférents
au bruit et à l'ondulation de l'air qui transmet pour nous les ondes sonores,
les Vers sont très sensibles aux vibrations d'un corps solide. L'odorat
est presque nul chez eux, mais, la gourmandise aidant, ils découvrent
les feuilles, de chou dont ils se montrent très friands, même quand on
a pris soin de les enterrer profondément. De tous les sens, le tact est
le plus développé chez eux. Leur corps entier est sensible au contact.
Quand il leur arrivait de toucher les pointes des aiguilles de sapin ils
se retiraient brusquement comme s'ils ressentaient une piqûre, et cependant
ils avalent des épines de roses et de petits fragments de verre. »
« Ils respirent
par la peau, n'ayant pas d'appareil pareil respiratoire spécial. Quand
il fait chaud le Ver travaille paresseusement à boucher l'entrée du trou,
comme s'il ne tenait pas beaucoup à s'enfermer hermétiquement chez lui.
L'hiver, il le passe roulé en boule au fond de son réduit. Quoique son
système nerveux ne soit pas trop défectueux, le Lombricien ne souffre
pas autant que pourraient le faire croire les contorsions auxquelles il
se livre parfois. On ne peut refuser aux Vers une certaine dose d'intelligence
dans la façon dont ils entendent l'arrangement de leur intérieur. Ils
ne vivent pas en caserne comme les abeilles, ils ont chacun leur home.
Ce n'est pas une simple excavation, mais bien plutôt un tunnel cimenté
et tapissé d'un enduit très adhérent. Le fond est souvent pavé d'une
mosaïque de petites pierres. Parfois aussi celte sorte de couloir qui
leur sert d'habitation s'élargit vers le bas et aboutit à une sorte de
chambre ou d'ouverture agrandie. »
« Les Vers se nourrissent
avant tout de terre, sans doute pour s'assimiler les oeufs, les larves,
les spores de plantes
cryptogamiques qu'ils y rencontrent; la viande crue, la graisse, etc.,
ne leur déplaisent pas : ils sont omnivores. C'est un point de ressemblance
qu'ils ont avec l'homme, mais combien ne lui sont-ils pas supérieurs par
l'énergie du travail et l'entente de la mise en oeuvre de l'outillage
si imparfait que la nature a mis à leur disposition! »
Le style élégant dont ces pages sont empreintes
séduirait tout d'abord, si la vérité scientifique n'imposait le devoir
de dire que le roman et la fiction l'emportent de beaucoup sur la réalité.
L'admiratrice de Darwin ,
avant de reproduire les idées du maître, eût pu chercher à les contrôler,
et un examen facile lui eût démontré que la plupart étaient erronées.
Disons seulement que plus Darwin a été grand dans ses théories, plus
il est nécessaire de signaler les erreurs émises dans les chapitres de
son dernier ouvrage.
Lorsque les Lombrics sont mutilés, ils
auraient la propriété de reproduire non seulement la partie postérieure
de leur corps, mais aussi la tête y compris le cerveau.
D'après le Dr Williams, les Lombrics seraient
des animaux essentiellement aquatiques par leur organisation, mais dont
l'existence quasi-terrestre serait le résultat d'une adaptation. La vie
pour eux n'est possible, en effet, que dans une atmosphère saturée d'humidité,
ils meurent rapidement dans un terrain sec; en revanche, Perrier a pu en
conserver vivants dans l'eau pendant des mois entiers. (AE
Brehm). |
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