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Les Sangsues
(Hirudo) sont un genre d'Hirudinées apparetenant
à l'ordre des Acanthobdellides.
Caractéristiques
générales
Corps allongé, rétréci et
déprimé en avant, formé de 95 anneaux; ventouse antérieure ou orale
bilabiée, à lèvre supérieure allongée;
mâchoires
3, égales, grandes, à denticules très pointues et nombreuses; ventouse
postérieure ou anale circulaire, portant l'anus
au-dessus de sa base;
yeux, 5 paires, disposés
sur une ligne courbe à convexité antérieure; animaux androgynes,
habitant les eaux douces des fossés, des mares et des étangs, se contractant
en olive quand on les irrite et mordant la peau
de l'humain (Carlet).
Caractères des espèces
principales.
1° Sangsue grise
(H. medicinalis L.), ou Sangsue allemande; ventre tacheté de noir et bordé
d'une bande droite, dos offrant 6 bandes rousses longitudinales, ponctuées
de noir;
2° Sangsue verte
(H. officinales Moq. T.), ou Sangsue hongroise; variété verdâtre de
la précédente, ventre non tacheté;
3° Sangsue dragon
ou truite (H. troctina Johns., H. interrupta Mo . T.); dos garni
de rangs de points roussâtres ou noirs, ventre bordé d'une bande en zigzag;
4° Sangsue granuleuse
(H. grenulosa Sav.): 38 à 40 tubercules sur chacun des anneaux intermédiaires;
couleur vert brun, avec 3 bandes foncées sur le dos;
5° Sangsue ponctuée
de blanc (H. albopunctata Dies.); corps brun noir, 6 bandes noires
longitudinales, anneaux verruqueux tachés de blanc.
Les deux premières espèces
ou variétés habitent les eaux douces de l'Europe
et du Nord de l'Afrique, mais la seconde est
devenue très rare; le troisième est propre à l'Algérie;
la quatrième habite l'Inde et a été acclimatée
à l'île Maurice et à la Réunion;
la cinquième se rencontre en Suède. Le Sénégal possède l'H. mysolemas
Virey; elle suce moins de sang que les autres espèces. L'H. sinica de
Blainv., au corps noir, et l'H. japonica de Blainv., au corps jaune avec
des points bruns; Ã Java, on trouve l'H. javanica
Wahlb.; en Australie, les H. tristriata Schmarda
et H. quinquestriata Schmarda.
On a employé en médecine
toutes les espèces citées, mais pas l'H. ceylanica de Blainv., qui est
d'ailleurs rangé aujourd'hui dans le genre Haemadipsa.
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Hirudo
medicinalis, ouverte le long de la ligne médiane dorsale. - cer. q,
ganglions sus-oesophagiens; g (1 Ã 23), ganglions post-oraux ; oe, passage
par l'oesophage à travers la masse nerveuse; lv, vaisseaux latéraux;
Il,, branches latéro-latérales; lab, branches latéro-abdominales; ld,
branches latéro-dorsales; neph (1-17), les 17 paires de néphridies; te
(1 à 9), les 9 paires de testicules; ep, épididyme; pe, pénis ; ov,
ovisacs; gl, dilatation glandulaire des oviductes. (D'après Bourne). |
Organisation des Sangsues
Les Sangsues sont recouvertes
d'une enveloppe musculo-dermique avec épiderme
se renouvelant souvent; sous la peau se trouvent de nombreuses glandes
unicellulaires s'ouvrant à sa surface et la lubrifiant constamment. Les
yeux, au nombre de 5 paires, sont disposés sur une courbe à concavité
postérieure, à la face supérieure de la ventouse orale; ce sont des
fossettes cupuliformes, tapissées d'une couche pigmentaire et munies d'un
cristallin et d'où partent des filets nerveux.
Pas d'organe auditif. Le goût
et l'odorat existent. Le système nerveux se
compose de ganglions sus et sous-oesophagiens reliés par un collier oesophagien
et d'une chaîne ganglionnaire médiane (23 ganglions réunis par un double
cordon
médullaire). La respiration est cutanée.
Appareil digestif
La bouche
est située au fond de la ventouse antérieure : elle présente l'aspect
d'une fente étoilée à 3 branches et est suivie d'un pharynx
musculeux, muni, dans sa partie antérieure, de 3 mâchoires demi-lenticulaires,
comprimées, à bord libre convexe et tranchant, dont les denticules nombreuses
en forme de V sont disposées en chevrons. Pour opérer la succion du sang,
la ventouse s'aplatit pour adhérer exactement à la peau, son fond se
relève et entraîne la peau qui, moulée sur sa concavité, est entamée
par les denticules. L'oesophage, très court,
présente des mouvements péristaltiques; il est entouré de glandes salivaires
et se termine par un puissant sphincter qui s'oppose à la régurgitation.
L'estomac, volumineux, est composé de 11 chambres
consécutives séparées par des étranglements; chaque chambre présente
2 poches latérales de plus en plus volumineuses à mesure qu'on s'éloigne
de la bouche; les deux dernières se prolongent sous forme de caecums
jusque dans le voisinage de l'anus. L'intestin
est séparé de la dernière chambre gastrique par un
pylore
infundibuliforme muni d'un sphincter
et offre un renflement avant de se terminer à l'anus très petit et situé
sur le côté dorsal de la ventouse postérieure.
La digestion dure de six mois à un an; le
sang
conserve dans l'estomac sa fluidité et sa couleur habituelle.
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Hirudo
medicinalis. - a, extrémité
antérieure
ouverte en avant pour montrer
les
mâchoires K; b, une des mâchoires.
Appareil circulatoire
Très développé, il comprend
un système cutané composé d'une paire de troncs latéraux et un système
viscéral constitué par deux troncs médians, situés, l'un au-dessus,
l'autre au-dessous de l'intestin. Ces derniers sont, par leurs ramifications,
en rapport avec l'appareil digestif.
Les troncs latéraux se ramifient et s'anastomosent de façon à former
un cercle complet et sont unis entre eux directement, d'anneau en anneau,
par une série de branches transverses, se distribuant aux viscères et
aux téguments. Le sang des Sangsues est rouge par son plasma
même et circule par les contractions rythmiques des troncs longitudinaux
: c'est une circulation oscillatoire. L'appareil
excrétoire est composé de 17 paires de canaux intestiniformes (glandes
muqueuses, canaux en lacets, organes segmentaux, néphridies),
placés au-dessous du tube digestif et communiquant avec des vésicules
membraneuses prises à tort pour des poumons.
Reproduction
Les Sangsues sont androgynes
pour se reproduire. ll existe deux ovaires; leurs
conduits se réunissent en un oviducte
commun, dont la partie initiale est entourée d'une masse glandulaire,
tandis que son extrémité se dilate pour former le vagin
(ou utérus). Les testicules,
au nombre de neuf paires, sont disposés métamériquement; tous ceux du
même côté se déversent dans un canal déférent commun, qui remonte
en avant, se pelotonne pour former l'épididyme,
et se réunit à son congénère dans le canal éjaculateur : la base de
ce dernier traverse un massif glandulaire, la prostate,
et son extrémité peut se dévaginer de façon à constituer un organe
d'accouplement, le pénis ou cirre, placé toujours
en avant de L'orifice femelle. L'accouplement est réciproque et se fait
comme chez les Lombrics, les deux conjoints
étant unis l'un à l'autre par une ceinture de mucus
sécrétée par un clitellum; ce dernier
sécrète également le cocon où sont enfermés les oeufs.
Les jeunes éclosent tout formés.
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Appareil
génital de l'Hirudo medicinalis. Pr, prostate; Nb, épididyme; Vd,
canal déférent; T, Testicules; C, pénis; Ov (et a et b), appareil femelle.
- a, cocon; b, sacs ovariens; oviductes contenus dans une masse glandulaire
et vagin. (D'après Leuckart). |
Espèces voisines
L'Hirudo canguisorba L. (Hippobdella
sanguisuga de Blainv.) fait aujourd'hui partie du genre Haemopis Sav.;
c'est l'Haemopic canguisorba Sav. ou H. vorax Moq. T. Il se distingue de
la Sangsue par sa taille plus grande, son corps flasque ne se contractant
pas en olive, ses mâchoires munies seulement de 30 dents et ses caeums
gastriques plus lobés. Il habite les mares, les fossés et les ruisseaux
de l'Europe et du Nord de l'Afrique, et, surtout à l'état jeune, entre
dans la bouche des Chevaux ou des Ruminants
quand ceux-ci boivent; il peut pénétrer dans les voies aériennes et
déterminer l'asphyxie, même chez l'humain. Ses mâchoires, trop faibles,
ne lui permettent pas d'entamer la peau.
La famille des Rhynchobdellides
ou Sangsues à trompe protractile renferme des espèces surtout piscicoles
et à sang incolore. Les Haementeria de Filip., au corps acuminé en avant
avec ventouse orale bilabiée, deux yeux sur la face dorsale du deuxième
anneau, la trompe longue et pointue, s'attaquent à l'humain. Les H. mexicana
de Fil. et H. officinalis de Fil. vivent dans les lagunes de Mexico; la
dernière a joue en Amérique le rôle médicinal de la Sangsue d'Europe;
H. Ghilanii de Fil. se rencontre en Amérique.
Usage médical
De nos jours, les Sangsues sont
parfois utilisées en microchirugie ou en chirurgie reconstructive, notamment
pour stimuler la circulation sanguine. Elles peuvent également avoir une
utilité pour le traitement des varices ou même de l'arthrose. On met
ainsi à profit les effets des multiples protéines
présentes dans la salive de ses vers,
qui ont des propriétés anticoagulantes (hirudine), anesthésiantes, anti-inflammatoires,
ou encore vasodilatatrices. Autrefois, ces propriétés avaient leur intérêt,
mais c'est surtout, dans la perspective des anciennes conceptions médicales
qui préconisaient la saignée, que l'on utilisait les Sangsues. Ainsi,
au début du XXe siècle,
employait-on encore les Sangsues pour pratiquer des saignées locales dans
les affections inflammatoires limitées de l'oeil, de l'oreille, du cou,
etc., pour faire disparaître des congestions passives, pour rappeler le
flux menstruel ou hémorroïdal, etc. Le texte suivant (de 1900) résume
la place occupée en médecine par les Sangsues à cette époque.
L'élevage.
Les Sangsues ne
se rencontrent plus guère aujourd'hui en France, en Espagne, en Italie,
où elles étaient jadis très abondantes. On les fait venir de la Suisse,
de la Hongrie, de la péninsule balkanique, de
la Russie, de l'Algérie, etc., ou bien on les élève artificiellement.
Les marais à fond vaseux du Poitou, de l'Anjou, de l'Orléanais, du Berry,
et les marais artificiels établis sur les rives de la Garonne servent
à cette culture. Il est indispensable que le niveau de l'eau soit maintenu
constant dans ces marais, les inondations étant très nuisibles aux cocons.
On aménage encore des bassins à fond d'argile, où l'on élève les sangsues,
on les nourrit avec des salamandres, des grenouilles, ou en y promenant
de vieux chevaux déferrés ou des boeufs destinés à être abattus; c'est
généralement au printemps que se fait cette opération. Plus tard, on
recueille les Sangsues, mais, avant de les livrer aux officines, on les
fait jeûner dans des bassins de purification ou de dégorgement,
où le niveau de l'eau doit rester constant pour que les cocons ne soient
pas détruits par les inondations; la présence de plantes aquatiques est
également très utile. La consommation des Sangsues sur tout le globe
se monte à plusieurs millions chaque année.
Dans l'industrie,
on distingue les sangsues, suivant leur grosseur, sous les noms de germement
(immédiatement après la naissance), de filets ou petites, petites moyennes,
grosses moyennes, mères ou grosses, et enfin vaches. Les petites pèsent
en général 100 g le mille, les grosses 3 kg; une bonne sangsue, se contractant
bien en olive et ne laissant pas échapper de sang par la compression,
doit peser 2 g. Une fraude consiste à gorger les sangsues de sang de boeuf
ou de mouton; cette fraude est facile à reconnaître par la compression.
Les sangsues qui
ont déjà servi peuvent servir de nouveau au bout de quelque temps; il
suffit de les conserver dans de l'eau qu'on renouvelle souvent, et elles
se dégorgent naturellement. On peut faciliter le dégorgement par le sel,
la cendre, la sciure de bois, quelques gouttes de vinaigre, etc. En comprimant
la sangsue d'arrière en avant à plusieurs reprises, on la vide presque
complètement. Après quoi on la laisse dans l'eau qu'on renouvelle journellement.
Le dégorgement naturel est préférable à toute autre méthode. On peut
conserver un petit nombre de sangsues dans un vase à fond recouvert de
sable; on renouvelle l'eau tous les jours, et on rejette celles qui meurent
ou qui présentent des nodosités (signe de maladie). Vayson a inauguré
un petit appareil, le vaysonier, vase de terre cuite percé de petits trous
au fond, rempli de terre tourbeuse et fermé en haut par une toile grossière;
on fait tremper le fond du vase dans de l'eau; les sangsues y vivent très
bien et même s'y reproduisent. On se sert aussi du vaysonier pour le transport
des sangsues.
Thérapeutique.
L'application ne
doit pas être faite sur des tissus enflammés ou altérés, sur les organes
dont le tégument est très mobile, le tissu cellulaire très lâché,
ni dans le voisinage des gros vaisseaux; il faut éviter de faire piquer
la joue, de crainte d'érysipèle; la tempe se prête bien à l'application
des sangsues dans les ophtalmies. Avant de les appliquer, on les laisse
hors de l'eau pendant un quart d'heure pour augmenter leur avidité. On
prépare la peau de la réizion ottl'application doit être faite, en la
rasant, s'il y a tien, et en la lavant à l'eau tiède ou au lait pour
l'assouplir; puis on approche les sangsues placées dans un verre ou une
ventouse, ou dans la main garnie d'une compresse, ou dans un carton enroulé
s'il n'en faut placer qu'une, et quand elles ont mordu, on éloigne le
récipient ou la main. Le nombre maximum de sangsues placées ne doit pas
dépasser 10 chez l'enfant, 30 chez l'adulte. Les sangsues tombent spontanément
au bout d'une à deux heures; si on veut les faire tomber plus tôt, on
les secoue sans les arracher, ou on les saupoudre de sel ou de cendre.
Après que l'ecchymose , consécutive s'est dissipée, on trouve au lieu
d'application une petite cicatrice blanche triangulaire.
En général, il
y a avantage à laisser couler le sang le plus possible ; pour favoriser
l'écoulement, on peut placer sur les petites plaies des compresses de
gaze imbibée d'eau tiède. Un autre moyen, c'est de trancher d'un coup
de ciseaux la sangsue par le milieu du corps, pendant qu'elle se gorge
; elle continue sourient la succion, dans ces conditions pendant deux heures.
En revanche, si l'hémorragie persiste trop longtemps, après l'enlèvement
d'une sangsue, on applique une petite rondelle d'amadou
qu'on maintient avec le doigt jusqu'à cessation de I'hémorragie; on peut
encore se servir d'alun ou d'eau de Pagllari employés avec prudence, ou
l'on cautérise la petite plaie avec une épingle rougie; il faut éviter
l'usage du perchlorure de fer qui est susceptible de redissoudre des caillots
déjà formés et de raviver l'hémorragie.
On est parfois obligé
de placer des sangsues dans la cavité buccale; si par accident une sangsue
pénétrait dans l'oesophage ou l'estomac, il pourrait en résulter une
hémorragie grave. Dans ce cas, on administrerait du vinaigre ou une solution
concentrée de sel marin pour tuer l'animal, et l'on ferait vomir; de même,
si une sangsue était avalée avec une eau impure. Enfin, dans le cas de
pénétration d'une sangsue dans le rectum, on ferait prendre également
de l'eau vinaigrée ou salée, et on donnerait des lavements d'eau salée.
D'après Jamain, cet accident ne serait guère à craindre, les sangsues
étant repoussées par l'odeur des matières fécales. (Dr
L. Hahn).
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