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[ L'histoire du commerce ] / [ L'histoire de l'Allemagne]
Histoire du commerce depuis 1500
Le commerce de l'Allemagne
Au début du XVIe siècle, le commerce allemand est profondément marqué par la structure morcelée du Saint-Empire romain germanique. Le pays n'est pas unifié : il est composé de centaines de principautés, de villes libres et de territoires ecclésiastiques, chacun imposant ses lois, ses taxes et ses monnaies. Cette fragmentation complique les échanges intérieurs, mais elle favorise en même temps une grande diversité d'initiatives locales. Les grandes villes commerçantes du nord, comme Lübeck, Hambourg et Brême, héritières de la Hanse, dominent encore les routes de la mer Baltique et du Nord. La Hanse décline lentement, affaiblie par la concurrence des puissances maritimes comme les Provinces-Unies et l'Angleterre, mais elle reste active dans le commerce du blé, du bois, du sel et des fourrures.

Dans le sud, des centres comme Augsbourg et Nuremberg prospèrent grâce au commerce de longue distance et à la finance. Les Fugger et les Welser d'Augsbourg s'imposent comme de puissantes maisons de banque et de négoce, finançant à la fois les rois, les empereurs et les grandes entreprises coloniales espagnoles. Ils exportent le cuivre et l'argent tirés des mines de Saxe et du Tyrol, importent les épices, les soieries et les produits de luxe venus d'Italie et du Levant. Les routes commerciales passent par les cols alpins, reliant l'Allemagne à Venise et à Gênes. Les foires de Francfort et de Leipzig deviennent des points de rencontre majeurs des marchands européens.

La Réforme, au milieu du XVIe siècle, bouleverse les circuits économiques. Les guerres de religion et l'instabilité politique ralentissent le commerce intérieur, tandis que les grandes découvertes détournent vers l'Atlantique les routes maritimes et les flux de richesses. L'Allemagne, enclavée et politiquement divisée, voit son rôle diminuer dans le commerce mondial. Les villes hanséatiques perdent du terrain au profit d'Amsterdam, d'Anvers puis de Londres. Les échanges intérieurs se replient sur des produits de base : céréales, bière, lin, fer, bois et bétail. Les princes développent leurs manufactures et leurs douanes, espérant accroître leurs revenus et limiter les importations.

Au XVIIe siècle, la guerre de Trente Ans (1618-1648) dévaste le pays et désorganise totalement le commerce. Les routes deviennent dangereuses, les villes sont ruinées, la population diminue de moitié dans certaines régions. Les réseaux marchands se disloquent, et la monnaie se déprécie. Après la paix de Westphalie, les États allemands tentent lentement de se reconstruire. Les princes adoptent les principes du mercantilisme : ils favorisent les manufactures de draps, de verrerie, d'armes ou de soieries, encouragent les guildes, imposent des monopoles et cherchent à attirer les artisans étrangers. La Prusse, la Saxe et la Bavière développent des politiques économiques dirigistes, tandis que les ports du nord renouent progressivement avec le commerce maritime.

Au XVIIIe siècle, l'économie allemande se stabilise et s'insère à nouveau dans les circuits européens. Hambourg devient un port de première importance, ouvert sur le commerce atlantique et colonial. Les produits exotiques comme le sucre, le café et le tabac passent par ses entrepôts avant d'être redistribués vers l'intérieur du continent. Francfort et Leipzig restent des centres financiers et commerciaux dynamiques, organisant de grandes foires internationales. Les manufactures textiles de Silésie, les forges de la Ruhr et les industries métallurgiques de Saxe gagnent en importance. La Prusse de Frédéric II développe une politique économique énergique : elle favorise les canaux, les routes, la production agricole et la création de manufactures d'État.

À la fin du siècle, le commerce allemand demeure fragmenté, à l'image du Saint-Empire romain germanique qui regroupe encore des centaines d'États, chacun avec ses droits de douane, ses poids et mesures, et ses monnaies différentes. Les échanges intérieurs restent coûteux et lents, mais certaines régions connaissent déjà un dynamisme croissant. Hambourg et Brême assurent la liaison entre l'Allemagne et le commerce mondial, exportant les produits manufacturés et important le café, le sucre, le coton et les denrées coloniales. La Saxe et la Silésie se distinguent par leurs manufactures textiles, tandis que la Rhénanie et la Ruhr commencent à développer des activités minières et métallurgiques. Les foires de Francfort, de Leipzig et de Brunswick continuent d'attirer les marchands de toute l'Europe centrale.

La Révolution française et les guerres napoléoniennes bouleversent brutalement ces équilibres. Le Blocus continental de 1806 ferme les ports allemands au commerce britannique et provoque une crise dans les échanges. Les villes hanséatiques sont annexées par la France, les douanes se multiplient, et le commerce maritime s'effondre temporairement. Mais ces années accélèrent aussi la modernisation des structures : le démantèlement du Saint-Empire en 1806 ouvre la voie à des réformes économiques dans plusieurs États. En Prusse, les réformes de Stein et Hardenberg abolissent les privilèges féodaux, libéralisent l'agriculture et favorisent la circulation des biens et des personnes. De nouvelles infrastructures se mettent en place, et les premières initiatives industrielles se développent autour des mines de charbon et des forges.

Après la chute de Napoléon, le Congrès de Vienne en 1815 rétablit une mosaïque d'États allemands, mais le besoin d'un marché unifié s'impose peu à peu. En 1834, la Prusse fonde le Zollverein, une union douanière qui regroupe progressivement la plupart des États allemands, à l'exception de l'Autriche. Le Zollverein supprime les barrières intérieures et crée un vaste espace économique commun, facilitant la circulation des marchandises et stimulant le commerce intérieur. Les routes commerciales s'étendent, les canaux se modernisent, et les premières lignes de chemin de fer relient les grands centres économiques : Berlin, Cologne, Francfort, Leipzig et Hambourg. L'Allemagne devient un carrefour entre l'Europe occidentale et l'Europe orientale.

La révolution industrielle transforme profondément le commerce allemand. Le charbon de la Ruhr, le fer de la Sarre, les machines et les produits chimiques remplacent peu à peu les textiles et les denrées agricoles dans les échanges. Les banques, comme la Deutsche Bank et la Dresdner Bank, se développent pour financer les industries et le commerce international. Hambourg devient le premier port continental d'Europe pour les échanges transatlantiques, accueillant les lignes maritimes vers l'Amérique et les colonies. Brême, Lübeck et Kiel participent également à cette expansion maritime. Le réseau ferroviaire, devenu l'un des plus denses du monde, unifie le marché intérieur et relie l'Allemagne aux grands ports du Nord comme aux marchés d'Europe centrale et de Russie.

L'unification politique de 1871, sous l'Empire allemand dirigé par la Prusse, donne un nouvel élan au commerce. L'État encourage les exportations, protège les industries stratégiques et soutient les grandes entreprises. L'Allemagne devient rapidement une puissance industrielle et commerciale majeure. Les exportations de produits chimiques, de machines-outils, d'acier et d'instruments de précision se multiplient. Le commerce extérieur se diversifie vers les États-Unis, l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Asie. Les colonies acquises en Afrique et dans le Pacifique servent de débouchés pour les produits manufacturés et de sources de matières premières. Les compagnies maritimes allemandes, comme la Hamburg-Amerika Linie et la Norddeutscher Lloyd, dominent les routes transocéaniques.

Dans les dernières décennies du XIXe siècle, le commerce allemand se modernise encore grâce à la concentration industrielle et à la montée des grands conglomérats comme Krupp, Siemens, BASF et Bayer. Les foires commerciales deviennent des vitrines de la puissance économique du Reich. Les ports du Nord se modernisent avec des docks, des entrepôts frigorifiques et des systèmes de manutention modernes. Les infrastructures fluviales du Rhin et de l'Elbe permettent un transport rapide vers la mer du Nord. Les villes industrielles, de la Ruhr à la Saxe, vivent au rythme du commerce mondial. L'Allemagne exporte désormais plus de biens manufacturés qu'elle n'importe de matières premières.

À la veille de la Première Guerre mondiale, le commerce allemand est l'un des plus puissants du monde. L'empire rivalise avec le Royaume-Uni et les États-Unis sur les marchés internationaux. Mais la rivalité économique et coloniale alimente aussi les tensions politiques. Quand la guerre éclate en 1914, le blocus maritime imposé par la Grande-Bretagne coupe l'Allemagne de ses sources d'approvisionnement extérieures. Les échanges internationaux s'effondrent, les ports se vident, les industries manquent de matières premières. Le commerce intérieur se replie sur l'économie de guerre, centrée sur la production d'armes et de biens essentiels. En 1918, l'Allemagne sort de la Première Guerre mondiale ruinée et désorganisée. Le blocus allié a détruit ses circuits commerciaux extérieurs, les colonies sont perdues, la marine marchande est réduite à presque rien, et l'industrie tourne au ralenti. Le traité de Versailles en 1919 impose des réparations écrasantes et prive le pays de territoires riches en ressources comme l'Alsace-Lorraine et une partie de la Haute-Silésie. Le commerce extérieur est paralysé par les restrictions et la perte de crédibilité du mark. À l'intérieur, l'économie fonctionne en survie : le troc, le marché noir et la spéculation remplacent souvent les échanges officiels. La République de Weimar, née dans cette crise, tente de rétablir la confiance et de relancer le commerce.

Dans les années 1920, l'Allemagne retrouve progressivement sa place dans les échanges internationaux. Le plan Dawes de 1924, puis le plan Young de 1929, allègent le poids des réparations et stabilisent la monnaie. Le mark-or et la création d'une banque centrale indépendante rétablissent la confiance des investisseurs étrangers. Les exportations industrielles reprennent : machines, produits chimiques, outils et automobiles s'écoulent vers l'Europe, l'Amérique latine et les États-Unis. Hambourg et Brême retrouvent leur activité maritime, et les entreprises comme Krupp, Siemens ou BASF regagnent les marchés qu'elles avaient perdus. Mais la prospérité reste fragile. La crise mondiale de 1929 frappe durement le pays : les banques s'effondrent, le commerce mondial se contracte, et le chômage de masse bloque la consommation intérieure. Les exportations chutent brutalement, les échanges se figent, et le pays s'enferme dans une crise économique et politique qui prépare la montée du nazisme.

Avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933, le commerce allemand change de nature. Le régime nazi adopte une économie dirigée et autarcique, fondée sur le réarmement et la préparation à la guerre. Les importations sont strictement contrôlées, les accords bilatéraux remplacent les échanges libres, et l'État négocie directement avec les pays d'Europe du Sud et d'Amérique latine pour obtenir les matières premières nécessaires. Le commerce devient un instrument politique : les exportations servent à financer l'armée, les importations sont orientées vers les besoins stratégiques. L'Allemagne tente de réduire sa dépendance vis-à-vis des marchés mondiaux en développant des substituts synthétiques : caoutchouc, pétrole, carburants artificiels et fibres chimiques. La conquête de nouveaux territoires à partir de 1939 vise aussi à s'assurer un contrôle direct des ressources et des voies commerciales. Pendant la guerre, le commerce international s'effondre à nouveau sous le poids des blocus et de la destruction.

En 1945, l'Allemagne est à nouveau anéantie. Les infrastructures sont détruites, les ports de Hambourg et Brême sont en ruine, et le pays est divisé en zones d'occupation. Les échanges sont presque inexistants : les routes et les voies ferrées sont coupées, la monnaie n'a plus de valeur, et les populations survivent grâce à l'aide internationale. À partir de 1948, avec la réforme monétaire et le plan Marshall, l'économie de l'Allemagne de l'Ouest redémarre. Les aides américaines permettent la reconstruction des infrastructures, des ports et des usines. Le commerce extérieur renaît rapidement : les exportations de charbon, d'acier, de machines et de produits chimiques deviennent les moteurs du « miracle économique ». La République fédérale d'Allemagne s'intègre dans le marché occidental, rejoint l'OECE (Organisation européenne de coopération économique), puis la Communauté économique européenne en 1957. Les grandes entreprises allemandes réapparaissent sur la scène mondiale, tandis que les ports du Nord retrouvent leur activité d'avant-guerre.

Dans les années 1960 et 1970, l'Allemagne de l'Ouest devient l'une des premières puissances exportatrices du monde. Ses produits industriels, notamment les automobiles, les machines-outils, les produits chimiques et les équipements électriques, s'imposent sur les marchés européens et mondiaux. Les exportations soutiennent la croissance et garantissent la stabilité sociale. Le commerce extérieur s'organise autour d'un équilibre : importations de matières premières et d'énergie, exportations de biens manufacturés à haute valeur ajoutée. Parallèlement, la République démocratique allemande (RDA) développe son propre système commercial, intégré au bloc soviétique et au Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM). Elle commerce surtout avec l'URSS et les pays de l'Est, exportant des machines et des produits industriels en échange de pétrole et de matières premières. Deux économies allemandes coexistent donc, chacune tournée vers un camp du monde bipolaire.

Après la réunification de 1990, l'Allemagne reconstitue un espace économique unifié mais déséquilibré. L'Est, désindustrialisé, peine à s'adapter à la concurrence mondiale, tandis que l'Ouest continue d'exporter massivement. Les entreprises modernisent leurs structures, et le pays s'affirme comme moteur économique de l'Union européenne. L'adoption de l'euro en 1999 renforce encore la position du commerce allemand sur le marché unique. Les exportations automobiles, les machines industrielles, les produits pharmaceutiques et les technologies de pointe dominent les échanges. L'Allemagne devient le premier exportateur mondial au début des années 2000, avant d'être dépassée par la Chine, mais reste la première puissance commerciale d'Europe.

Au XXIe siècle, le commerce allemand repose sur un modèle d'économie ouverte et orientée vers l'exportation. Les marchés européens restent essentiels, mais la Chine, les États-Unis et d'autres économies émergentes prennent une importance croissante. Les ports de Hambourg et de Brême restent des portes d'entrée majeures pour le commerce mondial. Les chaînes de valeur industrielles s'internationalisent, intégrant les pays d'Europe centrale et orientale. Les entreprises allemandes adaptent leur production aux défis de la mondialisation, de la transition énergétique et du numérique. Malgré les crises financières, la pandémie de 2020 et les tensions géopolitiques, l'Allemagne conserve son rôle central dans le commerce international, combinant rigueur industrielle, innovation technologique et ancrage européen. Le pays reste ainsi l'un des principaux acteurs de la circulation mondiale des biens, des capitaux et des technologies.

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