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La civilisation antique à Lesbos

Etat politique, gouvernement

De l'état politique de Lesbos pendant l'Antiquité, ce que nous savons est bien peu de chose. Les violences des guerres étrangères ou la confusion des discordes civiles remplissent à peu près toutes les pages de son histoire. Ses villes étaient-elles en paix avec Athènes, ou Sparte, ou le grand Roi, qu'elles tournaient aussitôt leurs armes les unes contre les autres, et qu'elles s'épuisaient dans de continuelles dissensions. Une rivalité acharnée existait entre Méthymne et Mytilène; c'eût été pour elles un déshonneur de défendre la même cause, fût-ce celle de l'indépendance; et les luttes ne cessaient entre les cités rivales que pour donner à chacune d'elles le temps d'étouffer les discordes intestines qui les déchiraient. Là, comme par toute la Grèce, c'était l'éternelle lutte des grands contre les petits, des riches contre les pauvres, des nobles familles réunies et coalisées contre le peuple. Dans ces alternatives de victoires ou de défaites, signalées dans chaque parti par le massacre ou l'exil des vaincus, la cause qui avait le dessous cherchait des secours à l'étranger. Sparte était la protectrice invoquée par l'oligarchie, et le peuple désarmé et opprimé adressait ses voeux à la démocratie d'Athènes. Ainsi s'expliquent ces changements subits de fortune et d'alliances qui à chaque guerre faisaient de Lesbos l'auxiliaire d'un nouveau parti.

Après l'abolition de la royauté, on trouve des prytanes à Mytilène et à Erésus (Erésos). II est probable qu'il en était de même dans toutes les villes de Lesbos; mais on ne sait quelles étaient les fonctions de ces prytanes. Plusieurs inscriptions parlent d'un sénat fonctionnant concurremment avec l'assemblée du peuple; le premier indice de cette institution remonte à peine an temps d'Alexandre le Grand. Les autres monuments nous montrent le peuple, décernant seul des honneurs aux grands citoyens. Sous les empereurs, il est souvent aussi fait mention de stratèges. Etaient-ce seulement des chefs militaires, ou bien encore des magistrats civils? On ne le sait pas.

Lois, modes de vie

Que dire de la législation des Lesbiens? une ou deux lois sont connues à peine. Les fautes commises en état d'ivresse étaient passibles d'une double peine. Défense était faite d'aller aux funérailles d'un étranger; les parents seuls y étaient admis. 

Ces deux lois sont de Pittacus. Ne faut-il pas aussi regarder comme une institution publique cette fête consacrée de tout temps à la beauté, dans laquelle les femmes de Lesbos se réunissaient dans le temple d'Héra, et où l'on couronnait la plus belle.

« Agamemnon, dit Ulysse à Achille, te donnera encore sept femmes habiles dans les beaux ouvrages, sept Lesbiennes, qu'il avait choisies pour lui, lorsque toi-même t'emparas de Lesbos, bien bâtie, et qui remportèrent alors sur toutes les femmes le prix de la beauté. » (Homère, Iliade, IX, 273).
Ce passage d'Homère semble indiquer que déjà ce concours existait du temps de la guerre de Troie.

Quoiqu'il en soit, les femmes de Lesbos ont toujours eu dans l'Antiquité une grande réputation de beauté et d'esprit : leur éducation et les moeurs publiques à Lesbos leur permettaient de se produire au dehors et d'exercer par toutes leurs compétences une grande influence dans leur île.

« Les Eoliens et les Doriens en usaient plus noblement que leurs frères d'Athènes ou d'Ionie [...]. Ils ne renfermaient pas, comme eux, les femmes dans le gynécée; ils cultivaient leur esprit, et ne craignaient point de les voir s'élever à la gloire littéraire. Il y avait à Sparte même des associations féminines que présidaient les femmes les plus en renom par leurs vertus et leurs talents, et où les jeunes filles se formaient aux nobles manières, en même temps qu'elles apprenaient à chanter et à bien dire. A Lesbos [...] l'éducation des femmes avait un caractère plus poétique et plus relevé encore [...]. Les femmes n'y rougissaient pas de leurs talents; elles s'en vantaient avec fierté, et l'ignorance même opulente, même entourée de luxe et d'honneurs; ne trouvait pas grâce devant elles. » (Pierron, Histoire de la littérature grecque).

Poètes de Lesbos

Il ne faut pas s'étonner si la poésie parut de bonne heure et s'éleva à une grande perfection chez ce peuple riche, élégant et cultivé. L'île de Lesbos, si obscure aujourd'hui, n'a pas dans toute l'Antiquité d'autre rivale peut-être qu'Athènes, à qui rien au reste ne peut être comparé.

Pour exprimer cela, les anciens auteurs racontaient que la tête et la lyre d'Orphée, jetées dans l'Hèbre par les Ménades, avaient été portées par le fleuve jusqu'à la mer et poussées delà, par les courants, sur la côte d'Antissa à Lesbos. Le son limpide de la lyre remplissait la mer, les îles, et les grèves battues pas les flots. A ces bruits inconnus, les habitants accourent et recueillent la tête d'Orphée; la lyre mélodieuse fut placée dans le même tombeau, et, elle enchantait les roches insensibles, et les flots retentissants. Depuis ce temps les fêtes et les chansons divines habitent dans cette île; c'est la bien-aimée des Muses (Stobée, LXII, Ovide, Métamorphoses, XI, 50). 

La tête d'Orphée rendait des oracles, et l'on délaissait les temples de Claros, de Grynée et de Delphes pour venir consulter le prophète de Lesbos. Apollon avait béni cette terre où l'on rendait tant d'honneurs à ses favoris, et il doua de dons spéciaux les musiciens et les poêles qui y naissaient. Il n'était pas jusqu'aux rossignols qui ne chantassent avec plus de charme, sous les ombrages frais de Lesbos.

Terpandre
Le premier des poètes de Lesbos que désignent des témoignages certains est Terpandre, le contemporain de Callinas et de Tyrtée (696).

Terpandre, fils de Derdenès, était né à Antissa, vers l'an 675 av. J.-C, présida au premier établissement des règles musicales à Sparte. D'après une légende rapportée par Nicomaque (Manuel d'harmonique, p. 29, Meibom), la lyre d'Orphée, échouée à Antissa, serait arrivée dans les mains de Terpandre. Mais il ne faut voir là que l'intention de rattacher sa doctrine musicale à l'ancienne musique des Thraces personnifiée dans Orphée. Une autre légende qu'on lit dans Boèce (Institution musicale, I, 1) lui attribue le mérite d'avoir guéri les Lesbiens des plus graves maladies aux accords de sa lyre. L'auteur des problèmes dits d'Aristote (XIX, 32) dit que Terpandre accorda les limites de l'heptacorde à l'octave en supprimant la trite (des conjointes) et en plaçant la nète (des disjointes) à l'octave de l'hypate. On lui doit plusieurs autres innovations, telles que la scolie, espèce de chanson fort courte qu'on chantait à table. Il fut plusieurs fois vainqueur aux jeux Pythiques.

L'école de Terpandre se continua dans de nombreux disciples qui en conservèrent les traditions. Elle semblait cependant s'éteindre, quand tout à coup elle brilla d'un plus vif éclat dans une génération nouvelle; représentée par Arion (628).

Arion.
Arion était de Méthymne, et passa une grande partie de sa vie à Corinthe, à la cour du tyran Périandre. De là il se rendit en Italie et en Sicile, où il s'enrichit. 

On connaît la légende qui le fait revenir dans son île porté par un dauphin qu'avaient attiré les sons de sa lyre. On prétend qu'Arion lui-même avait consacré le souvenir de cet événement par une statue élevée à ses frais dans le temple d'Apollon, et Elien nous a conservé un hymne, les seuls vers qui nous resteraient du poète s'ils étaient authentiques, où Arion, s'adressant à Poséidon, rappelle le secours qui lui sauva la vie. Quelque peu de croyance que mérite cette histoire, l'Antiquité tout entière y a ajouté foi, et l'a célébrée par le génie de ses artistes et de ses poètes.

Il n'est pas probable, quoi qu'en dise Hérodote, qu'Arion ait inventé le dithyrambe. Ce chant consacré à Dionysos existait depuis longtemps, mais désordonné et tumultueux; Arion, semble-t-il, en régla le rythme et la cadence, ajouta un récit où se racontait les aventures du dieu dont on célébrait la fête, et forma un choeur qui dansait autour de l'autel. On ne sait même s'il ne mêla pas à ces danses une sorte d'action tragique, que représentaient, dit-on, des satyres.

Leschès.
Leschès, fils d'Eschylénus, était né à Pyrrha ou à Mytilène. II était un peu plus âgé qu'Arion, puisqu'il florissait vers l'an 664. C'est un de ces poètes cycliques, produits par le génie d'Homère, qui semblaient s'être proposé de compléter, en l'imitant, l'oeuvre de leur maître. Le poème de Leschès avait quatre livres, et se nommait la Petite Iliade

« Je chante Ilion, et la Dardanie féconde en coursiers, où souffrirent mille maux les Grecs serviteurs d'Arès. »
Dans ce poème il racontait la dispute entre Ajax et Ulysse pour posséder les armes d'Achille, l'arrivée de Philoctète devant Troie, la mort de Pâris, le mariage d'Hélène et de Déiphobe, la mort d'Eurypyle, fils de Téléphus, tué par Néoptolème, le cheval d'Épéus, l'entrée d'Ulysse à Troie sous un déguisement, ses intrigues avec Hélène, l'enlèvement du Palladium et enfin le sac d'Ilion.

Il nous reste plusieurs fragments de Leschès, assez arides et peu dignes d'intérêt. Cependant son poème fut la source féconde où vinrent s'inspirer de grands poètes des âges postérieurs. Pindare et Virgile furent de ceux qui ne dédaignèrent pas d'y puiser largement; et la Muse des tragiques athéniens y trouva souvent de grandes scènes et de nobles tableaux.

Sapho.
Sapho était née à Mytilène, vers l'an 612. Son père, qu'elle perdit à l'âge de six ans, se nommait Scamandronyme, sa mère Cléis. Sapho épousa un riche habitant d'Andros, Cercolas, dont elle eut une fille, « sa belle enfant, sa Cléis chérie, dont la beauté égaie la beauté des fleurs dorées. » 

On induit d'un mot de la Chronique de Paros qu'ayant pris part à la conspiration d'Alcée et d'Antiménide contre Pittacus, elle fut forcée de s'exiler de Mytilène. Peut-être trouva-t-elle quelque temps un asile à Érésus, d'où elle passa en Sicile. On ignore à quelle époque elle y mourut.

Quoi qu'il en soit, les Anciens égalèrent Sapho aux plus grands poètes, et lui rendirent des honneurs extraordinaires. Partout on voyait son image, sur les places publiques, dans les musées, dans les bains, dans les temples. On admirait surtout dans le Prytanée de Syracuse une statue d'airain, chef-d'oeuvre de Silanion, enlevée plus tard par Verrès. 

Enfin, les Mytiléniens, compatriotes de Sapho, et les habitants d'Erésus, soit qu'ils revendiquassent sa naissance, soit qu'ils eussent souvenir de son séjour dans leur cité, lui décernèrent l'honneur de figurer sur leurs monnaies.

Erinna.
On connaît les noms de plusieurs des compagnes, des élèves de Sapho - Anagora la Milésienne, Gongyla de Colophon, Eunica de Salamine; mais celle, qui de toutes obtint le plus de gloire est Erinna, morte à dix-neuf ans. Elle était aussi de Mytilène, ou du moins elle y passa sa vie. Erinna y composa un poème de trois cents vers : La Quenouille. Elle l'avait conçu, assise, occupée à manier la quenouille ou le fuseau, à l'insu de sa mère, qui lui défendait de cultiver la poésie. 

« Ce n'est pas là un long ouvrage, dit une épigramme de l'Anthologie, c'est l'ouvrage d'une vierge de dix-neuf ans. Mais que d'autres ne surpasse-t-il pas! Ah! si la mort n'était venue si vite, est-il un nom qui eût égalé le sien?-»
On attribue encore à Erinna, mais très certainement à tort, un hymne à la Force, plein de poésie et d'inspiration.

Érinna mourut au début de sa gloire naissante, avant d'avoir eu le temps de la confirmer par d'autres chefs-d'oeuvre.

Alcée.
Alcée était de Mytilène et était contemporain de Sapho, pour laquelle il éprouva, dit-on, un amour malheureux. Il se rendit redoutable par ses vers satiriques et s'attira le courroux du tyran de Mytilène, Pittacus, qui l'exila. Il se rangea dès lors parmi les ennemis de sa Cité, et s'arma contre elle; mais il abandonna lâchement ses armes dans le combat et prit la fuite. Après un long exil, pendant lequel il voyagea et visita l'Égypte, il fut compris dans une amnistie, et revint mourir à Mytilène. 

Alcée composa, outre ses invectives contre les tyrans, des hymnes des odes, des chansons, des épigrammes. Les meilleurs juges, Horace, Quintilien, font l'éloge de ses poésies, qui se distinguaient par la vigueur et l'originalité de la poésie, ainsi que par un ton vif et passionné. Il inventa le mètre qui fut appelé de son nom vers alcaïque

Il ne nous reste d'Alcée que quelques, fragments épars dans Athénée et dans Suidas, recueillis par H. Étienne à la suite de son Pindare, et publiés à part, en 1810; à Halle, par Th. Fr. Stange, et, en 1827, à Leipzig, par A. Matthiae. Ils ont été traduits en français par Coupé, dans ses Soirées littéraires, et par Falconnet, dans les Petits poëtes grecs du Panthéon littéraire.

Musiciens : Phrynis, etc.

Après cette glorieuse génération qui avait produit Arion, Alcée, Érinna, Sapho, le déclin commence pour la poésie lesbienne. Mytilène, la cité des chantres inspirés et des aèdes mélodieux, a aussi vu naître Phrynis, qui partageait avec Cinésias d'Athènes et Timothée de Milet le reproche d'avoir hâté la ruine de l'art musical.

Phrynis.
Phrynis, selon l'historien lster, aurait été d'abord cuisinier chez Hiéron le Tyran, qui, s'intéressant à ses premiers essais, fit cultiver ses talents par les meilleurs maîtres. Aristoclite, un des descendants de Terpandre, fut son maître de cithare, et Phrynis profita si bien de ses leçons, qu'il fut, dit-on, le premier qui remporta le prix de cet instrument aux Panathénées (457). Plus tard il fut vaincu dans la même lutte par Timothée de Milet. S'étant présenté à Sparte avec sa cithare à neuf cordes, l'Ephore Ecprepès se mit en devoir d'en couper deux, lui laissant seulement le choix entre celles d'en haut et celles d'en bas. Jusqu'au temps de Phrynis, des règles sévères présidaient à la composition des morceaux de musique faits pour la cithare et au jeu de cet instrument. L'air devait être composé sur un certain mode; partir d'une certaine corde de la cithare, y revenir souvent, s'y terminer; chaque son s'entonnait, chaque corde se pinçait toujours d'une seule et unique manière; et si parfois on admettait quelques ornements, ils étaient fixes et invariables pour chacun des sons où on les daignait souffrir. Phrynis, abandonnant ce ton austère et grave de la mélopée grecque, commença par ajouter deux cordes nouvelles à la lyre, qui depuis Terpandre en avait sept, et, rompant la cadence simple et retenue de l'ancienne école, amollit et fatigua la voix, jusque alors si mâle, de la musique dans un embarras d'inflexions et d'intonations doucereuses. 

« Qui vous a pu mettre dans ce bel état, ma soeur? dit la Justice à la Musique, qui arrive en habits de femme, le corps tout meurtri [...]. Hélas, c'est Mélanippide, qui a commencé à m'énerver [...]. Puis Cinésias, ce maudit Athénien, avec ses inflexions de voix placées contre toute harmonie dans les strophes, m'a perdue et défigurée, au point qu'il en est de ses dithyrambes comme des boucliers : on n'en voit ni la droite ni la gauche. Vous n'auriez jamais dit cela. Mais Phrynis en m'entravant dans je ne sais quels roulements qui lui sont particuliers, en me faisant fléchir, pirouetter à son gré, m'a mise à la mort pour vouloir trouver dans cinq cordes douze harmonies différentes. »
Ainsi parle la musique dans une comédie de Phérécrate; et il faut bien croire que Phrynis avait quelque talent, puisqu'elle ajoute : 
« Toutefois ce n'était pas assez pour moi qu'un tel homme! car la faute faite, il la rachetait. Mais c'est Timothée qui m'a achevée. » 
Les autres musiciens de Lesbos.
Les noms qui se présentent après le nom de Phrynis sont, peu s'en faut, inconnus; c'est Agénor, de Mytilène, qui fonda une école de musique; c'est Denys, également de Mytilène, surnommé Bras de cuir, ou le cordonnier. Il avait écrit plusieurs poèmes épiques, dont l'un était intitulé : l'Expédition de Dionysos et d'Athéna; six livres des Argonautes, en prose, ainsi qu'un recueil de Récits Mythologiques. Denys semble avoir joui d'une certaine réputation, et son autorité est souvent invoquée par le scoliaste d'Apollonius de Rhodes et même par Diodore de Sicile. On ne sait d'ailleurs le temps où il vécut; mais ce doit être à une époque assez reculée. 

On ignore de même le temps de Théolyte, de Méthymne. Athenée cite trois vers d'une histoire de Dionysos qu'il lui attribue; on croit qu'il avait composé encore en vers l'histoire de Lesbos ou de Méthymne. 

Aeschrion, de Mytilène, accompagna Alexandre dans ses expéditions; c'était un poète épique, le familier, l'ami intime d'Aristote. Enfin on connaît quelques épigrammes et un scolie d'Alphée de Mytilène, et les noms de Xénophilie, poète antique, de Crinagoras, auteur d'épigrammes, d'Archytas et de Cratinus, tous deux musiciens, le premier de Mytilène, le second de Méthymne.

Historiens : Hellanicus, Théophane, etc.

Hellanicus.
Le plus ancien historien qu'ait produit Lesbos est Hellanicus, qui naquit à Mytilène, en 496, et mourut en 415. Quoiqu'il ait été accusé souvent de négligence ou de partialité, les fragments qui nous restent de lui font regretter ce qu'on a perdu. Les Anciens citent de cet auteur un nombre. considérable d'ouvrages; mais la plupart semblent n'être que des parties, des chapitres d'histoires particulières. Hellanicus avait écrit « dans le genre de Phérécyde et d'Hécatée des descriptions ethnographiques, des généalogies, des chroniques nationales et étrangères. Un de ses écrits intitulé : les Prétresses d'Héra d'Argos contenait la liste des femmes qui avaient desservi, dès la plus haute antiquité, le sanctuaire d'Héra, et le récit des événements plus ou moins authentiques auxquels s'étaient mêlées ces prêtresses ou dont d'Argos avait été le théâtre.

Charès de Mytilène.
Charès de Mytilène avait écrit au moins dix livres sur les actions d'Alexandre; Athénée, Plutarque citent souvent son ouvrage. Athénée en rapporte même de nombreux fragments. On voit par ces passages que Charès ne s'était pas borné à raconter sèchement les exploits du roi de Macédoine, mais qu'il avait mis tous ses soins à recueillir toutes les notions possibles sur les pays conquis. Le style de Charès est clair, élégant; les morceaux que nous possédons de lui sont des plus intéressants.

Théophane de Mytilène.
Théophane de Mytilène est de tous les historiens de Lesbos le plus célèbre par son talent comme par les services qu'il rendit à sa cité. Tout à la fois historien, poète, et homme d'État, il eut pour ami Pompée, qui lui demandait souvent conseil et l'interrogeait dans toutes les affaires d'importance. L'époque précise de sa naissance, comme les commencements de sa vie sont ignorés. A peine sait-on qu'il était d'une famille plébéienne. Quoique sa liaison avec Pompée ait dû se former de bonne heure, Théophane n'apparaît pour la première fois sur la scène que dans la guerre contre Mithridate, dont il raconta l'histoire. Pompée, charmé par cet ouvrage, décerna à son auteur la titre de citoyen romain en présence de toutes ses légions. C'est dans cette histoire sans doute que Théophane, se vantant d'avoir vu les papiers de Mithridate, accusait Rutilius Rufus, l'homme le plus honnête de son siècle, d'avoir donné au roi vaincu le conseil d'égorger les Romains; cette calomnie, qui avait pour but de venger Pompée des révélations produites contre son père par Rutilius, n'excita que l'indignation et le mépris public. 

A son retour en Italie, Pompée, cédant aux instances de Théophane, eut la complaisance de visiter Mytilène. Il y fut reçu avec les plus grands honneurs chaque année on y célébrait des jeux, où se récitaient diverses pièces de poésie; cette fois elles roulèrent toutes sur les grandes actions de Pompée. Touché de cet accueil flatteur, Pompée rendit à Mytilène ses anciens privilèges. Cette amitié illustre avait mis Théophane en rapport avec les plus en vue des Romains; il avait des relations avec Atticus, et par lui avec Cicéron. L'an 59 avant J.-C., il fut chargé de porter à Ptolémée Aulète le décret du sénat qui lui confirmait la souveraineté de l'Égypte. On le soupçonna d'avoir dans cette ambassade sacrifié les intérêts de la république à ceux de Pompée. 

Timagène assure que Ptolémée abandonna ses États sans y être forcé, et le tout à la persuasion de Théophane, qui en cela se proposait uniquement de procurer à Pompée le commandement d'une armée et de nouveaux moyens de s'enrichir. Plutarque rejette cette opinion de Timagène, mais par estime pour les sentiments désintéressés de Pompée, et non pour le caractère de Théophane. Celui-ci n'était pas marié, ou au moins n'avait pas d'enfants, quand il s'embarqua pour l'Égypte. Autrement, il se serait bien gardé d'adopter Cornélius Balbus, qui par là devenait son héritier.

Théophane eut le bonheur de contribuer plus tard au rappel de Cicéron, proscrit, et enfin dans la guerre civile, il embrassa le parti de Pompée, et par ses avis, décidés et résolus, il fit tomber tout espoir de réconciliation. Après Pharsale, les raisons de Théophane prévalurent, et l'on prit la route d'Égypte, où la mort attendait Pompée. Après l'assassinat du dictateur, on ignore ce qu'il devint. Il est probable qu'il mourut peu après la mort de Pompée. Les Mytiléniens, reconnaissants de l'immense service qu'il leur avait rendu, lui accordèrent les honneurs divins. 

On possède plusieurs médailles qui représentent ses traits. Le plus important et le plus curieux des ouvrages de Théophane était sans contredit l'histoire des guerres de Pompée. Il n'en reste que quatre fragments, trois dans Strabon, qui témoignent du soin et de l'exactitude de l'auteur, et le quatrième, dans Plutarque, qui au reste a largement usé de cet ouvrage dans la vie de Pompée. Diogène Laerce cite de Théophane un livre de la Peinture, sorte d'histoire des peintres; quant à ses poésies, il n'en reste que deux épigrammes dans l'Anthologie.

Les descendants de Théophane remplirent des postes éminents, et son fils et sa petite-fille, Marcus Pompeius Macer et Pompeia-Macrina furent persécutés par Tibère. Condamnés à l'exil, ils se donnèrent la mort.

Les autres historiens de Lesbos.
Myrsile ou Myrtile était de Méthymne. L'époque où il vécut est tout à fait incertaine. Il avait écrit une histoire de Lesbos, fort estimée. Strabon, Pline, Denys d'Halicarnasse et bien d'autres invoquent et confirment son autorité.

Herméas, de Méthymne, avait composé une histoire de Sicile depuis les temps les plus reculés jusqu'à la première année de plus 101e Olympiade (376 ).

Héraclite était auteur d'une histoire de Macédoine.

Philosophes : Pittacus; Théophrase, etc. 

Pittacus.
Pittacus n'était pas seulement le plus grand citoyen de Mytilène, c'était aussi un poète éminent, comme Solon, son contemporain et son émule. On sait par Suidas et par Diogène Laerce qu'il avait composé plus de six cents vers élégiaques. Il avait aussi adressé un discours en prose à ses concitoyens pour leur conseiller le respect des lois. Comme philosophe, c'était un de ces hommes d'une vertu pratique et exemplaire, simple et accessible à tous, indulgent envers les autres, désintéressé, fidèle à sa parole, humain, prévoyant, habile au besoin; c'était ce que les Grecs appelaient un sage.

Théophraste.
Théophraste était né à Érésus (371). C'était le fils d'un foulon, nommé Mélantas. Il eut pour premier maître AIcippe, son concitoyen, qui jeune encore se rendit à Athènes poursuivre les leçons de Platon; c'est là qu'il se lia avec Aristote, qui avait à peine douze ans de plus que lui. Quand plus tard le chef du Lycée fut forcé de fuir à Chalcis, pour se soustraire à une accusation d'impiété portée contre lui, il choisit Théophraste pour lui succéder, de préférence à Eudame de Rhodes. La renommée de Théophraste, déjà si grande dans toute la Grèce, accrue par ce choix éclatant, attira de toutes parts de nombreux auditeurs, avides de recueillir ses leçons. Simple, mais entraînant dans son langage, de moeurs austères et d'un abord aimable, dans un temps où Athènes, épuisée par vingt-sept ans de guerre et deux révolutions, voyait ses places publiques, son théâtre vides et silencieux, il eut la gloire de réunir autour de lui plus de deux mille élèves, et parmi eux le fils d'Aristote, Nicomaque, Ménandre le poète comique, et Démétrius de Phalère. Forcé un instant de s'exiler d'Athènes pour obéir à la loi de Sophocle, qui proscrivait toute philosophie et toute école non approuvée par l'État, il y rentra l'année suivante quand le peuple eut rapporté la loi, Théophraste refusa constamment les offres du roi d'Égypte Ptolémée, et celles du roi de Macédoine Cassandre, et mourut à quatre-vingt-cinq ans, entouré de ses élèves, dans son pays d'adoption. Toute la ville d'Athènes assistait à ses funérailles. Il laissa, par son testament, presque tout son bien aux deux fils de son frère, et sa bibliothèque, qui contenait celle d'Aristote, à Nélee, son disciple. On sait qu'elle tomba ensuite dans les mains d'Apellicon de Téos, puis de Sylla, qui sauva de la destruction ce précieux dépôt.

Théophraste avait écrit plus de deux cents ouvrages, dont Diogène Laerce donne les titres : ils traitaient de la grammaire, de la logique, de la rhétorique, de la poésie, de la musique, des mathématiques, de la morale et des sciences naturelles. Nous avons quelques fragments de l'Histoire des Animaux, un traité des Pierres, et surtout l'Histoire des Plantes, le traité des Causes de la Végétation, et le livre des Caractères. Mais ce dernier ouvrage n'est à vrai dire qu'un recueil de fragments extraits par des copistes plus ou mains habiles du véritable ouvrage de l'auteur. Cet ouvrage était une poétique ou une rhétorique à la manière d'Aristote. Ces fragments mêmes, réunis ensemble et précédés d'une préface apocryphe, suffisent pour nous donner une idée du talent de Théophraste. Tandis qu'Aristote, son maître, se borne à des traits généraux et embrasse l'ensemble de la vie humaine, Théophraste prend un homme, dont il fait un type; il le met en scène, il le fait agir et parler, puis le dessine et le décrit en détail. Les traits sont assez bien choisis, les observations fines et piquantes, le style aisé et rapide. Ce qui manque surtout, c'est la naïveté. Le livre est d'ailleurs plein de renseignements curieux sur les moeurs du temps.

Phanias.
Phanias d'Erésus, ami de Théophraste, dont la vie d'ailleurs est complètement ignorée, avait composé cinq livres sur les plantes, deux sur les poètes, un sur la mort des tyrans, plusieurs livres contre les sophistes, deux livres sur les prytanes d'Érésus, et plusieurs autres ouorages, souvent cités par l'Antiquité. On trouve encore du temps de Théophraste, Échécratide de Méthymne et, plus tard, Cratippus de Mytilène, regardé par Cicéron comme le chef des péripatéticiens. Il était dans la députation qui vint, après Pharsale, prier Pompée d'aborder à Lesbos, et il chercha en vain à le consoler en lui parlant des dieux.

Les autres philosophes de Lesbos.
Les philosophes Aristote, Praxiphane, Primigène étaient aussi de Mytilène, ainsi que Lesbonax. Ce dernier vivait sous Auguste. Il avait étudié la philosophie à l'école de Timocrate. Doué d'un certain talent, il enseigna avec beaucoup de succès l'éloquence, c'est-à-dire la rhétorique. On possède encore deux des discours qu'il donnait sans doute à ses élèves comme des modèles à imiter. Son fils Potamon fut l'héritier de ses talents et de sa réputation. II enseigna la rhétorique à home, et jouit de la faveur de Tibère. Quand il voulut revenir à Mytilène, l'empereur, pour sauvegarde, loi donna une lettre écrite de sa main. Elle ne contenait que ces mots : 

« C'est Potamon, fils de Lesbonax. Si quelqu'un osait lui faire tort, qu'il voie s'il est de force à me faire la guerre. » 
Potamon avait écrit plusieurs ouvrages, un entre autres sur Alexandre le Grand, et les éloges de Brutus et de Tibère. On connaît encore les noms d'Aeschine, de Callias, de Scamon, d'Adaeus, commentateurs ou grammairiens, tous quatre de Mytilène.

Épicure à trente-deux ans vint à Mytilène, et y établit une école, qu'il laissa par son testament à Hermachus, fils d'Agémarque. 

Autres figures lesbiennes

Pour n'oublier aucun genre de gloire, citons encore :
• Lesbothemis, le seul sculpteur notable qu'ait produit Lesbos;

• Ariston et Eunicus, célèbres ciseleurs de Mytilène; 

• Héraclite, escamoteur, qu'Alexandre emmenait avec lui dans ses campagnes;

• Léon, enfin, qui ne trouva jamais son égal aux échecs. (L. Lacroix).

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