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La vie intellectuelle exprime au dehors par des formes sensibles, et cela dans sa généralité et sa simplicité la plus grande, tel est le caractère dominant de la sculpture grecque; il s'est montré dès les origines de cet art, et il s'est maintenu jusqu'à la fin. La sculpture s'est trouvée engagée dans cette voie, non seulement par la nature même du génie hellénique à la fois réfléchi et plein d'expansion, mais aussi par la poésie qui elle-même chantait sous l'inspiration des croyances religieuses. En effet, la religion des anciens Grecs avait l'avantage d'offrir à l'imagination des symboles en nombre presque infini, et d'une signification assez précise pour être représentés aux yeux dans toute leur diversité. Toute l'antiquité s'accorde à dire que les Grecs n'eurent longtemps d'autres statues que celles des dieux. Ces statues étaient des idoles, mot qui signifie image, représentation figurée; on les conservait, soit dans des constructions sacrées qui étaient la demeure des dieux (naos), soit dans des enceintes (temenos) circonscrites et inaccessibles au vulgaire. Les dieux, conçus comme des puissances ayant chacune son domaine, parmi les phénomènes naturels, reçurent des attributs en rapport avec ces phénomènes eux-mêmes : ainsi Zeus, dieu qui préside aux météores, eut le foudre et l'aigle, oiseau des airs; Poséidon eut le trident, c.-à-d. le harpon, arme des navigateurs; Apollon, dieu qui a son trône dans le Soleil, eut l'arc et la flèche, symbole des rayons pénétrants du jour. Ces attributs essentiels passèrent des sanctuaires dans les ateliers des sculpteurs, avec leur valeur significative. A mesure que l'art de tailler la pierre et le bois ou de modeler l'argile se perfectionna, les formes des dieux et de leurs attributs acquirent plus de netteté et de précision. Les Corps divins ne durent plus sembler faits sur un modèle, unique; il fallut que, par les proportions de leurs membres, par leurs gestes, par l'action où on les représentait, ils exprimassent la nature même des phénomènes dont ils étaient les régulateurs. En effet le symbole n'est autre chose que la représentation, sous une forme sensible, d'idées abstraites qui n'ont en soi rien de matériel ni de figuré. La symbolique contient donc l'explication de la statuaire antique, laquelle reste sans elle une énigme indéchiffrable; la première condition pour comprendre et sentir les oeuvres de la sculpture des Grecs, c'est d'approfondir leur mythologie. Ainsi entendue dans son vrai sens, la plastique ancienne est l'art spiritualiste par excellence, puisque, loin de donner aux passions nées de la matière une expression qui émeut l'âme de sentiments bas, elle écarte d'abord ces sentiments eux-mêmes, et ne se sert des formes corporelles que pour exprimer et rendre saisissables au vulgaire les conceptions les plus immatérielles de l'esprit. Telle est aussi la cause et l'origine de ce caractère dominant des oeuvres antiques, le calme du visage, la sérénité d'âme des personnages divins. Toutefois, après le grand siècle de Périclès, lorsque la majesté des dieux eut été rendue dans son expression la plus sublime, et que l'esprit public, devenu plus philosophique et moins croyant, eut commencé à faire avec Socrate un retour sur lui-même, les sculpteurs introduisirent peu à peu la passion dans les conceptions de la plastiques, et accrurent ce que les modernes appellent l'expression (ta pathè); comme les sujets donnés par la religion étaient trop symboliques pour comporter la variété et la violence des passions humaines, ils en vinrent à représenta celles-ci directement, et à reproduire non seulement des sujets humains, mais encore des personnes réelles et vivantes. L'usage des portraits-statues et des bustes se répandit promptement au temps des rois macédoniens, et devint universel sous la domination romaine. Les Anciens excellèrent dans ce genre, comme ils avaient excellé dans la sculpture symbolique; mais, quelle qu'ait été leur habileté à rendre la ressemblance des personnes, même idéalisées, on doit reconnaître que l'usage d'élever des statues à tout venant marque un abaissement de l'art antique. L'art du sculpteur comprenait dans l'Antiquité, non seulement la statuaire proprement dite, dont les matières ordinaires étaient le bois, la pierre, et, bientôt après, les métaux, mais encore le bas-relief, qui tient le milieu entre la statuaire et la peinture, la toreutique ou l'art de ciseler et de repousser les métaux , la céramique même, dans une certaine mesure, et enfin l'art d'orner les constructions de formes en relief empruntées soit à la géométrie, soit à la végétation, soit même au règne animal. Les modernes ont suivi en cela les usages des Grecs, et cultivent d'après les mêmes principes ces différentes branches de l'art du sculpteur. On peut diviser en cinq périodes l'histoire de la sculpture chez les Grecs : les temps primitifs ou la sculpture hiératique, la période des guerres médiques, le siècle de Périclès, la période macédonienne, et la période romaine. Première Période. Deuxième Période. Troisième Période. Mais la guerre du Péloponnèse, accompagnée de fléaux, de revers et de crimes, porta un coup à l'esprit public et le fit déchoir : on songea davantage à jouir de la vie; et les sculpteurs, dont les moyens pratiques se perfectionnaient chaque jour, furent entraînés vers des sujets où les passions humaines et la sensualité pussent trouver place (Voy., sur cette transformation de l'esprit public les articles, Littérature et Architecture grecques). On cessa de représenter les divinités d'un caractère tout à fait mâle, d'un âge mûr ou d'une nature impassible, et l'on choisit de préférence celles dont les formes juvéniles avaient quelque chose de féminin, comme Dionysos, Apollon, Eros; il en fut de même des déesses, et tendis qu'Athéna est le grand modèle de l'époque de Périclès, celui des années postérieures est Aphrodite. La grâce et le charme des formes féminines, parfois même avec un certain mélange de sensualité, remplacent vers le milieu de cette période la puissance idéale, la beauté sévère et toute spirituelle du grand art antérieur. La première époque nous offre les noms de Phidias et de Polyclète, qui représentent, le premier l'école athénienne, le second l'école de Sicyone et d'Argos. Autour de ces grands noms se groupent ceux de Polygnote, peintre et sculpteur, de Myron, élève d'Agéladas, de Callimaque, toreuticien et fondeur, du grand Acamènes, élève et rival de Phidias, d'Agoracrite, de Socrate le philosophe, et d'une foule d'artistes de renom que nous ne pouvons citer ici. Les grandes oeuvres de cette époque si féconde, oeuvres dont une partie nous est parvenue, sont : la Pallas du Parthénon, grande statue d'or et d'ivoire par Phidias - le Zeus d'Olympie, où toute la majesté du dieu était rendue; la grande Pallas promachos de la citadelle d'Athènes; l'Aphrodite des jardins, par Alcamènes; le Doryphore de Polyclète, devenu le canon des proportions du corps humain ; sa Héra d'Argos, son Amazone; la vache de Myron; et ces innombrables sculptures qui ornèrent les temples grecs relevés à cette époque, et dont nous possédons de si beaux débris dans les reliefs du Parthénon, de Phigalie, et dans les caryatides de l'Érechtheion d'Athènes. Cavaliers sculptés de la frise du Parthénon. Source : The World factbook. La seconde époque est celle de Lysippe et de Praxitèle. II n'y a pas de transition entre la manière de Phidias et la leur : le contraste est frappant; ils créent un ordre de beauté toute nouvelle, et font dire au marbre tout ce que la forme humaine peut avoir d'élégance, de grâce, d'harmonie, de souplesse et de charme voluptueux. Scopas de Paros entra le premier dans cette voie, où il fut suivi par toute la nouvelle génération d'artistes : Polyclès, Léocharès, Euphranor le peintre, Praxitèle, Timothée, Lysippe, Silanion, etc. Leurs oeuvres furent estimées à une incroyable valeur, qui s'accrut encore dans les siècles suivants. Voici les plus célèbres : l'Apollon citharède de Scopas son groupe d'Achille, sonAphrodite populaire, à Élis; les Niobides, que nous possédons encore et qui sont l'oeuvre ou de Scopas ou de Praxitèle; de ce dernier, le Satyre periboètos, que nous possédons peut-être sous le nom de Faune, l'Amour de Thespies consacré par Phryné, l'Aphrodite de Cnide dont celle de Médicis semble être une imitation imparfaite; le Sauroctone du Louvre; l'Hercule Farnèse, Imité de Lysippe par Glaucon; la statue d'Alexandre par Lysippe, dont une copie (la tête seule) existe au Louvre. Quatrième Période. L'étude analytique des formes et des passions conduisit l'art vers l'expression de l'individuel, où la tendance de la période antérieure le conduisait naturellement. Les rois macédoniens, les grands personnages, les riches particuliers, les hommes célèbres, commencèrent à voir leurs traits représentés en marbre ou en bronze; et pour laisser encore à ces figures privées d'idéal quelque chose qui semblât les relever au-dessus de la nature individuelle, on représenta fréquemment ces hommes du jour revêtus d'ornements et d'attributs divins appropriés à leur caractère. Quelques ouvrages existants permettent d'étudier l'art de cette époque dans ce qu'il a fait de meilleur : citons le Laocoon, comme expression détaillée d'un sentiment complexe et multiple merveilleusement étudié; le Gladiateur d'Agasias (au Louvre), comme étude admirable des formes anatomiques; le taureau Farnèse, reconnu inférieur à son ancienne renommée; le colosse de Rhodes, oeuvre de Charès, élève de Lysippe. La cinquième période est donc celle de la décadence : plus d'inspiration pour des artistes travaillant par ordre; plus d'élévation dans les idées; le luxe et la mollesse, l'amour des plaisirs et l'ostentation, se sont mis à la place des grandes pensées religieuses ou des traditions de gloire nationale qui avaient inspiré les siècles de liberté. Il est digne de remarque cependant que les moyens matériels dont la sculpture disposait se perfectionnaient chaque jour : le grand colosse de Néron, statue d'airain fondue par Zénodore, n'avait pas moins de 36 m de haut, et dépassait le colosse de Rhodes. L'art de représenter les personnes vivantes se répand de plus en plus et devient véritablement l'art de la période romaine, soit qu'on les revête d'ornements divins comme dans la période macédonienne, soit qu'on les reproduise au naturel. Cette même tendance, désormais invincible, se retrouve dans la reproduction sculpturale des scènes historiques, où tout est fait d'après nature et sans idéal : tels sont les bas-reliefs des arcs de triomphe à Rome. Le nombre des portraits, soit en pied, soit en buste, qui nous restent du temps des Empereurs, est considéable : ils remplissent tous les musées de l'Europe; les femmes y sont en grand nombre, représentées avec leur costume et leur coiffure originale, rarement disgracieuse. Quant aux sculptures des édifices publics, elles sont généralement lourdes et négligées, souvent grossières et presque barbares; cette remarque s'applique également aux ornements sculptés des temples et des autres édifices romains, dont la laideur est choquante si l'on vient à les comparer aux ornements analogues des édifices grecs. L'époque de Trajan et d'Hadrien produisit plusieurs oeuvres pour lesquelles la critique peut faire quelques réserves; nous citerons la colonne Trajane, la statue de Nerva au Vatican, celle de Marc Aurèle aujourd'hui sur la place du Capitole, ouvrages estimables. Mais les efforts des Antonins ne purent relever un art marchant vers sa décadence, et qui, après avoir perdu l'inspiration et l'idéal, avait fini par oublier le naturel, la grâce des formes, et jusqu'à à la justesse des proportions. Le dessin devenait incorrect et de convention. Après invasion des idées panthéistiques de l'Orient dénaturées et amoindries, les figures des dieux se transforment pour s'accommoder à un idéal indécis, à une conception mystique et nécessairement informe. Les premières oeuvres chrétiennes sont sèches et maigres, et d'ailleurs appartiennent plus souvent à la peinture qu'à la sculpture. Les invasions des Barbares portent le dernier coup à un art qui n'avait pas duré moins de quatorze siècles. (Em. B.).
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