|
Correspondance
de Cicéron.
La correspondance de Cicéron avec
les membres de sa famille, avec ses amis, avec différents personnages
politiques, constitue un recueil des plus précieux pour la connaissance
de l'auteur et de son temps; toute considérable qu'elle est telle
que nous la possédons, elle ne représente qu'une minime partie
des lettres écrites par Cicéron
et primitivement recueillies. Déjà vers la fin de sa vie,
il s'occupait lui-même d'en collationner un certain nombre :
«
Je n'ai, dit-il à Atticus, aucun recueil
de mes lettres, mais Tiron en possède environ
soixante-dix, qu'il faut lui demander. Il faut que je les examine, que
je les corrige; elles seront publiées ensuite » (Ad Att.,
XVI, 5).
On voit aussi par un autre passage (Ad
fam., XVI, 17, 1), que Tiron désirait intercaler ses propres
lettres dans le recueil. Après la mort de Cicéron, un grand
nombre de collections de lettres furent publiées; nous en connaissons
une dizaine, par les grammairiens qui en font des citations et en donnent
le titre avec le chiffre du livre (Ad Cornelium Nepotem, ad Brutum,
ad Hirtium, ad Caesarem, ad Cassium, ad Calvum, etc.). (Ces fragments
se trouvent réunis dans les éditions d'Orelli, Baiter, IV,
et Baiter, Kayser, XI). Parmi ces collections se trouvaient les seize livres
à Atticus qui nous sont parvenus; Cornelius
Nepos en avait fait usage (Atticus, 16). Les Lettres à
Quintus remontent sans doute à la même origine. Les autres
groupes se perdirent vraisemblablement parce que l'on en fit, soit pour
l'usage des rhéteurs, soit par spéculation de librairie,
des choix restreints, tels que les seize livres Ad familiares. Ce
dernier recueil, où l'ordre chronologique n'a pas été
respecté, semble sorti des mains de Tiron, dont aucune lettre n'est
reproduite, comme le recueil à Atticus n'en renferme aucune de ce
dernier. Les lettres y sont groupées d'après des points de
vue divers; ainsi le premier, le troisième, le quatorzième,
le seizième ne renferment que des lettres adressées à
un seul personnage (Lentulus, Appius Claudius, Terentia, Tiron);
le huitième est formé uniquement de lettres écrites
par Coelius à Cicéron; le treizième est une collection
de recommandations, dont un grand nombre sont de courts billets.
Les lettres de Cicéron avec celles
de ses correspondants qui s'y trouvent intercalées, lues évidemment
avec un vif intérêt au moment de leur publication, restèrent
quelque temps en honneur; Fronton raconte qu'il
en tirait, sous forme d'extraits, les passages intéressants : l'éloquence,
la philosophie
ou la politique, et ceux qui présentaient quelque élégance
de langage ou quelques expressions remarquables (Ad Anton., II,
5). Peu à peu elles tombèrent presque dans l'oubli; le Moyen
âge en a gardé peu de vestiges; elles étaient perdues
depuis plusieurs siècles lorsque Pétrarque
eut la joie et la gloire de les retrouver. C'est en 1345 qu'il découvrit
d'abord à Vérone les Lettres
à Atticus, à Quintus Cicéron, à Brutus
avec la lettre apocryphe a Octave ; il découvrit
un peu plus tard à Vercelli les lettres Ad farniliares. Le
premier de ces manuscrits est perdu; la copie de Pétrarque, mais
incomplète, après avoir passé en diverses mains, fut
déposée à la bibliothèque médicéenne
par P. Victorius; elle porte des notes et corrections de Calucio Salutato.
Le manuscrit de Vercelli qui date du XIe
siècle a été conservé ainsi que la copie de
Pétrarque : c'est, avec un fragment dû à un palimpseste
de Turin, l'unique archétype des lettres
Ad farniliares, tandis que les manuscrits des Lettres à
Atticus et Quintus, utilisés dans quelques-unes des premières
éditions imprimées, proviennent de sources différentes
(Orelli, Baiter, III, préface).
Les lettres de Cicéron sont une
mine de renseignements précieux sur la langue familière et
de chefs-d'oeuvre du genre épistolaire. Rien n'égale la vivacité,
le naturel, le charme singulier de cette correspondance si vivante, tantôt
émouvante et passionnée, tantôt enjouée et spirituelle,
toujours sincère et instructive. Cette lecture nous fait connaître
par le menu la vie domestique et politique de Cicéron, ses sentiments
les plus secrets et les plus fugitifs, on a même pu abuser contre
lui de ses confidences et dresser un réquisitoire facile à
établir contre un homme qui écrit de jour en jour, presque
d'heure en heure, sans aucun fard ni déguisement, tout ce qu'il
éprouve, et que la vivacité de ses impressions, l'indécision
de son caractère, la complexité des événements,
l'obscurité des intrigues où sont mêlés tous
les hommes marquants de l'époque, jettent dans une foule de contradictions.
Quel est l'homme de lettres ou l'homme d'Etat qui sortirait indemne d'une
pareille épreuve?
-
Lettre de
Cicéron à son ami Atticus
L'an
de Rome 694
«
Vous m'exhortez toujours à composer; mais cela n'est pas toujours
possible, grâce aux assiduités des gens de ce pays. Ma maison
de campagne est comme un rendez-vous public. Il semble que toute leur tribu
soit venue fondre ici. Passe encore pour cette foule de gens qui viennent
me saluer le matin, j'en suis délivré sur les dix heures;
mais malheureusement Arrius est mon plus proche voisin, ou, pour mieux
dire, nous logeons ensemble, car il ne me quitte point; il dit même
que c'est pour philosopher tout le jour avec moi qu'il ne va point à
Rome.
Je
suis assiégé d'un autre côté par Sebosus, le
bon ami de Catulus. Où me sauver? Je vous assure que, s'il n'était
pas plus commode pour vous que je me trouve ici, je m'enfuirais à
Arpinum; mais je ne vous attendrai que jusqu'au sixième de mai,
car vous voyez à quelles gens je suis livré. La belle occasion,
pendant qu'ils sont ici, d'avoir ma maison à bon marché!
Comment voulez-vous avec cela que j'entreprenne un ouvrage de si longue
haleine, et qui demanderait du loisir? Je tâcherai néanmoins
de vous contenter, et je n'épargnerai pas ma peine. »
(Cicéron,
Lettres).
|
La correspondance avec Atticus
surtout fournit des armes à ceux qui veulent l'accabler, parce qu'il
parle avec son ami comme avec lui-même. Quelques passages sont pour
nous peu intelligibles, à cause des réserves dictées
à l'auteur par la prudence la plus élémentaire, mais
rien n'était obscur pour Atticus qui saisissait les allusions et
les demi-mots. Ego tecum tanquam mecum loquor (Ad Att., VIII,
14). Cornelius Nepos reconnaît déjà
l'intérêt de ces lettres et dit qu'elles peuvent tenir lieu
d'une histoire suivie de cette époque, quae qui legat non multum
desideret historiam contextam corum temporum (Ad Att., 16).
Elles commençaient à l'an 88 pour se terminer quelques mois
avant la mort de Cicéron; les Lettres ad diversos vont de
63 à 43; les Lettres à Quintus, qui comprennent les
années 60 à 54, sont moins intéressantes; la première
est une sorte de dissertation en réponse au traité de Quintus
De Petitione Consulatus. Quant aux deux livres de lettres à
Brutus, l'authenticité en a été
fort contestée depuis Tunstall (1741), et nous croyons devoir adopter
cette opinion qui a pour elle l'autorité de Markland
(1745), de Niebuhr, d'Orelli, etc. Personne ne
défend l'authenticité de la lettre ad Octavianum publiée
dès les premières éditions (Orelli,
III).
Oeuvres poétiques
de Cicéron.
La poésie n'a pas été
seulement pour Cicéron un exercice d'écolier; il semble s'y
être adonné a différentes époques de sa vie
et avoir attaché une certaine importance à ses écrits
poétiques ou versifiés. Il posséda d'ailleurs, aussi
bien que n'importe lequel de ses contemporains, l'art de versifier, et
s'il n'est pas un poète, du moins il ne manque, ni de facture ni
d'élégance, quoique ses vers ressemblent souvent à
de la prose découpée en hexamètres. Ils n'ont pas
ajouté à sa gloire chez les Anciens;
si Quintilien en parle avec réserve,
Sénèque, Tacite,
Juvénal se montrent très sévères.
Plutarque parle seul d'un poème épique
intitulé : Pontius Glaucus en tétramètres et
composé par Cicéron encore enfant; nous ne possédons
guère de lui que des traductions de vers grecs; les fragments les
plus importants appartiennent à sa traduction des Phénomènes
d'Aratus, dont un morceau de quatre cent quatre-vingts
vers nous a été conservé par un manuscrit du
IXe siècle (Harleianus, 647); mais
d'autres vers ont été cités par Lactance,
Priscius, Servidus et surtout par Cicéron lui-même dans le
De Natura deorum (II, 41-43). Le De Divinatione renferme aussi (I,
7, 9), une vingtaine de vers traduits des Diosêmeia
d'Aratus, appelés par Cicéron Pronostica.
C'est encore dans le texte du De Divinatione que nous trouvons deux
passages considérables tirés de ses essais épiques.
Cicéron, non content de raconter en même temps qu'Atticus
son consulat en prose grecque (Ad Att., II, 1), et de demander à
Posidonius de Rhodes,
à Lucceius de conserver le souvenir de sa belle conduite, avait
écrit sur le même sujet un poème latin en trois chants
(Ad Att., I, 19). Le fragment conservé a près de quatre-vingts
vers. Il composa aussi un poème en l'honneur de son compatriote
Marius; il en reste trois fragments dont un de
treize vers cité dans le De Divination (I, 47). Enfin, outre
son poème sur son consulat, il composa trois livres De suis temporibus,
comme un témoignage de sa reconnaissance envers ceux qui avaient
facilité son retour de l'exil et particulièrement envers
Lentulus cet ouvrage est donc de l'an 53 et contemporain du De Oratore;
c'est là que se trouvaient les vers bien connus :
Cedant
arma togae, concedat laurea linguae.
O
fortunatam natam me consule Romam.
(V.
Ad. fam., I, 9, 23; Quint., XI, 1; in Pisonem, 3; Juvénal, Sat.,
X, 122).
On attribue encore à Cicéron
un ouvrage intitulé : Leimwn
( = le pré) d'où Suétone,
dans la Vie de Térence, cite une
épigramme sur ce poète; Pline
le Jeune (Ep., VII, 4) fait allusion à une autre épigramme
sur Tiron, et Servius (Virg., EgI., I, 58) cite une élégie
de Cicéron avec le titre de Tamelastis (Thamelastis, Temelastis,
Talemgais). (A. Waltz).
Philosophie.
Cicéron tient une place honorable
dans l'histoire de la philosophie,
bien qu'il ne compte pas comme penseur original. Il a servi très
utilement la philosophie par ses ouvrages, car il en a répandu le
goût et étendu la connaissance parmi les Romains
de son temps, en l'associant à l'éloquence et au souci de
la vie publique; il a, de plus, laissé dans ses écrits philosophiques
une mine précieuse de renseignements historiques, d'indications,
d'argumentations, et un fonds d'idées générales élevées
et pures, destinées par là même autant que par la beauté
de l'expression à devenir le bien commun
de la conscience spiritualiste de l'humanité. La vie humaine non
exceptionnelle, mais complète, l'histoire, la politique, les affaires
même n'ont jamais été plus près que chez ce
philosophe, orateur et homme d'Etat, de vouloir se rejoindre et s'entendre
avec la philosophie. Enfin Cicéron demeure en philosophie un esprit
éminemment excitateur grâce au tour discursif de ses écrits
dialogués, en forme d'exposition contradictoire et de plaidoyers,
nourris d'allusions aux différentes écoles, de preuves, de
réfutations et d'essais de conciliation, la lecture de Cicéron
est très propre à éveiller chez les étudiants
philosophes le goût de l'histoire et celui de la discussion, le goût
de l'érudition et celui des idées.
Venu à Rome dès l'âge
de seize ans (91), Cicéron vécut d'abord près de l'augure
et jurisconsulte Q. Mucius Scaevola qui avait
entendu l'académicien'
Carnéade à Rome et plus
tard le stoïcien'
Panétius. Il étudia aussitôt
la philosophie en vue de l'éloquence, comme il étudiait le
droit, l'histoire et les poètes. Il écouta d'abord les leçons
de l'épicurien'
Phèdre qu'il apprécia fort, mais sans goûter
sa doctrine; puis il entendit l'académicien Philon de Larisse qui
avait quitté la Grèce pour Rome par suite de la guerre de
Mithridate; Philon lui fit admirer Platon
et lui conseilla de traiter un même sujet en deux façons contraires.
Avec le stoïcien Diodote, qui restera son
ami, l'hôte de son toit et qui lui léguera son avoir, il s'exerça
dans la dialectique, et il déclamait en grec. Il lut en partie Xénophon
et Platon, il traduisit les Economiques et le Protagoras,
et (en vers) les poèmes astronomiques d'Aratus.
Il traduira plus tard les premiers chapitres du Timée
de Platon. En l'année 79 il passa six mois à Athènes,
où il suivit les leçons d'Antiochus
d'Ascalon, disciple de Philon, qui réconciliait dans une doctrine
éclectique la Nouvelle Académie
et Platon avec le stoïcisme. Il y entendit à nouveau Phèdre
et un autre épicurien, Zénon. L'année
suivante, à Rhodes, il se fortifia dans la connaissance du stoïcisme
avec Posidonius d'Apamée,
disciple de Panétius. Aristote et Théophraste
entrèrent en partie dans le cercle de ses lectures. Mais les grands
originaux des principales écoles grecques semblent ne lui avoir
été connus dans leur ensemble que de seconde main.
Ainsi muni et renseigné au contact
des trois écoles qui étaient vivantes de son temps, l'Epicurisme,
le Stoïcisme et la nouvelle académie
(Platonisme),
Cicéron composa ses écrits : la philosophie morale y prédomine,
l'épicurisme seul y est radicalement combattu, l'esprit du stoïcisme
y circule, détaché de sa physique et allégé
de ses paradoxes, adouci par l'influence indirecte d'Aristote,
par l'inspiration de Platon et de Socrate,
dans un courant d'idéalisme pratique
et tempéré; le probabilisme
académique de Carnéade et l'éclectisme
d'Antiochus sont la marque commune des
compositions philosophiques de Cicéron. Dans la plupart, il reproduit
les expositions et les argumentations tirées de ses maîtres
grecs Phèdre, Antiochus, Posidonius,
etc., dont il avait le texte sous les yeux, y mettant du sien la disposition,
le style et aussi le tour d'esprit direct et pratique d'un Romain
homme d'Etat.
Dans les années 54 à 51 il
composa ses écrits politiques, le De Republica,
dont nous n'avons que des fragments, et le De Legibus, publié
vraisemblablement après sa mort. Après la bataille de Pharsale
et la mort de sa fille chérie Tullia (46), Cicéron désespéré
se plongea violemment dans l'étude et, en vingt mois, il écrivit,
avec la Consolation (immortalité de l'âme)
et l'Hortensius (éloge de la philosophie)
qui sont tous deux perdus, la série de ses ouvrages proprement philosophiques.
Ce sont : les Paradoxes des Stoïciens
(quelques pages à M. Brutus où il
justifie, en forme d'exercice, six paradoxes
de la morale des stoïciens); les Académiques
(théories de la connaissance), en
deux éditions avec changements : il reste un livre de chacune; le
De Finibus bonorum et malorum (problème moral du souverain
bien); les Tusculanes (dissertation sur le mépris de la mort
et la destinée de l'âme, sur la douleur, les passions, la
vertu et le bonheur); le De Natura deorum,
le De divinatione, où il nie la divination
contre les Stoïciens, et le De Fato (sur les questions de philosophie
religieuse et les problèmes de la providence,
du destin et de la liberté);
le De senectute et le De Amicitia, le De gloria, ouvrage
perdu ainsi qu'un traité des Vertus; enfin le De officiis
en trois livres (l'honnête, l'utile, leurs conflits et leur accord),
achevé avant la fin de l'année 44. S'élevant contre
la superstition populaire et contre le
Destin des philosophes, Cicéron s'inclinait en homme d'Etat patriote
devant l'utilité politique du culte national, et, sans dogmatiser,
il professait sur l'âme et l'immortalité, sur Dieu
et sa providence une croyance philosophique qui était une sorte
de religion morale naturelle. De même que, en politique, il louait
dans la théorie la constitution mixte et pondérée
de Rome au temps des Scipions, et qu'il avait,
dans la pratique, tenté de former un parti mixte des honnêtes
gens, de même en philosophie il fond et allie les doctrines, l'épicurisme
excepté, et son éclectisme probabiliste
s'attache surtout au parti de l'honnête, à l'idée de
la virtus propter se expetenda, commune aux écoles idéalistes
grecques. (P. Souquet).
Ouvrages divers.
Plutarque
nous apprend que Cicéron avait l'intention de composer une histoire
de Rome
et d'y faire entrer beaucoup de récits et de discours concernant
la Grèce. Il se faisait une
haute idée des exigences de l'histoire (De Orat., II, 15);
le Brutus démontre qu'il était capable d'y réussir.
Sa mort prématurée l'a empêché de réaliser
son projet, et il n'a écrit dans ce genre que son Commentaire
en grec sur son consulat (Ad Att., I. 19), un autre livre intitulé
Anecdota, ouvrage secret, suivant Dion Cassius
(XXXIX, 10) et qui se confondrait avec un écrit désigné
par Asconius sous le titre de Expositio
consiliorum suorum (Asconius in orat. in toga cand.; Saint-Augustin,
Contra Julianum, V, 5). Pline l'Ancien cite
plusieurs fois un traité de Cicéron intitulé Admiranda
et dans ces passages il est question de phénomènes naturels
(Hist. nat., XXIX, 3 et XXXI, 2). Enfin Quintilien
parle d'un recueil des bons mots de Cicéron réunis par Tiron,
à qui il reproche de n'avoir pas été assez sobre dans
son choix (Inst. or., VI, 3). Mentionnons encore, parmi les ouvrages
qui lui ont été faussement attribués, outre ceux dont
il a été question plus haut, quelques traités de grammaire
(Synonyma, Différentia Ciceronis, De Proprietatibus verborum). |
|