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Superstition
(du latin superesse, être superflu, ou de superstare, s'élever
au-dessus, être au delà ), mot par lequel les Anciens entendaient en général
une crainte vaine et excessive des dieux, qui
donnait naissance à des pratiques étranges. II eut chez les Romains un
sens restreint : il désignait tous les rites étrangers à la religion
romaine, tout culte non autorisé. Quand le christianisme
se répandit, le titre méprisant de superstition fut appliqué à toute
pratique entachée de paganisme et qui tendait à dénaturer la religion
nouvelle.
Lutte d'Epicure
contre la superstition
« Dans le temps
où l'homme avili rampait sous les chaînes pesantes du fanatisme, tyran
qui, du milieu des nues, montrait sa tête épouvantable, et dont l'oeil
effrayant menaçait d'en haut les mortels, un homme né dans la Grèce
osa le premier lever contre lui ses regards, et le premier refusa de s'incliner.
Ni ces dieux si vantés, ni leurs foudres, ni le bruit menaçant du ciel
en courroux ne purent l'intimider : son courage s'irrita par les obstacles;
impatient de briser l'étroite enceinte de la nature, son génie vainqueur
s'élança au delà des bornes enflammées du monde, parcourut à pas de
géant les plaines de l'immensité, et, triomphant, revint dire aux hommes
ce qui peut ou ne peut pas naître, et comment la puissance des corps est
bornée par leur essence même. Ainsi la superstition fut à son tour foulée
aux pieds, et sa défaite nous rendit égaux aux dieux.
Mais je crains, ô
Memmius! que tu ne m'accuses de t'ouvrir une école d'impiété, et de
te conduire dans la route du crime c'est au contraire la superstition qui
trop souvent inspira des actions impies et criminelles. Ainsi jadis en
Aulide l'élite des chefs de la Grèce, les premiers héros du monde, souillèrent
l'autel de Diane du sang d'Iphigénie. Quand le bandeau funèbre eut
paré la chevelure
de là jeune princesse et flotté le long de ses joues innocentes, quand
elle vit son père, debout et morne, au pied de l'autel, à côté de lui
les sacrificateurs qui cachaient sous leurs robes le couteau sacré, et
le peuple en larmes autour d'elle, muette d'effroi, elle tomba sur ses
genoux comme une suppliante. Que lui servait, dans cet instant fatal, d'avoir
la première donné le nom de père au roi de Mycènes? Des prêtres la
soulèvent et la portent tremblante à l'autel, non pour la reconduire
au milieu d'un pompeux cortège après la cérémonie de l'hyménée, mais
pour la faire expirer, pure victime d'une rage odieuse, sous les coups
de son père, au moment même que l'amour destinait à son mariage. Et
pourquoi? pour que la flotte des Grecs obtienne un heureux départ. Tant
la superstition inspire aux hommes de barbarie!
Toi-même, ô Memmius!
fatigué par les récits effrayants des poètes de tous les siècles, tu
me fuiras peut-être, craignant de trouver aussi dans mon poème des songes
lugubres, capables de troubler tout le système de ta vie et d'empoisonner
ton bonheur par la crainte. Et tu aurais raison : car, si l'homme voyait
un terme fixé à ses maux, il aurait au moins quelque ressource contre
les menaces de la superstition et des poètes. Mais il n'a aucun moyen
pour se défendre, aujourd'hui qu'il a des peines éternelles à redouter
après la mort. Car il ignore quelle est la nature de son âme. »
(Lucrèce,
De Natura rerurn, I, 1, v. 63; trad. Lagrange).
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Les théologiens catholiques définissent
ainsi la superstition : péché contraire à la vertu de religion (chrétienne),
par lequel on transporte à la créature le culte qui n'appartient qu'Ã
Dieu seul, ou par lequel on rend à Dieu un culte
défectueux, en faisant entrer dans ce culte des manières qui ne lui conviennent
pas. Dans tout culte, il faut donc considérer deux choses :
1° l'objet auquel on le rend;
2° la manière dont il est rendu.
Lorsqu'on rend un culte au démon
ou à quelque autre créature, ce culte est superstitieux par rapport Ã
l'objet, parce qu'on met une créature à la place de Dieu. Lorsqu'on fait
entrer dans le culte rendu à Dieu des pratiques on des intentions basses,
indécentes, vaines, superflues, le culte est superstitieux par rapport
à la manière.
Par rapport à l'objet, il y a six sortes
de superstitions : l'idolâtrie, la magie, le maléfice, le pacte, implicite
ou explicite, avec les démons, la divination
et la vaine observance. Par rapport à la manière, il y en a deux sortes
:
1° le culte faux, qui consiste
à rendre à Dieu un honneur aboli ou spécieux, par exemple, en observant,
comme religieusement obligatoires, la loi de Moïse,
en vénérant de fausses reliques, ou en annonçant de faux miracles;
2° le culte superflu, qui consiste Ã
employer dans l'exercice de la religion certaines choses dont l'Église
ne se sert point, et qui sont vaines et inutiles, comme d'ajouter à la
messe, ou à l'administration des sacrements, des cérémonies autres que
celles qui sont indiquées dans les rubriques.
Les superstitions qui ont pour cause la simplicité
ou l'ignorance, continuent ces théologiens, et qui ne proviennent que
d'un culte superflu, qui n'est ni faux, ni indécent, ni injurieux à Dieu
ou à l'Église, ne sont point mortelles de leur
nature. Telle est celle qui fait rougir au feu la clef d'une église dédiée
à Saint-Pierre, et l'applique sur la tête des boeufs,
des chiens et d'autres animaux,
pour les guérir de la rage. Il était recommandé aux curés de travailler
à l'abolition des superstitions de ce genre, mais seulement de l'avis
et consentement de l'évêque, et lorsqu'ils pouvaient le faire sans scandaliser
la foi du peuple.
Cette lutte contre les superstitions n'a
pas été complètement heureuse, puisque, aujourd'hui même, certains
esprits croient encore aux songes, aux présages,
aux nombres et aux jours funestes, aux accidents qui portent malheur, etc.
Parmi les chrétiens aussi, il n'est pas rare de trouver des superstitions
d'un autre genre, et l'on peut consulter, entre autres ouvrages sur ce
sujet, ceux du P. Lebrun, Sur les pratiques superstitieuses (Paris,
1732-1736, 4 vol. in-12),, et de J.-B. Thiers, Traité des superstitions
selon l'Écriture sainte, 1769, in-12.
Les humains deviennent plus superstitieux
à mesure qu'ils éprouvent un plus grand nombre d'accidents dans le cours
de leur vie; les joueurs et les marins en sont la preuve frappante. La
superstition, étant le résultat d'un sentiment mal raisonné, se fonde
souvent sur des faits vrais; par exemple, beaucoup de chrétiens regardent
le vendredi comme un jour funeste, parce que
c'est ce jour-là qu'est mort Jésus, et elles
n'entreprendraient rien un vendredi. D'autres ont une crainte superstitieuse
pour le nombre 13, probablement parce que Judas était le 13e
apôtre de Jésus. (A19 / E.-H. Vollet.).
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14, mieux
que 13!
A la vérité, il
y a mieux que le chiffre treize, pour distraire un superstitieu, c'est
le chiffre... quatorze. Voici un calcul qui a été fait, d'après le Journal
des règnes de Henri III et Henri IV, par
L'Estoile, sur le nombre 14; nous livrons donc ce calcul aux gens qui ont
la superstition du 13...
Henri IV naquit 14
siècles, 14 décades et 14 ans après la nativité de Jésus; il vit le
jour un 14 décembre, et mourut un 14 mai, il y avait 14 lettres dans son
nom (Henri de Bourbon); il vécut quatre fois 14 ans, quatre fois 14 jours
et 14 semaines; il fut roi, tant de France que de Navarre, 14 triétérides
(période de 3 ans); il fut blessé par Jean Châtel 14 jours après le
14 décembre, en l'année 1594, entre lequel temps et celui de sa mort
il n'y a que 14 ans, 14 mois et 14 fois cinq jours; il gagna la bataille
d'Ivry
le 14 mars; le dauphin naquit 14 jours après le 14 septembre, et fut baptisé
le 14 août; le roi fut tué le 14 mai, 14 siècles et 14 olympiades après
l'Incarnation; l'assassinat eut lieu deux fois 14 heures après que la
reine était entrée en pompe dans l'église de St Denis pour y être couronnée;
Ravaillac fut exécuté 14 jours après la
mort du roi, en l'année 1610, laquelle se divise justement par 14, car
115 fois 14 font 1610.
Sous la Restauration,
le gouvernement fit fondre d'un seul jet, dans les ateliers du Roule, Ã
Paris, une statue colossale, haute de 8 m,
de l'infortuné roi Louis XVI. Au moment où
l'on voulut la retirer du moule, on s'aperçut d'un singulier accident
: la tête était séparée du corps, et la statue sortit décapitée.
C'était l'effet d'un bouillon produit par le refroidissement de la matière.
L'explication put être donnée sur-le-champ; mais les témoins du fait
n'y virent pas moins un funeste présage pour la royauté. |
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Jean
Verdon, Les superstition au Moyen âge, Perrin, 2008. - Rien
n'est plus naturel que le surnaturel! La magie
qu'on pratique pour se débarrasser d'un intrus, les superstitions,
la sorcellerie ont connu un véritable âge
d'or. Tout au long du Moyen Âge, il n'y
a rien de choquant à consulter la sorcière ou le "magicien", à invoquer
le ciel ou les astres avant de se lancer dans une action. Jean Verdon revient
sur ces pratiques et raconte leur histoire à travers le paganisme qui
domine encore les esprits aux temps médiévaux, infiltrant les pratiques
religieuses les plus sérieuses comme le pouvoir des reliques...
L'ouvrage, en s'appuyant sur de nombreux exemples, retrace en creux l'histoire
de nos campagnes françaises où certaines superstitions ou pratiques magiques
sont encore vivaces. (couv.).
En
bibliothèque - Fr. Bernard, Superstitions
anciennes et modernes, Amsterdam, 1733-36, 2 vol. in-fol.; Pluquet,
De la Superstition, 1804; J.-B. Thiers, Traité des superstitions
selon l'Ecriture sainte; Paris, 1679, in-12. |
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