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Le
premier âge de la Bactriane
Les
premières traces d'occupation humaine en Bactriane remontent au Néolithique
(environ 6000 av. JC), avec des populations vivant de l'agriculture et
de l'élevage. Les archéologues ont découvert des outils en pierre
et des vestiges de villages dans la région, indiquant une transition progressive
vers une société sédentaire.
Vers le début de
l'Age du bronze (vers 3000-2000 av. JC),
la Bactriane devient un centre majeur de peuplement dans la région de
l'Oxus (aujourd'hui l'Amou-Daria ).
Cette période voit l'émergence de la civilisation de l'Oxus ( Histoire
de l'Asie centrale). La civilisation de l'Oxus est florissante entre
2300 et 1700 av. J-C. La région devient un centre urbain et commercial
important avec des villes comme Gonur Tepe, Mundigak et Shortugai. Ces
cités montrent des signes d'urbanisation avancée, de techniques agricoles,
d'irrigation et d'artisanat sophistiqué. La Bactriane devient aussi
un centre de fabrication de métaux, notamment pour les outils et les armes
en bronze, qui sont ensuite échangés avec d'autres civilisations de
la région. La Bactriane développe des contacts commerciaux étroits avec
les grandes civilisations voisines, notamment la vallée de l'Indus au
sud (civilisation de Harappa), la Mésopotamie
et
l'Iran occidental (civilisation d'Elam).
Ces échanges sont facilités par la route reliant l'Inde et le Proche-Orient,
faisant de la Bactriane un carrefour culturel.
Entre 2000 et 1500
av. JC, des populations indo-iraniennes, venues probablement des steppes
eurasiatiques, migrent progressivement vers l'Asie centrale. Ces peuples
apportent avec eux de nouvelles pratiques culturelles et linguistiques,
dont les premières formes de religion proto-iranienne. C'est dans cette
région que se développe le zoroastrisme,
une religion qui influence profondément les croyances de l'Asie centrale
et de la Perse.
À partir de 1500
av. JC, la Bactriane passe sous l'influence de plusieurs puissances voisines
:
• Les
Mèdes. - Vers le VIIIe siècle av.
JC, les Mèdes, une population indo-iranienne,
fondent un empire qui s'étend sur une grande partie de l'Iran actuel
et atteint les frontières de la Bactriane. Bien que la domination mède
sur la Bactriane soit incertaine, les contacts entre les deux régions
sont attestés, et la Bactriane adopte probablement certains aspects de
la culture mède.
• L'Empire achéménide.
- En 550 av. J.-C., la Bactriane est conquise par Cyrus
le Grand, fondateur de l'Empire perse achéménide.
Elle devient alors une satrapie (province) de cet empire et est administrée
par un satrape (gouverneur). L'empire achéménide consolide l'intégration
de la Bactriane dans un réseau commercial qui relie l'Asie centrale
au Moyen-Orient et au monde méditerranéen. La région est connue pour
sa richesse, notamment pour ses chevaux et ses métaux précieux.
La
Bactriane dans les anciens textes
Les Anciens désignaient
sous le nom de Bactriane tout le pays situé dans l'Asie Centrale, entre
le fleuve Oxus au Nord et au Sud, les montagnes du Paropamisus (ou plus
correctement Paropanisus). La plus ancienne mention se trouve dans l'inscription
de Bisitoun; au nombre des satrapies que cite Darius
Iercomme
faisant partie de l'empire perse
(vers 500 av. J.-C),
se trouvent, en effet, mentionnés : «-Bakhtri,
Suguda, Uvarazmiya, Aria-»
et, dans le texte assyrien (ligne 6), «-Paruparaesana-»
ou le pays des Paropamisades. C'est à Cyrus ler,
lors de son expédition chez les Massagètes vers l'an 550,
qu'il faut faire remonter la conquête de tout le vaste territoire s'étendant
de la Médie jusqu'au fleuve Iaxarte, près duquel il éleva une ville
assez importante, Cyropolis
(auj. Zamin) dont Alexandre
fit plus tard le siège. La conquête de la Bactriane par Ninus
et Sémiramis en 2180
av. J.-C. racontée par Diodore
de Sicile, est une pure légende forgée à l'époque achéménide
et recueillie par Ctésias : il en est de même
de l'expédition de l'Egyptien Osymandias, en Bactriane, racontée par
le même Diodore. Quant à la mention du pays de Dahi et de la ville de
Tuhkarri qui se trouve dans une inscription de Sennachérib
(vers 690)
et qui se rapporterait aux populations scythes des Dahae et des Tochares
voisines de la Bactriane, la lecture du texte cunéiforme dans ce passage
n'est pas encore assez certaine pour qu'on puisse y ajouter foi.
La Bactriane figure
encore sur la liste des satrapies que nous donne Hérodote
au temps d'Artaxerxès ler
et il y avait un corps de troupes bactriennes dans l'armée de Xerxès.
A cause de son éloignement, cette province servait aux rois de Perse
de lieu d'exil. Nous savons, par Hérodote, que Darius
y avait fait transporter des Grecs
d'Afrique
et, par Strabon, que Xerxès avait fait conduire
en Bactriane des prêtres de Didymes
qui fondèrent la ville des Branchides, laquelle fut détruite plus tard
par Alexandre.
On sait que ce fut un satrape de la Bactriane, Bessus,
qui tua Darius Codoman, en juillet 330,
à Thara, et chercha ensuite à constituer, avec la Parthie
et la Sogdiane ,
un royaume indépendant dont il se fit proclamer chef sous le nom d'Artaxerxès;
mais Alexandre le Grand, déjà maître de toute la Perse, marcha contre
Bessus et s'empara, à la suite d'une campagne célèbre, de tout le territoire
jusqu'Ã l'laxarte (329-327
av. J.-C.). C'est ainsi que la Bactriane
se trouvait, avec la Sogdiane et une partie de la Chorasmie ,
dans le domaine de l'empire d'Alexandre à sa mort (juin 323).
A la suite de l'expédition
d'Alexandre et des récits (malheureusement
perdus pour nous) que publièrent ses généraux et ses historiographes,
la Bactriane fut visitée et décrite par plusieurs voyageurs grecs, tels
que Aristobule, Apollodore, Eratosthène,
Eudoxe,
sur les travaux desquels Strabon écrivit sa
Géographie. D'après ce dernier, la capitale de la province était
Bactres ,
sur le fleuve de ce nom qui traversait la ville et se jetait dans l'Oxus;
son autre nom était Zariaspa. Arrien, au contraire,
en fait deux villes distinctes. Suivant Justin,
Alexandre avait fondé douze villes en Bactriane et en Sogdiane ;
Strabon et Ptolémée en citent, en effet, un
grand nombre, parmi lesquelles : Drapsaca ou Adrapsa, Choana, Alichorta,
Astacana qu'il serait difficile d'identifier, Maracanda (auj. Samarcande ),
Alexandrie
d'Oxiane, Alexandrie de Tanaïs (Alexandreschata, auj. Khodjend), Eucratidia,
ainsi nommée du nom du roi, son fondateur; sa position est inconnue.
Les fleuves de la
contrée, d'après les géographes anciens, étaient : l'Oxus avec ses
deux affluents, l'Orgomanes et l'Occhus; il se jetait alors dans la mer
Hyrcanienne (depuis il a changé son cours et tombe dans le Sud de la mer
d'Aral ,
c'est l'Oueï des Chinois ,
le Djihoun des Arabes, l'Amou-daria des Turcs );
le Margus (auj. Mourghâb) sur lequel fut fondée une Alexandria Margiana,
appelée plus tard Antiochia (auj. Merv); le Zariaspis ou Bactrus et l'Artamis,
son affluent, d'après Ptolémée; le Polytimetus
(auj. Zarafchân) qui tombe aujourd'hui dans le lac de Karakeul en Sogdiane .
Pline
cite encore le Gridinus, le Mandrus et l'lcarus, dont l'identification
n'est pas certaine.
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Le
royaume grec de Bactriane.
Historiographie
et numismatique
L'histoire de la Bactriane comprend non
seulement celle des souverains grecs qui, après s'être révoltés contre
le joug des Séleucides, fondèrent en Bactriane
et au Sud de Paropamisus divers royaumes ou principautés absorbés plus
tard et après bien des vicissitudes par les Scythes; mais encore le récit
de tous les événements qui se sont passés dans l'Iran
oriental, la vallée de Kaboul ,
les bords de l'Indus et dans le Pendjab pendant environ trois siècles,
depuis la révolte de Diodote, ou même depuis la mort d'Alexandre
jusqu'à la fin de la conquête de l'Inde
par les Kouchans. En d'autres termes, c'est l'histoire de tous les princes
grecs ,
scythes ou indo-parthes qui ont frappé
monnaie, dans cette partie de l'Asie, avec des légendes grecques et indiennes.
A défaut de documents historiques, c'est à la numismatique qu'il a fallu
avoir recours, pour commencer, pour établir la série des différents
souverains qui se sont succédé pendant cette période de plus de trois
cents ans; sans les découvertes qui ont été faites par les archéologues
anglais dans le sol de l'Inde, depuis un siècle et demi, cette histoire
eût été pratiquement impossible et nous en serions encore réduits aux
cinq ou six rois connus du temps de Bayer et d'Eckhel. L'étude des monnaies
bactriennes est donc ici, plus qu'ailleurs, d'une importance exceptionnelle
pour contrôler et surtout compléter les rares connaissances que nous
ont laissées les Anciens .
On a trouvé aussi un grand secours dans les historiens chinois de l'époque
des
Han, qui nous ont transmis des renseignements et
des détails fort précieux sur les événements dont ils avaient été,
pour ainsi dire, les témoins et sur les pays visités par des émissaires
officiels. C'est à ces diverses sources qu'il faut puiser pour jeter les
bases, tracer les cadres d'une histoire de la Bactriane et des successeurs
d'Alexandre en Inde, sans toutefois nourrir l'espoir de pouvoir, quant
à présent du moins, élucider tous les points ni fixer, d'une manière
certaine, aucune chronologie.
L'histoire en
pièces.
D'après ce qu'on a vu ci-dessus, la numismatique
joue un rôle important dans l'histoire de la Bactriane, puisque, sans
elle, cette histoire serait à peu près nulle. Lorsque Théophile
Bayer écrivait, en 1738, son histoire
des rois grecs de Bactriane, le premier ouvrage sur la matière, il ne
connaissait que les deux Diodote, Euthydème, Apollodote, Ménander, Eucratidès
et Demétrius, qu'il confondait avec Demétrius Nicator de Syrie. La science
n'était pas plus avancée, cinquante ans plus tard, lorsque Eckhel publiait,
en 1794, le tome III de sa Doctrina
Numorum; il ne connaissait qu'une monnaie à légende bactrienne qu'il
appelait langue parthique. En 1799,
Mionnet publia la première monnaie d'argent d'Helioclès; en 1822,
Koehler fait connaître Antimaque Theos; en 1829,
le colonel Tod de l'armée anglaise en Inde
publia, dans le premier volume des Transactions of the Royal Asiatic
Society, les premières pièces d'Apollodote et de Ménander dont l'existence
était révélée par les historiens classiques. Depuis cette époque,
les découvertes dans le sol de l'Inde ont été toujours croissant et
la numismatique comme la science épigraphique de cette contrée ont été
considérablement enrichies. C'est au colonel Tod, au général Ventura
(1830), Ã Alexandre Burnes (1833),
à Ch. Masson et au Dr Honigberger (1834)
que l'on doit la découverte de presque tous les rois grecs, indo-scythes
ou indo-parthes, dans les environs de Kaboul,
à Bagram, Peshawar, Manikyala et le Haut-Pendjâb. Des dizaines de milliers
de médailles ont été ainsi trouvées dans les tumuli bouddhistes
(Stûpa ou Thûpi d'où le mot tope).
La connaissance complète et le classement
de ces diverses monnaies ne furent possibles que du jour ou on put déchiffrer
les légendes en caractères inconnus qui accompagnaient presque toujours
la légende grecque. James Prinsep, secrétaire de la Société asiatique
du Bengale ,
est le véritable déchiffreur et lecteur des écritures de l'Inde
ancienne. Il découvrit l'alphabet indo-pali, en 1834, par le déchiffrement
des inscriptions des piliers d'Allahabad et des édits d'Ashoka;
mais il ne parvint à lire l'alphabet bactrien que plus tard, en s'attachant
d'abord aux noms propres comme avait fait Champollion
pour le texte de Rosette; son grand mémoire
On the Discovery of the Bactrian alphabet est de juillet 1838.
Depuis lors et grâce aux travaux de Raoul Rochette, Grotefend, Lassen,
Wilson, Alexander Cunningham, Edward Thomas, Sallet, Perey, Gardner et
beaucoup d'autres, la lecture et le classement des monnaies grecques Ã
légendes bactriennes ont fait un grand pas; des progrès ont encore été
accomplis au siècle suivant, mais il reste encore des points obscurs sur
la chronologie, comme sur la géographie historique de ces contrées.
La langue.
Sauf pour les deux premiers rois, Diodote
et Euthydème, les légendes de toutes les monnaies des rois de Bactriane
et de leurs successeurs sont en grec et en bactrien, mot généralement
reçu pour désigner la deuxième langue inscrite sur ces monnaies et les
caractères employés. Mais en réalité, cette langue était plutôt celle
que l'on parlait non en Bactriane, mais au Sud du Paropamisus et dans le
Nord de l'Inde
dans les trois premiers siècles avant notre ère, et plusieurs siècles
après l'ère chrétienne, un dialecte populaire dérivé du sanscrit et
qui est à peu près le même que le prâkrit monumental des inscriptions
d'Ashoka. Quant aux caractères, ce sont, pour
toutes les monnaies de la série, ceux de l'alphabet dit du Nord-Ouest
ou bactro-pali, qui était plus particulièrement usité en Inde, à l'Ouest
de l'Indus. Deux souverains, Pantaléon et Agathoclès, sont les seuls
qui aient employé sur leurs monnaies l'autre alphabet indien, dit indo-pali.
La plus ancienne monnaie bilingue est de Demétrius,
vers 190 ou 180
av. J.-C. aussitôt après la conquête des Paropamisades.
Les légendes en caractères bactriens
contiennent la traduction de la légende grecque avec l'amplification orientale,
ainsi le basileus basilewn
devient maharaja raja diraja « grand roi, roi au-dessus des rois
»; les différentes épithètes, adoptées par la titulature des rois
grecs, sont rendues en prâkrit par : dhramikasa (au génitif) «
juste », tradatasa « défenseur, sauveur », apratihatasya
et aparajitasa « invincible›, jayadharasa « Nicator »,
pratitchahasa
« illustre, Epiphane », priyapita « Philopator », etc. On rencontre,
en outre, des expressions propres à la terminologie indienne, telles que
: devatrata « protégé par les dieux »,
apratihatatchakra
« invincible avec la roue », jayamta « conquérant », Tchahatrapa
mahatchahatrapa « grand satrape »,sarvalogaisvara, « prince
du monde entier », etc. Enfin, ce qui donne encore un grand intérêt
à ces légendes indiennes, c'est qu'on y trouve la transcription en prâkrit
des noms propres grecs ou scythes écrits en grec et qu'on n'aurait pu
déchiffrer sans le concours de cette seconde écriture. C'est ainsi, par
exemple, que grâce à cette double transcription, on a pu retrouver (fait
important à noter) sous la forme grecque quelque peu altérée de Korano,
Zao, Zao, les mots Kouchan et Yue qui sont les noms scythes
de la tribu conquérante, tels que nous les avaient fait connaître les
historiens chinois.
La religion.
On a cru pendant longtemps que le Zoroastrisme et
l'Avesta
étaient originaires de la Bactriane, pays qui, du reste, avait conservé
auprès des Perses
une réputation de sainteté dans les légendes religieuses de l'ancien
Iran. Par suite de cette idée, les savants allemands (Spiegel, Schleicher)
avaient donné la nom d'ancien bactrien (altbalktrisch) au zend,
qui est la langue de l'Avesta. En fait, les Bactriens et Sogdiens
formaient, avec les Mèdes et Iraniens, avant les invasions scythes, une
population de langue indo-européenne, dont il ne nous est rien resté
(car la langue des monnaies est celle des pays au Sud du Parapamisus),
mais qui était de la même famille que le zend. La religion était celle
de Zoroastre. Après l'occupation scythe et vers le milieu du Ier
siècle avant notre ère, tout le pays devint bouddhiste
et il a conservé cette religion jusqu'à l'invasion arabe, qui a imposé
l'Islam .
(E. Drouin).
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