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Agrippa

Agrippa est un philosophe sceptique sur lequel nous ne possédons que peu de renseignements. Ce n'est que par des conjectures, il est vrai assez plausibles, qu'on peut assigner l'époque où il vécut : la fin du ler siècle ap. J.-C. et le commencement du second. Il n'est pas mentionné dans la liste des chefs de l'école sceptique, de ceux qui avaient reçu l'héritage et la tradition des maîtres. Pourtant il fut assez célèbre pour qu'un autre sceptique, Appelles, ait pris son nom pour en faire le titre d'un de ses ouvrages. 

Tout ce que nous savons d'Agrippa, c'est qu'il ramena à cinq les raisons de douter, ou tropes, tandis que ses prédécesseurs, Aenésidème entre autres, en distinguaient dix. C'est Diogène Laerce qui nomme Agrippa comme l'auteur de cette réduction. Sextus Empiricus, à qui nous devons les renseignements les plus précis et les plus abondants sur le scepticisme antique, ne prononce pas une seule fois son nom; mais il expose les cinq tropes dont parle Diogène en les attribuant simplement aux nouveaux sceptiques. Il semble donc, d'après ce témoignage précis, que, contrairement à l'usage qui a prévalu parmi les historiens, c'est Agrippa plutôt qu'Aenésidème qu'il faut considérer comme le fondateur et le chef du nouveau scepticisme. 

Les cinq tropes auxquels Agrippa ramène toute l'argumentation sceptique sont le désaccord, le progrès à l'infini, la relation, l'hypothèse et le diallèle

1° Toute chose qui est en question est connue, soit par les sens, soit par la raison. Mais, quelle qu'elle soit, il y a désaccord et entre les philosophes, et entre les croyances ou les coutumes de tous les humains. Les uns estiment que seules les choses sensibles sont vraies; les autres réservent cette qualification aux choses intelligibles; d'autres encore l'attribuent tantôt à des choses sensibles, tantôt à des choses intelligibles. Entre toutes ces dissidences, il est impossible de faire un choix : le plus sage est donc de demeurer en suspens, de ne dire ni oui, ni non. Tel est le trope du désaccord

 2° Veut-on pourtant prendre un parti ? Il faudra donner des raisons. On prouvera la vérité d'une chose sensible en invoquant une chose sensible ou celle d'une chose intelligible en invoquant une chose intelligible. Mais ces dernières ont elles-mêmes besoin d'être prouvées, et ainsi de suite à l'infini. Voilà le progrès à l'infini

3° Les choses sensibles sont relatives à l'être qui sent, les choses intelligibles à l'être qui pense; car si elles étaient connues en elles-mêmes, abstraction faite de l'être en qui elles sont représentées, elles ne donneraient lieu a aucune controverse. Si tout est relatif, nous n'avons jamais le droit de dire que les choses sont telles que nous les pensons. C'est le trope de la relation

.4° Pour sortir d'embarras, on prendra peut-être pour accordés, et sans démonstration, certains principes qui serviront à la démonstration. Mais c'est faire une hypothèse. Si celui qui la fait ne donne pas de raisons, son adversaire aura, au même titre que lui, le droit de prendre pour accordée l'hypothèse contraire. De plus, tout ce qu'on déduira d'une hypothèse douteuse en elle-même sera douteux. Et quelle que soit la chose qu'on veuille démontrer par ce moyen, à quoi bon ce détour? Ne vaut-il pas mieux prendre tout de suite pour accordé ce qu'on veut démontrer, puisque aussi bien l'hypothèse, à l'aide de laquelle on veut la prouver, n'est pas justifiée davantage?

5° Dira-t-on que le sensible se prouve au moyen de l'intelligible? Mais l'intelligible lui-même, comment se prouve-t-il? Si c'est par l'intelligible, nous retombons dans le progrès à l'infini. Si c'est par le sensible, nous sommes enfermés dans un cercle. Tel est le diallèle.

On trouve encore chez les sceptiques une autre liste qui ne distingue que deux tropes. Mais c'est sans raison valable que des historiens, tels que Saisset, ont attribué cette théorie à Agrippa : elle paraît être de date postérieure. Ménodote en est peut-être l'auteur. Certains  historiens de la philosophie considèrent la liste d'Agrippa comme une simplification de celle d'Aenésidème. C'est une erreur. En dépit de quelques ressemblances, les deux listes diffèrent profondément. Les tropes d'Aenésidème sont dirigés contre la connaissance sensible, probablement parce que, de son temps, les philosophes, stoïciens aussi bien qu'épicuriens, s'accordaient à dire que toute connaissance vient des sens. Les arguments d'Agrippa s'attaquent tout autant à la connaissance intelligible. En outre, Aenésidènie révoque en doute les connaissances que nous avons ou croyons avoir; il tient compte de leur contenu; il en considère les différentes espèces. Agrippa, poussant l'argumentation beaucoup plus loin, veut montrer l'inanité, non seulement de toute connaissance actuelle, mais de toute connaissance possible. C'est la forme même de la connaissance qu'il attaque. Ses prédécesseurs avaient dit que nous ne possédons pas la vérité : il prouve que nous ne pouvons la posséder.

Aussi les cinq tropes d'Agrippa peuvent-ils être regardés comme la forme la plus parfaite que le scepticisme ait jamais prise. Après lui, ses continuateurs dans l'Antiquité, et les modernes, Montaigne et Pascal, ne feront guère que répéter ses arguments : il n'y aura plus rien à y ajouter. Et on peut dire qu'en un sens, les arguments d'Agrippa sont irrésistibles : si on raisonne sur les principes du raisonnement, si on veut les justifier, on se heurte inévitablement à l'un des cinq tropes. Il ne reste qu'à opposer une fin de non-recevoir, à refuser la discussion sur les principes, à les poser comme évidents. Encore Agrippa a-t-il prévu ce moyen de lui échapper; car c'est ce qu'il appelle l'hypothèse. Peut-être faut-il se résigner à dire qu'en dernière analyse la science humaine repose sur des hypothèses ou des postulats. (Victor Brochard).

Menenius Agrippa est un sénateur romain du Ve siècle av. J.-C. Lorsque, en l'an 493 av. J.-C., les plébéiens de Rome se retirèrent sur le mont Sacré, les patriciens envoyèrent dix consulaires pour écouter leurs demandes. Parmi eux était Menenius Agrippa, le plus éloquent et le plus populaire des sénateurs : il raconta aux plébéiens l'apologue des membres et de l'estomac et sut les convaincre de ne faire que des demandes modérées. 

A la même famille appartient un Menenius Agrippa, chargé de conduire une colonie à Ardée (Tite-Live, IV, 10) et un Agrippa Menenius Lanatus, consul l'an 439 av. J.-C.

Marcus Vipsanius Agrippa est un général romain, favori d'Auguste, né l'an 64 av. J.-C., était d'une origine peu relevée, et parvint par son seul mérite aux plus hautes dignités. C'est à lui qu'Octave dut le succès des batailles de Nauloque et d'Actium. Consulté par Auguste, il lui conseilla d'addiquer et de rétablir la république; mais son avis ne fut pas suivi. Il épousa Julie, fille d'Auguste, et fut désigné pour succéder à l'empire; mais il mourut avant l'empereur, l'an 12 av. J.-C., en revenant d'une expédition contre les Pannoniens

C'est Agrippa qui fit construire à Rome le célèbre Panthéon (devenu par la suite Notre-Dame de la Rotonde); Rome lui doit aussi plusieurs aqueducs. Il laissa trois fils qui furent adoptés par Auguste; mais tous périrent de mort tragique. Il eut pour fille Agrippine, qui épousa Germanicus.

Agrippa (floruit 92 ap. J.-C.), cet astronome romain n'est connu que par une observation  citée par Ptolémée (Almageste, VII, 3). Dans la douzième année du règne de Domitien, le septième jour du mois bithynien Métroüs, il observa l'occultation d'une partie des Pléiades par la corne méridionale de la Lune.

Domitien ayant été proclamé empereur en l'an 81 après J. -C., c'est donc en 93 que fut faite cette observation, qui avait probablement pour but de vérifier la précession des équinoxes, découverte par Hipparque. (Hoefer, 1873). 

Diogène Laërce cite un Agrippa parmi les philosophes, comme auteur d'un traité sur les cinq fondements du doute. Peut-être cet auteur est-il le même que l'astronome Agrippa.
Henri-Corneille [Cornelius] Agrippa de Netteisheim est un philosophe et médecin, né  le 14 septembre 1486, à Cologne, d'une famille de petite noblesse. Il cultiva avec succès toutes les sciences connues de son temps.  Il donna dans le scepticisme, puis dans le mysticisme, l'alchimie et la magie, et s'attacha surtout aux doctrines de Reuchlin et de Raymond Lulle. C'est un des esprits les plus étonnants qui aient paru dans cet étonnant XVIe siècle. Il semble refléter en lui l'état des esprits de ce temps, tour à tour crédule et sceptique, enthousiaste et plein de défiance, aussi immodéré dans ses négations que dans ses affirmations. Ses deux plus importants ouvrages sont consacrés, l'un à défendre la magie, l'autre à prouver la vanité de la science.

Sa vie ne fut pas moins aventureuse que sa doctrine. Après avoir été soldat, étudiant en médecine, il parcourt la France et l'Espagne, fonde des sociétés secrètes, fait des expériences d'alchimie, enseigne l'hébreu à Dôle, puis nous le trouvons,  en 1510, après qu'il ait séjourné à Londres, professeur de théologie dans sa ville natale. Il fait à Pavie, plus tard, des leçons sur les écrits supposés d'Hermès Trismégiste.

Accusé de magie, obligé de s'enfuir, nous le retrouvons à Metz en 1518, chargé des fonctions de syndic et d'avocat de la ville. Il fut encore accusé de magie, se réfugia à Genève, se fit nommer médecin de Louise de Savoie, mère de François Ier. Chassé de France par cette princesse qu'il avait insultée, il fut accueilli  à Anvers par Marguerite, gouvernante des Pays-Bas; il y publie en 1530 ses deux grands ouvrages, De vanitate scientiarum et De occulta philosophia. Cette publication lui valut un an d'emprisonnement, de 1530 à 1531. Il finit enfin sa carrière tourmentée à Lyon, selon les uns, à Grenoble, selon les autres, en 1534 ou en 1535. 
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Cornelius Agrippa.
Cornelius Agrippa (1486-1535).

Voici maintenant une analyse rapide de ses deux principaux ouvrages :

• Le De occulta philosophia (1531, trad. par A. Levasseur, 1727) se propose de montrer que la magie est une science véritable, le couronnement et le but de toutes les autres. D'après Agrippa, les sources de notre connaissance sont au nombre de trois : la nature, la révélation et le sens mystique caché dans cette révélation. C'est l'étude de la nature qui a révélé à la magie ses secrets, les moyens dont elle dispose pour faire servir à ses fins les minéraux, les végétaux, les animaux et les éléments; si la révélation nous a donné l'ancienne et la nouvelle loi, la Bible et I'Evangile, c'est le symbolisme caché dans cette révélation qui a fait découvrir aux cabalistes les principaux de leurs secrets. Il n'y a donc pas opposition entre la magie et la théologie issue de la révélation, il y a bien plutôt accord. La magie nous élève de la connaissance de la nature à la connaissance des forces qui causent les phénomènes et de cette connaissance nous pousse à la connaissance du premier principe de toutes choses, à la connaissance de Dieu. Avec son aide, nous pouvons arriver à voir Dieu, tel qu'il existe en lui-même, sans symbole et sans figure. Mais pour arriver à cette connaissance intime de Dieu, il faut se dégager de toute connaissance sensible, de tout attachement personnel; afin de se fondre, pour ainsi dire, dans l'être absolu que l'on contemple. Agrippa reproduit à peu près ici la théorie de l'extase, telle que la donnaient Plotin et ses successeurs de l'école d'Alexandrie. Le but de la magie étant ainsi déterminé, Agrippa passe à l'étude des moyens propres à réaliser ce but. L'univers, suivant lui, est composé de trois mondes ou sphères, la sphère des éléments, la sphère des astres et la sphère des esprits, le monde élémentaire ou physique, le monde céleste et le monde intelligible. Il y a autant de magies qu'il y a de mondes distincts; il y aura donc une magie physique qui étudiera les éléments et les moyens de les asservir, une magie céleste qui étudiera les astres pour y lire leurs lois et les événements de l'avenir, enfin la magie religieuse qui étudia les esprits et cherche à conquérir leur domination. Les trois mondes sont reliés les uns aux autres, les mouvements physiques dépendent des mouvements astronomiques, de sorte que la connaissance des lois célestes suffit pour connaître tout ce qui se passe sur la terre; de là l'astrologie ou divination par les astres. Cette doctrine est évidemment un écho de la doctrine d'Aristote où le ciel des fixes entraîne et détermine par ses mouvements tous les mouvements terrestres. Enfin le mondes intelligible domine le monde sidéral comme celui-ci domine le monde physique. Le plus grand effort de notre esprit doit donc porter sur l'étude de ce dernier monde. Lui connu, nous connaîtrons tous les autres; si nous parvenons à nous rendre maîtres de ses lois, nous pourrons nous servir ensuite de ces lois et, par elles, nous dominerons l'univers. Ce qui nous permet de prétendre à la connaissance de ces lois, c'est que nous appartenons, par une partie de nous-mêmes, au monde des pures intelligences. Un esprit habite en nous et cet esprit est une portion de l'âme universelle qui agite tous les corps. Cette âme universelle, distincte de Dieu, est l'être la plus rapproché de Dieu en perfection; elle ne peut animer directement les corps, car l'incorporel ne peut entrer en relation avec le corporel, mais elle se rencontre avec eux dans un milieu commun, qui est à la fois corporel et incorporel. Puis donc que notre esprit est une portion de l'esprit universel, nous pouvons trouver en nous-mêmes les lois de l'esprit, les connaître et par là asservir le monde. C'est aussi cette doctrine qui permet de procéder à la transmutation des métaux. Au fond, tous les corps sont identiques, la matière est partout identique à elle-même; ce qui fait que les corps différent, c'est la portion d'esprit qu'ils renferment. Que faut-il donc faire pour changer en or un caillou? Dégager de plusieurs autres corps assez d'esprit, infuser cet esprit dans le caillou, jusqu'à ce qu'il en renferme précisément autant que l'or en contient. Agrippa assure qu'il a fait lui-même cette opération et qui elle a très bien réussi.

• Le De incertudine et vanitate scientiarum (Anvers, 1530, in-4, trad. par L. Turquet, 1682, et par Gueudeville, 1726) paraît bien éloigné de cette intrépide confiance et cependant au fond il n'en est que le résultat. Dans ce dernier ouvrage, Agrippa soutient que toutes les sciences sont vaines et incertaines et se livre à ce propos à une critique violente de toutes les sciences de son temps. La philosophie, la théologie, la médecine, le droit ne sont qu'un tissu d'erreurs et d'absurdités. Au lieu de nous consumer dans l'étude de ces vaines sciences, nous ferions bien mieux, dit Agrippa, de nous abandonner à la conduite de Dieu qui se fait entendre à nous et par sa parole extérieure dans la Bible, et par sa parole intérieure dans le secret de notre coeur. On conçoit, en effet, que toutes les sciences soient vaines pour celui qui croit trouver en lui-même, par la contemplation, la source de toute connaissance et de toute vérité. A quoi bon la science de la nature, si on peut commander aux astres? A quoi bon la science des astres, si on peut commander aux esprits? A quoi bon La philosophie, la théologie, si on peut voir Dieu face à face? Il n'y a donc pas autant de contradiction qu'on a voulu en voir entre les deux ouvrages d'Agrippa. Son scepticisme scientifique, loin d'être contraire à son mysticisme, n'en est qu'une conséquence. 

Ces deux ouvrages d'Agrippa témoignent d'une personnalité généreuse, d'une imagination très vive, souvent éloquente, et d'une profonde érudition. 

Ajoutons qu'on lui doit également : De nobilitate et praecellentia feminei sexus, 1529, ouvrage écrit pour flatter Marguerite, traduit par Gueudeville. Ses oeuvres complètes ont été réunies à Leyde, 1560 et 1600. (G. Fonsegrive).

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