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L'histoire de l'alchimie |
Aperçu
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La
chimie au Moyen âge
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Dans
son acception la plus courante le mot alchimie désigne l'ancienne
chimie
et particulièrement l'art supposé de la transmutation des métaux en
or et en argent. Le livre grec de la chimie métallique, l'un des plus
vieux ouvrages relatifs à cet art, comprenait la chrysopée ou
art de faire de l'or, l'argyropée ou art de faire de l'argent,
la fixation du mercure; il traitait des alliages, des verres colorés et
émaux
et de la teinture des étoffes en pourpre. Telle est la liste des connaissances
pratiques que l'alchimie enseignait à l'origine, et dont elle faisait
la théorie. Elle prétendait à la fois enrichir
ses adeptes en leur apprenant à fabriquer l'or et l'argent, les mettre
à l'abri des maladies par la préparation de la panacée, enfin, et peut-être
surtout, leur procurer le bonheur parfait en
les identifiant avec l'âme
du monde et l'esprit universel. Cette dernière
prétention montre qu'on ne peut pas réduire l'alchimie a un simple ensemble
de techniques, celles-ci seraient-elles appuyées par un corpus théorique
complexe. L'alchimie est aussi avant tout l'expression d'un regard sur
le monde, qui, à côté de pratiques concrètes impliquant la matière,
développe une spéculation philosophique
et cosmologique, dite philosophie
hermétique, qui implique en premier lieu l'esprit, ou plutôt le dialogue
de l'esprit et de la matière.
Ainsi l'alchimie n'est pas simplement l'ancienne chimie, et encore moins la seule chimie du Moyen âge, comme l'art sacré ou art hermétique, qu'elle prolonge, n'aurait été que la chimie des savants de l'école d'Alexandrie. C'est un système de pensée, que l'on a pu qualifier de mystique pratique, et dont on trouve des analogues ailleurs qu'en Occident, à commencer par la Chine où la chimie pratique interprétée dans le cadre du taoïsme (Lao Tse) a donné naissance, indépendamment, à une autre « alchimie ». On commettrait donc un contre-sens si l'on ne voyait dans les alchimistes que des rats de laboratoire, impatients devant leurs cornues, seulement motivés par la soif de l'or. Il y en a eu sans doute qui n'ont été que cela. Mais, à y bien regarder, ce qui caractérisait l'alchimiste, c'était au contraire la patience. Il transmettait à ses enfants les secrets d'une expérience inachevée. Et son expérience était un cheminement, une éducation au monde avant tout. Bien sûr, chemin faisant, ce sont les alchimistes qui ont amassé un à un, péniblement, les matériaux de la chimie moderne. Nous leur devons la découverte des acides sulfurique, chlorhydrique, nitrique, de l'ammoniaque, des alcalis (bases), de l'alcool, de l'éther, du bleu de Prusse, etc. La pierre philosophale, assurément était une chimère, mais, pour savoir qu'elle n'existe pas, il fallut examiner, observer avec toutes les ressources du temps, tout ce qui était accessible aux investigations. Sans ces patientes recherches, la chimie n'existerait pas dans son état actuel de perfection. Si donc, comme on va le faire dans les pages de ce site, où l'on aborde l'alchimie principalement dans la perspective de l'histoire de la chimie, il convient de garder à l'esprit que l'alchime a été, pour ceux qui l'on pratiquée, tout autre chose que ce que nous appellerions aujourd'hui une préchimie. |
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Les
origines de l'alchimie
Le mot alchimie n'est autre que celui de chimie, avec addition de l'article al, par les Arabes. Ce mot a été rattaché par plusieurs, par Champollion notamment, à celui de l'Egypte, Chemi, mot que les Hébreux ont traduit par Terre de Cham; on peut en rapprocher le nom d'un ouvrage fondamental, Chema, cité par Zosime (alchimiste grec du Ve siècle, auteur d'un traité sur l'art de faire de l'or), et celui d'un vieux livre, Chemi, connu des égyptologues, tous noms qui semblent aussi rappeler le nom de l'Égypte. Ainsi cette étymologie est restée vraisemblable, à côté de celle qui tire le nom de chimie du grec cheuô = fondre : d'où chymes, chyme, et les mots congénères. Au début du IIIe siècle, Alexandre d'Aphrodisie (Commentaire des météorologiques), célèbre commentateur d'Aristote, parle, en effet, le premier d'instruments chimiques ou plutôt chyiques (cuika organa), en traitant de la fusion et de la calcination. Le creuset (thganon), où l'on fondait les métaux, était un de ces instruments. Quoi qu'il en soit, il s'écoula encore plusieurs siècles avant que le nom de chimie fût généralement adopté. Du mythe à l'histoire.
A cette fin, voyons d'abord quelle idée les premiers alchimistes se faisaient des origines de leur science, idée qui porte le cachet et la date des conceptions religieuses et mystiques de leur époque. C'était une tradition universelle parmi les alchimistes que la science avait été fondée par Hermès : d'où la dénomination d'art hermétique, usitée jusqu'aux temps modernes. Isis, Osiris, et les dieux consacrés de l'Egypte, sont souvent cités par les vieux auteurs. Le nom même de l'antique Chéops, autrement dit Souphis ou Sophé, suivant les dialectes, figure en tête de deux livres de Zosime. Sans doute, on peut invoquer ici une tendance de la part des inventeurs méconnus ou persécutés : celle de rattacher leur science à des origines illustres et vénérables. Mais le choix même de ces ancêtres apocryphes n'est pas arbitraire; il repose d'ordinaire sur quelque tradition réelle, plus ou moins défigurée. Il est certain en effet qu'il existait en Egypte tout un ensemble de connaissances pratiques fort anciennes, relatives à l'industrie des métaux, des bronzes, des verres et des émaux, ainsi qu'à la fabrication des médicaments. Les Grecs, en recevant des Égyptiens ces connaissances et ce goût du secret qu'y entretenaient les artisans, lui donnèrent le nom de science hermétique, de Hermès Trismégiste ou Toth, dieu à qui les Égyptiens attribuaient l'invention des arts et des sciences et la rédaction des livres hermétiques qui formaient la base de l'étude de l'art sacré. L'art sacré et
l'origine de la chimie théorique.
C'est de la précieuse collection des manuscrits grecs qui nous sont parvenus qu'il a été possible de tirer à peu près tout ce que l'on sait aujourd'hui sur la science sacrée (episthmh iera) ou l'art divin et sacré (tecnh qeia kai iera). Ces textes, contemporains des écrits des gnostiques et de ceux des derniers Néoplatoniciens, établissent la filiation complexe, à la fois égyptienne, babylonienne et grecque de l'alchimie. Ils comprennent des papyrus conservés dans le musée de Leyde, et des manuscrits écrits sur parchemin, sur papier de chiffe et sur papier ordinaire, lesquels existent dans la plupart des grandes bibliothèques d'Europe, notamment dans la Bibliothèque nationale de Pariset dans la bibliothèque de Saint-Marc à Venise. On y découvre, qu'à côté des praticiens, il y eut de bonne heure des théoriciens, qui avaient la prétention de dominer et de diriger les expérimentateurs. Les Grecs surtout, occupés à transformer en philosophie les spéculations mystiques et religieuses de l'Orient, construisirent des théories métaphysiques subtiles sur la constitution des corps et leurs métamorphoses. Ces théories se manifestent dès l'origine de l'alchimie; elles dérivent des doctrines de l'école ionienne et des philosophes naturalistes sur les éléments, et plus nettement encore des doctrines platoniciennes sur la matière première, qui est devenue le mercure des philosophes. L'alchimie médiévale Les doctrines élaborés au cours de l'Antiquité tardive seront reprises successivement par les Arabes et par les adeptes du Moyen âge chrétien, et elles seront même, pour certaines, encore soutenues jusqu'au temps de Lavoisier. Ce qui était autrefois l'art sacré prend désormais proprement le nom d'alchimie, tout en conservant son langage symbolique et ses allures mystérieuses. L'alchimie arabo-musulmane.
L'alchimie dans
l'Europe chrétienne.
- Le laboratoire d'alchimie, par Jan Vredeman de Vries (ca. 1590). Pendant cette dernière phase de son existence, l'alchimie subit la double transformation que doit offrir toute science tenue secrète. Si l'on continue ici à mettre de côté la dimension symbolique et mystique de l'alchimie, pour n'en retenir que son versant pratique, on constate que d'un côté, elle s'enrichissait et se perfectionnait d'une manière continue, quoique lente, jusqu'au moment où elle se constitua au grand jour en une science nouvelle, la chimie, dont les progrès furent dès ce moment si rapides. De l'autre, elle s'égarait de plus en plus à la poursuite de deux chimères : la pierre philosophale ou substance propre à convertir les métaux vils en métaux précieux, or ou argent, et la panacée universelle, remède capable de guérir tous les maux, de rajeunir la vieillesse et de prolonger indéfiniment l'existence. Les travaux accomplis dans le but de découvrir la pierre philosophale et d'opérer la transmutation des métaux, constituaient le grand oeuvre, qui dans l'origine embrassait également la recherche de la panacée, mais qui s'en sépara plus tard. Au XVIe
siècle,
Paracelse, qui popularisa les préparations
opiacées et opéra une révolution dans la médecine. A partir de cette
époque, l'alchimie, devenue presque entièrement médicale - c'est ce
que Paracelse appelait la médecine spagirique -, perdit peu Ã
peu de son empire sur les esprits, tandis que d'un autre côté Paracelse
en divulguant les secrets de la science à Bâle
dans la première chaire de chimie qui ait été fondée dans le monde
(1527), préparait sa transformation
dans la chimie moderne. L'alchimie n'en quitta
pas pour autant complètement la scène. Il se fonda une société
secrète, les Rose-Croix, qui cultivèrent
principalement la dimension mystique de l'alchimie,
mais des alchimistes traditionnels continuèrent d'exister (Blaise
de Vigenère au XVIe
siècle, Eyrénée Philalèthe, au XVIIe,
etc). Parmi les derniers auteurs non alchimistes qui ont cru Ã
la pierre philosophale, nous nous bornerons à citer Glauber,
Bécher,
Kunckel, et semble-t-il, Stahl,
qui ont laissé, d'autre part, une réputation solide en chimie. Spinoza,
Leibniz
croyaient encore à la pierre philosophale, à la transmutation des métaux.
L'Alchimiste. Taleau de William Fettes Douglas (ca. 1855). En 1781, un certain docteur Price s'acquit une célébrité, après avoir exécuté publiquement à sept reprises différentes, la transformation du mercure en or ou en argent, au moyen de poudres de projection. (Pressé par la Société royale de Londres, dont il faisait partie, de répéter ses expériences devant elle, il s'empoisonna avec de l'huile volatile de laurier-cerise). Au XIXe siècle l'alchimie compte encore des adeptes comme Tiffereau, Balet, Papus, Strindberg, etc., et des journaux tels que l'Hyperchimie. Au XXe siècle, on peut encore citer les noms de Fulcanelli, d'Eugène Canseliet et d'Armand Barbault. |
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Les
doctrines chimiques de l'alchimie
L'art hermétique (art sacré, alchimie médiévale), tel qu'il fut compris, se proposait deux buts pratiques : 1° trouver la substance propre à transformer les métaux vils en or et en argent; c'était la pierre philosophale.Les alchimistes distinguaient deux espèces de métaux les métaux inaltérables au feu (métaux nobles), et ceux à qui la chaleur fait perdre leur éclat et leur ductilité, c'étaient les métaux imparfaits ou demi-métaux. Les uns et les autres étaient pour eux des corps composés, et composés des mêmes principes. Chaque métal s'éloignait plus ou moins du plus noble des métaux, de l'or, selon l'état plus ou moins grossier, du soufre et du mercure que d'après eux il contenait; c'est sur le soufre et le mercure que roulaient toutes les combinaisons qu'ils voyaient s'opérer et tous les changements qu'ils croyaient possibles. La fabrication des émaux et des alliages leur suggérait deux moyens de compléter les imitations des métaux parfaits. Ils supposaient qu'un métal parfait, mis en contact avec un métal imparfait, devait lui communiquer sa perfection. Le second moyen consistait à teindre les métaux en or d'une façon intime et complète. De là l'invention d'un principe colorant ou poudre de projection, qui devint la pierre philosophale et qui devait multiplier l'or. Ils donnaient le nom de grand oeuvre aux travaux accomplis dans ce but. Les métaux.
« La matière substantielle de tous les métaux est le vif-argent coagulé par une congélation faible dans quelques-uns, forte dans quelques autres. Le degré des métaux correspond au degré de l'action de leurs planètes et du vif-argent congelé de soufre pur; et ainsi les métaux où celui-ci est terreux et peu congelé ont en eux et en puissance par rapport aux autres métaux, la virtualité de la matière (modum materiae); de sorte que le plomb étant du vif-argent terreux et peu congelé par du soufre subtil et peu abondant, et étant soumis â une action planétaire distante et peu énergique, a en lui puissance pour l'étain , le cuivre, le fer, l'argent et l'or. L'étain est du vif-argent faiblement coagulé par du soufre impur et grossier; c'est pourquoi il y a en lui puissance pour le cuivre, le fer, l'argent et l'or. Le fer est du vif argent grossier et terreux fortement coagulé par du soufre grossier terreux; c'est pourquoi il a puissance pour le cuivre, l'argent et l'or. Le cuivre est du vif-argent médiocrement pur, coagulé par beaucoup de soufre, sa planète aidant; c'est pourquoi il a puissance pour l'argent et pour l'or.La pierre philosophale. Par le terme de pierre philosophale, objet de tous leurs travaux, les alchimistes entendaient une substance quelconque, soit solide, soit liquide, ayant la propriété de multiplier l'or ou l'argent. Cette recherche pouvait se faire de deux manières, par la voie sèche, et par la voie humide. La première, qui était celle où l'on employait la calcination, donnait la pierre philosophale sous forme d'une poudre blanche ou rouge, qui constituait la poudre de projection. La blanche, projetée sur le métal inférieur, ne pouvait donner naissance qu'à de l'argent; la rouge seule produisait de l'or. Dans les recherches par la voie humide, on avait principalement recours à la distillation. Raymond Lulle, qui passait pour avoir obtenu la pierre philosophale par ce moyen, la nomme élixir des sages. Les travaux accomplis par l'alchimiste pour la recherche de la pierre, et pour transmuer les métaux, constituaient le grand-oeuvre. La panacée universelle.
Un Alchimiste, par David Téniers. La science des faussaires De bonne heure, des doutes s'étaient élevés sur la capacité des alchimistes à produire de l'or, et, à partir de la Renaissance, les bons esprits avaient cessé, pour la plupart, de croire à la transmutation. De plus en plus, la recherche de celle-ci était devenue l'apanage des esprits chimériques, des fous et des charlatans. Ces derniers, en particulier, n'avaient pas cessé d'exploiter la crédulité des gens riches et des grands seigneurs, et c'est au XVIe siècle même que cette exploitation atteignit peut-être son plus haut degré. Il convient de dire quelques mots de leurs artifices. L'idée des richesses immenses que l'on pourrait acquérir à l'aide de la pierre philosophale frappait vivement l'imagination et le désir de posséder cette pierre portait à en admettre la possibilité, ce qui ouvrait un vaste champ à l'imposture. D'après Geoffroy l'aîné (1722), voici les principales supercheries employées par les imposteurs, pour convaincre leurs dupes aveuglées par leurs promesses et disposées à leur avancer les sommes prétendues nécessaires pour exécuter leurs expériences. Ils se servaient souvent de creusets et de coupelles doublées, dont le fond était garni avec des oxydes d'or ou d'argent, puis recouvert d'une pâte appropriée. D'autres fois, ils faisaient un trou dans
un charbon, et ils y coulaient de la poudre d'or ou d'argent; ou bien ils
imbibaient des charbons avec les dissolutions de ces métaux, puis ils
les pulvérisaient pour les projeter sur les matières destinées à être
transmutées. Les papiers destinés à envelopper les produits étaient
imprégnés des mêmes réactifs. Les cartes, les verres, les vases et
matières de toute nature, les contenaient à l'avance, à l'état de poudre
ou de liqueurs imbibées. Ils remuaient les substances fondues avec des
baguettes ou bâtonnets de bois, creusés à l'extrémité, et dont le
trou était rempli de limaille d'or ou d'argent, puis rebouché. Ils mêlaient
les oxydes et les sels d'or et d'argent avec les oxydes de plomb, d'antimoine
ou de mercure. Ils enfermaient dans du plomb des grenailles ou des petits
lingots d'or et d'argent, qui reparaissaient après calcination à la coupelle.
Bien des gens, dans tous les temps, et jusqu'à une époque relativement récente, ont été trompés et même ruinés par de semblables impostures. Dans les années 1880, un individu mit en gage, au mont de piété de Paris (Crédit municipal), un lingot d'argent prétendu, sur lequel on prêta, assez légèrement, une partie de la valeur prétendue. Le remboursement n'ayant pas eu lieu, le lingot fut envoyé à la Monnaie de Paris, qui n'y trouva que quelques centièmes d'argent. Mais l'escroc prétendit que les essayeurs n'entendaient rien à son alliage, qu'il avait un procédé d'analyse à lui, par lequel il se faisait fort de démontrer qu'il contenait 95 centièmes d'argent; son avocat soutint qu'on devait l'autoriser à faire la preuve lui-même, et peu s'en fallut que le tribunal ne lui donnât gain de cause. (M. D. / NLI / DV / Berthelot).
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