| Postulat. - On a dit aussi postulatum, du verbe latin postulare, demander. Terme qui désigne ce que l'on demande à son adversaire, au commencement d'une discussion, comme fait reconnu. Ce mot appartient à la langue des mathématiques, comme les mots d'axiome et de théorème. Il désigne une espèce de proposition intermédiaire entre le théorème et l'axiome, à savoir une proposition qui n'est pas évidente et qui, par conséquent, devrait être démontrée, à la façon d'un théorème ordinaire, et que cependant on admet sans démonstration, à la façon d'un axiome, parce qu'elle est, comme celui-ci, indémontrable et nécessaire à la démonstration de toute une série de propositions subséquentes. Tel est le cas de la proposition connue sous le nom de postulat d'Euclide : Par un point pris hors d'une droite, ou ne peut mener qu'une parallèle à cette droite. Jusqu'à cette proposition, tous les théorèmes se démontrent régulièrement sans solution de continuité à partir des définitions et des axiomes; mais en ce point la chaîne s'interrompt. Si on veut qu'elle continue, il faut admettre cette proposition qui n'est pas évidente et qui ne peut pas davantage se démontrer, se déduire des propo-itions précédentes. Les géomètres, à l'exemple d'Euclide, tranchent la difficulté en demandant qu'on admette cette proposition sans la démontrer : d'où le nom de postulat. On sait cependant que des géomètres plus récents (Gauss, Bolyaï, Lobatchevski, Riemann) ont constitué la géométrie en se passant de ce postulat, et l'on a donné le nom de géométrie non-euclidienne à l'ensemble de leurs travaux. En philosophie, on donne souvent le nom de postulat à toute proposition sous-entendue qui sert de principe à une doctrine (théorie ou système) souvent à l'insu de ses auteurs et partisans, et dont la vérité implicitement supposée par eux n'a jamais été expressément démontrée. Mais le mot a un sens plus précis et plus voisin de son sens géométrique dans la philosophie de Kant. Il y a, selon Kant, trois grandes vérités, d'ordre métaphysique, qu'il est impossible de démontrer, et que cependant nous pouvons, nous devons admettre pratiquement, parce qu'elles sont les conditions de l'ordre moral; et ces vérités sont la liberté, la vie future et l'existence de Dieu, auxquelles Kant donne pour cette raison le nom de Postulats de la Raison pratique. (E. Boirac). De postulatum à postulat. Le premier livre des Eléments d'Euclide débute par une série de définitions, que suivent cinq postulata (aitèmata) et neuf notions communes (appelées axiomes, par Proclus). Le terme sous lequel sont désignées ces dernières propositions est propre à l'école stoïcienne, donc, sans doute, postérieur à Euclide; la liste primitive, ultérieurement grossie par des additions incohérentes et maladroites, ne comprenait, en tout cas, que des énoncés qui n'ont rien de particulièrement géométrique (deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles, etc.). Ces axiomes, communs aux diverses branches des mathématiques, étaient déjà signalés par Aristote comme formant le point de départ des démonstrations; mais rien ne prouve qu'il fut dès lors d'usage de les réunir en tête des ouvrages élémentaires, et on peut même se demander si cet usage n'est pas postérieur à Euclide. Quant aux postulata, dont le caractère est d'ailleurs nettement géométrique, les trois premiers posent la possibilité des trois seules constructions auxquelles Euclide ramènera toutes les autres; le quatrième (égalité de tous les angles droits) est un théorème facile à démontrer; mais la vérité en est déjà supposée dans les définitions (de même que l'est aussi l'égalité des deux parties du cercle, de part et d'autre d'un diamètre); le cinquième, enfin, est la célèbre proposition connue sous le nom de postulatum d'Euclide, et qui affirme la rencontre de deux droites qui font d'un même côté, avec une sécante commune, des angles dont la somme est inférieure à deux droits. En somme, il ne faut pas croire qu'Euclide se soit astreint à relever exactement tous les énoncés dont il a fait usage sans les démontrer, ni qu'il les ait rigoureusement distingués en deux classes; mais ce relevé fut complété d'une façon à peu près suffisante, dès le temps d'Apollonius, et les trois premiers poslulata, dont la conception dénote un profond penseur, ont été certainement adoptés par Euclide, s'il n'a pas été le premier à les formuler. Les mathématiciens de la même époque, jusqu'à Archimède, ont d'ailleurs l'habitude de mettre en tête de leurs écrits les postulata qu'ils emploieront. Mais on en trouve les énoncés, tantôt confondus avec les définitions, tantôt qualifiés de lemmes, de thèses ou d'hypothèses. Archimède est le seul chez lequel on retrouve la forme de demande (pour la statique). Les mathématiciens postérieurs, dans l'Antiquité, n'introduisirent aucune distinction précise; au Moyen âge, la géométrie fut longtemps négligée pour l'arithmétique et l'algèbre, pour lesquelles il n'y avait point de modèles construits sur une méthode rigoureuse, et il passa en habitude de se servir, sans démonstrations, de propositions qui auraient dû être, soit prouvées, soit explicitement postulées. Le retour à la rigueur ne se fit que peu à peu à partir de la Renaissance, et pendant longtemps elle ne fut réellement exigée qu'en géométrie. C'est alors qu'on s'accorda pour distinguer, suivant les définitions d'Aristote beaucoup plus que suivant la véritable tradition euclidienne, entre l'axiome, vérité évidente par elle-même, et pouvant servir à en démontrer d'autres, sans avoir elle-même besoin de démonstration, et le postulatum, vérité démontrable, mais qu'on demandait d'accorder sans réclamer de preuves. Le perfectionnement des mathématiques et des sciences exigeait naturellement à la fois une distinction précise des axiomes et des postulata, et la démonstration de ces derniers. Mais, lorsque Bolyai et Lobatchevski, posant une hypothèse contraire au postulatum d'Euclide, et poussant jusqu'au bout les déductions de cette hypothèse, arrivèrent, non pas à une réduction à l'absurde, mais à la constitution d'une géométrie non-euclidienne, aussi exempte de contradictions que le système traditionnel, le point de vue devait forcément changer les axiomes intuitifs ne paraissaient guère capables de résister mieux que le postulalum, d'Euclide à une semblable épreuve; celui qui concerne l'impossibilité de la rencontre de deux droites en deux points distincts, fut bientôt, en, effet, renversé par Riemann. Deux tendances se sont prononcées depuis lors, l'une consiste à ne plus reconnaître d'axiomes, mais seulement des postulats. Le postulat est, en géométrie, ce que l'hypothèse est on physique; ce qui est en question, c'est non pas sa vérité, mais sa commodité. La différence avec la physique consiste, toutefois, en ce que la vérité de tout postula sera toujours suffisamment assurée pour la pratique, sauf à déterminer convenablement telle constante. Une autre tendance, d'un caractère plutôt philosophique, cherche, au contraire, à dégager des postulats sur lesquels l'expérience pourrait prononcer, au moins théoriquement, les principes qui doivent être considérés comme des conditions nécessaires de l'expérience et peuvent, dans ce sens, être regardés comme a priori. Les formules que l'on est conduit à donner à ces principes diffèrent, au reste, selon que l'on se place au point de vue de la géométrie métrique (avec Riemann et Helmholtz), ou à celui de la géométrie projective (avec Cayley). Dans les deux cas, on aboutit à trois énoncés distincts qui expriment la liberté de mouvement sans déformation pour les corps (continuité de l'espace et similitude qualitative des points), donnent le concept de la droite et limitent à Un nombre entier la multiplicité des dimensions de l'espace. Le cadre ainsi délimité embrasse bien la géométrie à n dimensions et toutes les géométries non-euclidiennes qui ont été constituées. En somme, l'expression postulatum n'a plus guère qu'une signification historique ; elle a à peu près cédé la place à son doublet postulat, qui a pris un sens spécial et un peu différent, ainsi que j'ai essayé de l'expliquer. Cette expression de postulatum mériterait cependant de rester avec application aux principes déductifs, non axiomatiques, et réellement démontrables, qui sont cependant employés sans démonstration effective, soit qu'on néglige de la donner, soit que l'on ne soit pas en état de le faire. L'emploi de pareilles propositions, même et surtout en dehors de la géométrie, a été très fréquent dans les ouvrages de mathématiques de la Renaissance, et malgré le progrès de la rigueur, il subsiste encore, comme il serait aisé de le constater, dans les tentatives pour ouvrir de nouvelles voies, soit qu'on déguise ces propositions comme définitions, soit qu'on les présente comme théorèmes munis de démonstrations insuffisantes. L'admission, à titre provisoire, de propositions intuitives, qui ne seront éclaircies que plus tard, devrait être déniée à l'enseignement (quoi qu'on ait souvent pris de grandes libertés à cet égard), mais elle semble une condition du progrès des sciences; le postulatum est donc une forme légitime de sa construction. Ce n'est souvent, en effet, qu'en poussant jusqu'au bout les déductions d'un principe, qu'on parvient à l'analyser complètement et à arriver ainsi à sa démonstration réelle, ce qui, d'ailleurs, peut exiger de préciser le sens de l'énoncé ou de le modifier légèrement. Comme exemple d'un postulatum algébrique, au sens que je viens d'exposer, on peut prendre l'affirmation de Descartes que toute équation a autant de racines, imaginaires ou réelles, qu'il y a d'unités dans son degré. Descartes n'attache nullement au terme de racine imaginaire la signification précise qu'on lui donne aujourd'hui; il demande, en tout cas, qu'on lui concède une liberté de spéculer qui peut tout au moins provoquer des scrupules motivés. Plus tard, les seules formes imaginaires auxquelles aboutissaient les calculs se limitant aux expressions : a± b.(-1)1/2 . La proposition de Descartes se précise comme un poslulatum susceptible de démonstration, mais elle résiste pendant près d'un siècle à tous les efforts pour obtenir une preuve rigoureuse, sans que cependant elle soit mise en doute dans l'intervalle et sans qu'on cesse de l'employer. (Paul Tannery). | |