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La science politique à la Renaissance
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La fin du Moyen âge et les débuts des mouvements nouveaux (Réforme et Renaissance) se marquèrent par la ruine des croyances traditionnelles. La religion ne se séparait pas de la morale; la défaite de l'autorité religieuse entraîna la ruine de celle-ci. Machiavel fut l'interprète de la doctrine politique pratiquée plus ou moins consciemment par ses contemporains et qui consistait dans un simple empirisme. La science politique en elle-même l'intéresse peu, il se plaît plutôt à décrire les procédés de gouvernement qu'il est habile d'employer. Le politique n'a pas à se préoccuper de la morale; il ne considère la vertu et la religion que comme des moyens de gouvernement. Machiavel n'étudie pas la question de la légitimité du pouvoir monarchique, mais montre comment il peut s'établir et se consolider. Il s'affermira le plus sûrement par la terreur, en détruisant les nobles, en se défendant vivement contre ses ennemis. Sans doute par ailleurs, l'écrivain se réfère à Polybe, parfois le traduit même et loue la liberté, prenant le parti des peuples contre le despotisme et les princes. Mais ce ne sont là que des considérations abstraites qui n'influent guère sur les maximes qu'il professe. Il eut le grand mérite d'envisager la politique pratiquement et non plus d'une manière métaphysique et exerça une influence considérable en répandant le goût de la science politique et l'habitude de l'étudier historiquement. 

On peut lui rattacher une quantité de penseurs des siècles suivants, soit qu'ils aient développé les mêmes maximes que lui, soit qu'ils n'en aient accepté qu'une partie pour les réfuter par ailleurs en suivant la même méthode, Guichardin, Paruta, Botero, avec plus de moralité que lui, puisèrent leur inspiration dans ses écrits. A des titres divers, Scioppius, Juste Lipse, Fra Paolo relèvent de lui. On retrouverait son influence peut-être jusque chez Descartes et d'autres auteurs du XVIIe siècle. Le Testament de Richelieu porte son empreinte, et l'on peut dire que, dans une certaine mesure, toute la politique de la monarchie absolue peut lui être rattachée. Indirectement, son influence fut donc considérable et durable. Il rendit à la politique le service de la détacher entièrement de l'utopie et de la religion. Toutefois, en la rapetissant à l'étude assez mesquine des procédés de son temps, il s'attira des critiques violentes et nombreuses et contribua à créer par réaction des mouvements d'idée entièrement différents.
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Machiavel.
Machiavel (1469-1527).

La Renaissance et la Réforme, qui s'épanouirent au XVIe siècle, marquent le commencement des Temps modernes, et c'est de là que date, en matière politique, la méthode d'étude qui consiste à prendre pour guide le libre examen et la raison, c.-à-d., en somme, à rétablir, en les élargissant, les procédés d'Aristote dont les penseurs du Moyen âge avaient à peine en quelques réminiscences.

Ce n'est pas à dire que le libéralisme politique ait été dans le programme des premiers écrivains protestants. On pourrait même dire tout au contraire, car c'était aux princes qu'ils s'adressaient en se gardant de porter ombrage à leur souveraineté. Luther blâma à plusieurs reprises toute tentative de révolte, reconnut comme légitime le pouvoir spirituel du chef politique, désavoua avec énergie tous ceux qui se réclamèrent de lui pour obtenir des réformes sociales. Mélanchthon professe que les gouvernements sont l'oeuvre de Dieu en ce sens qu'ils tiennent de lui leur autorité; mais toutes les formes du pouvoir civil sont légitimes pourvu qu'elles soient conformes à la raison. Le prince doit respecter la propriété de ses sujets, mais peut leur imposer une foi. Calvin aussi est homme d'autorité. Le gouvernement doit maintenir la justice et la foi; il est institué de Dieu.

« Les magistrats ont commandement de Dieu, sont autorisés de lui [...]. C'est vaine occupation aux hommes privés [...] de disputer quel est le meilleur état de police. » 
Affectant une préférence pour le gouvernement tempéré, Calvin admet la légitimité de tout régime.

La lecture de la Bible et des Anciens, les progrès qu'il fit dans les milieux populaires, les luttes qu'il eut à soutenir contre des princes hostiles, tous les conflits qui ensanglantèrent le XVIe siècle inclinèrent peu à peu le Protestantisme, là où son triomphe ne fut pas l'oeuvre d'un prince, vers des idées beaucoup plus démocratiques. Elles naquirent de tous côtés, puis prirent leur développement, principal en France et en Ecosse. Quelques écrits protestants firent prévoir ceux des écrivains démocratiques du XVIIIe siècle.

Le Franco-Gallia de Hotman renfermait une théorie presque populaire du gouvernement. Le Vindiciae contra tyrannos, signé Junius Brutus et attribué à Hubert Languet, énonça pour la première fois le contrat social comme base de l'état politique. L'auteur entreprend, dit-il, de ramener à des principes évidents le pouvoir des princes et le droit des sujets et il suit à cette fin une méthode géométrique. Etudiant la constitution de l'Etat et éclairant ses recherches par la Bible, il découvre deux contrats primitifs l'un entre Dieu, le peuple et le roi; l'autre entre le peuple et le roi. Le prince est, le vassal de Dieu. Les humains lui doivent obéissance à cause de Dieu, non pas contre Dieu. S'il manque au contrat, le peuple a le droit de lui résister, et les magistrats qui représentent le peuple sont qualifiés pour le faire. Le peuple a créé les rois pour son utilité et pour en faire les gardiens de la loi. Les biens n'appartiennent pas au roi qui n'est que le curateur des finances publiques. 

« Les princes sont élus par Dieu, mais institués par le peuple. Le prince est supérieur à chaque particulier, mais inférieur à tous et à ceux qui représentent le tout, c.-à-d. les magistrats ou les grands. Il intervient dans l'institution du roi un contrat entre le prince et le peuple [...]. celui qui viole le pacte est un tyran. Les magistrats ont le droit de le ramener au devoir par la force s'ils ne peuvent faire autrement. »
Des idées analogues se retrouvent dans beaucoup d'autres traités. Buchanan, dans son De jure regni apud Scotos, les reproduit en les parant d'un esprit philosophique et littéraire. Il décrit un état de nature sans lois et montre comment la société est née de la sociabilité. Le roi est nommé par le peuple pour gouverner sous son contrôle, et il peut être renversé pour cause de tyrannie. De même en Allemagne, Althusius revendique énergiquement le principe de la souveraineté du peuple, l'inaliénabilité de son pouvoir, l'existence d'un pacte social primitif qui justifie la résistance contre les abus du pouvoir.

En face des docteurs protestants, les Catholiques se divisent en deux groupes principaux. Les uns se font les continuateurs des docteurs scolastiques et de saint Thomas d'Aquin, s'efforçant de concilier les droits du peuple, l'absolutisme royal et la suprématie de l'Eglise. Suarez, dans son De Legibus, admet que la souveraineté appartient primitivement au peuple, rejette la doctrine du droit divin et la doctrine patriarcale et fait reposer le gouvernement et la société sur le consentement unanime. Mais une fois ce consentement donné, le peuple a totalement aliéné sa souveraineté et n'est pas libre de la reprendre. Le prince, devenu tout puissant, est supérieur aux lois et il n'a au-dessus de lui que le jugement de l'Eglise. Bellarmin et Bosio se font, avec des doctrines analogues, les serviteurs du Saint-Siège et les partisans de la théocratie.

Mais un autre mouvement catholique trouva dans les doctrines de la Ligue son expression la plus complète. Elles ne sont pas autre chose que les doctrines démocratiques du Protestantisme mises au service des Catholiques : l'esprit théocratique du Moyen âge, l'esprit biblique protestant, des réminiscences philosophiques et historiques s'y mélangent de la manière la plus curieuse. Les rois sont établis par le peuple et leur pouvoir ne leur vient de Dieu que par l'intermédiaire du peuple. Il y a un contrat entre Dieu, le roi et le peuple, qui, en cas de violation du contrat de la part du roi, a une action contre lui. Dans des cas extrêmes, son droit va jusqu'au tyrannicide. Ces doctrines portent l'empreinte directe des luttes furieuses qui ensanglantèrent le XVIe siècle. 

A côté des politiques, les philosophes et les utopistes abordèrent avec plus de calme et d'une manière moins intéressée les mêmes questions, apportant dans leur étude l'esprit littéraire de la Renaissance au lieu ou à côté de l'ardeur passionnée des controverses religieuses et politiques. Montaigne, Rabelais et Erasme ont disséminé dans leurs oeuvres de nombreuses pensées politiques. Bacon envisagea les matières relatives au gouvernement au point de vue pratique, y cherchant des préceptes empiriques plutôt que des lois. La Boétie, l'auteur de la Servitude volontaire, exposa dans son livre les principes d'une politique républicaine, stoïcienne et violente, revendiquant ardemment la dignité humaine et les droits naturels de l'humain. L'Hôpital et La Noue se firent les apôtres d'idées modérées et conciliantes, capables d'amener la fin des troubles civils. On rattacherait Bodin à la même famille d'esprits. Sa République est une oeuvre considérable. II a introduit le droit public et privé dans la science politique et défendu Ia justice et la modération comme les plus fermes principes de l'État. Selon lui,

« la famille bien conduite est la vraie image de la République, et la puissance domestique est semblable à la puissance souveraine. » 
Cette comparaison indique qu'il est partisan d'un système d'autorité et donne un grand pouvoir à l'Etat. Mais il se montre favorable à la liberté individuelle et à la tolérance et combat l'esclavage. Il admet trois formes de gouvernement : aucune ne peut prescrire contre la justice et les lois de Dieu.

D'autres penseurs s'éloignaient davantage encore des principes admis de leur temps. L'Utopie de Thomas More est en même temps qu'une critique des moeurs sociales et politiques de l'Angleterre du XVIe siècle, un modèle d'État idéal : on y trouve des réminiscences marquées des idées platoniciennes; l'État pour faire régner le bonheur et la justice devient tout-puissant et le Communisme est universellement appliqué. Des idées analogues devaient inspirer la Cité du Soleilde Campanella.

La pensée politique a donc été, au XVIe siècle d'une richesse et d'une variété incomparables. La multiplicité des troubles politiques et religieux s'est traduite par une multiplicité de théories et de traités. Toutes les questions : propriété, esclavage, liberté politique, liberté de conscience, ont été discutées. Les doctrines démocratiques sont affirmées avec une grande énergie, et les droits naturels de l'humain sont revendiqués. Chez les théoriciens catholiques et protestants, l'influence religieuse est encore sensible en matière de spéculation politique; pourtant ils tendent de plus en plus à chercher dans les droits même de l'individu la source du pouvoir politique et ne font intervenir le droit divin que d'une manière assez indirecte. Un certain nombre de penseurs isolent même définitivement la politique de la religion. En même temps, on réagit contre l'empirisme pur de Machiavel qui tendait à supprimer toute moralité et toute philosophie dans la science politique. Elle apparaît de plus en plus à une élite de penseurs comme une science indépendante de toute autre considération que le libre examen, philosophique et historique. Cela revient à dire que le XVIe siècle a vu la science politique, non pas se constituer comme une autre science exacte (elle ne l'a pas encore fait actuellement et ne le fera sans doute jamais), mais prendre rang définitivement parmi les sciences morales indépendantes. (André Lichtenberger).

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