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Choeur
Choeur, en grec choros, en latin chorus, mot qui, dans l'ancienne Grèce, désignait une danse solennelle dans les fêtes religieuses, et, par extension, la troupe mime des danseurs, dont les pas étaient souvent accompagnés de chants et de musique. Il en existe une descriplion au XVIIIe livre de l'Iliade (v. 593-607). Les choeurs des fêtes de Délos en l'honneur de Leto, d'Artémis et d'Apollon, étaient un mélange de danses, de chants et de symphonies. Souvent ils étaient de véritables ballets, où l'on figurait par la pantomime, au son des instruments, les malheurs de Leto, les courses et les mouvements de l'île de Délos lorsqu'elle n'était pas encore fixée sur les flots, les jeux innocents qui amusaient l'enfance d'Apollon, etc. Dans les pompes ou processions de l'Attique, particulièrement celles qui étaient célébrées en l'honneur de Déméter, d'Athéna et de Dionysos, paraissalent des choeurs, qui chantaient, tantôt en dansant, tantôt en marchant d'un pas cadencé, tantôt en restant immobiles, des hymnes à la louange de ces divinités. 

Les dithyrambes chantés en l'honneur de Dionysos dans les Dionysiaques furent mêlés, vers le VIe siècle av. J.-C., d'intermèdes épiques, puis de dialogues improvisés qu'on appelait épisodes (c.-à.d. introductions, intercalations), et qui donnèrent peu à peu naissance à la poésie dramatique. Le dialogue ne tarda pas à devenir la partie la plus importante, et les choeurs finirent par n'être plus qu'une sorte d'intermèdes entre les différentes scènes dialoguées. Au temps d'Eschyle, le choeur est encore au moins aussi important que le dialogue même; mais chez Sophocle, et surtout chez Euripide, le rôle du choeur n'est plus qu'accessoire. Il a aussi perdu son caractère antique : aux accents de l'ode et de la poésie épique ont succédé ceux de l'élégie. Le choeur disparaît de la poésie, comique à la naissance de la comédie nouvelle, vers le milieu du IVe siècle av. J.-C.

Le moment où le choeur est introduit sur la scène, et le nombre de fois qu'il se fait entendre, étaient laissés à la disposition du poète : il se présente quelquefois dès la première scène; quand il vient plus tard, il doit être naturellement amené; et une fois qu'il a paru, il ne sort plus de la scène, si ce n'est pour des motifs graves et seulement pour quelques instants. Le choeur assiste donc à tout le développement de l'action, et quelquefois il se mêle au dialogue par l'intermédiaire de son coryphée. Plusieurs pièces ont 6 choeurs, d'autres 5, 4, 3, 2; le Philoctète de Sophocle n'a réellement qu'un intermède, c.-à-d. que le choeur n'y reste qu'une fois seul sur la scène.

Le choeur est composé d'hommes ou de femmes, de vieillards ou de jeunes gens, de citoyens ou d'esclaves, de prêtres, de soldats, de divinités ou d'êtres fantastiques; et souvent le nom de la pièce est tiré de l'une de ces circonstances : ainsi, les Phéniciennes d'Euripide, les Trachiniennes de Sophocle, les Suppliantes d'Eschyle, les Nuées, les Grenouilles, les Guêpes, les Acharniens, les Chevaliers d'Aristophane, etc. Il représente toujours la foule, et exprimé les sentiments que les événements de la pièce peuvent inspirer au public; il gémit sur les malheurs de l'humanité, implore l'assistance des dieux en faveur du personnage qui l'intéresse, flétrit le vice et le crime, célèbre la vertu et l'héroïsme. Le choeur produisit souvent des effets puissants : on raconte qu'à la représentation des Euménides d'Eschyle les spectateurs mêlèrent leurs cris aux imprécations des Furies, et que la terreur remplit le théâtre. Depuis cette journée, une loi ordonna que le choeur, alors composé de 50 personnes, serait réduit à15.

Les vers chantés par le choeur sont lyriques, et divisés, dans la tragédie, en strophes, antistrophes, épodes, dont le rythme et la mélodie pouvaient être diversifiés autant qu'il plaisait au poète. Les premiers vers que faisait entendre le choeur en arrivant sur la scène s'appelaient l'entrée (parodos); ils étaient on chantés ou déclamés. Ceux qu'il faisait entendre une fois qu'il était à sa place, et qui étaient chantés, s'appelaient chant d'arrêt (stasimon mélos). Ces chants préliminaires admettaient la division en strophes, quelquefois l'épode, comme dans l'Hippolyte et l'Iphigénie à Aulis; dans la parodos des Sept chefs devant Thèbes, qui contient 100 vers, les 14 derniers seulement sont antistrophiques. La pièce se termine quelquefois par un morceau lyrique appelé sortie (exodos), qui parait correspondre à celui de l'entrée et lui ressemble plus qu'aux autres : les Suppliantes et les Euménides en offrent des exemples.

Tantôt le choeur tout entier chantait; tantôt l'ensemble du morceau lyrique était chanté par des parties du choeur; d'autres fois la moitié du choeur chantait la strophe et l'antistrophe, et l'épode était chantée par tout le choeur; d'autres fois enfin c'étaient les strophes qui étaient chantées par l'ensemble, et l'épode par une partie des choristes. Toutefois, il paraît que le plus souvent, dans la comédie ou dans la tragédie, le choeur se séparait en deux groupes, dont les coryphées racontent alternativement quelques circonstances de l'action ou se communiquent leurs sentiments et leurs impressions. C'est ce qu'on nommait la dichorie : chaque moitié s'appelait demi-choeur (hémichorion), et chaque couplet antichorie. Puis les deux divisions se réunissaient de nouveau en un seul groupe. Lorsque le choeur se mêlait au dialogue, il ne chantait pas, et souvent alors le poète revient aux iambiques trimètres; souvent aussi les interlocuteurs emploient des mètres lyriques, mais moins compliqués qu'il n'arrive souvent lorsque le choeur chante . 

Dans les comédies, la disposition chorique différait en plusieurs points de celle des tragédies, Les danses avaient aussi un caractère différent dans chacun de ces spectacles : la danse tragique était grave, les évolutions se faisaient avec ordre et dignité; dans les comédies régnait une grande liberté de mouvements; dans les drames satyriques, la danse était caractérisée par une tumultueuse vivacité, souvent fort licencieuse.

La partie de la scène réservée pour les évolutions du choeur s'appelait orchestre. Dans les tragédies, où il était de 15 citoyens, il s'y rendait sur 5 de file et sur 3 rangs, ou dans une disposition inverse; dans les comédies, où il était de 24 citoyens, il arrivait sur une profondeur de 6 et 4 de front, ou sur 4 files et 6 rangs. Un joueur de flûte précédait les choristes, et réglait leurs pas.

Les Latins, dont la tragédie est entièrement grecque, ont aussi employé les choeurs, bien que rien ne justifiât cet emprunt. Il ne nous reste plus d'autres monuments de leurs imitations que les froids pastiches de Sénèque, dont les choeurs ne sont que des déclamations souvent pédantesques, et aussi vides que guindées.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, Jodelle, Garnier et Hardy imitèrent aussi, mais sans aucun succès, les choeurs de la tragédie antique; Corneille ne réussit pas mieux dans ceux d'Oedipe. Mais Racine, après avoir profondément étudié la poésie des choeurs de Sophocle et d'Euripide, et s'être inspiré de la mâle et sublime poésie lyrique des Hébreux, sut merveilleusement accommoder cette partie du drame aux idées et aux goûts de son temps, en même temps qu'à la nature des sujets, et les choeurs d'Esther et d'Athalie sont restés les chefs-d'oeuvre de la poésie lyrique moderne. Voltaire, en ajoutant des choeurs à son Oedipe, échoua complètement. Il en a été de même de Chateaubriand dans Moïse. L'Antigone de Sophocle, traduite et transportée avec ses choeurs sur la scène de l'Odéon, à Paris, n'a obtenu qu'un succès de curiosité, ainsi que l'Oedipe roi, joué au Théâtre-Français en 1858. 

En Allemagne, on a joué l'Oedipe à Colone, avec de la musique écrite pour les choeurs par Mendelssohn. Les pièces modernes n'observent pas assez rigoureusement l'unité de lieu et l'unité de temps, pour que le rôle du choeur soit vraisemblable et possible. On peut cependant signaler des choeurs traités avec bonheur, au point de vue de la poésie. Tels sont ceux du Faust de Goethe; mais la manière dont l'auteur entend et place cet élément de la tragédie ne rappelle aucunement l'antiquité. En Angleterre, Shakespeare a placé dans Macbeth un choeur de sorcières, dont l'effet est puissant. En Italie, le Tasse et Guarini introduisirent le choeur dans leurs pastorales : les choeurs du Carmagnola de Manzoni sont d'une force et d'une beauté remarquables. (P.).

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