| Les Guêpes est une comédie d'Aristophane, représentée en 422 avant l'ère commune. Ici, ce sont toutes les classes du peuple d'Athènes que le poète attaque par ses mordantes satires. Philocléon, le principal personnage, atteint de la manie de juger, qui l'a rendu presque fou, représente en effet les Athéniens, non moins épris de l'amour des tribunaux. Athènes, à cette époque, comptait six mille juges, près du tiers de sa population; tous les citoyens pouvaient aspirer à ces fonctions, il leur suffisait d'avoir atteint l'âge de trente ans; chaque séance leur valait trois oboles. Le peuple, oisif et curieux, se pressait en foule autour de l'enceinte réservée, sur les places publiques, à ces tribunaux qui siégeaient en plein air. On conçoit quels abus devaient résulter d'une telle organisation, où la justice était abandonnée à l'arbitraire et au caprice; aussi Aristophane, avec la liberté dont jouissaient encore les poètes comiques, fait-il rire le peuple à ses propres dépens. Philocléon, gardé à vue par son fils qui veut le guérir de sa furieuse manie, tente de s'évader par la fenêtre et appelle à son aide les juges, ses confrères, qui se rendent au tribunal; ceux-ci sont travestis en guêpes et armés d'un aiguillon, emblème significatif. On discute sur le sort de Philocléon, qui accepte de juger, sans quitter sa demeure, tous les délits domestiques. Un chien vient de voler, dans la cuisine, un fromage de Sicile; aussitôt le coupable est assigné en bonne forme : le vieux juge l'absout par méprise; il est inconsolable, mais son fils l'engage à ne pas revenir sur sa décision. Dans la seconde partie de la pièce, Philocléon change totalement, se jette dans mille désordres et présente enfin un tout autre caractère qu'au début. Ce défaut d'unité choque nos idées modernes sur l'art dramatique, et nous prouve que la comédie ancienne jouissait, sous ce rapport, d'une grande liberté. (JMJA). - La manie de juger Xanthias (l'un des esclaves de Philocléon). « Vous perdez votre temps, vous ne trouverez pas. Si vous êtes curieux de le savoir, faites silence. Je vais vous dire la maladie de mon maître. C'est... l'amour des tribunaux. Juger est sa passion; il se désespère s'il n'occupe pas le premier banc des juges. La nuit, il ne goûte pas un instant de sommeil. Ferme-t-il par hasard les yeux, la nuit même, son esprit observe encore la clepsydre. L'habitude qu'il a de tenir les suffrages fait qu'il se réveille en serrant ses trois doigts, comme celui qui offre de l'encens aux dieux à la nouvelle lune... Son coq ayant chanté le soir, il dit que des accusés avaient sans doute gagné ce pauvre animal pour l'éveiller plus tard qu'à l'ordinaire. A peine a-t-il soupé, qu'il demande sa chaussure; il court au tribunal avant le jour, et s'endort, comme une huître, au pied de la colonne. Sa sévérité lui fait toujours tracer sur des tablettes la ligne de condamnation, et il revient, comme l'abeille et le bourdon, les doigts chargés de cire. Dans la crainte de manquer de cailloux pour les suffrages, il entretient chez lui une grève qu'il renouvelle sans cesse. Telle est sa manie, et les observations ne font que l'exciter davantage. Aussi le tenons-nous sous le verrou pour l'empêcher de sortir, car cette maladie fait le désespoir du fils. D'abord il employa la douceur, il l'engagea à ne plus porter le manteau et à rester chez lui : celui-ci n'en fit rien. Ensuite il le baigna, le purifia; ce fut en vain. Il le soumit aux exercices sacrés des corybantes : le père s'enfuit avec le tambour, et courut au tribunal pour juger. Voyant le peu de succès de ces initiations, il le mena à Egine et le fit coucher la nuit dans le temple d'Asclépios : dès le point du jour on le retrouva dans l'enceinte réservée aux juges. Dès lors nous ne lui permîmes plus de sortir. Il s'échappa par les gouttières et par les lucarnes partout où il y avait des trous, nous les avons bouchés, nous avons fermé les issues; mais il enfonçait des piquets dans le mur, et sautait de l'un à l'autre comme un choucas. Enfin nous avons tendu des filets tout autour de la cour, et nous le gardons ainsi. » (Aristophane, Les Guêpes). | | |