| Robert Garnier est un poète tragique français, né à La Ferté-Bernard en 1534, mort au Mans le 15 août 1590. Il fit ses études juridiques à Toulouse, fut reçu avocat au parlement de Paris, devint ensuite conseiller au présidial du baillage du Mans, puis lieutenant criminel au même siège. Encore étudiant, il publia un recueil de poésies : Plaintes amoureuses, contenant élégies, sonnets, épîtres, chansons (Toulouse, 1565, in-4), volume devenu introuvable. Deux ans plus tard, il mit au jour un Hymne à la monarchie (Paris, 1567, in-4). Puis il aborda la tragédie par celle de Porcie (Paris, 1568, petit in-8), à laquelle succédèrent : Hyppolyte (1573), Cornélie (1574), Marc-Antoine (1578), la Troade (1579), Antigone (1579), Sédécie ou les Juives (1582), Bradamante, tragi-comédie (1583). - La mort de Marc-Antoine Croyant Cléopâtre morte, Antoine s'est percé de son épée; apprenant qu'elle vit, il se fait hisser dans la tour où elle s'est retranchée. « A ces mots, le pauvre homme, emeu de grande joye, Sachant qu'elle vivoit, a nous prier s'employe De le rendre a sa dame; et lors dessus nos bras Le portons au sepulchre [ = la tour ou Cléopâtre s'est comme ensevelie] où nous n'entrasmes pas : Car la Royne craignant d'estre faite captive, Et a Rome menée en un triomphe vive, N'ouvrit la porte, ainçois [ = mais plutôt] une corde jetta D'une haute fenestre, ou l'on l'empaqueta : Puis ses femmes et elle a mont [ = de bas en haut (ad montem)] le souleverent, Et a force de bras jusqu'en haut l'attirerent. Jamais rien si piteux au monde ne fut veu : L'on montoit d'une corde Antoine peu a peu, Que l'ame alloit laissant : sa barbe mal peignée, Sa face et sa poitrine estoit de sang baignée; Toutesfois tout hideux et mourant qu'il estoit, Ses yeux demi-ouverts sur la Roine jettoit, Lui tendoit les deux mains, se soulevoit luy mesme, Mais son corps retomboit d'une foiblesse extreme. La miserable dame ayant les yeux mouillez, Les cheveux sur le front sans art esparpillez, La poitrine de coups sanglantement plombée [ = noircie], Se penchoit contre bas, a teste recourbée, S'enlaçoit a la corde, et de tout son effort Courageuse attiroit cet homme demi-mort. Le sang lui devaloit [ = descendait le long du visag] au visage, de peine Les nerfs lui roidissoient, elle estoit hors d'haleine. Le peuple qui d'abas [ = en bas] amassé regardait, De gestes et de voix a l'envi luy aidait Tous crioient, l'excitoient, et souffroient en leur ame, Penant [ = peinant], suant ainsi que cette pauvre dame Toutesfois invaincue, au travail dura tant, De ses femmes aidée, et d'un coeur si constant, Qu'Antoine fut tiré dans le sepulchre sombre. Ou je croy que des morts il augmente le nombre. » (Robert Garnier, extrait de Marc-Antoine). | Le succès en fut immense, comme l'attestent de très nombreuses éditions collectives de ces tragédies, depuis celles de Paris, 1580, 1582, 1583. Celle de Rouen (1605) contient une élégie de l'auteur sur le Trépas de Pierre Ronsard. Plusieurs de ces tragédies ont été traduites en anglais à l'époque même. Garnier, qui succéda à Jodelle dans la réforme du théâtre français au XVIe siècle, répondit mieux aux aspirations du moment en préférant le sentencieux Sénèque aux modèles de la Grèce, et il surpassa son devancier en originalité de conception, en élévation d'idées et en facilité de versification. Sa tragédie biblique, les Juives, considérée comme son meilleur ouvrage, le place parmi les précurseurs de Corneille et de Racine. (G. P-I). | |
| Garnier (Jean-Louis-Charles), architecte français, né à Paris le 6 novembre 1825, mort le 3 août 1898. Elève de Léveil, H. Lebas et de I'Ecole des beaux-arts, Charles Garnier remporta le premier grand prix d'architecture en 1848 sur un projet de conservatoire des arts et métiers, et, comme pensionnaire de l'Académie de France à Rome, adressa de nombreux envois parmi lesquels il faut citer les suivants : études sur le Forum de Trajan à Rome, état actuel du temple de Vesta à Tivoli, relevé du temple de Sérapis à Pouzzoles et, outre quelques dessins de monuments de la Renaissance italienne, la restitution, en onze feuilles de dessins et un mémoire, du temple de Jupiter Panhellénien à Egine (Grèce). Ce dernier envoi, adressé d'Athènes en même temps qu'un mémoire sur l'île d'Egine dû à Edmond About, alors pensionnaire de l'Ecole française d'Athènes, fut des plus remarqués, autant peut-être par l'Académie des inscriptions et belles-lettres que par l'Académie des beaux-arts, comme reproduisant après d'heureuses découvertes, dans tous ses détails et avec une large part faite à la polychromie, le temple de l'architecture hellénique du VIe siècle le plus complet et le plus voisin de la perfection. De retour en France, Garnier fut attaché comme auditeur au conseil général des bâtiments civils en même temps qu'il devint bientôt architecte d'une des sections (Ve et VIe arrondissements) de la ville de Paris; mais il ne devait pas tarder à voir s'ouvrir le plus brillant avenir d'artiste dès le concours édicté, à la fin de 1860, pour la construction du nouvel Opéra de Paris. En effet, de ce concours à deux épreuves, la première, sur esquisses, à laquelle prirent part 171 concurrents de toutes les écoles et dont quelques étrangers, et la seconde, sur projets rendus et réservés aux 5 lauréats de la première épreuve, Garnier sortit classé le premier, à l'unanimité des membres du jury appartenant à l'Institut et au conseil général des bâtiments civils, et dès lors, pendant quinze années, jusqu'en 1875, et même encore ensuite, ne cessa de donner tous ses soins à la conception, l'exécution, la décoration et la machinerie de cet immense théâtre sans précédent et sans pareil jusque là dans les temps modernes, par ses dispositions, son allure originale et sa richesse, qui a nom l'Opéra de Paris. - Buste de Charles Garnier, à l'Opéra de Paris. © Photo : Serge Jodra, 2011. Malgré la place considérable que tient ce grand travail dans la carrière et l'existence de Garnier, et malgré aussi le temps qu'il dut consacrer à ses fonctions officielles et au Conservatoire de musique et de déclamation dont il est l'architecte ainsi que du magasin de décors de l'Opéra qu'il eut à faire reconstruire rue Richer, Garnier est l'auteur de fort intéressantes constructions parmi lesquelles : le Cercle de la librairie et une maison à location avec hôtel pour la famille Hachette, boulevard Saint-Germain, et les panoramas Valentino et Marigny, à Paris; le grand Observatoire de Nice, les salles de concert et de jeu, à Monte-Carlo; des villas, l'hôtel du Belvédère, l'église et l'école communale, à Bordighera (Alpes-Maritimes); les casino, bains et hôtel de Vittel (Vosges); la villa Sarcey à Rosenthal et l'église de La Capelle en Thiérache; de nombreux tombeaux dont ceux de Bizet, d'Offenbach et de Victor Massé, à Paris, et celui de la famille de Luynes, en collaboration avec Fr. Debacq, à Dampierre, et enfin les charmantes improvisations, malheureusement provisoires, mais d'une restitution si ingénieuse, qui retracèrent les principaux types dans le passé de l'habitation à travers les âges, et qui furent une des attractions de l'Exposition universelle de Paris en 1889. Garnier, honoré de diplômes d'honneur aux expositions universelles de 1867 et de 1878, de la grande médaille des beaux-arts de la Société d'encouragement en 1880 et de la royale médaille d'or de l'Institut royal des architectes britanniques en 1886, a été commandeur de la Légion d'honneur à partire de 1889, membre de l'Académie des beaux-arts et de plusieurs académies ou sociétés d'architectes de l'étranger, ancien président et conseiller d'honneur de la Société centrale des architectes français et de la caisse de défense mutuelle des architectes, inspecteur général et vice-président du conseil général des bâtiments civils, membre du conseil supérieur des beaux-arts et du conseil d'architecture de la préfecture de la Seine, etc. On lui doit, outre de fort nombreux rapports ou articles critiques concernant l'architecture, l'archéologie et les beaux-arts et aussi de nombreuses fantaisies versifiées, les ouvrages suivants : la Restauration des tombeaux des rois angevins en Italie (54 pl. in-fol.), pour le duc de Luynes; A travers les Arts (Paris, 1868, in-12); le Théâtre (Paris, 1876, in-8); le Nouvel Opéra (2 vol. in-fol. de planches et 2 vol. de texte); l'Ile d'Egine, Restauration du temple de Jupiter Panhellénien (gr. in-4, texte et pl.); l'Observatoire de Nice (texte et pl. gr. in-4) et l'Histoire de l'habitation, en collaboration avec Ammann (1892, in-4, pl. et nombr. gr.). (Charles Lucas). |