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Félix Pécaut
est un publiciste et éducateur français, né à Salies-de-Béarn
(Pyrénées-Atlantiques), en
1828, mort à Orthez le 31 juillet 1898. Ses
parents, d'une vieille famille huguenote, le
destinaient dès l'enfance au ministère évangélique. II fit ses premières
études chez un instituteur du Pays
Basque, puis au collège de Sainte-Foy après avoir suivi les
cours de la faculté de théologie de Montauban,
il alla suivre ceux de Néander et de Rothe en
Allemagne.
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Félix
Pécaut (1828-1898).
C'est à cette époque (1848), que s'accomplit
une transformation décisive dans ses idées religieuses : tout en restant
attaché de coeur à l'esprit chrétien
et protestant, il commençait dès lors
et il continua depuis à appliquer au dogme et à la tradition ecclésiastique
une critique de plus en plus rigoureuse. Sa liaison avec Edmond Scherer
à son retour d'Allemagne, qui devait devenir la plus chère amitié de
sa vie, contribua à déterminer son évolution. Il accepta cependant,
en 1849, les fonctions de pasteur suffragant à Salies et les remplit pendant
quelques mois, de telle sorte que ceux même qu'effrayait son hétérodoxie
manifeste s'inclinaient émus devant tant de piété et tant de bienveillance.
Mais la profondeur du sentiment religieux
qui débordait de sa parole et de sa vie ne pouvait longtemps l'emporter
devant l'autorité ecclésiastique, si relâchés qu'en fussent les liens
dans le protestantisme : il ne lisait pas en chaire le Credo, niait
le miracle et réduisait de plus en plus la
divinité de Jésus-Christ à la sainteté morale;
cité devant le Consistoire, il ne dissimula rien de ses hérésies et
dut renoncer aux fonctions pastorales. Il acheta l'institution Duplessis-Mornay;
à Paris, et la dirigea de 1831 à 1857, mais
son état de santé très précaire l'obligea à renoncer à la vie active
il retourna habiter avec sa femme et ses enfants son modeste patrimoine
dans le Béarn.
C'est là qu'il écrivit son premier ouvrage,
le Christ et la Conscience (1859), exposé sous forme de dialogue des
doctrines de l'extrême gauche de la théologie rationaliste,
mais qui s'en distinguait par l'accent : son idéal, bien qu'étant essentiellement
moral, revêtait un caractère religieux; sa foi consistait non dans la
croyance ou l'adhésion à certaines doctrines, mais dans un élan du coeur
et de la conscience tendant à la perfection
morale absolue et par là même s'élevant à Dieu.
Ce livre, malgré sa forme grave, fit au sein du petit monde protestant
le même scandale que la Vie de Jésus dans le grand public.
Dix années environ se passèrent, pendant
lesquelles Pécaut se consacra à l'éducation de ses enfants, poursuivit
le travail intérieur de sa pensée, écrivit quelques articles importants
dans le Disciple de Jésus-Christ, notamment des Réflexions
sur le christianisme, le catholicisme et le protestantisme (mai 1867),
puis diverses brochures et un remarquable essai de synthèse religieuse
publié en 1864, de l'Avenir du théisme chrétien.
Pendant cette période, il n'avait quitté
le Béarn que rarement pour venir faire quelques conférences à Montauban
et à Paris. Il le quitta de nouveau en 1869, pour faire un assez long
séjour en Suisse, ou il tenta un retour
à la vie active : il était appelé à Neuchâtel
par Ferdinand Buisson et un groupe de protestants libéraux très avancés
qui venaient de lancer le Manifeste du christianisme libéral. Pécaut,
si sa santé ne l'avait encore une fois trahi, eût pris la direction de
cette « Eglise sans dogmes et sans miracles ». Il dut se borner à quelques
séries de conférences et de discours, publiés sous le titre : Qu'est-ce
que le christianisme libéral? (1870).
Rentré dans son petit domaine de Ségalas,
il prit part à la lutte des libéraux contre le plébiscite; après la
déclaration de guerre, il écrivit à Schulze Delitsch une lettre au nom
du droit et de la justice; après la Commune,
il écrivit dans le Temps (1874-1878) - les Lettres de province,
série d'articles traçant le programme de la République libérale.
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L'esprit
libéral
Il
n'y a qu'un moyen honorable d'arrêter les progrès de l'esprit clérical
: c'est de lui opposer un vigureux élan de l'esprit libéral. Il faut
que le parti libéral ( Le
libéralisme politique), en France, s'il veut recouvrer une influence
profonde, étendue, durable, se replie sur son vrai principe; qu'il l'aperçoive
en pleine lumière : qu'il en reconnaisse de nouveau la vérité et la
force; qu'il s'y retranche comme dans l'asile de la vie moderne. Ce principe
n'a rien de mystérieux; il est, au contraire, d'une parfaite simplicité,
et, nos pères de 89, étrangers Ã
nos subtilités et à nos sophismes, l'avaient
saisi du premier coup : ce n'est pas autre chose que la pleine confiance
dans la liberté laïque, c'est-à -dire dans
l'aptitude de l'homme et de la société humaine à connaître la vérité
politique et morale et à se gouverner d'après cette connaissance.
Le
monde moderne ne se partage pas, quoi qu'on en dise, en républiques
et en monarchies, ni entre républicains et
royalistes. Mais, en tout pays, et surtout en France, le débat se précise
de plus en plus entre ceux qui s'en remettent à la liberté, en d'autres
termes à la capacité morale de l'homme et ceux qui s'en défient
ou la nient expressément. Cela est au fond de toutes les oppositions,
de tous les malentendus.
Il
importe donc au plus haut point que le parti libéral se ressaissise lui-même
en prenant possession de son idée fondamentale, et qu'il mette son honneur.
mieux encore, son devoir, Ã la faire triompher par tous les moyens de
persuasion et d'action légale.
Ne
nous lassons pas de le redire : l'une de nos principales faiblesses est
de nous fier à la vertu magique des noms et des formules. On donne, en
un jour d'élection ou de révolution, un vigoureux coup de collier pour
mettre en branle le char de la Liberté ou de la République; ensuite,
on se croise les bras pour voir passer l'idole, l'adorer et recueillir
sa bénédiction.
On
oublie que liberté, république (ajoutez-y, s'il vous plaît, révolution,
peuple, commune, etc.) ne sont pas des forces réelles, indépendantes
de nous, et comme une Providence naturelle
à qui nous puissions remettre le soin de nos destinées et l'avenir du
genre humain.
La
liberté ne vaut que par des hommes libres. On ne la fonde pas d'un coup,
par décret, et une fois pour toutes. Elle se fait de jour en jour, par
un effort incessant; elle monte ou descend, non pas au gré des ministères
et des gouvernements, mais selon que baisse ou s'élève la valeur moyenne
des citoyens. Elle ne consiste pas essentiellement dans une forme politique
déterminée, - de telle sorte que, la forme instituée, tout aille de
soi, sans risque ni peine, - elle consiste dans un certain esprit. Assurément
la forme est d'une extrême conséquence : mais elle ne supplée jamais
l'esprit, tandis qu'on a vu souvent l'esprit suppléer la forme.
Et
quand je parle d'esprit libéral, on comprend que je ne lui assigne pas
pour objet exclusif et pour unique aliment les choses politiques, S'il
ne s'applique naturellement à tout, à la vie municipale, industrielle,
scientifique, religieuse, il trahit par là son mauvais aloi, et vous le
verrez bientôt fléchir, même dans l'ordre spécialement politique.
On
ne sait pas assez parmi nous, que la meilleure des formules politiques,
la plus libérale des constitutions, si digne qu'elle soit de nos sacrifices,
n'est pourtant pas une recette infaillible pour assurer le développement
de la liberté, et de la civilisation fondée sur la liberté. Non, il
n'y a pas de talisman qui dispense les peuples libres d'activité individuelle
et collective, de sentiment moral, de bon sens, de science, de respect
de soi. C'est dans ces qualités que consiste, à proprement parler, l'esprit
libéral; les meilleures lois ne suffisent
pas à le faire; seulement, elles le sollicitent et le tiennent en haleine
en lui offrant l'occasion et les garanties.
Le
secret de nos destinées gît plus profond que nos lois; il réside dans
ce qu'on pourrait appeler l'âme de la nation. Si cette âme générale
est saine, lucide, forte; ou bien si, malade, elle entreprend sa guérison
avec une claire connaissance du but et des moyens, soyez tranquilles; elle
viendra, à bout des pires épreuves et des moins favorables institutions.
Mais si l'âme faiblit, si l'énergie lui manque pour secouer les influences
morbides, si elle s'abandonne à l'ignorance, à la vie facile, à la servitude
morale, c'en est fait : les meilleures institutions libres s'affaissent
d'elles-mêmes et nul moyen révolutionnaire ne réussirait à les maintenir
debout.
Pas
plus la république que la monarchie. Je m'imagine que la charmante république
des Missions du Paraguay, où il faisait
si bon vivre sous la présidence paternelle des jésuites
n'était pas très libérale. Une république, même avec le suffrage universel,
peut se prêter à l'absolutisme et au pire
de tous, l'absolutisme théocratique : tout, dépend
en dernier ressort de l'esprit général qui anime une assemblée, une
classe dirigente, une nation.
Nous
voilà donc ramenés à notre conclusion habituelle : c'est au parti libéral
à se constituer fortement„ à tirer de lui-même ses ressources, à réaliser
partout et sous mille formes son principe de la responsabilité personnelle
et de l'activité libre. C'est par la propagande, par l'association, par
l'application multipliée de ce principe qu'il peut tenir en échec le
principe contraire et faire passer définitivement le pays du demi-jour
du moyen âge, où il se débat encore, à la pleine clarté des temps
modernes où l'attirent de si fortes influences nationales et de si éclatants
exemples contemporains. Le jour où les libéraux verront clairement leur
route et où ils voudront marcher, la France les suivra : car toutes les
forces de la civilisation présente conspirent pour eux. Mais comment se
livrerait-elle sans inquiétude à des guides qui ne savent pas bien où
ils vont, qui hésitent à chaque tournant de la route, qui ne s'orientent
pas au milieu des grandes questions politiques, religieuses, sociales du
temps présent, qui sont toujours prêts, au lieu de parler et d'agir,
à implorer le secours du clergé administratif, à défaut du clergé
spirituel.
F.
Pécaut (Extrait des Etudes au jour le jour sur l'Education Nationale,
1879).
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En 1879, commence pour Pécaut une nouvelle
forme d'activité qui devait remplir la fin de sa vie. Jules
Ferry le chargea d'abord de plusieurs missions d'inspection générale
de l'enseignement primaire (dont le résultat figure dans le recueil des
Rapports d'inspection générale, 1880-1882), puis d'un voyage d'études
pédagogiques en Italie (Deux mois de mission en Italie, 1880),
enfin de l'organisation de l'Ecole normale supérieure d'institutrices
à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Cette fondation, à laquelle Pécaut
consacra quinze années d'une incessante activité, a été une des oeuvres
les plus originales et les plus heureuses de la Troisième
République.
La
journée, à Fontenay-aux-Roses, racontait son fils, commençait toujours
par ce que les élèves appelaient - assez improprement - la « Conférence
» du matin. Dès leur lever, elles se réunissaient dans une grande salle,
en présence de mon père, exécutaient un chant choral, et l'entretien
s'engageait entre le maître et les élèves sur les sujets les plus variés,
histoire, littérature, un point du programme d'études, un événement
politique, un personnage historique ou contemporain, une lecture, ou encore
une des grandes questions de morale ou de philosophie. Sans doute mon père
parlait, traitait, le sujet, gardait la direction; mais il provoquait
les élèves à intervenir, à parler aussi, et c'était même là le véritable
objet de ces « conférences ». Elles furent assurément le grand moyen
d'action de Félix Pécaut. C'est dans cette heure de libre et sérieux
échange de pensées, qu'il pénétrait dans les âmes, qu'il y allumait
la flamme de la vie personnelle. Aussi cet entretien familier était-il
très sérieusement préparé. Si riche que fût la culture de mon père,
si riche que fût son expérience morale, je ne l'ai jamais vu manquer
un seul jour de se lever à cinq heures du matin pour se recueillir pendant
une heure et se préparer, la plume à la main, par la réflexion intense,
à la « Conférence ». (Elie Pécaut).
L'enseignement
laïque étant légalement établi, des écoles normales d'institutrices
laïques devant s'ouvrir dans tous les départements,
il fallait recruter et presque improviser tout un personnel féminin capable
de former ces futures institutrices. Pécaut entreprit de donner à la
France, en quelques années, ces premières
générations de jeunes femmes dont l'influence devait être décisive
et rendre possible cette sorte de prouesse: la substitution instantanée
d'une forte éducation laïque et républicaine à l'enseignement des religieuses
seules en possession d'état séculaire de la direction des femmes. Il
y réussit. Le type d'éducatrice morale qu'il a créé est celui qui pouvait
le mieux répondre aux aspirations à la fois les plus hautes et les plus
pratiques de la démocratie française.
Comme pédagogue, Pécaut avait fait de
Fontenay une maison unique qu'on a parfois nommée un Port-Royal
laïque. Son ascendant personnel, le prestige moral et la noblesse de son
caractère, la puissance de pénétration et de perspicacité qui s'alliait
chez lui à une bonté inépuisable, lui permirent de grouper autour de
lui, en vue d'une action profonde, les professeurs les plus éminents,
Marion, Charles Bigot, Boutroux, Liard, Albert Sorel, Vidal
de la Blache, Georges Lyon, Compayré, Darlu, Séailles, Félix Hémon,
etc.
On peut retrouver les grandes lignes de
la pédagogie pratiquée et inspirée à Fontenay dans quelques Allocutions
de Pécaut à ses élèves, reproduites par le Bulletin des anciennes
élèves de Fontenay, ainsi que dans plusieurs articles de la Revue
pédagogique et du Manuel général de l'enseignement primaire.
D'autres études un peu plus étendues ont été réunies dans un dernier
volume, l'Education publique et la vie nationale (1897) : c'est
peut-être le meilleur résumé de ses vues sur l'éducation nécessaire
à une démocratie qui veut vivre.
On a dit de lui avec raison : cet homme,
qui avait passé la première partie de sa vie à faire de la religion
une morale, a employé la seconde à faire de
la morale une religion. A la fin de 1896, Pécaut dut abandonner la direction
de Fontenay et retourner définitivement dans le Béarn, ne gardant plus
que les fonctions d'inspecteur général et de membre du conseil supérieur.
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Fais ce que
tu fais (Age quod agis)
«
Je tâche que chaque jour soit pour moi l'équivalent de toute ma vie.»
(Sénèque;
lettre LXI Ã Lucilius)
«
Cueille le jour qui passe. »
La
pensée de Sénèque, comme son style, est souvent
subtile, et le sens prête à quelque incertitude. Dans cette belle lettre,
toute pleine de l'inspiration stoïcienne, le philosophe
romain s'efforce d'armer son âme contre l'effroi d'une mort prochaine
et prématurée. On n'est pas malheureux, dit-il, quand on obéit librement
à la nécessité : bien mourir, c'est mourir
de bon coeur (libenter).
«
Je considère chaque jour comme s'il pouvait être le dernier. Je suis
tout préparé à partir; et c'est pourquoi je jouis de la vie; quant
à savoir quelle en sera la durée, je ne m'en inquiète point...»
Et
il termine par ces nobles paroles :
«
Ce n'est pas les ans ni les jours qui feront que nous ayons assez vécu
: c'est l'âme. J'ai vécu assez longtemps, mon cher Lucilius : j'attends
la mort (en homme) rassasié (plenus). »
Vous reconnaissez
à tous ces traits la grande doctrine stoïcienne
: se faire libre en obéissant à Dieu; à Dieu, c'est-à -dire à l'ordre
du monde, à la nécessité intelligente. Je n'insiste pas. Je veux seulement
arrêter votre attention sur le mot que j'ai mis en tête : « Je tâche
que chaque jour soit pour moi l'équivalent
de
ma vie entière », de sorte que j'aie lieu de croire avoir assez vécu,
même s'il doit être le dernier. Et cette incertitude même de la vie,
loin de m'empêcher d'en jouir fait que j'en jouis davantage.
Mais
comment en jouit-il? On ne s'éloignera pas trop, sans doute, de la pensée
de Sénèque en la traduisant à peu près ainsi :
«
Je remplis chacune de mes journées (qui peut être la dernière), de tout
ce qu'elle peut contenir d'existence effective, c'est-à -dire d'activité
intérieure, de courage et de vertu, au lieu de la réduire par un inutile
retour sur le passé, ou par une énervante anticipation de l'avenir, ou
par une continuelle absence hors de moi-même à n'être en quelque sorte
qu'un moment idéal sans réalité, sans substance et sans vrai contentement.»
Le mot
n'est-il pas instructif pour vous? Ce n'est pas seulement « la crainte
de la mort qui nous empêche de vivre » (Vauvenargues),
mais nous excellons tous à vider l'heure qui passe, de son contenu, de
tout ce qu'elle renferme d'existence latente, pour nous transporter (crainte
ou espoir) dans les heures écoulées ou dans l'heure à venir.
C'est
un art, qui ne s'apprend pas du premier coup, que de remplir le présent,
de le réaliser en vivant près de soi, en soi, et en étant tout entier
à ce que l'on fait. Age quod agis; fais ce que tu fais. Carpe
diem, saisis au passage l'heure, l'occasion qui ne reviendra plus.
Jouir du jour présent comme s'il était la vie entière en abrégé, c'est
encore le remplir d'immortalité, en l'occupant de pensées dignes de durer,
de sentiments dignes d'être toujours les nôtres et ceux de toute créature
raisonnable; en concentrant, notre vie, afin de la multiplier, au lieu
de la disperser en vaines rêveries, en stériles regrets,
en désirs changeants.
Tel
vit trente, quarante ans qui a vécu plus longuement que des vieillards
de quatre-vingt-dix ans. Songez à Pascal, Ã
Spinoza, de notre temps au philosophe Guyau,
et à maints hommes ou femmes obscurs, enlevés prématurément à une
bienfaisante activité. On peut quelquefois enfermer un mois, une année
en un seul jour, par un héroïque effort de pensée,
de décision, d'action.
Il
y a loin de cette maxime à cette autre : vivre en se souvenant que
la vie n'est qu'un instant éphémère, de peu de prix, à moins qu'on
n'entende la seconde de manière à la subordonner à la précédente.
Insistons sur cette précieuse règle qui porte la vie à son maximum d'existence
réelle.
«
Travailler à ce que chaque jour soit pour nous toute la vie », c'est
donner à la journée la plénitude, la richesse d'une vie entière en
ne gaspillant pas nos instants et nos forces. C'est, là imprimer autant
que possible le caractère d'achèvement, de maturité d'une vie complète;
c'est avancer de tout notre pouvoir les tâches que l'on a entreprises
: d'abord la réforme de soi, de son esprit, de son caractère, de son
humeur, de ses habitudes; puis tout le bien qu'il dépend de nous de faire
dans la famille, dans l'école, dans la société; le bonheur que nous
voulons donner à nos proches, à nos amis.
C'est
encore (je me rapproche du sujet spécial de la lettre de Sénèque) veiller
au bon règlement quotidien de ses affaires, comme il arrive au terme d'une
vie sagement ordonnée; être prêt à partir sans laisser une situation
embrouillée; disposer les choses et nous mêmes, pour que nos parents,
nos amis, nos élèves voient clair en nous, dans nos principes,
dans nos motifs habituels d'agir; régler notre âme et notre conduite
de chaque jour, de façon à laisser de nous l'image que nous estimons
la plus digne, la plus conforme à notre vraie destinée.
Et
comme résultat final, c'est que chaque jour soit fécond et plein
de contentement, comme une vie entière bien réglée.
Pareille
disposition pourra paraître à quelques-uns trop militante; mais combien
éloignée de l'ascétisme autant que de la
frivolité mondaine! Ceux-là sont le plus capables de la goûter, qui
sont le plus avides de vivre, de jouir, d'agir, et pour cela d'être le
plus possible. Et cette plénitude d'existence est à la portée des plus
humbles, de l'ouvrier, de la mère de famille, du maître d'école, autant
que du philosophe.
Ceux
qui vivent, ce sont ceux qui luttent, ce sont
Ceux
dont un dessein ferme emplit l'âme et le front; ,
...............................................................
Ayant
devant les yeux, sans cesse; nuit et jour,
Ou
quelque saint labeur ou quelque grand amour,
C'est
le prophète saint prosterné devant l'arche....
C'est
le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux
dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-lÃ
vivent, Seigneur! les autres, je les plains.
Car
de son vague ennui le néant les enivre,
Car
le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
(V.
Hugo, Les Châtiments, livre IV, IX).
F.
Pécaut (Conférence aux élèves de Fontenay-aux-Roses).
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Atteint d'une congestion pulmonaire dont
les suites le tinrent cinq mois malade, il conserva jusqu'au bout
sa force de caractère. Quinze jours avant sa mort, il insista pour que
le ministre acceptât sa démission, afin de pouvoir prendre publiquement
parti dans l'affaire Dreyfus, en
faveur de la révision, « seul moyen, disait-il, de sauver l'honneur de
l'armée et celui de la conscience française ». Ce dernier « devoir
» rempli, il mourut en paix le 31 juillet 1898. (F. Buisson). |
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