|
. |
|
Histoire de la philosophie |
Histoire
de la philosophie
La philosophie romaine |
A
Rome, la philosophie ne fut qu'une production
exotique, une science empruntée à la Grèce
(La Philosophie
grecque); c'est à peine si elle y fut considérée
comme science spéculative. Mais si elle ne fut pas un but pour les
Romains, elle fut étudiée comme un instrument utile, comme
un moyen de se perfectionner dans l'art oratoire, la politique et la jurisprudence.
La plupart des Romains qui s'occupèrent de philosophie étaient
des poètes, des orateurs, des jurisconsultes.
Origine grecque
de la philosophie romaine.
Chaque école de philosophie grecque eut bientôt ses représentants latins, et une sorte de colonie romaine. Mais, en passant à Rome la philosophie grecque prit un caractère plus pratique. Ce ne sont pas les questions spéculatives qui intéressent les Romains, mais celles qui peuvent exercer de l'influence sur la direction de la vie. Les systèmes qui obtinrent auprès d'eux le plus de faveur, furent : l'Épicurisme, l'Ancienne et la Moyenne Académie avec Cicéron, et surtout le Stoïcisme. • L'Epicurisme, qui attira plus facilement l'attention, eut pour premiers interprètes Amafinus, Rabirius, puis Lucrèce, qui fit oublier tous les autres.Ajoutons qu'on vit aussi quelques pythagoriciens : Nigidius Figulus, Sextius, auteur présumé des Sentences, et dont la belle et forte morale faisait dire à Sénèque, son disciple, que la philosophie de Sextius était faite de mots grecs et de moeurs romaines. Cet éclectisme aboutissant au scepticisme se retrouve, moins fortement accentué, il est vrai, dans presque tous les écrivains romains qui parlent de philosophie; tous représentaient plus ou moins l'esprit de l'époque, où il n'y avait de croyances bien arretées sur rien. Il n'y eut pas de philosophie romaine proprement dite; mais il est juste de constater l'influence que le stoïcisme exerça sur la jurisprudence à Rome; on comptait parmi ses adeptes les Tubéron, les Rutilius Rufus, les Scaevola, les Lucilius Balbus, les Servius Sulpicius, et la secte des Proculéiens. (R.). Lucrèce
(95-52 av. J.-C.).
Deus ille fuit, deus inclute Memmi,Rendre le repos aux hommes en les délivrant de la peur des dieux et de la mort, c'est le seul but qu'il se propose. Une physique matérialiste, une logique sensualiste, une morale utilitaire absolument empruntées d'Épicure, voilà tout le contenu du poème de Lucrèce. Les six livres qui le composent n'ont pas la même valeur philosophique. Le cinquième livre l'emporte sur les autres par l'ampleur et la richesse des développements qu'il consacre à l'exposé de l'origine et de la formation du monde. C'est un chapitre de philosophie évolutionniste. Ce qui fait le mérite de Lucrèce, c'est d'avoir tiré un grand poème de la doctrine qui paraît la moins faite pour inspirer la poésie. L'Épicurisme eut d'abord peu de succès à Rome, mais avec le déclin des moeurs il fit de rapides progrès. Les grands débauchés de l'époque impériale couvraient volontiers leurs désordres sous le nom d'Épicurisme. Cicéron
(106-43).
Les ouvrages philosophiques de Cicéron, ne nous ont pas été conservés dans toute leur intégrité. Les principaux sont les suivants : l'Hortensius ou exhortation à la philosophie dont il ne reste que des fragments, les Académiques qui ont pour objet le problème de la certitude, de la Nature des dieux, de la Divination et du Destin, les Tusculanes, des Fins des biens et des maux ou traité du souverain bien, des Devoirs, les traités de la République et des Lois imités de Platon, enfin de l'Amitié et de la Vieillesse. Cicéron voulait que Rome n'eut rien à envier à la Grèce en philosophie comme dans les lettres et les arts. Sa philosophie à lui est une sorte d'éclectisme où dominent tour à tour les théories probabilistes de la Nouvelle Académie, et celles du Portique tempérées par des éléments péripatéticiens. Cicéron emprunte de toute part ce qui est utile à sa cause. La doctrine d'Epicure est la seule qui ne trouve pas grâce devant lui, et il ne manque aucune occasion de la combattre. Lorsqu'il aborde les questions théoriques, son école de prédilection est la Nouvelle Académie. En morale il s'inspire surtout des Stoïciens, mais des Stoïciens modérés tels que Panetius et Posidonius, et il s'applique à adapter leurs doctrines à l'esprit pratique des Romains. Sur les grandes questions de métaphysique : l'existence de Dieu, la liberté, l'immortalité de l'âme, bien que sa pensée soit hésitante, il donne la préférence aux doctrines qui sont les meilleures garanties de l'ordre moral et de l'ordre social. L'oeuvre philosophique de Cicéron nous paraît très bien jugée dans les lignes qui suivent : « Bien qu'il n'ait été qu'un disciple, dit Elie Blanc, Cicéron mérite une belle place dans l'histoire de la philosophie. Si l'homme public fut vaniteux, il n'en est pas de même du philosophe. On lui doit de la reconnaissance pour avoir formé la langue latine, langue du droit et du commandement, à l'expression des idées philosophiques, comme aussi pour avoir répandu parmi les Latins de son temps et parmi les lettrés des âges suivants le goût des nobles entretiens et des études philosophiques. Nul n'a mieux montré, et par son propre exemple, tout ce que les lettres peuvent devoir à celles-ci. Parmi les anciens qui ont cultivé avec passion la philosophie, on n'en trouvera pas qui, sans prétendre au titre de maître, l'aient mieux servie et plus honorée. »Sénèque. Né à Corduba (Cordoue) en Espagne l'an 2 de l'ère chrétienne, Sénèque mena une existence assez tourmentée jusqu'au jour où Agrippine le fit nommer précepteur de Néron. Il fut d'abord comblé de faveur par son élève, qu'il ne sut pas arrêter sur la pente de ses passions, et dont il flatta parfois les plus vils penchants. Mais d'indignes favoris le supplantèrent auprès de l'empereur; on l'impliqua dans la conspiration de Pison, et il reçut de Néron l'ordre de s'ouvrir les veines (65 après J.-C.). Il nous reste de Sénèque de nombreuses lettres dont les plus importantes sont les Lettres à Lucilius, et beaucoup de petits traités dont les principaux sont : les Consolations, des Bienfaits, de la Brièveté de la vie, de la Clémence, de la Constance du sage, de la Colère, de la Providence, du Repos du sage, de la Tranquillité de l'Ame, de la Vie heureuse; enfin sept livres de Questions naturelles. Sénèque divise la philosophie
comme la plupart des Stoïciens en trois parties : la logique, la physique
et la morale. Il s'occupe peu de logique. Sa philosophie
de la nature, c'est le panthéisme
matérialiste, mais il parle souvent de la Providence
et des espérances immortelles en vrai théiste.
Il est surtout moraliste et souvent casuiste. Il s'intéresse à
toutes les questions de la vie pratique, et il en traite dans tous ses
ouvrages jusque dans les plus petits détails. Ses lettres sont celles
d'un directeur de conscience qui s'applique, souvent avec une grande délicatesse,
au traitement des âmes. Tout inspirée qu'elle soit des principes
stoïciens, sa morale, comme on l'a souvent remarqué, n'est
pas sans quelque mélange d'Épicurisme. La grande vertu du
sage, c'est la prudence.
« Le voleur sera bien attrapé demain, s'il revient, dit-il, car il n'en trouvera qu'une de terre.-»Cette lampe de terre qui éclaira les veilles d'Épictète devint aussi célèbre que l'écuelle de Diogène. A la mort du philosophe, elle fut vendue 3000 drachmes. Épictète n'a rien écrit. Nous le connaissons par son disciple Arrien qui a résumé ses doctrines dans les quatre livres des Entretiens et dans le Manuel ou Enchiridion. Pour Épictète le but de la philosophie est essentiellement pratique, c'est de guérir l'homme de ses vices et de lui apprendre le chemin de la vertu et par là même du bonheur. « Qu'importe la science sans les oeuvres, disait-il, on ne demande pas si vous avez lu Chrysippe, mais si vous êtes juste. Vous faites grand bruit de vos commentaires sur Chrysippe, des profondes découvertes que vous avez faites dans ses écrits ; cela prouve que Chrysippe est un écrivain obscur, et ne prouve pas que vous soyez un philosophe. »Pour être heureux, il suffit de distinguer ce qui dépend et ce qui ne dépend pas de nous. « Il y a des choses qui dépendent de nous, il y en a qui ne dépendent pas de nous, dit Epictète aux premières lignes du Manuel. Ce qui dépend de nous, ce sont nos pensées, nos résolutions, les mouvements par lesquels notre volonté se porte vers un objet ou s'en détourne : en un mot tout ce qui est notre oeuvre. Ce qui ne dépend pas de nous, c'est notre corps, c'est la richesse, c'est l'opinion d'autrui, c'est le pouvoir : en un mot tout ce qui n'est pas notre oeuvre.-»Cette distinction qui pourrait se ramener à celle des biens intérieurs et des biens extérieurs, Épictète la tourne et la retourne en tous sens. La méconnaître c'est s'exposer à devenir impie, ridicule, esclave des hommes et des choses, esclave surtout de l'opinion, source de toutes sortes de troubles et de peines. Il faut tenir pour indifférent ce qui ne dépend pas de nous, ou du moins nous y résigner, et rechercher uniquement ce qui dépend de nous. De là de beaux préceptes sur le mépris des choses sensibles, sur l'indépendance de la vie. Epictète range parmi les biens qui ne dépendent pas de nous les jouissances de la famille. D'où ces paroles : « Ne dis pas sur quoi que ce soit : j'ai perdu cela, mais je l'ai rendu. Ton fils est mort? Dis-: je l'ai rendu... »La famille est un bien étranger dont il faut user comme le voyageur use d'une hôtellerie. « Si tu désires que tes enfants, que ta femme, que tes amis vivent éternellement, tu es un insensé, car c'est vouloir que les choses qui ne dépendent pas de toi, soient sous ta dépendance, et que ce qui est étranger, t'appartienne [...]. Veux-tu que tes désirs aient toujours leur effet ? Ne désire que ce qui dépend de toi. »Il faut noter particulièrement le caractère religieux de la philosophie d'Épictète. Le sage doit être le serviteur de Dieu, et comme son messager et son représentant auprès des hommes. C'est avec une sorte d'attendrissement, chose rare dans la philosophie ancienne, qu'Épictète parle des devoirs envers le divin. « Si nous étions sage, dit-il, que devrions-nous faire autre chose en public et en particulier, que de célébrer la bonté divine, et de lui rendre de solennelles actions de grâces? Ne devrions-nous pas en bêchant, en labourant, en mangeant, chanter cet hymme au Seigneur : Dieu seul est grand! [...]. Mais puisque vous êtes tous dans l'aveuglement, ne faut-il pas que quelqu'un s'acquitte pour vous de ce devoir sacré? Que puis-je faire autre chose, moi vieillard boiteux et infirme, si ce n'est de chanter Dieu! Si j'étais rossignol, je ferais le métier de rossignol, si j'étais cygne, celui de cygne. Je suis un être raisonnable, il me faut chanter Dieu. Voilà mon métier et je le fais. C'est un rôle auquel je ne faillirai pas autant qu'il sera en moi, et je vous engage tous à chanter avec moi. »Marc-Aurèle (121-180 après J.-C.). Avec Marc-Aurèle la philosophie stoïcienne monte sur le trône des Césars. On a beaucoup vanté la vie de cet empereur philosophe, sa douceur, ses actes de clémence et de justice. Toutes ces qualités n'ont pas fait oublier aux auteurs chrétiens qu'il a aussi été le plus aveugle des persécuteurs. « Les dix-neuf années du règne de Marc-Aurèle, dit Allard, sont les plus troublées et les plus cruelles que l'Église ait encore traversées. Les violentes mais rapides tempêtes qui l'assaillirent sous Néron et Domitien, les fréquents assauts qu'elle subit sous Trajan, Hadrien et Antonin firent couler le sang chrétien avec moins d'abondance que le gouvernement du doux et méditatif auteur des Pensées. [...]. Vainement les apologistes redoublent leurs appels éloquents et sincères à l'équité du souverain [...]. Marc-Aurèle ne paraît pas les avoir entendus : une seule fois dans son carnet de notes il écrit un mot qui montre sa pensée dédaigneuse et superficielle sur les chrétiens : c'est pour taxer d'entêtement et d'ostentation tragique la constance des martyrs. »Marc-Aurèle avait écrit lui-même sa vie, mais ce livre ne nous a pas été conservé, et il ne reste de l'empereur philosophe que ses Pensées, recueil de maximes très élevées de morale pratique, mais dépourvues comme la morale stoïcienne en général d'une base métaphysique bien ferme et bien consistante. Tantôt il parle de Dieu, de la Providence, de l'âme et de la liberté, en des termes que ne désavouerait pas le plus pur spiritualisme, tantôt c'est le panthéisme matérialiste qu'il admet sans hésitation, tantôt il semble se réfugier dans le scepticisme métaphysique le moins équivoque. « Ou les dieux peuvent quelque chose, ou ils ne peuvent rien : s'ils ne peuvent rien, pourquoi les prier? S'ils peuvent, demande-leur de régler plutôt tes désirs que ta destinée.-»Les Pensées de Marc-Aurèle, sont, avec le Manuel d'Epictète, les deux meilleurs textes de la philosophie stoïcienne, ceux qui nous en font le mieux connaître tout à la fois la grandeur et la faiblesse, et les deux meilleurs ouvrages de la dernière période de la philosophie ancienne. |
. |
|
|
||||||||
|