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L'abbaye de Port-Royal fut fondée en 1204 par Mahaut de Garlande, femme de Mathieu de Montmorency-Marly, et l'évêque de Paris, Eudes de Sully. Le séjour choisi pour les douze religieuses, qui composaient la communauté naissante, était austère et malsain on avait élu à 8 lieues à l'Ouest de Paris, près Chevreuse, un vallon sauvage et encaissé, couronné de hauteurs boisées, enfiévré d'eaux dormantes par l'étang artificiel (comblé depuis 1842) en contrebas duquel s'éleva le monastère. La maladie décimera souvent le pieux troupeau. Le lieu, qui dépendait de la paroisse de Magny-l'Essart (auj. Magny-les-Hameaux) et n'était signalé que par une chapelle dédiée à saint Laurent, s'appelait vallon de Porrois. La bulle du pape Honorius III, traduisit inexactement ce nom en appelant l'abbaye Sancta Maria de Portu regio; cette désignation devint officielle, et le nom de Portus Regius, retraduit en Port Royal, fut dès lors attribué au lieu et à l'abbaye. - Le cloître de l'ancienne abbaye de Port-Royal à Paris (maternité Baudelocque). Aquarelle d'Herminie Waterneau, 1905. L'église, construite par l'architecte Robert de Luzarches, fut achevée en 1229. Dès 1225, le monastère passe sous la juridiction de l'ordre de Cîteaux, qui possédait, à 9 km, de là, l'abbaye des Vaux-de-Cernay. L'abbaye compta saint Louis (Louis IX) au nombre de ses bienfaiteurs. En 1223, le pape Honorius Ill lui avait accordé de pouvoir servir de retraite à des séculières qui voudraient faire pénitence sans se lier par des vieux. Les termes de cette butte n'avaient-ils par quelque chose de prophétique? C'est par cette adjonction d'éléments laïques que, quelques siècles plus tard, Port-Royal doit s'illustrer et se perdre. Enrichie par les donations des seigneurs de Montmorency-Marly, de Chevreuse, de Monfort, de Levis, elle comptait, dès 1234, 60 religieuses. On ne sait trop ce qu'il advint de la fondation de Mahaut de Garlande au XIVe et au XVe siècle. Elle existait toujours à la fin du XVIe : mais la discipline, comme dans beaucoup de maisons religieuses, s'y était fort relâchée. On négligeait la règle de Saint-Benoît et les ordres de l'abbé de Cîteaux. En 1574, l'abbesse fut même menacée d'excommunication et obligée de quitter la maison. Mais en 1599, Jacqueline-Marie Arnauld est nominée coadjutrice de l'abbesse, et du jour où cette famille de grands bourgeois entre dans l'histoire de Port-Royal, commence pour l'abbaye une ère nouvelle. Si les écrivains jansénistes, comme Racine, se sont tus sur les circonstances au moins singulières dans lesquelles la petite Jacqueline Arnauld fut nommée coadjutrice, puis abbesse, ce n'est pas une raison pour les imiter. Tout ce qu'on peut dire, c'est que de pareils faits n'étaient pas rares à cette époque. Jacqueline Arnauld n'avait que sept ans et quelques mois, quand son père Antoine Arnauld et son grand-père, M. Marion, ancien président des enquêtes et avocat général, songèrent pour elle à l'abbaye de Port-Royal, en même temps que pour sa jeune soeur Jeanne, âgée seulement de cinq ans et demi, ils jetaient les yeux sur l'abbaye de Saint-Cyr. En France, l'affaire alla toute seule. Henri IV, fort coulant sur ces questions d'abbayes et de monastères, accorda tout ce qu'on voulut. Mais la cour de Rome faisait des difficultés, objectait l'extrême,jeunesse des enfants, et refusait d'envoyer les bulles. Arnauld avait bien essayé de vieillir un peu ses filles : les actes envoyés à Rome leur donnaient quelques armées de plus que leur âge véritable. On les trouvait encore trop jeunes. Alors Arnauld, représenta Jacqueline sous le nom d'Angélique, religieuse professe, âgée, prétendait-on, de dix-sept ans. Tout cela n'a rien de bien édifiant, et l'on ne pourrait guère prévoir que de la supercherie d'un avocat, soucieux de pourvoir ses enfants, va sortir la renaissance de Port-Royal. |
Toutes ces négociations, où s'employa le cardinal d'Ossat, durèrent quelque temps : c'est seulement en juillet 1602 qu'Angélique prend possession de l'abbaye. Elle n'avait pas onze ans. On s'empressa de lui faire faire sa première communion, et il y eut ce jour-là, à Port-Royal, compagnie nombreuse et grand festin. C'était en réalité Mme Arnauld qui dirigeait les quelques religieuses dont se composait la communauté. Angélique, avec son titre d'abbesse, continuait à Port-Royal sa vie d'enfant : elle recevait des visites, en faisait, se promenait en voiture aux environs : quelquefois on envoyait chercher, pour partager ses jeux, au monastère de Saint-Cyr dont elle était l'abbesse, sa jeune soeur Jeanne, celle qui devint plus tard la mère Agnès. Cependant cette existence ne satisfaisait point la jeune fille : quand elle eut quinze ans, le dégoût du cloître fut même si fort en elle qu'elle songea à s'enfuir à La Rochelle, ou elle avait des tantes qui appartenaient à la religion réformée. Une maladie assez grave l'empêcha d'exécuter ce projet : on la transporta à Paris, chez son père, qui réussit à lui faire signer, bien malgré elle, le renouvellement de ses voeux. Elle revint à Port-Royal assez découragée, gardant encore au coeur le goût du monde. En 1608, un capucin, qui avait quitté son couvent par libertinage, prêcha par hasard à Port-Royal : le sermon de ce mauvais moine eut tant de force et d'élévation qu'il transforma la jeune, abbesse. A partir de ce jour, ses idées ne s'orientent plus que vers le cloître. Elle commence par s'imposer les mortifications et les austérités les plus rudes, puis elle se propose de réformer sa maison, en y rétablissant dans son intégrité la règle de Saint-Benoît, et elle réalise ses projets malgré l'opposition de son père, effrayé de cette soif de réformes et de ces excès d'ascétisme. Par la persuasion seule, elle décide peu à peu ses religieuses à mettre leurs biens on communauté, et à s'astreindre à une clôture sévère. Cette dernière mesure fut marquée par un véritable coup d'État, que Sainte-Beuve (Port-Royal, 1. I, ch. v) a appelé «le coup d'État de la grâce». On se demandait en effet dans le couvent si, le,jour où M. Arnauld se présenterait à la porte, sa fille oserait lui en interdire l'accès. Elle l'osa le 25 septembre 1609, sourde aux supplications, aux reproches, à la colère de son père, de sa mère, de son frère. L'entrevue de la mère Angélique et de sa famille eut lieu à travers la grille. Telle fut cette fameuse Journée du Guichet, célébrée avec tant d'enthousiasme par les historiens de Port-Royal. Avec l'ardeur d'une âme éperdue d'ascétisme et de charité, la mère Angélique, insensible aux déclamations des moines et des abbés, qu'effarouchait son zèle novateur, voulut faire rayonner la sainteté de ses réformes sur les couvents voisins. Son apostolat n'allait pas toujours sans dangers et sans épreuves. Elle s'occupait à réformer le monastère de Maubuisson, dont l'abbesse, soeur de Gabrielle d'Estrées, avait été interdite à la suite d'une vie scandaleuse, et enfermée aux Filles-Pénitentes. L'ordre commençait à revenir à Maubuisson, quand Mme d'Estrées, à la tête d'une bande le gentilshommes, fit irruption dans son ancien couvent, et en chassa la mère Angélique. L'abbesse de Port-Royal, et les religieuses qu'elle avait amenées avec elle, durent s'enfuir à Pontoise, devant la pointe des épées et la menace des pistolets. Il fallut un arrêt du Parlement, un prévôt et des archers pour avoir raison de Mme d'Estrées, et permettre à la mère Angélique de continuer paisiblement ses réformes dans le monastère épuré (1618).
Elle y resta jusqu'à l'installation de la nouvelle abbesse, qui, trouvant le couvent trop nombreux pour les revenus dont elle disposait, lui permit d'amener à Port Royal trente de ses religieuses. Tous les contemporains admirèrent ce beau trait de générosité de la mère Angélique : car Port-Royal était pauvre, ses revenus ne dépassant pas 6 000 livres. L'abbaye se trouva bien tôt trop étroite pour loger toutes ces nouvelles venues : construite pour douze religieuses, elle en abritait maintenant quatre-vingts. L'endroit, déjà fort malsain, ne tarda pas à devenir intenable. La fièvre y était en permanence quinze religieuses moururent en deux ans.Mme Arnauld, veuve depuis 1619, et décidée à prendre le voile, insistait beaucoup pour le transfert de l'abbaye à Paris. Au bout du faubourg Saint-Jacques, on acheta l'hôtel de Clagny; on emprunta pour agrandir et aménager les bâtiments, et la communauté s'y installa au commencement de 1626. Port-Royal de Paris subsiste encore : c'est aujourd'hui l'hospice de la Maternité, anciennement rue de la Bourbe, auj, boulevard de Port-Royal. A la maison des Champs, on ne garda qu'un chapelain pour desservir l'église. |
Vue de l'abbaye de Port-Royal des Champs, (d'après Madeleine Hortemels).
L'année suivante, la mère Angélique se signala par un bel exemple de modestie chrétienne, en demandant que les abbesses fussent désormais triennales. Elle obtint aussi que l'abbaye passa sous la surveillance de l'archevêque de Paris, ce qui la soustrayait à la dépendance de Cîteaux. En 1633, elle est nommée supérieure de la maison du Saint-Sacrement, que venait de fonder, rue Coquillière, Zamet, évêque de Langres. Port-Royal lui-même subit quelque temps l'influence de ce prélat : elle fut mauvaise et faillit faire dévier l'esprit de la communauté, en l'inclinant vers les pratiques d'une dévotion mesquine, le mysticisme et l'illumination. Mais une autre direction, celle de Saint-Cyran, allait se substituer à celle de Zamet, et c'est ici que nous touchons au noeud de Port-Royal et du jansénisme. Saint-Cyran était lié depuis longtemps avec l'aîné des Arnauld, M. d'Andilly : dès qu'elle l'entendit, la mère Angélique lui soumit son âme. «Elle crut retrouver en lui, écrit Racine dans son Abrégé de l'histoire de Port-Royal, le saint évêque de Genève.» Quinze années plus tôt, elle avait, en effet, reçu les conseils de saint François de Sales : mais, avec Saint-Cyran, pénétrait à Port-Royal un christianisme d'une fougue et d'une âpreté presque espagnoles, bien différent de la dévotion un peu molle et tout italienne de l'évêque de Genève. Dès lors, les événements importants se succèdent dans l'histoire de Port-Royal. En 1636, la mère Angélique quitte, le couvent du Saint-Sacrement, pour rentrer à l'abbaye du faubourg Saint-Jacques, comme directrice des novices. Sa soeur, la mère Agnès, en était l'abbesse, Saint-Cyran le directeur, et M. Singlin le confesseur. En 1637, le jeune avocat Le Maître, neveu de la mère Angélique, qui recevait la direction spirituelle de Saint-Cyran, abandonne le barreau où il était déjà célèbre : avec son frère Séricourt, qui quitte l'armée pour le suivre, il vient demeurer dans un petit logis attenant au Port-Royal de Paris. Lancelot, un peu plus tard Sacy se joignent à eux. Tels furent les premiers solitaires. Quelques enfants, que Saint-Cyran faisait élever avec ses neveux, voilà le début des Petites-Ecoles. Mais, le 14 mai 1638, Saint-Cyran est enfermé à Vincennes, et les solitaires reçoivent l'ordre de quitter leur petite maison du faubourg Saint-Jacques. Après un court séjour à Port-Royal des Champs, ils sont dispersés de nouveau, et la plupart se réfugient à La Ferté-Mion chez le grand-oncle de Racine. Ils reviennent à Port-Royal des Champs et s'y installent vers la fin de l'été 1639. En 1640, paraît l'Augustinus. Saint-Cyran est élargi le 6 février 1643, et meurt quelques mois après. Mais il laissait un successeur dans le jeune Antoine Arnauld, en qui il avait reconnu un controversiste et le futur défenseur du parti. L'influence de ce jeune homme, déjà grande sur les solitaires, éclata en cette même année 1643, d'une façon retentissante, par le traité de la Fréquente Communion. Arnauld fut forcé de se cacher : mais le succès de son livre attira à Port-Royal des Champs de nouvelles recrues, le médecin Victor Pallu, d'anciens soldats comme La Rivière, le duelliste La Petitière, enfin, en 1646, Robert Arnauld d'Andilly, qui, à l'âge de cinquante-sept ans, abandonna ses charges, pour venir vivre au milieu des solitaires. Il fit dessécher des marais, assainit, défricha, planta, embellit, et par sa situation mondaine, par les visites qu'il continuait à recevoir au monastère, il fut comme le trait d'union entre Port-Royal et le monde. De 1646 à 1656, s'écoule une période, remplie surtout, d'une part, par la multiplication croissante des solitaires, et de l'autre, par les discussions sur les propositions de Jansénius. En 1647, l'Institut du Saint-Sacrement fut transféré à Port-Royal. Les religieuses, qui portaient jusque-là le scapulaire noir des bernardines, prirent le scapulaire blanc, avec la croix de laine rouge sur la poitrine. C'est sous cet habit que nous les a conservées le pinceau austère et fervent de Philippe de Champaigne. En mai 1648, la mère Angélique revint à Port-Royal des Clamps, avec un certain nombre de religieuses. La veille de leur départ, le coadjuteur Paul de Gondi vint leur dire adieu et leur donner sa bénédiction. Par une bizarrerie singulière, toujours Port-Royal devait entretenir de bons rapports avec cet homme, si peu conforme à son esprit, et ce sera plus tard auprès du roi un des principaux griefs de ses adversaires.
Ex Voto (1662). Dans ce tableau, Champaigne A l'arrivée des religieuses, quelques solitaires, faute de place, quittèrent le séjour des Champs; ils louèrent une maison à Paris, près du monastère; puis on bâtit aux environs de Port-Royal des Champs, surtout à la ferme des Granges, et peu à peu tous les solitaires purent regagner leur désert. La première guerre de la Fronde suivit de peu de mois le retour aux Champs. La charité des religieuses fut admirable: le monastère ouvrit ses portes comme un asile aux paysans, à leurs familles, même à leur bétail. Quelques-uns des vieux officiers, retirés parmi les solitaires, reprirent allègrement l'épée et le mousquet, pour défendre les points faibles de la clôture. La seconde Fronde, plus menaçante encore, obligea toutes les religieuses à regagner le monastère de la ville (avril 1652). Elles retrouvèrent, en janvier 1653, leur cloître agrandi par les soins du duc de Luynes, qui venait de s'installer à cent pas de l'abbaye, au château de Vaumurier. Mlle de Vertus, fille de Claude de Bretagne, descendant d'un frère de la reine Anne, et Mme de Longueville, soeur du grand Condé, faisaient, édifier leur maison dans l'enceinte même de l'abbaye. Mais au dehors l'orage grondait sur Port-Royal. Cette même année 1653, les Cinq Propositions (Jansénisme) sont condamnées en cour dellome. En 1656, Arnauld est rayé, comme indigne, de la Faculté de théologie, et tout Port-Royal semble menacé avec lui. On sait quel formidable champion trouva le jansénisme dans une des dernières recrues qu'il venait de faire, et comment la bataille, perdue par Arnauld devant la Sorbonne, fut regagnée par Pascal devant l'opinion. Mais le succès éclatant des Provinciales, en affolant les adversaires, et en irritant le pouvoir, aggrave le péril, au lieu de le conjurer. Les Jésuites, qui voulaient être les seuls éducateurs de la jeunesse, avaient été alarmés du succès des Petites Écoles et, en mars 1656, ils en obtinrent la fermeture. Les solitaires sont obligés de quitter Port-Royal; il est même question d'enlever aux religieuses des deux maisons leurs novices et leurs pensionnaires. La communauté semblait en grand péril, quand brusquement la nouvelle se répandit dans Paris qu'un miracle venait d'avoir lieu au couvent du faubourg Saint-Jacques. Une jeune pensionnaire de dix à onze ans, Marguerite Périer, la nièce de Pascal, venait, disait-on, d'être guérir d'une fistule lacrymale, par l'imposition d'une épine de la couronne du Christ. C'est le miracle de la Sainte-Epine, si fameux dans l'histoire de Port-Royal. Cet événement, autour duquel le parti janséniste mena grand bruit, impressionna la dévotion espagnole d'Anne d'Autriche. Il ne fut plus question d'enlever aux religieuses les pensionnaires et leurs novices : on leur laissa la liberté d'en recevoir tout autant qu'elles voudraient. Le désert même des Champs se repeupla peu à peu : un a un, les solitaires regagnaient sans bruit leur Thébaïde. Malheureusement pour Port-Royal, les trêves qu'on lui accordait n'étaient jamais longues. La persécution reprit en 1660, quand les Jésuites obtinrent enfin la destruction des Petites-Écoles. L'idée de leur fondation venait, comme nous l'avons dit, de Saint-Cyran. A travers toutes les tracasseries suscitées par les jésuites, elles durèrent de 1638 environ à 1660. Comme le but de leur institution semble avoir été de réaliser un milieu entre l'éducation domestique et le collège, le nombre des élèves n'y fut jamais bien considérable. Jamais elles n'en comptèrent plus de cinquante à la fois, et encore ce nombre ne fut-il pas toujours atteint. Elles se tinrent d'abord à Port-Royal des Champs, puis à Paris, dans le cul-de-sac de la rue Saint-Dominique-d'Enfer; enfin elles revinrent aux Champs, où elles refleurirent en trois groupes, aux Granges, au château des Trous (Boullet ou Boulay), près Chevreuse, chez M. de Bagnols, et au Chesnay, près Versailles, chez M. de Bernières. Ces deux messieurs, tout en faisant élever leurs enfants chez eux, consentaient à en recevoir d'autres, sous la direction des messieurs de Port-Royal. Telles furent ces Petites-Ecoles, dont Racine fut l'élève le plus brillant, mais capricieux et révolté, et Le Nain de Tillemont le parfait écolier. Par les maîtres qui y enseignaient, Lancelot, Nicole, Wallon de Beaupuis, etc., par les livres auxquels elles ont donné naissance, et dont les principaux sont la Logique, la Grammaire générale, le Jardin des racines grecques, les nouvelles méthodes pour apprendre facilement le grec, le latin, l'italien, l'espagnol, leur influence n'a pas laissé d'être considérable et a survécu à leur existence même. Port-Royal voulait qu'on apprit, à l'enfant à épeler non plus en latin, mais en français, que, pour rendre à l'enseignement du grec la place qu'il avait perdue, on lui consacrât presque exclusivement trois ou quatre années, dès que l'enfant commençait à savoir un peu de latin, qu'on donnât plus de temps à la version, moins au thème, qu'on réservât à quelques élèves de choix l'exercice des vers latins. Voilà des idées neuves, dont quelques-unes seront reprises plus tard. Ajoutons que Port-Royal, par un scrupule de morale chrétienne, faisait aussi peu que possible appel à l'émulation chez ses élèves. La suppression des Petites-Ecoles n'était que le signal d'une persécution, qui ne va pas cesser pendant les huit années qui suivent. Le formulaire dressé par l'assemblée générale du clergé de 1657, tombé depuis en désuétude, fut remis en vigueur par l'assemblée de 1660. Le roi était décidé à en finir avec le jansénisme. Aussi, avant même d'exiger la signature des religieuses, commença-t-on à sévir contre le monastère. En avril 1661, le lieutenant civil Daubray ordonna de faire sortir, tant de la maison de Paris que de celle des Champs, les pensionnaires, les postulantes et les novices, avec défense d'en recevoir à l'avenir. Après l'échec du projet d'accommodement tenté par l'évêque de Comminges, le persécution reprit avec le nouvel archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe. Les religieuses les plus obstinées sont enlevées du monastère en août 1664 (journées du 21 et du 26), et remplacées par des filles de Sainte-Marie. De nouveaux enlèvements ont lieu en novembre et décembre. En juillet 1665, on interne aux Champs toutes les religieuses de Port-Royal, tant celles qui étaient restées dans la maison de Paris, que celles qui avaient été enfermées dans divers couvents. |
Réunies à celles qui se trouvaient déjà au vieux monastère, elles formaient une communauté d'environ soixante-dix personnes. On avait pris cette mesure pour les empêcher de communiquer, comme elles le pouvaient faire à Paris, avec Arnauld et leurs principaux conseils. Un seul des solitaires, le médecin Hamon, eut le droit de les visiter et de vivre auprès d'elles. Elles passèrent près de quatre ans, ainsi séquestrées, privées des sacrements, surveillées par des gardes entés autour des murailles. L'interdit ne fut levé qu'en février 1669, à la paix de l'Église, quand les religieuses eurent signé une requête à l'archevêque, dont il avait prescrit les termes, et qui contenait leur soumission. Elles condamnaient les Cinq Propositions, et, sur le fait de leur attribution à Jansénius, s'en remettaient au Saint-Siège. Le 18 février, les portes de leur chapelle se rouvrirent, les cierges se rallumèrent, les cloches sonnèrent sur le vallon réjoui. Restait à régler la question du temporel. La pauvreté des religieuses des Champs avait été extrême durant ces quelques années. La persécution prenait toutes les formes et détournait lune partie de leurs biens, pour les attribuer aux religieuses de Port-Royal qui avaient signé, Dorothée Perdreaux, Flavie, etc., comme nous l'avons vu, faubourg Saint-Jacques. Il fallut procéder à un partage; le conseil d'État trancha le différend entre les deux maisons. Port-Royal fut divisé en deux couvents distincts : celui de Paris, avec une abbesse perpétuelle à la nomination du roi; celui des Champs, avec une abbesse élective de trois en trois ans. Paris n'eut que le tiers des biens : mais on lui donnait, en dehors de ce tiers, toutes les maisons bâties autour du monastère; en somme, Port-Royal des Champs se trouvait lésé; une communauté. comprenant une douzaine de personnes, obtenait autant, sinon davantage, qu'une autre, qui comptait soixante-huit religieuses et seize converses. Mais Port Royal s'inquiétait peu des injustices de cette sorte; le monastère était reconstitué dans le lieu même qui avait été son berceau, où il avait vécu quatre siècles, où la volonté d'une pieuse abbesse l'avait régénéré et appelé à une vie nouvelle. Les dix années qui suivirent furent dix années de gloire et de rayonnant déclin. C'est ce que Sainte-Beuve a appelé « l'automne de Port-Royal ». A vrai dire, il ne se forme plus d'école de garçons : les dévots pédagogues, qui ont formé Racine et Tillemont, n'instruisent plus de nouveaux élèves. Mais les jeunes filles pensionnaires se multiplient; les bâtiments se pressent dans la vallée étroite, serrés autour du clocher de l'abbaye. Mme de Longueville repentie, Mlle de Vertus y ont leurs petits hôtels. A côté des pénitents et des pénitentes, se groupent autour de Port-Royal un certain nombre de protectrices et d'amis dévoués, la princesse de Conti, la duchesse de Lianceurt, Mlle de Sablé, Mme de Sévigné, Boileau, La Fontaine lui-même; Racine ne lui reviendra qu'un peu plus tard, mais alors exclusivement et de toute son âme. C'est ainsi que Sainte-Beuve, sans briser le cadre de son sujet, a pu ordonner autour de Port-Royal presque toute l'histoire de la société et des lettres françaises pendant les plus belles années du XVIIe siècle. Cependant, tout de sympathies, tant de visites, tant de pèlerins religieux ou séculiers, tant de carrosses arrêtés devant la porte du monastère, allaient finir par attirer la méfiance du roi, toujours mal disposé pour Port-Royal. Tant que vécut la duchesse de Longueville, le persécution n'osa s'exercer contre une oraison qu'elle protégeait; mais à sa mort, survenue le 15 avril 1679, le pouvoir, qui n'avait plus personne à ménager, reprit les hostilités avec une brusquerie et une violence bien faites pour surprendre ceux des membres de la petite communauté qui s'étaient abandonnés à la douceur de cette paix menteuse. liés le mois de mai 1679, l'archevêque de Paris, M. de Harlay, vient à Port-Royal des Champs et exige le renvoi des novices, des pensionnaires, des confesseurs et des solitaires. Trente-quatre pensionnaires, treize postulantes et dix-sept ecclésiastiques ou séculiers, logés au dehors, quittèrent Port-Royal. La suppression des novices était l'arrêt de mort de la communauté : on lui enlevait le moyen de se recruter; le nombre des religieuses, qui était alors de 63, va donc diminuer chaque année, et peu à peu, par voie d'extinction, le monastère s'achemine vers sa ruine. Vers la En du siècle, la communauté, selon le mot de Harlay, n'était plus qu'une infirmerie. En 1705 il ne restait que 25 religieuses dont la plus jeune avait soixante ans. La fin de Port-Royal n'était doue plus qu'une question de jours. Si ses adversaires avaient eu un peu de patience, ils l'auraient laissé mourir de sa belle mort. Mais à la fin, la rancune du roi ne put s'accommoder de ces délais, et on extermina par la, violence ce qui allait s'éteindre naturellement. Cependant, M. de Noailles, qui, en 1695, succéda à Harlay comme archevêque de Paris, était mieux disposé que son prédécesseur en faveur de Port-Royal. Il demanda même au roi le rétablissement du noviciat. Louis XIV se garda bien de donner suite à cette démarche. Pourtant, un dernier répit allait être accordé à Port-Royal, quand la maladresse d'un ami attira les derniers coups. Le confesseur des religieuses, M. Eustace, par un écrit imprudent, appelé le Cas de Conscience, qu'il fit signer à 40 docteurs de la Faculté de théologie, ranima tout d'un coup, en 1701, les vieilles querelles des Cinq Propositions et du Formulaire, et fut ainsi pour son pauvre troupeau, si faible et si réduit, l'auteur inconscient des derniers malheurs. Toutes les vieilles passions antijansénistes reprirent feu tout d'un coup. Le Cas de conscience fut condamné à Rome en février 1703. Trois mois après, le P. Quesnel était arrêté à Bruxelles; la saisie de ses papiers, en paraissant donner raison à ceux qui affirmaient l'existence d'un parti et d'un complot jansénistes,. ou du moins en montrant combien les idées des Saint-Cyran, des Pascal et des Arnauld retrouvaient de faveur auprès des jeunes théologiens, vint encore aggraver la situation de Port-Royal. Le pape Clément XI accorda, le 15 juillet 1705, aux sollicitations de Louis XIV, une bulle contre le jansénisme, qui renouvelait et confirmait les anciennes, et exigeait la signature d'un nouveau formulaire. Il fallait proclamer le livre de Jansénius infecté d'hérésie. Ceux qui avaient machiné ce dernier coup connaissaient bien Port-Royal : ils savaient que ces pieuses filles se laisseraient briser plutôt que de consentir une déclaration pareille. En effet, quand, en mars 1 706, la bulle et le mandement de l'archevêque de Paris, qui l'accompagnait, furent présentés à Port-Royal, les religieuses ne voulurent signer qu'un certificat restrictif. Les représailles ne se firent pas attendre : en avril 1706, l'abbesse étant morte, M. de Noailles s'opposa à ce qu'on procédât à l'élection ayant pour luit de pourvoir à son remplacement. Un peu plus tard, vers la fin de 1706, Port-Royal de Paris «ce mauvais frère» (Sainte-Beuve, Port-Royal, 1. V, ch. vi), qui, depuis 1669, n'apparaît que pour dépouiller son aîné, demanda que l'arrêt du partage fût révoqué. Ce couvent s'était endetté, et trouvait bon que celui des Champs payât ses dettes. En février 1707, un arrêt du Conseil donna raison à ces prétentions injustes. Les religieuses de Port-Royal des Champs étaient obligées à réduire au nombre de dix leurs domestiques et toutes personnes vivant aux dépens de la communauté. Mais en vraies filles de parlementaires, elles ne cédèrent pas sans avoir recours à toutes les procédures. Elles se défendirent contre ces arrêts, formant oppositions sur oppositions, si bien qu'à la fin leur obstination impatienta Louis XIV. Il stimula le zèle un peu tiède de Noailles, toujours suspect de faiblesse à l'endroit des jansénistes, et l'archevêque en vint aux rigueurs. Il leur enlève leur confesseur, les prive de la communion : une ordonnance de novembre 1707 lance contre elles l'excommunication; enfin, leurs biens temporels furent saisis, et, si, pendant deux ans elles ne manquèrent néanmoins de rien, ce fut grâce au zèle de leurs amis. |
C'était une existence bien précaire, bien réduite, mais que Port-Royal pouvait prolonger encore assez longtemps. Or Louis XIV se sentait vieillir; il était excité par son confesseur jésuite, le P. Tellier, et il semble bien qu'il s'était promis de consommer, avant de finir son règne, la ruine du monastère. Sinon, comment expliquer ses derniers appels à l'intervention du pape? Une première bulle obtenue ne fut pas trouvée assez rigoureuse. Elle réunissait le Port-Royal des Champs à celui de Paris, et proclamait sa suppression, mais laissait aux religieuses jusqu'à leur mort la jouissance de leur monastère. Le roi était trop vieux pour attendre un pareil délai; il insista donc auprès du pape, qui lui accorda par une nouvelle bulle la dispersion immédiate des religieuses. Le 11 juillet 1709, l'archevêque de Paris promulgue leur suppression. Trois mois après, l'abbesse de Paris vient prendre possession des biens. On refuse de lui ouvrir. Enfin, le 29 octobre 1709, eut lieu la fameuse expédition de M. d'Argenson à Port-Royal des Champs. Ce fut la grande scène du dénouement, la catastrophe, et elle a été racontée par tous les historiens jansénistes. Le lieutenant de police se présenta au monastère, entouré d'exempts et de 300 mousquetaires, et suivi d'une douzaine de carrosses. Il se fit ouvrir les portes, se saisit des papiers, assembla les 15 religieuses et 7 converses dans la salle du Chapitre, et leur communiqua l'ordre du roi; le soir même, il les fit monter une à une, ou deux par deux, suivant les dispositions arrêtées, dans les voitures qu'il avait amenées, et qui devaient les conduire à Rouen, à Compiègne, à Nevers, à Blois, à Nantes, etc., où elles furent enfermées dans les couvents qu'on leur avait assignés pour retraite, ou plutôt pour prison. Beaucoup, de gré ou de force, signèrent des Formulaires; la prieure et une religieuse refusèrent et moururent excommuniées. Ou se demanda pendant quelque temps ce qu'il convenait de faire de Port-Royal abandonné; 12 archers laissés en garnison l'avaient consciencieusement pillé. On avait songé à y transférer le monastère de Paris où les Jésuites voulaient établir un séminaire; mais ce projet était loin de sourire à l'abbesse et à ses religieuses, qui n'avaient nul désir d'aller s'enfouir en un désert. Elles le firent donc écarter avec l'aide des sulpiciens et obtinrent la démolition du monastère. Alors le roi décida que rien ne devait plus survivre de ce qui avait été Port-Royal des Champs, que les bâtiments devenus inutiles, restant d'un entretien dispendieux, seraient rasés. Les démolitions, adjugées le 8 février 1710 aux entrepreneurs, commencèrent à partir de juin 1710. Il avait d'abord été question de respecter la chapelle. On se ravisa deux ans après, et l'église, qui, sous la Fronde, avait offert son toit aux pauvres gens, qui avait servi d'asile spirituel aux âmes les plus nobles du siècle, fut livrée à la pioche des démolisseurs. Sous ses dalles, et dans le cloître voisin, reposaient les restes de près de trois mille fidèles; toutes ces sépultures firent violées, et, pendant des mois, le vallon, dont Racine avait célébré les sources et les ombrages, fut transformé en un vrai charnier, autour duquel se passèrent des scènes ignobles de profanation et de sauvagerie. Beaucoup de corps étaient bien conservés; on les empila la chapelle; les fossoyeurs les dépouillèrent de leurs vêtements, hachant les membres à coups de bêche, laissant les chiens dévorer les chairs, Pomponne, petit-fils d'Antoine Arnauld, fit transférer à Palaiseau les restes des membres de sa famille; ceux de Racine furent portés à l'église Saint-Etienne-du-Mont, d'autres à Magny-les-Hameaux; la grande masse, entassées dans une fosse commune creusée dans le petit cimetière voisin de Saint-Lambert. Les dalles des tombes achetées en grande partie par le curé de Magny servirent à paver son église, quelques-unes à faire des tables de cabaret. Avec les matériaux de la chapelle et du cloître, on bâtit les écuries du château de Pontchartrain.
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