| Le regret est un certain mélange de désir et de tristesse. - Avant tout c'est un désir; quand nous regrettons un plaisir passé, nous tendons vers ce plaisir, notre être fait effort vers lui ; il y a comme un moment d'illusion où nous croyons pouvoir l'atteindre encore. - Mais aussitôt l'idée du passé se présente, c.-à-d. l'idée que ce plaisir est perdu pour nous, impossible à ressaisir. - Par suite, notre désir à peine naissant est refoulé, comprimé; il est misérablement mort-né; alors naît la tristesse. - Le regret est donc le désir impuissant et triste d'une joie passée. Ce qui fait la coloration spéciale, la mélancolie presque douce parfois du regret, c'est précisément qu'il s'attache au passé. Or le passé est un moyen terne entre l'imaginaire et le réel; le passé a été réel, mais il ne l'est plus; de sorte qu'il est à la fois affirmé et nié et que le souvenir en est à la fois agréable encore, quoique douloureux. De là l'espèce de volupté amère qui, dans le regret, se mêle au désir et à la tristesse : car nous nous rappelons la joie passée; nous la goûtons encore en quelque mesure par l'imaginaison. De là la définition de Descartes, dans le Traité des passions : « Le regret est une espèce particulière de tristesse, laquelle a une particulière amertume en ce qu'elle est toujours jointe à quelque désespoir et à la mémoire des plaisirs que nous a donnés la jouissance; car nous ne regrettons jamais que les biens dont nous avons joui.-» (C. C., IX). Pourtant il nous semble que, de ces éléments du regret, le désir est l'élément essentiel; le regret est avant tout un désir du passé; c'est ce qu'a vu Spinoza, plus profondément encore que Descartes : « Le regret, c'est le désir ou l'appétit de la possession d'une chose, lequel est entretenu par le souvenir de cette chose et en même temps empêché par le souvenir d'autres choses qui excluent l'existence de celle-là ». Le regret est donc une sorte de perversion du désir; le désir normal tend vers l'avenir; le désir-regret tend vers le passé; et par suite il est condamné à se consumer stérilement lui-même. - Les remords de Lady Macbeth, tableau d'A. Stevens. L'héroïne de Shakespeare croit voir des taches de sang sur ses mains après avoir poussé son mari au meurtre. Le remords s'oppose au regret plus peut-être qu'il ne s'en rapproche. Comme le regret, c'est un sentiment de tristesse; comme dans le regret, l'idée du passé y est essentielle. - Mais tandis que le regret est un effort pour faire renaître quelque chose, le remords est un effort pour effacer quelque chose; regretter, c'est désirer que le passé soit encore; avoir un remords, c'est désirer que le passé n'ait pas été; le regret est la souffrance de ne pouvoir ressaisir ce qui est perdu, le remords est la douleur de ne pouvoir effacer l'ineffaçable. - Et de plus, il se mêle au remords un élément nouveau qui lui donne sa teinte spéciale, c'est l'idée de l'immoralité, l'idée de la déchéance, l'idée que l'on aurait pu et que l'on devait éviter la faute. - De sorte que la douleur du remords vient d'un triple sentiment d'impuissance : d'abord on se sent aujourd'hui impuissant à supprimer l'action passée; puis on souffre à l'idée qu'on a été impuissant en présence de la tentation, que la volonté a été vaincue honteusement et par suite on se voit impuissant dans l'avenir, on doute de soi, on se dit que toute la vie sera une suite de chutes et de rechutes. - Avec le temps, ce dernier élément disparaît, la confiance renaît; et on appelle précisément repentir le remords adouci par le temps et par l'espoir du relèvement. S'il est vrai que la douleur morale soit causée par le sentiment de notre impuissance, on conçoit que le remords soit une peine redoutable : et c'est ici que se pose le problème moral du remords. Il s'agit de savoir si le remords est une véritable sanction, c.-à-d. s'il a vraiment pour but de punir le coupable. Est-ce une douleur comme une autre, ou bien est-ce une douleur à part, d'un caractère moral et presque religieux? C'est une peine en fait; est-ce un châtiment en droit? - Or, à la question ainsi formulée, il nous semble que la réponse est presque évidente; on ne voit pas ce qu'il peut y avoir de spécial, de mystérieux dans le sentiment du remords; c'est une souffrance aussi naturelle, aussi explicable que toute autre souffrance. D'abord elle obéit aux lois générales de toute douleur; elle résulte visiblement de désirs et de tendances contrariées; et elle se ramène, suivant la règle presque absolue à un sentiment d'impuissance. - De plus, si le remords avait à remplir une mission morale, une mission vengeresse, il serait singulièrement mal adapté à cette mission; car il est très peu proportionné à la faute commise. D'une part, il s'émousse, par l'habitude, avec une étonnante facilité; le vicieux endurci sent moins le remords que l'enfant à sa première désobéissance; et, d'autre part, ce qui est plus grave encore, les esprits les plus purs, étant aussi les plus scrupuleux, sont souvent les plus tourmentées de remords pour leurs fautes les plus vénielles. - Nous ne voyons donc pas comment on pourrait accorder au remords un rôle mystérieux d'expiation morale. Il est une conséquence douloureuse et utile de la faute; il n'est pas une punition. C'est un sentiment aussi naturel que la colère, la peur ou le regret. (Camille Mélinand). | |