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L'histoire de Rome : la République
Rome au temps des Guerres civiles
I - Pompée vs. César (70 av. J.-C. - 44 av. J.-C.)
Après plusieurs guerres gagnées, et le danger de la conspiration de Catilina étouffée, Pompée, consul depuis 70, pouvait espérer en avoir fini avec tous ses ennemis. Mais Catilina détruit fit place à Jules César. Déjà Jules César s'était illustré résistant seul à la puissance de Sylla. Neveu de Marius, il n'avait pas alors hésité à épouser la fille de Cinna. bien qu'il se prétendit issu de Vénus et d'Anchise, afin de s'attacher le peuple; et depuis ce moment il n'avait rien négligé pour justifier les pressentiments du dictateur, soit en sollicitant une amnistie pour les amis de Lépidus (76); soit en s'unissant à Pompée pour l'abolition des lois de Sylla (74-70); soit en donnant des jeux magnifiques; soit en replaçant au Capitole les trophées obtenus par Marius sur les Numides et sur les Cimbres. Nommé grand pontife, malgré son athéisme et le désordre de ses moeurs (64), il vit encore sa puissance s'accroître beaucoup sous le consulat de Cicéron lui-même, tantôt en soutenant les entreprises de Catilina et en protégeant ses complices, tantôt en défendant la loi agraire de Rullus, tantôt en demandant que la loi de Sylla concernant les fils des proscrits fût abrogée. Il ne l'emporta pas cependant, et peut-être ne s'en souciait-il guère; mais il y gagna de dépopulariser Cicéron et l'aristocratie, tandis qu'il se présenterait comme le seul héritier des Gracques, de Saturninus et de Marius.

C'est ainsi que César ne cessait de grandir aux dépens du consul, du sénat, et de Catilina lui-même, dont l'entreprise ne fut profitable que pour lui. Quand Cicéron sortit de magistrature, il voulait faire au peuple un tableau magnifique de ses services. Excité par César, le tribun Métellus Népos s'y opposa, sous prétexte que celui qui n'avait pas permis aux accusés de se défendre ne devait pas parler pour lui-même, et Cicéron fut réduit à s'écrier : 

« Je jure que j'ai sauvé la patrie. »
Ces belles paroles excitèrent, en effet, des acclamations universelles. Mais à peine M. Porcius Caton lui avait-il fait décerner le titre de Père de la patrie, que les dangers de la république renaquirent plus redoutables que jamais : d'un côté Jules César préteur, et qui, avant de partir pour l'Espagne, s'unit avec le riche Crassus; de l'autre le grand Pompée, qui revenait avec son armée victorieuse, et qui pensait, disait-on, à en finir avec ce qu'on appelait la liberté romaine.

La conduite modérée de Pompée dissipa toutefois les vives appréhensions que causait son retour. Il se contenta d'un triomphe magnifique, où il étala toutes les dépouilles de l'Orient vaincu (63). Mais le sénat, au lieu de s'attacher à lui et de s'en faire un contre-poids contre le parti de César, le traita presque avec hauteur, refusa de ratifier ses actes, et ne voulut pas accorder de terres à ses vétérans. Cela s'explique par le nom des hommes qui dirigeaient cette grande assemblée : c'étaient Lucullus, irrité; Caton, trop scrupuleux à une époque de violence; Cicéron, qui voyait en Pompée un rival , et qui se flattait de sauver le pays avec le seul appui de son éloquence, du sénat et des chevaliers.

Or, c'est à ce moment même que César revint du fond de l'Espagne vainqueur et enrichi. L'occasion était belle; il se hâta d'en profiter, en reconciliant Crassus et Pompée, et en leur proposant de s'unir pour obtenir chacun ce qu'ils désiraient. Crassus et Pompée s'empressèrent d'accepter ses offres, sans se douter que les profits de cette alliance seraient surtout pour lui. De là naquit le premier triumvirat (59); une véritable monarchie à trois. Il avait été convenu que César renoncerait au triomphe pour solliciter le consulat. Il l'obtint en effet, sans pouvoir empêcher que le sénateur Bibulus ne lui fût donné pour collègue. Peut-être ses deux nouveaux amis n'étaient-ils pas fâchés de le compromettre. Quoi qu'il en soit, César déploya aussitôt la plus merveilleuse habileté, en présentant une loi agraire ainsi conçue : 

« Pour relever l'agriculture et repeupler les solitudes de l'Italie, on distribuera aux pauvres les terres publiques, et, si elles ne suffisent pas, on achètera, avec l'argent que Pompée a rapporté, des domaines particuliers.  ».
Rien de plus sage et de plus utile en effet que cette loi; les grands ne l'attaquèrent pas moins, à cause de son auteur. Mais Bibulus, Caton, Lucullus et Cicéron luttèrent en vain : leur résistance ne servit qu'à rendre les sénateurs odieux et les triumvirs plus populaires. Maîtres du peuple, ceux-ci résolurent de rompre cette fameuse union du sénat et des chevaliers sur laquelle reposait toute la politique de Cicéron. Il suffit pour cela de réduire d'un tiers les fermages de l'Asie. Depuis ce jour les triumvirs, et surtout César, n'eurent plus qu'à dicter leurs volontés. Ils usèrent largement de ce droit, soit pour faire ratifier les actes de Pompée, soit pour se venger de leurs ennemis, soit même pour vendre aux rois étrangers l'amitié du peuple romain. Ptolémée Aulète l'acheta 6000 talents. Ils s'en servirent pour combler le peuple de largesses et de jeux (58).

Puis vint l'heure de la récompense, qui fut magnifique : le peuple prit sur lui de conférer pour cinq ans à César le gouvernement de la Gaule Cisalpine et de l'Illyrie, avec trois légions. C'était lui livrer les clefs de Rome; et cependant le sénat, tremblant, y ajouta la Gaule Transalpine et une quatrième légion. Peut-être les sénateurs et-les deux autres triumvirs espéraient-ils que César s'y ferait oublier ou bien même qu'il y périrait. César, au contraire, comptait sur son génie et sur sa fortune, et il partit avec joie à la conquête d'une gloire et d'une armée qui lui donneraient ensuite l'empire du monde méditerranéen.

Si abaissée que fût l'aristocratie romaine, elle renfermait encore deux hommes qui, l'un par la fermeté de son caractère, l'autre par l'irrésistible ascendant de son éloquence, semblaient capables de la relever : c'étaient Caton et Cicéron. Les triumvirs jugèrent prudent de s'épargner cette crainte, et il leur suffit pour cela de déchaîner le tribun' Clodius, principal ministre de César absent. Les sénateurs, les chevaliers, et tous les bons citoyens eurent beau s'unir alors pour protéger le vainqueur de Catilina, il lui fut défendu de s'approcher de plus de quatre cents milles de la ville qu'il avait sauvée. Quant à Caton, dont la conduite ne prêtait à aucune accusation, on l'éloigna sous prétexte d'une mission en Orient. Il s'agissait de l'île de Chypre à réduire en province et de bannis à réintégrer ensuite dans Byzance. Les triumvirs et Clodius demeuraient ainsi maîtres de Rome. Ce fut là le plus beau moment du triumvirat; car ces trois volontés paraissaient n'en former qu'une seule; mais ce parfait accord ne pouvait se maintenir qu'autant qu'il y aurait des ennemis communs à renverser, et du jour où ces trois ambitieux demeurèrent seuls debout sur les ruines de la république, une nouvelle question s'éleva : Comment et au profit de qui le triumvirat finira-t-il? En vain essayèrent-ils eux-mêmes de se faire illusion, en rappelant ensemble Cicéron, en humiliant Clodius, en renouvelant leur alliance avec la plus grande solennité (56), la guerre civile était au fond de leur apparente concorde, concordia discors.

La mort de Crassus (53), qui alla bientôt après se faire tuer par les Parthes, aggrava encore ces tristes symptômes. Si peu important que fût ce personnage par lui-même, ses immenses richesses lui donnaient une grande puissance, et l'on avait coutume de la considérer comme nécessaire pour maintenir l'équilibre entre Pompée et César. Il en fut de même de la fin prématurée de Julia. Fille de César et femme de Pompée, Julia s'était toujours appliquée à resserrer les noeuds qui unissaient ces deux ambitieux. Placés désormais en présence l'un de l'autre, Pompée et César n'étaient plus que deux rivaux, qui guettaient l'occasion de se supplanter mutuellement et de régner sans partage sur le monde romain. A voir les choses légèrement, qui ne croirait que tout l'avantage fût pour Pompée? Consul en l'année 55, il ne part pas l'année suivante pour l'Espagne, sa province, et il demeure aux portes de Rome, comme pour y attendre que l'anarchie lui livre la suprême puissance; en 52 il est nommé seul consul, avec une autorité absolue; en 51 il se fait proroger pour cinq ans dans son proconsulat d'Espagne, avec le droit de prendre chaque année 1000 talents dans le trésor. Joignons à cela la destruction de Clodius par Milon, et l'exil de Milon, et l'appui du sénat et des chevaliers. Il semblait que Pompée fût un souverain paisible, et qu'il n'eût plus qu'à s'enivrer des applaudissements dont son vaste théâtre retentissait chaque jour. Mais tandis que Pompée jouit ainsi de sa puissance présente, et qu'il oublie la gloire qui l'a seule élevé si haut, voyons comment son rival se prépare a lui succéder : c'est en Gaule que l'affaire se noue.

Maîtres depuis longtemps de la Gaule Cisalpine et de l'Espagne, les Romains n'avaient pas encore osé franchir les Alpes, lorsque Marseille les appela en 153. Ils la secoururent, et s'éloignèrent aussitôt. Mais appelés de nouveau en 125, ils se montrèrent moins désintéressés. Sept ans à peine s'étaient écoulés que toute la vallée du Rhône et tous les rivages de la Méditerranée formaient une nouvelle province, dont les colonies d'Aix et de Narbonne leur garantissaient l'obéissance. C'était autant qu'il leur en fallait pour s'assurer toujours le chemin de l'Espagne. Interrompue alors, et pour bien longtemps, tantôt par les invasions des Cimbres, tantôt par la guerre civile, la conquête de la Gaule ne fut reprise qu'en 58, par Jules César. Cependant ces soixante années ne furent pas complètement stériles. Rome les employa à se faire des alliés et à alimenter les divisions. C'était ainsi qu'elle avait vaincu l'Espagne : ce fut aussi le secret de ses triomphes dans la Gaule. La guerre dura 9 ans, et lorque il eut achevé de vaincre les Gaulois, César su se montrer magnanime. Loin de punir les vaincus des terribles efforts qu'ils lui avaient imposés durant huit années entières, il ne parcourut la nouvelle province dont il venait de doter sa patrie que pour lui faire oublier sa défaite, respectant ses coutumes, son gouvernement, sa religion, réconciliant les partis ennemis, et ne l'astreignant qu'à un tribut de quarante millions de sesterces, qu'il eut même soin de déguiser sous le nom de solde militaire.

Ce n'était pas assez pour lui d'avoir acquis en Gaule une admirable armée et une merveilleuse gloire; César voulait que les peuples qu'il venait de soumettre fussent plutôt ses clients que les sujets de Rome, et qu'après avoir été l'instrument de sa gloire ils devinssent celui de son ambition. Ce calcul réussit : les Gaulois, qui l'admiraient, accoururent en foule sous ses drapeaux. Ils se vengèrent avec lui de leur liberté perdue en accablant celle de Rome. Tel était l'homme que Pompée, vieilli, et que le sénat, corrompu et faible, osaient provoquer incessamment; et cependant César les avait avertis de ce qu'ils avaient à craindre. Comme on lui refusait le consulat, il s'était écrié dès l'année 52 :

« Eh bien, cette épée me donnera ce qu'on me dénie avec tant d'injustice ».
Son absence enhardissait ses ennemis. Ils crurent bientôt qu'il n'y avait plus qu'à frapper, et, au lieu d'attendre l'heure où son commandement expirait, ils résolurent de le rappeler aussitôt (50); c'était fournir des armes à son ambition. Il s'empressa de déclarer qu'il était prêt à se démettre, à la seule condition que Pompée, dont les pouvoirs étaient bien plus illégaux que les siens, consentirait à faire de même. Le sénat avait si bien conduit cette affaire, que César semblait maintenant le véritable défenseur de la loi et de la liberté: rien n'est plus misérable que la faiblesse unie ainsi à la colère. Or, Pompée ne voulait pas renoncer à l'autorité souveraine qu'il exerçait déjà depuis plusieurs années. Plus modéré que César, il n'était pas moins ambitieux, et leurs moyens seuls différaient. D'ailleurs le vainqueur de Sertorius, de Spartacus , des pirates, de Mithridate, ne pouvait pas redouter la guerre; et il la craignait si peu en effet qu'il ne daignait pas même la préparer : 
« Je n'aurai , disait-il, qu'à frapper du pied le sol de l'Italie, pour  qu'il en sorte des légions.-» 
Le présomptueux général oubliait que son nom s'effaçait maintenant devant celui de son rival, et qu'il avait dit lui-même à Sylla
« Rappelez-vous que le soleil levant a plus d'adorateurs que le soleil couchant. »
Il obligea ensuite César à lui envoyer deux légions, qui devaient aller combattre les Parthes et que le sénat cantonna à Capoue; et, convaincu que tous les soldats de son rival l'abandonneraient s'il osait désobéir, il obtint du sénat 1° des pouvoirs extraordinaires, quoiqu'il ne fût alors que simple citoyen; 2° la déclaration que César serait considéré comme ennemi public s'il ne quittait immédiatement son armée et sa province (3 janvier 49). En vain Curion, en vain César, en vain les tribuns Longinus et M. Antoine protestent-ils contre cette dictature de Pompée, contre cette dégradation imméritée du vainqueur des Gaules. Le sénat s'obstine, Pompée menace, et les tribuns ne se sauvent qu'en cherchant un asile dans le camp de César. César n'avait alors qu'une légion sous sa main; mais son rival lui fournissait une occasion trop favorable pour que l'hésitation fût possible. A peine a-t-il recueilli les tribuns fugitifs, qu'il exhorte ses soldats, qu'il franchit le Rubicon, qu'il prend Ariminum, et qu'il s'élance sur le chemin de Rome au milieu des acclamations de l'Italie. Cependant ses autres légions se rapprochent, et la Gaule lui promet dix mille fantassins, six mille cavaliers.

Ces terribles nouvelles tombèrent comme un coup de foudre sur les ennemis de César. Le sénat et Pompée eurent beau affecter le plus grand calme : comme ils n'avaient pas de soldats, et que le peuple faisait hautement des voeux pour César, il leur fallut bien quitter Rome, pour aller défendre sur un autre terrain ce qu'ils nommaient encore la république et la liberté. César n'eut donc qu'à marcher pour conquérir. Maître de l'Ombrie et de l'Étrurie, il n'éprouva de résistance sérieuse que devant Corfinium, et ne fut pas même arrêté par la redoutable défection de Labiénus. Sa douceur lui conciliait dès lors ceux que la crainte n'aurait pu lui soumettre. Il n'avait à la bouche que les mots d'amitié, de pardon et de paix, tandis que l'on ne savait pas si Pompée victorieux ne prendrait pas modèle sur Sylla : Pompeius noster syllaturit, proscripturit. Que faire alors? On avait déjà fui de Rome, il fallut fuir aussi de Capoue; et Brindes même ne fut pas un assez sûr asile. Comme César approchait, Pompée s'embarqua pour l'Épire. C'était un triste présage que ces fuites successives, qui livraient d'abord sans défense le centre même de l'empire : ajoutons à cela la Sardaigne et la Sicile soumises par Valérius et Curion.

César n'avait pas de vaisseaux; il ajourna la poursuite de Pompée, et remonta vers Rome, en passant par Formies, où il visita Cicéron. Rome ne résista pas un instant : aussi César ne s'y signala-t-il que par la plus grande modération. Sa seule violence fut contre les portes du trésor qui renfermait l'aurum gallicum, et qu'il distribua à ses soldats, Gaulois pour la plupart : 

« J'ai vaincu la Gaule, disait-il; cet or n'est plus nécessaire, et d'ailleurs le temps des armes n'est pas celui des lois. » 
Il ne méprisait pas cependant les apparences de la légalité, puisqu'il eut soin de convoquer un nouveau sénat et qu'il renouvela l'offre d'abdiquer si Pompée voulait l'imiter. C'était alors en Espagne que se trouvaient les principales ressources de Pompée. César y courut, et en partant il résuma d'un mot toute cette guerre : 
« Je vais, dit-il, combattre une armée sans général, et j'irai combattre ensuite un général sans armée.» 
Cette campagne fut pénible, mais courte. Petreius et Afranius furent réduits à déposer les armes. Varron, qui commandait l'Ultérieure, n'essaya pas même de lutter. Cependant Lépidus gardait Rome, et M. Antoine maintenait l'Italie. Malgré de si beaux triomphes, les bruits les plus sinistres circulaient sur César et sur ses lieutenants. C'est sur la foi de ces nouvelles que Cicéron se déclara pour Pompée. Il avait jusque alors hésité à le faire, malgré tous ses antécédents, parce qu'il ne redoutait pas moins Pompée que César. Mais, soit qu'il craignit de se compromettre trop gravement, soit qu'il eût achevé de former sa conviction , il alla s'embarquer à son tour, et rejoignit sans espérance les légions de l'aristocratie. Il écrivait alors à Atticus : Utergue vult regnare, et quoiqu'il arrivât, il pensait que c'en était fait de la république.

Revenu à Rome, César exerça pendant onze jours la dictature, que Lépidus lui avait fait déférer par le peuple, et il sut mettre à profit ce peu de temps pour se concilier le peuple, pour rappeler les bannis, pour rétablir les fils des proscrits , pour conférer le droit de cité aux Cisalpins, pour faire nommer ses partisans magistrats. Restait maintenant à vaincre Pompée (décembre 49 ). Or les Pompéiens avaient bien employé tous les loisirs que leur laissait César, et ils n'avaient pas moins de neuf légions, de sept mille cavaliers, de six cents vaisseaux, avec d'immenses richesses et les plus grands généraux de la république. Il semblait que Rome fût transportée à Dyrrachium. César, qui n'avait, au contraire, que vingt mille hommes et six cents chevaux, n'hésita pas cependant à passer en Épire. Ni la perte de sa flotte, ni les terribles échecs qu'il essuya devant Dyrrachium, ni la famine, qui réduisait ses soldats à se nourrir de racines et de lait, ne le purent décourager.

C'est que César, qui connaissait parfaitement et ses vétérans et lui-même, n'ignorait pas davantage les dangers auxquels était exposé son rival malgré ses neuf légions et ses richesses : soldats moins braves et indisciplinés; sénateurs désobéissants; chefs trop nombreux, qui ne songeaient qu'à eux-mêmes, et qui accusaient Pompée de ne se considérer que comme le roi des rois. Parmi ceux-ci figurait Cicéron, qui, n'ayant apporté au camp des Pompéiens que son découragement et ses moqueries, était plutôt un dissolvant qu'une force. D'ailleurs César, dépourvu d'argent et de vivres, gagnait tout à brusquer le dénouement de cette guerre. Il s'éloigna donc de Dyrrachium, pour accabler Scipion, qui arrivait d'Orient avec deux légions, et dans l'espérance que les Pompéiens, enhardis, s'empresseraient de le poursuivre. Jamais plan ne fut plus heureusement exécuté. Les deux armées ne tardèrent pas à se trouver en présence dans la plaine de Pharsale (9 août 48).

Pompée seul continuait à soutenir qu'il ne fallait que traîner la guerre en longueur. L'imprudence de ses partisans ou un destin plus fort l'obligèrent à livrer bataille, et l'on sait quelle en fut l'issue.  « Eh quoi! s'écria-t-il bientôt, jusque dans mon camp ! » et jetant loin de lui tous les insignes du commandement, il s'enfuit seul jusqu'au Pirée, d'où il s'embarqua pour Mytilène, et puis pour l'Égypte. Cependant César parcourait le champ de bataille, afin d'arrêter le massacre et en répétant sans cesse : «-Ils l'ont voulu ». Mais il comprit que sa victoire était bien incomplète si le chef des vaincus lui échappait; et aussitôt il vola à sa poursuite, sans se laisser effrayer par la flotte de Cassius. Lorsqu'il arriva devant Alexandrie, Théodote lui présenta la tête de son rival. Il détourna les yeux et pleura; et toutefois ce meurtre avait seul achevé l'oeuvre de Pharsale.

Peu s'en fallut d'ailleurs qu'il n'éprouvât bientôt le même sort, lorsque escorté de quatre mille hommes seulement il osa réclamer une vieille dette de 10.000.000 de sesterces, et même intervenir entre Ptolémée XII et Cléopâtre. Assiégé par une armée considérable et par toute la population d'Alexandrie, il ne fallut rien moins que toute son audace et l'admirable solidité de ses quatre mille vétérans pour ne pas périr. Deux légions, qui lui vinrent d'Asie, et l'alliance de Mithridate le Pergaménien changèrent même tout à coup cette paisible résistance en une éclatante victoire. César en profita aussitôt pour couronner Cléopâtre et Ptolémée XIII (47). Le vainqueur s'oublia ensuite, durant trois mois entiers, aux pieds de Cléopâtre, et il ne sortit de cette ivresse qu'à la nouvelle des progrès menaçants que ses ennemis faisaient partout : en Asie, en Espagne, en Afrique, à Rome même, où M. Antoine se montrait tout à fait inférieur aux circonstances. Il commença par l'Asie, où Pharnace, l'indigne fils du grand Mithridate, ne cessait de grandir sous le nom de Pompée. II ne lui fallut que cinq jours et un combat pour dissiper cette spécieuse puissance et pour régler le sort de l'Asie. 

« Heureux Pompée, s'écriait-il en se voyant si facilement obéi, d'avoir obtenu à si peu de frais le surnom de Grand! »
De là César se rendit à Rome, où on venait de le nommer de nouveau dictateur et consul pour cinq ans avec le tribunat viager (septembre 47). A sa voix tous les désordres s'apaisèrent, et il régna comme un souverain. Cette toute-puissance, il s'en servit non pour se venger, mais pour abaisser toutes les dignités de la république, pour récompenser ses compagnons, pour prodiguer le droit de cité, pour avilir le sénat, où l'on vit avec horreur des centurions, des soldats, des barbares prendre place. Il fit plus, et, chef de la démocratie, il s'arrogea le droit populaire de conférer les magistratures, en nommant des consuls, et en se renommant lui-même consul et dictateur. Pendant ce court séjour de Jules César à Rome un autre fait montra encore mieux que la république n'était plus en effet qu'une vaine chimère, une ombre sans corps. Comme les soldats de la dixième légion s'étaient révoltés, César les réunit, et les licencia en leur disant : « Allez, Quirites ». Ce mot leur parut une injure, qu'ils le supplièrent de rétracter. Eux citoyens! eux Quirites! non ce sont des soldats, des vainqueurs, des compagnons de César. Aux citoyens désormais l'obéissance et la honte; aux soldats seuls la gloire et la domination.

Après le moment où César avait quitté le champ de Pharsale, les républicains n'avaient pas accepté cette défaite comme la ruine définitive de la république, et, changeant seulement de théâtre, ils avaient tourné leurs espérances vers l'Afrique. Là ils eurent bientôt dix légions commandées par Scipion, par Varus, par Caton, par Labiénus, et soutenues par les puissantes phalanges de Juba, roi de Numidie. Cicéron, à qui les Pompéiens avaient d'abord déféré le commandement, l'avait refusé, et, jugeant sans doute que la partie était perdue, il n'avait plus songé qu'à faire la paix avec le vainqueur. César comprit qu'il était temps d'arrêter ces menaces, et, s'élançant tout à coup vers l'Afrique, il osa y débarquer avec trois mille cent cinquante soldats (46). De même qu'à Dyrrachium cette témérité faillit le perdre; il gagna cependant l'alliance de Sitius et de la Maurétanie, et, rejoint peu après par deux de ses meilleures légions, il put prendre l'offensive. Il lui suffit alors d'une victoire à Thapsus pour réduire de nouveau le parti Pompéien, dont tous les chefs périrent ou se tuèrent. Parmi ceux-ci fut Caton d'Utique, qui se prépara froidement à la mort par la lecture du Phédon. Caton ne pouvait plus vivre en effet : représentant des vertus et des idées d'un autre âge, il n'était plus qu'un anachronisme vivant parmi ses contemporains.

Tant que les Pompéiens avaient occupé l'Afrique on avait pu regarder encore leur défaite comme incertaine; après Thapsus ce doute était impossible, et le sénat le prouva aussitôt par les lâches honneurs qu'il accumula sur César. Nommé dictateur pour dix ans, censeur pour trois, tribun à vie et demi-dieu, il eut de plus le droit de conférer la moitié des charges curules et de distribuer les provinces prétoriennes. La monarchie date de ce jour. César inaugura son avènement par des fêtes magnifiques et par quatre triomphes, sur Pharnace, Juba, l'Egypte, et la Gaule. En vain, l'année suivante, les fils de Pompée entreprirent-ils encore de protester contre cette inévitable révolution, ni leurs douze légions, ni les conseils de Labiénus et de Varus, ni leur flotte, ne sauvèrent la république expirante. La victoire de Munda ruina d'un coup leur entreprise, et ils y périrent tous, à l'exception de Sextus Pompée, qui erra dans les Pyrénées. César revint à Rome, où il n'en fut pas plus puissant. Seulement il n'était que demi-dieu, il fut dieu tout à fait; il n'avait triomphé que des étrangers, il triompha cette fois pour la guerre civile; il n'était dictateur que pour dix ans, il le fut à vie; et de plus imperator, prince de sénat; etc. La propagande veut qu'on voulût aller plus loin, mais qu'il refusa.

Si cette grande chute de la république romaine peut inspirer d'abord quelque tristesse, il faut du moins convenir que César usa presque toujours dignement de sa toute-puissance, soit qu'il s'agit de pardonner à Marcellus et à Ligarius, soit qu'il s'agît de soulager la misère du peuple, soit qu'il s'agit de réformes ou de travaux publics. Citons seulement parmi toutes ces réformes, les provinces mieux administrées, les concussions réprimées, le droit de cité largement accordé aux vaincus, qu'il faut absolument réconcilier avec Rome; et parmi ces travaux, le cadastre de l'empire entrepris, des routes nombreuses, le port d'Ostie, les marais Pontins en partie desséchés, Carthage et Corinthe renaissant de leurs ruines. Que dirons-nous ensuite de ce qu'il se proposait d'accomplir si le temps ne lui eut pas manqué.

Mais c'était peu d'avoir détruit la république; César semblait prendre plaisir à triompher incessamment de cette ruine, soit en remplissant le sénat d'étrangers et en faisant tout seul des sénatus-consultes; soit en se jouant des plus hautes dignités; soit en créant des patriciens; soit en s'entourant des ambassadeurs des rois, et surtout en retenant Cléopâtre, qui paraissait régner et sur lui et sur l'empire, grande imprudence, que ne justifiait même pas le mépris que méritaient la plupart de ses ennemis. Les formes, en politique, sont souvent plus que les choses mêmes. On veut bien être esclave, non le paraître. Bientôt même ces provocations quotidiennes ne lui suffirent plus. Si puissant qu'il fût, sa puissance n'était qu'un accident qui finirait avec lui; il songea à la convertir en un fait permanent, à devenir roi, soit que ce titre nouveau flattât son orgueil, soit qu'il voulût donner à son pays une constitution durable. C'était devancer de trop loin l'oeuvre du temps, et il y échoua. A peine entrevit-on ses desseins à cet égard, que beaucoup ne s'occupèrent plus qu'à en prévenir le succès par sa mort.

De là la fameuse conspiration de Brutus et de Cassius, qui se flattaient de relever la république en en sauvant du moins le nom. Nous n'insisterons pas sur ces événements. C'était le jour où César allait proposer au sénat la grande expédition qu'il préparait depuis longtemps contre les Parthes, et publier la liste de tous les magistrats pour les trois années suivantes. On prétend aussi qu'il comptait demander le titre de roi, et on résolut de l'immoler avant cette nouvelle usurpation. Les bons avis ne manquèrent pas à César. Il n'en tint compte. Outre qu'il se souciait peu de vivre ou de mourir, il pensait, et avec raison, que Rome était plus intéressée que lui-même à sa vie. Il vint donc au sénat (15 mars 44), dont tous les membres se levèrent en signe d'honneur; mais ce ne fut que pour y mourir : son corps, percé de coups nombreux, roula jusqu'aux pieds de la statue de Pompée, qu'il avait fait dresser lui-même. (ED.).

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