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La dictature

La dictature était, dans les temps les plus anciens, le nom d'une magistrature suprême de la confédération des villes du Latium, et ce titre se perpétua dans ces villes sous la domination de Rome. Dans la république romaine, le dictateur était aussi un magistrat auquel on confiait l'autorité suprême, mais pour six mois seulement, et quand l'État était menacé intérieurement ou extérieurement d'un danger extraordinaire.

Le mot dictature, outre le sens spécial qu'il avait chez les Romains et qui sera le seul qu'on étudiera dans cette page, signifie aussi tout empire, tout pouvoir illimité, pris par certains hommes ou à eux déféré dans les circonstances critiques. La dictature temporaire a été chaque fois présentée par ses partisans comme une nécessité dans les démocraties, soit pour mettre une digue à l'anarchie, soit pour échapper à des lois que leur inflexibilité empêche de se plier aux événements et qui pourraient causer en certains cas la perte de l'État. 

L'usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre, dit Montesquieu, me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté, comme on cache les statues des dieux. 
Une dialectique à l'origine de nombre d'abus et de crimes.

La dictature, fonction romaine

La dictature était à Rome une magistrature extraordinaire instituée à l'effet de réunir pendant un certain temps dans la main d'un seul homme tout le pouvoir exécutif; on reconstituait ainsi temporairement une autorité quasi royale. Le dictateur était irresponsable et investi de pouvoirs illimités. Il ne faut pas confondre avec le dictateur romain celui des petites cités voisines qui était simplement le premier magistrat de la cité. Le nom de cette magistrature suprême de plusieurs États du Latium fut donné à la magistrature romaine; on en ignore l'étymologie; les uns dérivent dictateur de dictare, les ordres de ce magistrat ayant le caractère impératif de la loi; les autres de dicere, le mot technique, pour désigner la nomination du dictateur par un consul. Le vrai nom paraît avoir été à l'origine celui de maître du peuple (magister populi) ou peut-être praetor maximus.

La dictature, qui fut toujours exceptionnelle, fut instituée à l'origine et employée dans la suite par une sorte de mesure de salut public, afin de sauver l'État dans des dangers graves venant de l'extérieur ou des discordes intérieures. On se croyait alors obligé de concentrer l'ancien pouvoir royal sur une tête. La nécessité de cette concentration apparut presque dès l'origine de la république. Mommsen et Karlowa supposent arbitrairement qu'elle remonte à l'origine même et à la loi De Imperio. Tite-Live affirme qu'on ignore à quelle époque et dans quelles circonstances fut instituée la dictature. Nous n'en savons évidemment pas plus que lui à ce sujet. Toutefois, la version adoptée par la plupart des auteurs donne comme premier dictateur T. Larcius, qui aurait reçu ces pouvoirs exceptionnels afin de résister dans une guerre dangereuse contre les Latins et les Tarquiniens. On placerait ce fait vers l'année 501. A partir de ce moment, durant trois siècles, on eut fréquemment recours à la nomination d'un dictateur, notamment pour faire face à l'agitation des plébéiens en lutte avec les patriciens (Les classes sociales à Rome). Dans des guerres dangereuses et des crises civiles, on rétablissait ainsi une sorte de monarchie temporaire.

Le pouvoir chargé de constater que l'État se trouvait dans une situation critique nécessitant le recours à cet expédient était le sénat. C'est lui qui décidait qu'il y avait lieu de créer un dictateur. Mais dans les premiers temps de la République, le sénat dépendait des consuls ou des tribuns consulaires, sans l'aveu desquels il ne pouvait agir. Il y avait quelquefois opposition de ces magistrats contre la mesure qui devait les subordonner au dictateur; le sénat triomphait de leur opposition en excitant contre eux les tribuns de la plèbe et en les menaçant d'une mise en accusation après leur sortie de charge. En général, donc, les consuls laissèrent toute liberté au sénat et lui obéirent. On cite seulement quelques cas où ils désignèrent des dictateurs désagréables au sénat, notamment en 356 et en 339. 

Lorsque les consuls et le sénat étaient d'accord, nul obstacle ne se présentait plus. Les tribuns de la plèbe ne pouvaient empêcher la nomination du dictateur; on admit que leur intercession dans ce cas serait nulle et de nul effet. On ne voit pas non plus se produire d'intercession de la part d'un des consuls contre l'autre. Plus on avança, plus grandit l'autorité du sénat; celui-ci, convoqué par d'autres magistrats que les consuls, put voter sans leur aveu le sénatus-consulte ordonnant la nomination d'un dictateur. Les consuls devaient s'y conformer, probablement sous la sanction de pénalités religieuses inscrites dans la loi. Le sénat disposait ainsi contre les premiers magistrats de la cité d'une arme efficace, puisqu'il pouvait les placer sous la dépendance d'un supérieur. Il est vrai que le sénat lui-même voyait son autorité très amoindrie par celle du dictateur, dont les pouvoirs n'étaient limités que sur un point; n'ayant pas de comptabilité pour les deniers publics, il était forcé de se mettre d'accord avec le sénat pour régler les dépenses de son administration.

Le dictateur était, aux termes de la loi De Dictatore creando, nommé par les consuls ou les tribuns militaires à puissance consulaire.  Il ne pouvait l'être ni par un préteur, ni par un interroi, ni par un dictateur. Si plusieurs magistrats également autorisés se présentaient à la fois pour faire la nomination, ils devaient s'entendre entre eux ou tirer au sort. Lorsqu'ils étaient absents de Rome, ils n'avaient pas besoin d'y rentrer ; le premier qui recevait avis du sénatus-consulte procédait à la création du dictateur, à cette condition seulement qu'il fût en territoire romain, en Italie. La désignation (dicere dictatorem, facere, creare, legere, nominare) se faisait selon un rituel défini. Au milieu de la nuit, le consul se levait, prenait les auspices; il était seul juge de la validité de ces auspices; si, plus tard, il reconnaissait avoir enfreint ou omis quelque règle religieuse, il suffisait qu'il le déclarât pour que l'élection fût invalidée et que le dictateur dût donner sa démission.

Aux termes de la loi, le consul devait désigner un consulaire; mais, de très bonne heure, en abandonna cette clause. Sans doute, le consul choisissait de préférence son collègue ou quelque ancien magistrat, mais, dès le début, à partir de la nomination de M. Valerius Maximus, on le vit s'écarter de cette règle. En effet, Mommsen a montré par l'étude des Fastes que nombre de dictateurs n'étaient pas des consulaires. D'ailleurs, ni le sénat, ni le peuple ne pouvaient imposer au consul leurs préférences. Il tenait souvent compte de celles du sénat, mais pas toujours. A deux reprises le choix ne fut pas fait par un consul. En 217 av. J.-C., comme on n'avait pas de consul sous la main, on fit nommer un dictateur par le peuple assemblé en comices tributes, sous la présidence d'un préteur; en 210, le peuple élut un dictateur, d'accord avec le sénat mais l'un des consuls ratifia le choix et le valida. Il n'y a donc, en réalité, qu'une exception à la règle de la désignation par le consul; Le premier dictateur plébéien fut, en 356, C. Martius Rutilus.

Dès qu'il avait été nommé par le consul, le dictateur était investi de la puissance (potestas) dictatoriale. C'était une exception unique à la règle des magistratures romaines de la République qui n'étaient légitimes que données (creata) par le peuple. Celui-ci a renoncé, dans ce cas, à son droit, et, à ce point de vue, on ne peut rapprocher du dictateur que l'exterroi. En droit, le pouvoir du dictateur ne diffère pas de celui des consuls; en fait, pour l'administration financière, il dépend du sénat, comme nous l'avons exposé. Le droit de commander (imperium) lui est donné par les comices curiates, comme aux consuls ; c'est lui-même qui propose la loi curiate de imperio à l'assemblée, parce qu'il est le seul magistrat revêtu du pouvoir (potestas), tous les autres étant suspendus dès qu'on l'a désigné. L'imperium du dictateur diffère de celui des consuls par ce fait qu'il est confié non à deux collègues, mais à un magistrat unique. Il ne pouvait y avoir deux dictateurs à la fois. La tentative faite en 216 de nommer un second dictateur était illégale; toutefois, le second dictateur, M. Fabius Buteo, bien que reconnaissant l'irrégularité de sa nomination, remplit la mission qu'on lui avait confiée.

Le dictateur, réunissant l'imperium des deux consuls, se faisait précéder en campagne de vingt-quatre licteurs; à Rome, il n'en avait que douze, mais les gardait tout le temps: tandis que le consul ne les avait qu'un mois sur deux. Les autres magistrats perdaient leur imperium; leurs pouvoirs étaient suspendus pendant la durée de la dictature. Le seul pouvoir (potestas) qui subsistât était celui du maître de la cavalerie, nommé par le dictateur ; les magistrats, consuls, préteurs, etc., ne perdaient pas leurs pouvoirs (potestas et imperium); ils étaient seulement suspendus, car, aussitôt que le dictateur se retirait, ils en reprenaient l'exercice complet, mais pendant la dictature ils étaient subordonnés au magistrat unique et devaient lui obéir. Ils renonçaient à leurs insignes, renvoyaient leurs licteurs, ne pouvaient agir que par les ordres et sous les auspices du dictateur. Celui-ci pouvait les forcer à abdiquer. 

Ses droits étaient ceux d'un roi vis-à-vis de ses sujets. Le tribunal de la plèbe subsistait cependant, mais son efficacité était bien atténuée. Le dictateur rendait la justice; toutefois, lorsqu'on eut institué les préteurs, il ne put juger les affaires privées, pas plus que les consuls; il n'en avait guère le loisir, étant investi de ses pouvoirs exceptionnels pour des affaires graves, pour gouverner ou pour combattre. N'ayant pas de collègue qui pût paralyser son action, il était bien plus libre qu'un consul. Il n'était pas entravé par l'appel au peuple (provocatio). Ce privilège que les plébéiens contestèrent, surtout après la loi Valeria Horatia de 449, subsista néanmoins. Il était affirmé par ce fait que les licteurs du dictateur conservaient la hache dans leurs faisceaux, même dans la ville. Plus tard cependant la dictateur dut se soumettre à l'appel au peuple, probablement en vertu de la loi Valence de 300 av. J.-C. Dans quelle mesure les pouvoirs du dictateur étaient-ils limités par l'intercession tribunitienne? On ne le sait pas exactement. 

En raison de leur caractère sacré et inviolable, les tribuns de la plèbe échappent personnellement au dictateur; mais il ne semble pas qu'ils pussent faire usage du droit d'intercession pour soustraire d'autres citoyens à son action; ils ne peuvent, par exemple, empêcher des levées de troupes ordonnées par lui; leur aide (auxilium) est précaire, non légale. Leur opposition n'a que la valeur morale d'une démonstration hostile. Le dictateur était irresponsable; on ne pouvait le mettre en accusation; il ne rendait pas de comptes. Ce principe de droit public fut toujours respecté, car les attaques dirigées contre deux anciens dictateurs, Camille et Manlius, ne visaient pas leurs actes dictatoriaux. L'irresponsabilité est le signe évident du pouvoir absolu du dictateur et le met bien au-dessus des consuls auxquels le sénat et le peuple peuvent demander des comptes et qui sont exposés à une mise en accusation.

L'édit du dictateur avait la valeur d'un ordre sacré (numen). Cette autorité monarchique constituait pour l'Etat républicain un véritable danger. On y para en limitant avec soin à une période très courte la durée des fonctions dictatoriales. Ce magistrat extraordinaire ne pouvait pas rester en charge plus de six mois. S'il dépassait ce terme, il commettait le crime d'aspirer à la royauté, lequel était qualifié de sacrilège et entraînait la consécration aux dieux de la tête et des biens du coupable. On a soutenu que le dictateur, tenant ses pouvoirs des consuls, devait les résigner lorsque finissaient ceux de ces consuls annuels. C'est une erreur, car en 317 les consuls sortant de charge transmettent leurs pouvoirs au dictateur qui dirige la guerre en 316. Comme l'année finissait alors aux calendes de juillet au moment le plus favorable à la guerre et que les dictateurs étaient souvent nommés pour commander les expéditions militaires, il est bien naturel qu'il en fût ainsi.

C'est un fait remarquable et très à l'éloge de la République romaine que les dictateurs, choisis parmi les citoyens les plus considérés, n'abusèrent presque jamais de leurs pouvoirs. Dès qu'ils avaient rempli la fonction qu'on leur avait désignée, conjuré les périls imminents, ils abdiquaient, plusieurs au bout de quelques jours seulement. Seul Camille fut obligé de conserver le dictature pendant plus de six mois. Les fastes consulaires pour plusieurs années, 833, 324, 309, 301, ne mentionnent que des dictateurs sans parler de consuls; mais cela n'indique nullement que ces dictatures se soient prolongées une année entière; il n'y a là qu'un expédient chronologique, pour mettre quelque ordre dans ces tables fort embrouillées.

Les pouvoirs du dictateur ne pouvaient être prorogés, la magistrature étant essentiellement temporaire. Il n'y eut donc jamais de prodictateur; ce mot n'est employé qu'une fois pour désigner le dictateur de 217, Q. Fabius Maximus, élu par le peuple; mais il prit lui-même officiellement le titre de dictateur.

Les pouvoirs que nous venons d'énumérer, tous les dictateurs les possédaient. Cependant il est remarquable que toujours ils étaient nommés pour un objet défini. Les Annales et les Fastes ont grand soin de mentionner la raison d'être de chaque dictature. Celle-ci a donc un pouvoir illimité en théorie; mais elle est moralement enfermée dans un cercle d'action d'où elle ne sort guère. Sa mission accomplie, le magistrat résigne ses pouvoirs il y a là pour lui un cas de conscience. 

Ainsi que le remarque très justement Bouché-Leclercq, « ce parti pris de ne tenir compte que de la nécessité présente finit par tourner contre le but. L'institution devint chose indéfinissable. Il y eut des dictateurs militaires ou complets (optimo jure-belli gerundi causa-reigerundicausa), affranchis de toutes les restrictions imposées à l'imperium consulaire, et des dictateurs civils, qui n'étaient au fond que des suppléants des consuls absents ou empêchés, ou suspects, ou récalcitrants. Ceux-ci étaient nommés seditionis sedandae causa, clavi figendi causa, comitiorurn habendorum causa, senatus legendi causa, Latinarum fenarum causa, feriarum constituendarum causa, ludorum faciendorum causa... La dictature ainsi entendue n'était plus guère que le consulat décoré d'un titre plus sonore. »
Il serait excessif de vouloir noter une différence radicale entre les dictateurs investis de pouvoirs généraux nommés pour gouverner (rei gerundi causa) ou guerroyer (belli gerundi causa) et les dictateurs spéciaux. La différence existait peut-être en droit dans le libellé de la loi curate de imperio votée pour le dictateur; en tout cas, elle existe surtout dans les faits. Les dictateurs spéciaux avaient en principe les mêmes pouvoirs, sauf à n'en user que pour l'objet défini qui avait motivé leur désignation.

Nous reprenons ici la liste de ces dictateurs spéciaux en les groupant d'après la nature de leur action. Le dictateur belli gerundi causa fut à un certain moment chargé uniquement de la conduite d'une guerre. On appela dictateur clavi figendi causa celui qui fut chargé, en temps de calamité publique, de planter, aux ides de septembre, dans le mur du temple de Minerve, au Capitole, le clou qui marquait l'année écoulée; on y avait recours par un scrupule religieux, la loi exigeant que la cérémonie fût accomplie par le praetor maximus. Le même scrupule faisait nommer des dictateurs pour organiser des fêtes, des supplications à l'occasion de prodiges, pour présider les antiques féries latines ou présider aux jeux en cas de maladie du préteur. On y avait encore recours pour suppléer à un consul lorsqu'il fallait pour accomplir un acte un magistrat ayant l'imperium consulaire, par exemple pour présider les comités électoraux; on évitait ainsi un interrègne. On cite un dictateur nommé pour dresser ou réviser la liste des sénateurs; un autre pour procéder à une grande enquête judiciaire (quaestionibus exercendis). Ce fut en 312 av. J.-C., C. Maenius; mais il fut obligé d'abdiquer par l'hostilité du peuple et des tribunaux de la plèbe et même mis en jugement avec son maître de la cavalerie.

Le dictateur était obligé de demander la permission de monter à cheval. Cela tient du formalisme religieux. Le maître du peuple (magister populi) était le commandant de l'infanterie, tandis que son lieutenant dirigeait la cavalerie. De même que pour les anciens rois, il lui fallait une autorisation spéciale pour monter à cheval. En effet, le roi était le grand prêtre de la religion romaine et les règlements religieux lui interdisaient de monter à cheval (de même plus tard au flamine de Jupiter). Lorsque le roi et son successeur le dictateur avaient à exercer le commandement militaire, il lui fallait une dispense pour se soustraire à cette obligation religieuse et pouvoir monter à cheval.

La décadence de la dictature, dit Lange, commença du moment où l'on prit l'habitude d'établir des dictatures particulières; en 363, pour la première fois, on nomma un dictateur clavi figenda causa. En 352, les patriciens, qui essayaient de tourner la loi licinienne, nommèrent un dictateur qui fut chargé uniquement de présider les comices et de rendre les élections, par tous les moyens possibles, favorables à leur parti. 

Par la suite, les guerres se multiplièrent, l'administration devint très compliquée : les deux consuls ne purent suffire à tout, commander les armées et remplir leurs fonctions urbaines; à partir du Ve siècle on nomma très souvent des dictateurs pour accomplir certains actes de la compétence des consuls, que ne pouvait remplacer le préteur. Enfin on nomma même à plusieurs reprises des dictateurs rei gerunda; causa pour augmenter le nombre des généraux commandant en chef, le fait se produisit surtout pendant la guerre samnite; mais dans ce cas le dictateur devait laisser aux consuls une certaine indépendance, la liberté de diriger les opérations militaires de leur armée comme ils l'entendaient; on s'habitua ainsi peu à peu à voir les consuls conserver une certaine indépendance à la guerre et dans l'administration en face du dictateur.

Quand les discussions civiles furent apaisées, quand les guerres de la République furent constamment heureuses, la dictature (rei gerundae causa) devint inutile. On comprit bien vite combien elle serait dangereuse : un dictateur aurait pu disposer de provinces très étendues, commander à un très grand nombre de généraux, diriger de grandes expéditions au profit de son ambition personnelle. On prit le parti d'y renoncer; on pourvut aux nécessités du commandement en augmentant le nombre des préteurs, en prorogeant les pouvoirs des consuls et des préteurs. C'était le sénat qui prorogeait les pouvoirs des magistrats et décidait l'établissement d'une dictature; il préféra toujours la première mesure à la seconde pour des raisons indépendantes des intérêts de l'Etat; en agissant ainsi, il favorisait le noblesse, parce qu'il multipliait les commandements; surtout, il fortifiait ses droits politiques: le sénat conservait une autorité considérable sur les proconsuls et les propréteurs, tandis qu'un dictateur aurait pu tout régler à sa fantaisie sans l'intervention du sénat, Ainsi s'accentua peu à peu la décadence de la dictature pendant les guerres samnites et puniques

La noblesse imagina encore le prétexte suivant pour affaiblir l'institution; de même que le dictateur ne pouvait pas être pour des motifs religieux nommé légalement (rite) en dehors de l'Italie, il ne pouvait pas non plus exercer ses pouvoirs, ni commander d'armée en dehors de l'ager romanus. S'il n'y avait eu à cela qu'un obstacle religieux, la noblesse l'aurait fait disparaître; il suffisait de prolonger l'ager romanus en dehors de l'Italie. Nous connaissons un dictateur, A. Atilius Calatinus, qui pendant la première Guerre punique, en 249, commanda une armée en dehors de l'Italie; le fait a été signalé parce qu'il est unique, mais la tradition ne le considère pas comme illégal. Le dernier dictateur rei gerundae causa fut M. Junius Pera nommé en 246 après la défaite de Cannes. On continua encore quelque temps à nommer des dictateurs chargés de fonctions urbaines; il n'y avait là aucun danger. En 203, le sénat fit présider les comices par un dictateur pour triompher de l'opposition des consuls; ce dictateur fut aussi chargé d'une autre fonction de peu d'importance; en 202, C. Servilius Geminus fut désigné pour présider les comices; il fut le dernier dictateur. On renonça aux dictateurs parce qu'ils étaient devenus inutiles; les généraux étant suffisamment nombreux, les consuls pouvaient, sans inconvénient, quitter le théâtre des opérations militaires pour venir à Rome remplir leurs fonctions. D'autre part, ces dictatures particulières rappelaient le souvenir de la grande dictature et pouvaient donner l'idée de la rétablir.

D'ailleurs l'Etat n'était pas garanti contre les usurpations des dictateurs particuliers; on n'était pas armé pour les arrêter s'il leur prenait fantaisie de sortir de leurs attributions spéciales; on n'avait non plus aucune arme législative pour corriger les choix faits par les consuls. En 249, pour se moquer du sénat, P. Claudius Pulcher avait nommé dictateur son viateur, M. Claudius Glicia. Cette nomination ridicule avait dégoûté la noblesse de l'institution. Créée par l'aristocratie patricienne, la dictature fut enterrée, non par la démocratie, mais par l'oligarchie de la noblesse. Elle ne fut pas supprimée par une loi; on la mit de côté; on la relégua parmi les institutions mauvaises, quitte à y revenir dans la suite.

Sans doute, nous voyons cent-vingt années plus tard Sylla prendre le titre de dictateur, mais la dictature de Sylla et les diverses dictatures de César n'ont de commun que le nom avec l'ancienne dictature républicaine. Sylla et César sont de véritables monarques qui prennent le titre de dictateur (ou même de dictateur perpétuel) pour donner une apparence de légalité à leur pouvoir tyrannique. Ils ne se conforment en rien à la loi de dictatore creando, prolongent sans hésiter leurs pouvoirs au delà de six mois. Sylla se fait nommer par un interroi; César par un préteur. Sylla est dictateur republicae constituendae causa avec une mission et des pouvoirs comparables à ceux des anciens décemvirs. C'est par une hypocrisie inutile qu'après le meurtre de Césare, Antoine, par la loi Antonia (44) de dictatura tollenda a supprimé la dictature. La monarchie n'aura même plus besoin de ce vieux nom pour s'établir sur les ruines des magistratures républicaines. Auguste le dédaigne ou le juge impopulaire. Le titre même disparut.

Nous reproduisons ici d'après les Fastes une liste des dictateurs connus avec l'année de leur magistrature :
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501... T. Larcius Rufus.
496., . A. Postumius P. f. Albus Regillensis. 
494... M. Valerius M. f. Volusus Maximus. 
460.. L. Quinctius L. f. L. n. Cincinnatus.
439... L. Quinctius L. f. L. n. Cincinnatus. 
437... M. Aemilius M. f. Mamercinus.
435... Q. Servilius P. f. Sp. n. Structus Priscus Fidenas. 
434... M. AEmilius M. f. Mamercinus. 
434... A. Postumius Tubertus. 
426... M. AEmilius M. f. Mamercinus.
418... Q. Servilius P. f. Sp. n. Structus Priscus Fidenas. 
408... P. Cornelius Rutilus Cossus. 
396... M. Furius L. f. Sp. n. Camillus. 
390... M. Furius L. f. Sp. n. Camillus. 
389... M. Furius L. f. Sp. n. Camillus. 
385... A. Cornelius Cossus.
380... T. Quinctius Cincinnatus Capitolinus. 
368... M. Furius L. f. Sp. n. Camillus, puis P. Manlius Capitolinus.
367... M. Furius L. f. Sp. n. Camillus. 
363... L. Manlius A. f. Capitolinus Imperiosus.
362... App. Claudius Crassus Inregillensis.
361... T. Quinctius Pennus Capitolinus Crispinus. 
360... Q. Servilius Q. f. Q. n. Atrala. 
358... C. Sulpicius M. f. Q. n. Peticus. 3
56..  C. Martius L. f. C. n. Rutilus. 
353... T. Manlius Imperiosus Torquatus. 
352.... Julius Julus.
351... M. Fabius N. f. M. n. Ambustus. 
350... L. Furius M. f. L. n. Camillus. 
349... T. Manlius L. f. A. n. Imperiosus. 
345.... L. Furius Id. f. L. n. Camillus. 
344... P. Valerius Publicola. 
342... M. Valerius M. f. M. n. Corvus. 
340... L. Papirius L. f. M. n. Crassus. 
339... Q. Publilius Q. f. Q. n. Philo. 
337... C. Claudius Ap. f. P. D. Crassus. 
335... L. AEmilius L. f. L. n. Mamercinus. 
334. P. Cornelius Rufinus.
332... M. Papirius Crassus.
331... Cn. Quintilius Varus.
327... M. Claudius Marcellus.
322... A. Cornelius P. f. A. B. Cossus Arvina. 
321... Q. Fabius Ambustus.
- ... M. AEmilius Q. f. L. n. Barbula Papus. 
320... C. Maenius P. f. P. n.
- ... L. Cornelius Lentulus.
- ... Manlius L. f. A. n. Imperiosus Torquatus. 
316... L. AEmilius Mamercinus Privernas. 
315... Q. Fabius Maximus Rullianus.
314... C. Maenius P. f. P. n. 
313... C. Paecelius Libo Visolus. 
312... C. Sulpicius Longus.
306... P. Cornelius Scipio Barbatus.
302... C. Junius C. f. C. n. Bubulcus Brutus. 
301... Q. Fabius Maximus Rullianus.
- ... M. Valerius M. f. M. n. Corvus. 
287... Q. Hortensius.
- ... App. Claudius Caecus.
280... Cn. Domitius Cn. f. Cn. n. Calvinus Maximus.
276... P. Cornelius P. f. Rufinus. 
263... Cn. Fulvius Maximus Centumalus. 
257... Q. Ogulnius L. f. A. n. Gallus. 
249... M. Claudius C. f. Glicia.
- ... Atilius A. f. C. n. Calatinus.
246. Tib. Coruncanius Tib. f. Tib. n. 
231.. C. Duilius M. f. M. n.
224... L. Caecilius L. f. C. n. Metellus.
221... Q. Fabius Maximus Q. f. Q. n. Verrucosus. 
217... Veturius L. f. Post. n. Philo.
- ... Q. Fabius Q. f. Q. n. Maximus Verrucosus. 
216... M. Junius D. f. D. n. Pera.
- ... M. Fabius M. f. M. n. Buteo.
213... C. Claudius Ap. f. C. n. Centho. 
210... Q. Fulvius M. f. Q. n. Flaccus. 
208... T. Manlius T. f. T. n. Torquatus. 
205... Q. Caecilius L. f. L. n. Metellus.
203... P. Sulpicius Ser. f. P. n. Galba Maximus. 
202... C. Servilius Geminus.
82... L. Cornelius L. f. P. n. Sylla Felix.
49... C. Julius C. f. C. n. Caesar.
48... C. Julius C. f. C. n. Caesar.
46 ... C. Julius C. f. C. n. Caesar.
45... C. Julius C. f. C. n. Caesar.
44... Julius C. f. C. n. Caesar.

La dictature fut toujours accompagnée d'une autre magistrature subordonnée, celle du maître de la cavalerie (magister equitum). On cite pourtant trois dictateurs qui ne prirent pas de maître de la cavalerie. M. Fabius Buteo, nommé pour dresser la liste du sénat; M. Claudius Glicia qui ne put exercer, et César, lors de sa première dictature. Le dictateur, une fois désigné, choisissait le maître de la cavalerie avant le vote de la loi curiate de imperio. Ce subordonné avait six licteurs, du moins au temps de César, mais ne possédait pas d'imperium propre. En l'année 217, fut voté le plébiscite de Metilius De aequando magistri equitum et dictatoris jure et l'on conféra au maître de la cavalerie, M. Minucius Rufus, la même autorité qu'au dictateur Q. Fabius Maximus. Mais celui-ci, qui avait d'ailleurs été élu, en dehors des règles, par le peuple, ne tarda pas à recouvrer la plénitude du pouvoir. 

En principe, le dictateur a vis-à-vis du maître de la cavalerie un pouvoir souverain, le droit d'exiger sa démission et même le droit de vie et de mort. Celui-ci est le premier après lui; il peut commander aux consuls. Il est donc plus que n'était au temps royal le tribun des celeres. Il avait probablement les insignes du consulat, robe prétexte et chaise curule, étant à peu près un collègue inférieur du dictateur. Il avait le droit d'auspices et les auspices majeurs; sa situation vis-à-vis du dictateur étant comparable à celle du préteur envers les consuls, il peut commander en chef quand le dictateur ne le lui interdit pas, il peut convoquer le sénat, les comices curiates et tributes; il supplée le dictateur. Son rôle spécial est le commandement de la cavalerie et des accensi

Le dictateur était obligé de prendre un maître de la cavalerie pour des motifs religieux; en outre, il avait intérêt à s'adjoindre un suppléant qui partagent ses vues. Celui-ci abdiquait ses fonctions en même temps que lui. (A.-M. B.).

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