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Dès l'Antiquité, on eut l'idée d'établir à travers l'isthme de Suez une voie navigable, mais on chercha toujours à joindre le Nil à la mer Rouge par le lac Timsah. Tel fut le canal entrepris par le pharaon Nechao (Neko), vers 600 av. J.-C., continué plus tard par Darius et terminé par Ptolémée II. Bientôt obstrué, il fut rétabli par l'empereur Trajan, puis par le conquérant arabe Amrou vers 640, comblé enfin au VIIIe siècle. Le projet de jonction des deux mers fut repris au XVIe siècle par les Vénitiens, puis par Bonaparte lors de l'Expédition d'Egypte; en 1846, Enfantin et quelques saint-simoniens étudièrent de nouveau la question. Enfin, Ferdinand de Lesseps soumit au khédive un Le débouché du canal de Suez dans la Méditerranée, à Port-Saïd. Image : Nasa. Le percement de l'isthme de Suez a amené une véritable révolution dans la vie économique du monde, en rapprochant de l'Europe les pays de l'océan Indien et du Pacifique. Londres, par exemple, s'est trouvé à 3100 kilomètres de Bombay au lieu de 6000. Le transit s'est développé avec une grande rapidité. Le canal est ainsi devenu d'emblée un enjeu stratégique majeur. L'Angleterre a cherché à s'assurer la possession de cette nouvelle route des Indes. En 1875, elle acheta au khédive, endetté, les actions du canal qui lui appartenaient; en octobre 1888, une convention conclue à Londres a neutralisé le canal. Au terme de celle-ci, le canal devait être ouvert en tout temps aux navires de tous les Etats, il ne pouvait être mis en état de blocus; aucun acte d'hostilité ne pouvait être accompli ni dans ses ports d'accès, ni dans un rayon de trois milles; etc. La neutralité du canal, placée sous la haute protection du Royaume-Uni, principal actionnaire de la Compagnie du canal, a duré jusqu'en 1948, date à laquelle l'Egypte en a interdit l'accès au tout nouvel Etat d'Israël. En 1956, le chef d'Etat Egyptien, Nasser, a décidé la nationalisation du canal. Cette décision a suscité une intervention militaire d'Israël, épaulée par le Royaume-Uni et la France. La crise internationale suscitée par cette action conduisit au retrait rapide des troupes. Le canal a été réouvert après quelques mois de fermeture. Devenu ligne de front entre Israël et l'Egypte à la suite de la Guerre des Six jours en 1967, le canal a de nouveau été fermé à la navigation, cette fois plus longtemps : jusqu'en 1975. Le canal est resté depuis sous le contrôle égyptien. | ||
Les origines. Le canal des Pharaons. Seti Ier et son fils Ramsès II (le Sésostris des Grecs) auraient, au dire de Strabon et de Pline, réalisé, dès le XIVe siècle av. J.-C. la jonction de la Méditerranée et de la mer Rouge. Le canal qu'ils firent creuser et que les Egyptiens appelaient ta tenat, c.-à-d. « la percée », se détachait de la branche la plus orientale du Nil, la branche Pélusiaque, aux environs de Bubastis (auj. Zagasig), suivait, de là, jusqu'au lac Timsah, la vallée de l'Ouadi-Toumilat (peut-être la terre de Gessen de la Bible), orientée de I'Ouest, à l'Est, puis, tournant brusquement au Sud, traversait les lacs Amers et venait se déverser dans la mer Rouge à Arsinoé, tout près de la Suez actuelle. On n'a, du reste, sur ses dimensions que des données fort vagues et il n'aurait jamais servi, d'après quelques auteurs, que comme canal d'irrigation. Il semble, dans tous les cas, qu'il ait été, dès, le Xe siècle, comblé par les sables et, dans les dernières années du VIIe siècle, Nechao (Neko), fils de Psammétique Ier, entreprit d'en construire un nouveau, qui devait, comme tracé, s'écarter fort peu de l'ancien, si même il ne lui empruntait tout, ou partie de son lit. 120 000 hommes périrent à ces travaux. Pourtant, ils furent interrompus, un oracle ayant prédit à Nechao que le canal ne servirait qu'aux « barbares », autrement dit aux Phéniciens, et ce fut Darius, fils d'Hystaspe, qui, cent ans plus tard, l'acheva. Il avait, au rapport d'Hérodote, une longueur de quatre journées de navigation et il était assez large pour que deux trirèmes pussent y naviguer côte à côte. Ptolémée II Philadelphe, qui monta sur le trône au commencement du IIIe siècle, y travailla à nouveau, soit que les sables l'aient, une fois de plus, en partie obstrué, soit qu'il s'agit seulement de l'améliorer sur quelques points, et Strabon, d'accord en cela avec Pline et Diodore de Sicile, soutient même que l'inauguration n'en eut lieu que sous ce dernier prince, en 277. Mais leur témoignage se trouve contredit par le récit très affirmatif et très détaillé d'Hérodote, lequel écrivait au Ve siècle, et les améliorations de Ptolémée durent consister surtout dans l'édification, à Arsinoé, d'un « euripe », sorte d'écluse rudimentaire, qui permettait, dit Strabon, de passer facilement du canal dans la mer, et réciproquement. Le commerce paraît, du reste, n'avoir que peu fréquenté cette voie de transit, peut-être à raison de la difficulté de la navigation dans la mer Rouge, et elle n'eut jamais guère, conséquemment, à ces époques reculées, qu'un intérêt local ou stratégique. L'entretien en était, par surcroît, fort coûteux. Aussi, la mobilité des sables du désert aidant, l'empereur Trajan dut-il, dans les premières années du IIe siècle de notre ère, rétablir, une fois encore et à grands frais, la communication, en reportant, cette fois, la prise d'eau un peu plus au Sud, à l'aide d'une section nouvelle allant du Caire à Belbis (Amnis Trajanus). Les projets médiévaux et modernes. Les choses demeurèrent en cet état pendant plus de mille ans. Les Vénitiens projetèrent bien, en 1508, à la suite de la découverte de la route du cap de Bonne-Espérance, qui détournait au profit des Hollandais une grande partie de leur commerce avec l'Orient, d'entreprendre, suivant un plan dressé par Niccolo Conti, un nouveau percement de l'isthme. De son côté, Leibniz fit à Louis XIV, en 1671, une proposition analogue et il s'en fallut de peu qu'en 1768 le fameux baron de Tott ne décidât le sultan Mustafa III à tenter lui-même cette gigantesque opération. La chose est grande, dit le premier consul; mais ce ne sera pas moi qui, maintenant, pourrai l'accomplir.La projet renfermait, d'ailleurs, une erreur, fondamentale, contre laquelle s'élevèrent Laplace et Fourier, mais qui, restée accréditée, ne contribua pas peu à retarder la solution-: il attribuait à la mer Rouge un niveau supérieur de 9,908 m à celui de la Méditerranée. C'est imbus de cette donnée qu'Hommaire de Hell, Linant de Bellefonds, devenu ensuite Linant-Bey, et quelques autres ingénieurs encore, reprirent, trente ou quarante ans plus tard, la question et proposèrent, à leur tour, une série de systèmes, qui ne s'écartaient guère, comme tracé, du précédent, et qui restèrent tous, comme lui, dans le domaine des spéculations théoriques. La société internationale, formée en 1846 par Enfantin, le chef de l'école saint-simonienne, en vue de réunir, par des études rigoureuses et complètes, les éléments d'une solution définitive, n'aboutit non plus, malgré le soin avec lequel elle fut constituée et les garanties de tous ordres qu'elle présentait, à aucun résultat positif. Elle était composée de trois groupes, l'un français, les deux autres allemand et anglais, et elle avait chargé de la direction du travail trois de ses membres, Paulin Talabot, Negrelli et Robert Stephenson. Tout d'abord, une brigade française alla s'assurer, sous les ordres de Bourdaloue et avec la coopération d'ingénieurs égyptiens, que, contrairement à l'assertion de Lepère, la différence de niveau des deux mers était sinon nulle, du moins presque insignifiante (0,18 m environ). Puis Talabot dressa un projet, qui devait, plus tard, lorsque le principe du percement fut une fois admis, être pris un instant en très sérieuse considération et qui consistait en un canal à douze écluses alimenté par le Nil et comprenant deux branches, l'une de Suez au barrage de Méhémet-Ali, un peu au-dessous du Caire, l'autre de ce point à Alexandrie. La longueur totale était de 392 kilomètres et le devis ne dépassait pas 162 millions. Negrelli se prononça, au contraire, de même que deux des ingénieurs du gouvernement égyptien qui avalent pris part aux opérations du nivellement, Linant-Bey et Mougel-Bey, pour un canal direct et sans écluses. Quant au tracé que proposèrent, vers le même temps, les frères Barrault, il allait bien de Suez à la Méditerranée en ligne droite, par les lacs Amers et Menzaleh, mais, arrivé près de la mer, il obliquait à l'Ouest et la cotoyait jusqu'à Alexandrie, sur 160 à 170 kilomètres. Le projet de Ferdinand de Lesseps. « aucun avantage particulier ne pouvant jamais être stipulé au profit exclusif d'aucune d'elles ».Les études préparatoires Les études commencèrent sur le champ. Les premiers frais en furent couverts par une société de cent fondateurs, anciens collègues ou amis personnels de Ferdinand de Lesseps, qui mirent chacun 5000 F dans l'entreprise; puis ce fut le vice-roi qui, de sa bourse, pourvut au surplus des dépenses. Elles furent assez élevées. Il y eut d'abord une exploration de l'isthme, entre Suez et le lac Menzaleh, par Ferdinand de Lesseps et les deux ingénieurs du vice-roi qui avaient antérieurement coopéré aux travaux de la société saint-simonnienne, Linant-Bey et Mongel-Bey (24 décembre 1854-15 janvier 1855). Deux mois après, le 20 mars, ces deux ingénieurs présentaient, d'après les instructions de Ferdinand de Lesseps, un rapport d'avant-projet, qui concluait, conformément à l'opinion déjà autrefois émise par eux, à un canal direct et sans écluses, allant, presque en ligne droite, de Suez à Péluse, sur la côte de la Méditerranée, en profitant des dépressions des lacs Amers, et du lac Timsah. Un second canal, partant du Nil et aboutissant par la vallée de l'Ouadi Toumilat à ce dernier lac, devait, au moyen de deux branches secondaires, l'une vers Suez, l'autre vers Péluse, amener l'eau douce aux travailleurs, en même temps que féconder ces régions. La dépense totale était estimée à 185 millions de F, la durée maximum des travaux à six années, les recettes annuelles de l'exploitation à 30 millions de francs à raison d'un droit de passage de 10 F par tonneau. Les cinq mois qui suivirent furent employés à faire exécuter, sur le trajet du tracé projeté, toute une suite de nivellements et de sondages par deux brigades d'ingénieurs et de géologues, secondées par un demi-bataillon du génie. Puis, à la fin de septembre et afin de répondre, d'une part, aux objections des partisans d'un tracé indirect, d'autre part à la campagne de diffamations et d'injures que la presse britannique, soutenue par son gouvernement, avait tout de suite engagée contre le projet et son auteur, une « commission scientifique internationale » fut constituée, avec mission de se prononcer entre les affirmations de Ferdinand de Lesseps. qui déclarait le percement direct possible et rémunérateur, et les allégations de lord Palmerston, alors premier ministre anglais, qui le proclamait impossible et néfaste. Elle comprenait dix membres Renaud et Lieusson pour la France, Rendel, Mac Clean et Ch. Manby pour l'Angleterre, Negrelli pour l'Autriche, Paleocapa pour l'Italie, Conrad pour la Hollande, Montessino pour l'Espagne, Lentze pour la Prusse. Elle tint sa première réunion à Paris, le 30 octobre. Le 8 novembre, cinq de ses membres partirent de Marseille pour l'Egypte et, le 2 janvier 1656, ils se prononcèrent à l'unanimité, dans un rapport adressé au vice-roi, pour l'adoption de l'avant-projet Linant-Mougel, reportant seulement le débouché dans la Méditerranée à 28 kilomètres plus à l'Ouest et évaluant à 200 millions la dépense totale. Le 5 janvier, un deuxième acte de concession venait confirmer et compléter le premier. Il déclarait solennellement : « le grand canal maritime de Suez à Péluse et les ports en dépendant ouverts à toujours, comme passages neutres, à tous navires de commerce traversant d'une mer à l'autre ».En même temps, il fixait les privilèges et les charges de la compagnie à constituer, notamment la durée de la concession, les conditions du concours du gouvernement égyptien la part à lui revenir dans les bénéfices, etc. Les 23, 24 et 25 juin, la commission internationale eut à Paris une série de réunions nouvelles au cours desquelles elle arrêta diverses résolutions de détails. Dans les premiers jours de l'année 1857, l'Académie des sciences donna, conformément aux conclusions de son rapporteur, Ch. Dupin, une entière approbation tant à l'entreprise elle-même qu'aux moyens d'exécution proposés. Le 15 décembre 1858, après quatre années de négociations et de luttes incessantes et malgré les difficultés de toute sorte qu'avaient continué de susciter à Ferdinand de Lesseps, tant au Caire qu'à Constantinople et auprès des autres gouvernements européens, la diplomatie et la finance anglaises, la « Compagnie universelle du canal maritime de Suez », put être constituée au capital de 200 millions de francs, divisé en 400 000 actions de 500 F. 207 111 furent souscrites en France, 15 247 à l'étranger et 177 642 par Mohammed-Saïd, qui s'était fait réserver le stock. Ce succès, loin de désarmer les Britanniques, ne fit que les exaspérer davantage. Le vice-roi passa outre aux récriminations de leurs agents et, le 25 avril 1859, le premier coup de pioche fut enfin donné par Ferdinand de Lesseps, sur l'emplacement actuel de Port-Saïd. La période des travaux (1859-1869). Mais l'opposition anglaise veillait. Déjà, au commencement de 1860, elle avait tenté une nouvelle agression et il n'avait rien moins fallu, pour neutraliser ses attaques, que faire intervenir auprès de la Sublime-Porte Napoléon III, gagné de bonne heure à la cause du canal par Ferdinand de Lesseps, parent de l'impératrice. Cette fois, la situation, se compliquait, pour la Compagnie, de la mort récente de Mohammed-Saïd, auquel venait de succéder Ismaïl-Pacha. D'autre part, le sultan, suzerain de l'Egypte, n'avait jamais ratifié par écrit les firmans de concession. |
Une campagne d'intrigues fut, à la faveur de ces circons tances, très habilement menée, pour le compte de l'Angleterre et avec le concours occulte, assure-t-on, du duc de Morny, par Nubar-Pacha, premier ministre d'Ismaïl, et, au mois de mai, le vice-roi faisait connaître à Ferdinand de Lesseps que, l'état de choses créé par son prédécesseur préjudiciant gravement aux intérêts de l'agriculture, il se voyait contraint, pour se conformer aux représentations de la Sublime-Porte, de subordonner la continuation des travaux à un certain nombre de modifications dans les contrats primitifs : suppression de la corvée obligatoire des fellahs, abandon du canal d'eau douce, rétrocession de la presque totalité des terres cultivables concédées à la Compagnie à titre de domaine particulier. Le coup faillit être fatal. Hardon, l'entrepreneur général, dut, faute d'ouvriers, résilier; les travaux furent, sur de nombreux points, suspendus et, pendant plusieurs mois, la plupart des chantiers demeurèrent déserts. Ce fut Napoléon III qui, une fois encore, sauva la situation. Accepté comme arbitre par les deux parties, il rendit, le 6 juillet 1864, une sentence qui condamnait le gouvernement égyptien à payer à la Compagnie une indemnité de 84 millions de francs, soit 38 millions pour le supplément de dépenses devant résulter de la substitution d'ouvriers européens et de machines aux ouvriers égyptiens, 30 millions pour les rétrocessions de terres, 10 millions pour les travaux faits ou à faire au canal d'eau douce, 6 millions pour les droits qui auraient pu être perçus sur ce canal. Le 22 février 1866, une nouvelle convention, abrogeant presque complètement celle de 1856, fut signée, et le 19 mars un firman du sultan Abdul-Aziz donna enfin à la concession la consécration souveraine. Sur tous les chantiers, d'ailleurs, les travaux, désormais placés sous la direction générale de l'ingénieur Voisin-Bey, avaient repris, dès la fin de 1864, avec une activité nouvelle. Trois grandes entreprises se les partageaient : Borel et Lavalley pour les dragages, les frères Dussaud, pour les jetées de Port-Saïd, Couvreux pour le seuil d'El-Guisr, et comme il avait fallu, pour compenser la diminution de main-d'oeuvre causée par la suppression de la corvée, donner aux procédés mécaniques une plus large extension, ils avaient réuni dans l'isthme un matériel colossal, représentant un total de 17 à 18 000, chevaux-vapeur et comprenant notamment, pour le déversement direct des déblais sur les rives, une vingtaine de grandes dragues, d'un type nouveau, munies de longs couloirs latéraux, de 70 m de longueur. La seule entreprise Borel et Levalley comptait, dans le total précité, pour 13 000 chevaux-vapeur et elle disposait de 14 petites dragues, 60 grandes dragues, 18 élévateurs, 67 gabares, 36 porteurs de caisses de déblais, 52 locomobiles, 6 machines fixes, 1 grand bateau à vapeur, 4 canots à vapeur, 12 canots remorqueurs. 15 bateaux-citernes. Les ouvriers étaient au nombre de 13 500, dont 6500 Egyptiens ou Syriens et 7000 Européens. A la fin de 1866, le terrain était attaqué sur tous les points et on extrayait mensuellement 1.200.000 m². Un an plus tard ce chiffre était porté à 2 millions. Mais il en restait encore 40 millions, et les fonds se trouvaient épuisés. Les difficultés diplomatiques, qui ne s'étaient plus du reste reproduites, furent alors remplacées par des difficultés financières. On en vint plus facilement à bout, quoique non sans peine, car le crédit se montra rétif et une première émission de 100 millions de francs d'obligations (333.333 à 300 F), ne produisit tout de suite que 40 millions. Une émission complémentaire, celle-là en obligations à lots, faite l'année suivante (1868), puis la vente d'une partie des terrains restés à la Compagnie, satisfirent aux derniers besoins. Le 18 mars 1869, les eaux de la Méditerranée pénétrèrent dans le grand bassin. Le 15 août, la digue qui retenait la mer Rouge au Sud du petit bassin fut coupée et les eaux des deux mers se joignirent dans les lacs Amers. Le 17 novembre, le canal fut solennellement inauguré, à Port-Saïd, en présence du khédive, de l'impératrice Eugénie, de l'empereur François-Joseph, du prince royal de Prusse, du prince et de la princesse des Pays-Bas et d'une affluence considérable de personnages officiels et de curieux de toutes les nations. Plus de 80 bâtiments, dont 50 vaisseaux de guerre appartenant à toutes les marines du monde, s'y engagèrent à la file et, le 20, après seize heures de navigation effective, vinrent jeter l'ancre dans la rade de Suez. L'énergie indomptable et l'activité infatigable de Ferdinand de Lesseps avaient triomphé de toutes les difficultés et de tous les pièges. Il avait fallu, par exemple, dix années, au lieu des six annoncées, pour mener l'entreprise à bien, et au lieu de 200 millions de francs, il en avait été dépensé, intérêts des actions et tous, autres frais compris, plus de 400. Mais ce mécompte devait être compensé plus tard, et bien au delà, par une énorme plus-value dans les bénéfices et comptes. Notons toutefois que les premières années de l'exploitation furent désastreuses. Les actions, dont l'intérêt statutaire de 25 F. resta pendant trois ans et demi impayé, descendirent en 1871 à 200 F, et la même année, la Compagnie dut émettre 120.000 bons trentenaires de 400 F, rapportant 8 F et remboursables à 125 F. Un paquebot traversant le canal de Suez au début du XXe siècle. Description du canal à son achèvement La profondeur d'eau était, au début, de 8 m. A la suite des grands travaux d'amélioration qui ont été entrepris en 1884 sous la haute surveillance d'une nouvelle commission technique internationale et pour lesquels il a été dépensé près de 420 millions, elle a été portée à 9 m. En même temps, la largeur au plafond, qui était partout uniformément de 22 m, et la largeur à la ligne d'eau, qui variait de 58 m, au passage des seuils, à 100 et 112 m au voisinage des deux mers, ont été considérablement augmentées. La largeur au plafond est partout à cette époque d'au moins 37 m et la largeur à la ligne d'eau varie de 73 m à 132 m. L'inclinaison des talus diffère aussi beaucoup. Il a fallu tenir compte, en effet, de la nature des terrains traversés, et de 2 pour 1 seulement là où le sol est résistant, la porter, dans les sables, à 4 pour 1. Des banquettes de 2 à 4 m de largeur ont en outre été ménagées un peu au-dessous de la ligne d'eau : recouvertes d'enrochements, elles préservent les berges contre le clapotis des vagues. Enfin, de distance en distance, des élargissements-gares ont été pratiqués. Avant les travaux d'amélioration, le croisement des navires s'y effectuait exclusivement. (Il existe aujourd'hui deux tronçons de dérivation encore pour permettre le croisement des navires de dimensions exceptionnelles). Creusés, presque tous, près des campements établis pour les travailleurs pendant la période de construction, ils sont encore, quoique plusieurs aient été par la suite supprimés, au nombre de dix : Rassouah (kil. 4), Raz-el-Ech (kil. 14), Tineh (kil. 25), le Cap (kil. 35), Kantara (kil. 45), Ballah (kil. 55), El-Ferdane (kil. 65), Cheik-Ennedek (kil. 85), Geneffé (kit. 134), Chalouf (kil. 146). En face de chacun d'eux, sur la rive, est un sémaphore. Des constructions solides et bien aménagées, où habitaient le chef de gare, les télégraphistes, les agents d'entretien, les matelots et leurs familles, ont, en outre, peu à peu, remplacé les vieilles baraques du temps de la construction. La figure ci-dessous représente un profil en travers de l'élargissement-gare d'El-Ferdane, au moment du croisement de deux grands bâtiments. Le navire à droite est le Herzog, postal allemand (5016 tonnes) amarré dans l'élargissement, tandis que passe, à gauche, le Clan Robertson; cargo-boat anglais (3502 tonnes). Au second plan est figuré le profil normal tel qu'il se continue en amont de l'élargissement. |
Le canal de Suez a assez peu changé depuis son ouverture, même si, dans la seconde moitié du XXe siècle, il a été sensiblement élargi (193 m en 1976, 315 m en 1990) et approfondi (15 m en 1976, 19,5 m en 1980, 23,5 m en 1990). Une nouvelle branche à aussi été ouverte au Nord, en 1980, pour délester Port-Saïd. Le Canal de Suez, voie de communication stratégique. La première grosse difficulté fut soulevée en 1873, lorsque la Compagnie voulut apporter certaines modifications dans l'assiette et le taux des péages. Les armateurs se récrièrent et la Sublime-Porte, travaillée par l'Angleterre, ayant donné ordre an vice-roi de faire avancer ses troupes et d'occuper les établissements du canal, Ferdinand de Lesseps dut, devant la force brutale, accepter le régime qui lui fut, en quelque sorte, dicté. L'année suivante, en 1875, le cabinet anglais acheta secrètement au vice-roi, alors très gêné, ses 176.602 actions, ce qui, avec celles appartenant à d'autres porteurs anglais, assurait désormais à l'Angleterre, ou peu s'en fallait, la majorité dans les assemblées de la Compagnie, et, en 1877, au début de la guerre russo-turque, il fit savoir au gouvernement russe, après avoir, tout d'abord, repoussé les propositions de neutralisation de Ferdinand de Lesseps, qu'il n'admettrait aucun acte de guerre à l'encontre du canal, pourtant territoire turc. La Russie s'abstint, au surplus, d'user de ses droits de belligérant et ce fut l'Angleterre elle-même qui, en 1882, sous prétexte de répression de l'insurrection d'Arabie, porta la première atteinte à la neutralité du canal. Dans la nuit du 19 au 20 août, sir Garnett Wolseley l'occupa militairement et, malgré une énergique protestation de F. de Lesseps, qui refusa ses pilotes, le ferma à la navigation jusqu'à ce que toute sa flotte l'ait tranquillement franchi. En vue de prévenir le retour de semblables éventualités, une commission internationale fut convoquée avec mission d'étudier un « règlement du libre usage du canal de Suez ». Composée de délégués de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne, de la Russie, de l'Italie, des Etats-Unis, de la Turquie, des Pays-Bas et de l'Espagne, elle se réunit à Paris, dans le courant de 1885, sous la présidence du directeur des affaires politiques, Billot, et elle élabora une convention, qui, d'abord repoussée par l'Angleterre, ne fut définitivement ratifiée que le 28 novembre 1888. « Le canal maritime de Suez, y est-il dit, sera toujours libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. En conséquence, les hautes parties contractantes conviennent de ne porter aucune atteinte au libre usage du canal en temps de guerre comme en temps de paix [...]-»Et plus loin : « [...] Aucun droit de guerre, aucun acte d'hostilité ou aucun acte ayant pour but d'entraver la libre navigation du canal ne pourra être exercé dans le canal et ses ports d'accès, ainsi que dans un rayon de 3 milles marins de ces ports, alors même que l'empire ottoman serait l'une des puissances belligérantes ».La situation demeurera à peu près inchangée pendant une soixantaine d'années. C'est au gouvernement égyptien (et, jusqu'à la Première Guerre mondiale, au-dessus de lui, au gouvernement ottoman), qu'il appartient d'agir, le cas échéant, pour réclamer l'observation des dispositions du traité de 1888, et les agents des puissances ont, chaque année, au Caire, une réunion, où ils constatent que le traité a été, au cours de l'année précédente, ponctuellement exécuté. Cette convention suscita cependant de critiques, notamment en France, l'autre puissance impériale de l'époque : le gouvernement égyptien, à qui incombait, en premier, le soin de la faire respecter, était, en réalité, du fait du maintien de l'occupation anglaise, puis du protectorat anglais officialisé en 1914, sous la dépendance des Britanniques. Même cette occupation cessant, expliquait-ont, l'Angleterre resterait maîtresse d'Aden et de Périm, c.-à-d. de la mer Rouge. Or, qu'importait qu'on puisse entrer librement dans le canal par la Méditerranée si on n'en pouvait sortir. Pour qu'en tout état de cause la navigation du canal se trouvât effectivement garantie, il faudrait, ajoutait-on, que, d'une part, l'Égypte fût soustraite aux entreprises des puissances, que, d'autre part, la mer Rouge et ses abords fussent neutralisés. - Le canal de Suez, entre le delta du Nil et la péninsule du Sinaï. Cliquer sur la carte plus afficher une carte plus détaillée. La crise de Suez. Le Conseil de sécurité des Nations Unies est saisi. Mais avant que celui-ci réagisse, Israël, que les récentes livraisons d'armes par la Tchécolovaquie à l'Egypte inquiètent, lance une offensive militaire à travers le Sinaï le 29 octobre 1956. La Grande-Bretagne et la France lui emboîtent le pas deux jours plus tard. La RAF britannique et l'Armée de l'Air française bombardent les aréoports égyptiens et attaquent Port-Saïd. En quelques heures la zone du Canal passe entre les mains des assaillants. Les Etats-Unis, pris de cours par cette action, et l'URSS, qui menace de représailles massives, finissent par convaincre Israël, La Grande Bretagne et la France de se retirer. Des Casques bleus de l'ONU sont envoyés sur place pour sécuriser la zone et permettre la réouverture du Canal, bloqué par les Egyptiens au moment de l'attaque en y sabordant plusieurs bâtiments. La circulation des navires reprend en avril 1957. Nasser, grand vainqueur de l'affaire, s'engage cependant à garantir l'accès à la voie de navigation conformément aux termes de la convention de 1888 et à dédommager les actionnaires de la Compagnie du canal. Les marchandises et navires en provenance ou à destination d'Israël n'ont toujours pas accès au canal, mais Israël obtient l'ouverture du port d'Eilat (Elath) et le droit de navigation dans la Mer rouge.
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