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Histoire de l'Europe > L'Espagne
L'histoire de l'Espagne
L'Espagne antique
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La position de l'Espagne, à la rencontre des continents d'Europe et d'Afrique, séparés seulement ici par l'étroit canal de Gibraltar et un bras de mer resserré, a fait de ce pays, dès la plus haute antiquité, comme un carrefour où se sont trouvées en contact les populations d'Afrique du Nord, du Levant et d'Europe. Les Carthaginois d'abord, les Arabes au Moyen âge, notamment, s'y sont heurtés à des populations déjà présentes et il est probable que, dans les temps plus reculés, aux époques dont l'histoire nous demeure inconnue, il en a été de même. Les plus anciens témoignages historiques nous représentent la péninsule pyrénéenne, appelée Hesperia ( = pays de l'Occident) ou Iberia, comme habitée d'abord par des Ibères, peuple sur la provenance duquel beaucoup d'incertitudes demeurent. Quoi qu'il en soit, il paraît établi que ces premiers habitants de la péninsule occupèrent toute sa surface et débordèrent même en dehors, dans le Sud de la Gaule et le Nord de l'Italie, et l'étude des noms géographiques dans ces deux pays a permis de marquer avec quelque précision l'extension de leur domaine.

Phéniciens et Grecs

La beauté du climat et la richesse du sol, surtout en mines, attirèrent bientôt dans l'Espagne mal exploitée par des tribus sauvages les navigateurs et les traitants de Phénicie. Ces marchands aventureux, dès une antiquité très reculée, vers le XVe ou le XIVe siècle avant notre ère, vinrent offrir aux Ibères des objets de peu de valeur, mais curieusement travaillés, des vases de verre, des toiles pointes, des vêtements et des ornements de femmes, et, en échange, ils reçurent des minerais d'or et d'argent, des huiles, des vins, des laines, en un mot les plus précieux produits du pays. Des marchés et comptoirs phéniciens s'établirent, surtout sur la côte d'Andalousie ou Bétique et même dans l'intérieur, sur le Bétis ou Guadalquivir; ce furent bientôt des villes florissantes, sortes de républiques phéniciennes, vivant en bonne amitié avec les tribus voisines et uniquement préoccupées de l'extension de leur commerce. On peut citer parmi les plus importantes : Abdera, Salambina, Malaca ( = la ville des salaisons, à ce qu'il semble), sur le littoral de la Bétique; Carteia, près d'Algésiras : Gadir ou Gadès (la moderne Cadix), Asta, Onoba, Nebrissa, Oripo, Cordoba ( = la ville des olives?), Castulo sur le Bétis ou dans les environs du fleuve. Malaca (Malaga), Cordoba (Cordoue) et Gadès surtout étaient des centres commerciaux des plus actifs. 

Les Phéniciens ne gardèrent pas longtemps le monopole du commerce avec les tribus d'Espagne; là, comme dans tout le bassin de la Méditerranée, ils rencontrèrent pour concurrents les Grecs d'Asie et durent partager avec eux; ils leur abandonnèrent la côte orientale de la péninsule. Des Rhodiens fondèrent Rosas, sur la côte de Catalogne, vers le IXe siècle avant notre ère; des Phocéens s'établirent tout près à Ampurias (= le Marché ou Emporium), puis à Denia, où ils élevèrent un temple à leur patronne, l'Artémis d'Ephèse, vers le VIe siècle avant notre ère; des Zacinthiens avaient fondé sur ce même littoral la ville de Sagonte, plus tard célèbre.

Tandis que les Phéniciens et les Grecs apportaient dans la péninsule hispanique les éléments de leur civilisation et semaient la côte de leurs colonies, une grande invasion s'opérait par le Nord, et des tribus celtiques, franchissant ou tournant les Pyrénées, venaient s'établir au milieu des Ibères. Dès lors, il y eut dans le pays deux populations très différentes par l'origine et les moeurs, et les historiens grecs et latins, notamment Strabon, Pline, Ptolémée, nous mentionnent, en les distinguant, les tribus celtiques et les tribus ibériques. S'il faut les en croire aussi, sur certains points les deux populations se seraient peu à peu fondues pour n'en former qu'une, la population celtibère, puissante et redoutée et formant un grand État au pied des Pyrénées. Tous ces faits, et la fondation des colonies phéniciennes et grecques, et les invasions celtiques, peut-être répétées, ne nous sont connus par des légendes religieuses comme le mythe d'Héraclès, que par les vagues traditions rapportées par les écrivains anciens; ils appartiennent à une période fabuleuse, dont Mariana et Ferreira ont raconté avec prolixité les événements imaginaires, mais où la saine critique ne trouve que très peu de faits à retenir; l'ère vraiment historique pour l'Espagne ne commence qu'avec les établissements des Carthaginois , c.-à d. avec le Ve siècle avant notre ère.

L'Espagne carthaginoise

La grande métropole des colonies phéniciennes, Tyr, avait été ruinée, en 574, par Nabuchodonosor; aussi les divers marchés de cette Cité dans l'Occident furent-ils abandonnés à eux-mêmes et menacés, soit par les colonies grecques, soit  par les tribus sur le territoire desquelles ils étaient établis. Cadix, le grand comptoir des Phéniciens en Espagne, fut attaqué par les Turdétans et invoqua la protection de Carthage, la grande colonie phénicienne qui avait peuplé de ses marchés toute la côte d'Afrique et avait soumis même les rois de l'intérieur. Son intervention dans les affaires de Cadix lui donna l'héritage de Tyr, en fit comme la métropole de toutes les colonies de même origine en Espagne. Elle entra en relations pacifiques avec de nombreuses tribus de ce pays, s'installa bientôt aux îles Baléares et recruta parmi les Espagnols des soldats qui lui servirent pour ses guerres contre les Grecs et les Tyrrhéniens. Magon, quelques années avant l'an 500, fonda dans l'île de Minorque le port vaste et sûr qui porte encore aujourd'hui son nom, Port-Mahon. Pendant les deux siècles qui suivent, nous voyons les mercenaires espagnols combattre sous les drapeaux de Carthage, en Sardaigne, en Sicile et dans la première guerre punique

La grande cité marchande, après sa défaite par les Romains, voulut trouver en Espagne une compensation, et c'est alors qu'elle entreprit la conquête du pays où, jusqu'alors, elle s'était contentée de trafiquer et d'avoir des alliés. En l'an 238  av. notre ère, Hamilcar Barca y passa et soumit en un an toute la Bétique; pendant huit années consécutives, il parcourut l'Est et le Nord de la péninsule, gorgeant ses soldats de butin et enrichissant Carthage, soumettant cent tribus ibères ou celtiques, fondant, à ce qu'il semble, la ville de Barcelone (Barcino = la ville de Barca), et, quand il fut tué dans une panique en 228, laissant une moitié de l'Espagne conquise. Hasdrubal, son gendre, qui lui succéda dans le commandement de l'armée, étendit encore ses conquêtes, les affermit par une politique habile et une administration bienveillante, et fut arrêté sur les bords de l'Ebre par les Romains qui, inquiets de cette rapide extension de la puissance carthaginoise, lui imposèrent par un traité le fleuve comme limite septentrionale. Il bâtit ensuite sur la côte méditerranéenne une grande forteresse, Carthago Nova ou Carthagène. Il fut assassiné en 223. Hannibal, son beau-frère, le fils du grand Hamilcar, lui succéda et on sait comment le siège de Sagonte amena entre Carthage et Rome ce long et terrible duel qui s'appelle la seconde guerre punique

L'armée carthaginoise qu'Hannibal mena en Italie était composée en majeure partie d'Espagnols, et la plupart des tribus, malgré les sollicitations d'ambassadeurs romains, restèrent d'abord fidèles à Hannibal ; mais, quand Cneus Scipion vint chez eux avec une armée, beaucoup abandonnèrent le parti de Carthage. Ce furent d'abord celles entre les Pyrénées et l'Ebre qui acceptèrent la protection romaine, puis, après deux victoires de Scipion sur Hannon et Himilcon (218 et 217), ce furent une centaine de tribus, principalement des Celtibères; les Ilergètes, au contraire, commandés par Indibilis et Mandonius, repoussèrent cette alliance, mais furent battus. Scipion reprit Sagonte et, par une conduite habile et généreuse, s'attacha les Espagnols. Une nouvelle victoire qu'il remporta sur deux armées carthaginoises, aux environs de l'Ebre, en 214, resserra cette alliance. Cependant, son frère et lui furent battus et tués dans deux batailles par de nouvelles armées carthaginoises (212) et ce fut un simple chevalier, élu chef par les soldats, Marcius, qui répara cet échec. 

Caius Clodius Néron, qui vint d'Italie pour commander l'armée, soumit quelques nouvelles tribus, parcourut l'Espagne de Tarragone à la sierra Morena, surprit même l'armée d'Hasdrubal dans un défilé, mais la laissa s'échapper (211). L'importance de la conquête de l'Espagne pour enlever à Carthage une de ses meilleures ressources en argent et en soldats n'avait pas échappé au Sénat romain; il envoya en ce pays avec une forte armée le jeune homme en qui l'État mettait alors toute son espérance, Publius Cornelius Scipion; celui-ci prit Carthagène (208), la grande forteresse carthaginoise, s'attacha les chefs des principales tribus, battit Hasdrubal, près de Bailen, parcourut en pacificateur toute la Bétique (206), s'assura l'alliance du roi numide Massinissa, fonda la ville d'Italica (Séville) et, en 204, quand il partit pour l'Italie, laissa la plus grande partie du pays soumise aux Romains. Au traité de Zama, en 201, Carthage sera forcée de renoncer à toute prétention sur l'Espagne.

L'Espagne romaine

Les Romains étaient entrés dans la péninsule à titre d'alliés et s'étaient ainsi créé un parti; mais, quand la guerre avec Carthage fut finie, les Espagnols virent bientôt qu'ils n'avaient fait que changer de maîtres. Deux chefs des bords de l'Ebre, qui avaient affecté d'être indépendants, Indibilis et Mandonius, furent vaincus et mis à mort (203-199 av. J-C.). Les proconsuls des années suivantes firent des courses fructueuses, dont le produit alla enrichir le trésor de Rome, et l'Espagne fut, dès lors, considérée comme possession romaine et divisée en deux provinces : l'Hispania citerior avec Carthago Nova pour capitale et l'Hispania ulterior avec Corduba; deux préteurs l'administrèrent (197 av. J.-C.). Dès lors, entre les légions romaines cantonnées dans le pays et les tribus qui repoussaient leur domination, il y eut une lutte qui dura plus d'un siècle et dont les vicissitudes remplissent les livres des historiens de Rome, Tite-Live, Polybe, Arrien, Florus, etc. 

Presque chaque année le produit du butin était énorme et, en outre, des armées et des proconsuls s'enrichissaient des dépouilles des vaincus. De ces guerres, où le peuple espagnol montrait déjà son âpre amour de l'indépendance, mais aussi une incapacité absolue de s'unir pour repousser l'ennemi commun, de ce siècle de guérillas, nous ne pouvons ici donner les détails. Caton (195), Scipion Nasica (194), Flaminius (192), Paul-Emile (190), Calpurnius Pison (188), Terentius Varron (184), Sempronius Gracchus (180) et bien d'autres acquirent gloire et fortune contre les tribus ibères ou celtiques; en 170, Rome leur laissa un peu de répit, occupée alors en Macédoine et en Grèce. En 153, éclata une grande révolte chez les Celtibères, appuyés par les Numantins des bords du Douro supérieur; plusieurs armées romaines furent taillées en pièces; la rébellion gagna la Lusitanie et, pendant douze années, la Péninsule fut le théâtre de combats acharnés. 

Les tribus eussent été victorieuses, si elles avaient su s'entendre; mais les Celtibères laissèrent écraser les Lusitaniens, commandés par l'héroïque Viriathe (148-139), puis Numance tomba à son tour (140-134) sous les coups de Scipion Émilien, après avoir été longtemps la terreur des Romains; l'héroïsme isolé des tribus ne pouvait rien contre la forte discipline et l'esprit de suite des maîtres du monde. La plus grande partie de la Péninsule était dès lors soumise; Metellus, en 123, vainquit les insulaires des Baléares; ses successeurs, jusqu'en l'an 99, les peuples du Portugal. Une dernière convulsion de l'Espagne, déjà romanisée en partie, eut lieu sous Sertorius, et il fallut Pompée pour en triompher (83-72); elle était déjà si assimilée que ses habitants prirent parti dans la guerre civile qui divisa le monde romain, les uns pour Pompée, les autres pour César, et que celui-ci dut venir y poursuivre les débris du parti qu'il avait vaincu (Munda, 44). Il ne restait d'insoumis que quelques petits peuples dans les montagnes des Asturies et le pays basque; les lieutenants d'Auguste les domptèrent, après une longue résistance, dans les années 24 à 15 av. J.-C.
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Photo de l'aqueduc romain de Ségovie.
L'aqueduc romain de Ségovie.

L'histoire politique de l'Espagne, à dater de cette époque, se confond avec celle de Rome. Ce pays s'était si rapidement romanisé qu'à l'époque de Strabon tout le monde presque y parlait latin, et que ses enfants, les Sénèque, Martial, Lucien, Quintilien devenaient, à Rome, les maîtres du barreau, de la poésie et de la rhétorique. Plus tard, c'était l'Espagne qui fournissait les empereurs Trajan et Hadrien. Depuis l'an 27, cette région, riche et peuplée, était divisée en trois provinces :

Hispania Tarraconensis ou citerior, qui comprenait les Baléares, l'Est et le Nord de la péninsule, avait pour capitale Tarraco et était divisée en 7 districts ou conventus, dont les chefs-lieux étaient Tarraco, Carthago Nova, Caesaraugusta, Clunia, Lucus Augusti, Bracara Augusta et Asturica Augusta; 

Hispania. ulterior, appelée plus tard Betica, qui comprenait le Sud de l'Espagne et était divisée en 4 districts, dont les chefs-lieux étaient Corduba, capitale de la province; Astioi, Hispalis et Gadès; 

Lusitania, comprenant l'Ouest de la péninsule, avec 3 conventus : Emerita, capitale de la province; Pax Julia, Scallabis. 

Dans la péninsule, au temps d'Auguste, dont Pline nous rapporte un recensement officiel, il y avait 26 colonies, 16 municipes, 61 villes jouissant du jus Latii, 189 autres villes autonomes, 291 villes dites stipendiariae, et 114 communautés rurales (ces dernières dans la Tarraconaise, assez semblables aux communes actuelles à population éparse de la Galice, des Asturies et des provinces basques); dès le temps de Vespasien, toute la population indigène jouit du jus Latii. De ces villes, bon nombre étaient prospères par l'industrie et le commerce : Tarraco (Tarragone), Carthago Nova (Carthagène), Saguntus (Murviedro), relevée de ses ruines; Caesaraugusta (Saragosse), Calagurris (Calahorra), Corduba (Cordoue), Hispalis (Séville), Malaca (Malaga), Gadès (Cadix). De belles routes les reliaient, dont les plus fréquentées étaient celles qui allaient de l'océan Atlantique à Narbonne par Léon, Saragosse, Tarragone et Barcelone, et une autre s'embranchant sur la première à Tarragone et desservant Carthagène, Malaga et Cadix. 

De cette prospérité, dont il n'y a pas d'histoire, témoignent encore des ruines imposantes, parmi lesquelles il faut citer celles du prétorium, du cirque, de la tour des Scipion, de l'aqueduc à Tarragone, du pont de Martorell, de l'amphithéâtre de Murviedro, des citernes, de l'arc de Trajan, du pont et de l'aqueduc de Merida, du merveilleux pont du Tage à Alcantara, de l'aqueduc de Ségovie, monuments qui rappellent pour la plupart le temps des Antonins. Cependant l'heure approchait où l'Empire romain, tant de fois menacé par les hordes barbares, allait être submergé par leurs masses désordonnées; la grande invasion de l'année 406 jeta sur l'Occident une foule de tribus germaniques, slaves, tartares, qui tournoyèrent longtemps dans la Gaule et l'Italie, s'arrêtèrent un instant devant la barrière des Pyrénées, puis enfin la franchirent en l'an 409. Les Wisigoths  (L'Espagne wisigothique) allaient y fonder un royaume, premier jalon véritable de l'identité politique de l'Espagne (L'Espagne au Moyen Âge). (G. Pawlowski).

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