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Carlo Goldoni est le plus grand auteur comique de l'Italie, né à Venise le 25 février 1707, mort à Paris le 6 février 1793. D'une famille riche, originaire de Modène, il eut sous les yeux dès son enfance des spectacles et des comédies dont son grand-père était amateur passionné. Dès qu'il sut lire, il se sentit un goût très vif pour l'art dramatique; il fit, dit-on, une petite pièce à l'âge de huit ans qui étonna ceux qui l'entouraient. Son père, qui s'était établi à Pérouse comme médecin, instruit des facultés précoces de son fils, le fit venir près de lui et le mit au collège des jésuites, puis chez les dominicains de Rimini. C'est de là que le jeune Goldoni s'enfuit à Chioggia pour suivre une troupe de comédiens; son père tenta alors, mais sans succès, de lui apprendre la médecine. Après avoir achevé son éducation à Pavie, il fut nommé coadjuteur du chancelier criminel à Feltre, mais peu de temps après il perdit son père (1731). Il reprit alors ses études de droit et s'inscrivit comme avocat à Venise. En attendant des affaires, il composa un livre de vers et prose mêlés, sorte d'almanach intitulé Esperienza del Passato, l'astrologo dell' Avvenire, o sia l'almanacco critico per l'anno 1732, qui obtint un sérieux succès. En même temps, il composait son premier drame lyrique L'Amalasunte. Un amour malheureux l'ayant obligé à quitter sa ville natale, Goldoni partit pour Milan où il présenta sa pièce; mais, convaincu par les critiques du directeur du théâtre, il la jeta au feu. Le résident de Venise à Milan, qu'il alla voir sur ces entrefaites, le prit en amitié et le nomma son gentilhomme ordinaire : les loisirs que lui laissaient ses fonctions permirent au jeune auteur de commencer son Belisario, pièce en cinq actes, et de faire représenter avec succès un intermède à deux voix, Il Gondoliere veneziano. Les événements de 1733 qui firent perdre à l'Autriche ses possessions d'Italie obligèrent Goldoni à abandonner Milan il se trouva presque sans ressources et mena pendant plusieurs mois une vie errante. Arrivé à Vérone, il y trouva un comédien de sa connaissance, Cazeli, qui le présenta à ses camarades et avec eux joua Belisario du 24 novembre au 14 décembre 1734 sans interruption. Malgré ses défauts, cette tragi-comédie attira la foule : il est vrai qu'elle était encadrée dans deux intermèdes comiques du même auteur, La Pupilla et La Birba, qui contribuèrent beaucoup au succès : l'opéra bouffe était encore inconnu à Venise et ravit les spectateurs. Goldoni composa ensuite une tragédie, Rosamunda, qui ne réussit pas. A l'été, il continua ses pérégrinations; il passa à Padoue où il mit en vers une tragédie intitulée Griselda, puis revint à Venise. Il donna le 4 octobre une grande représentation où toutes les pièces étaient de lui, un prologue. une comédie en un acte, enfin un opéra-comique, la Fondation de Venise. Peu de jours après, il fit jouer avec le même succès Don Juan Tenorio ou le Dissolu, imitation du Festin de Pierre de Molière. En 1736, Goldoni épousa la fille d'un notaire de Gênes, personne aussi belle que sage, qui suivit avec une fidélité remarquable toutes les vicissitudes de sa vie si agitée. Après son mariage, le poète composa une tragédie-comédie, Renaud de Montauban, et une tragédie, Henri, roi de Sicile. Carlo Goldoni (1707-1793), par Alessandro Longhi. C'est à ce moment que la troupe pour laquelle Goldoni travaillait s'enrichit de deux acteurs excellents. Golinetti, Pantalon remarquable, et Sacchi, Arlequin excellent. On sait que ces deux rôles étaient les seuls importants de la scène italienne de cette époque, où l'on ne donnait encore que des farces où les acteurs jouaient masqués, interprétant un canevas tracé par l'auteur. Goldoni, qui avait lu Molière et appréciait toute la différence qui sépare la comédie de caractère des bouffonneries de Cicognini, encouragé par l'arrivée de ces deux excellents acteurs, conçut la pensée de réformer le théâtre italien. Il se proposa dès lors « ce triple but : substituer aux aventures bizarres et triviales la peinture des vices et des ridicules humains; remplacer les pièces à canevas par des pièces entièrement écrites, et enfin dépouiller les comédiens du masque et du costume traditionnel pour leur faire prendre les habits, les gestes et la physionomie de leurs nouveaux rôles ». La réforme ne pouvait se faire en un instant, et Goldoni devait rencontrer beaucoup d'opposition. Il procéda avec précaution et donna d'abord le Courtisan vénitien et le Prodigue, comédies de caractère, partie écrites, partie à canevas, auxquelles succédèrent aussitôt deux pièces à masques et à canevas, les Trente-deux Infortunes d'Arlequin et la Nuit critique. Deux opéras très sérieux, Gustave Vasa et Oronthe, roi des Scythes, furent ensuite très bien accueillis. En 1740, Goldoni avait été nommé consul de Gênes à Venise, mais cette place lui imposait plus de dépenses qu'elle ne lui donnait de ressources, et après avoir composé une comédie de caractère, La Donna di garbo, pièce en trois actes, en prose, la première entièrement écrite, il se mit en route pour Modène (1741), où il espérait recevoir quelque argent qu'il avait chez un banquier qui venait de suspendre ses paiements. Il s'adressa pour cela au duc de Modène qu'il trouva à Rimini au quartier général des troupes espagnoles. Vers ce moment il vint à Livourne où il entra en relations avec la troupe de Madebach qui joua pour la première fois sa Donna di garbo. Il en fut si heureux qu'il s'attacha à la troupe, la suivit à Venise et conclut un arrangement avec son directeur Madebach. Goldoni devait travailler exclusivement pour la troupe et recevait en échange un traitement fixe qui le mettait à l'abri du besoin. Les comédiens s'étaient installés au théâtre Saint-Ange. Les partisans de l'ancienne comédie, dite Commedia del arte, combattirent Goldoni avec acharnement; mais celui-ci redoubla de fécondité. Il avait fait jouer déjà l'Heureuse héritière, l'Honnête Fille, la Bonne Femme, le Cavalier et la Dame, la Veuve rusée; à la dernière représentation du carnaval de 1749, il fit annoncer qu'il donnerait seize pièces nouvelles dans la prochaine saison théâtrale: il tint parole et toutes ses comédies eurent un succès éclatant. L'une d'elles, Il Bugiardo, imitation du Menteur de Corneille, mérite d'être citée à part. Ce travail excessif ne rapporta cependant presque rien à l'auteur; son avide impresario Madebach lui contestait même le droit de faire publier ses oeuvres dramatiques. Le libraire Bettinelli entreprit cependant la première édition du théâtre de Goldoni, dont le premier volume parut à Venise en 1751. La même année, Goldoni suivit ses comédiens à Turin : ici il trouva un public nouveau qui, au lieu de lui reprocher d'abandonner le genre traditionnel italien, trouvait qu'il était bien loin de Molière. Pour répondre à ces attaques, le poète fit une pièce intitulée Moliere dont le sujet était emprunté à la vie même du grand comique et écrite en vers martelliani, qui ressemblaient aux hexamètres français. Ce fut pour lui un véritable triomphe. A la fin de 1752, son engagement avec Madebach étant terminé, il s'entendit avec Vendramini, propriétaire du théâtre Saint-Luc; il n'eut qu'à se louer de celui-ci qui rendit sa situation plus lucrative et plus libre. II se sépara aussi de son libraire Bettinelli qui avait pris le parti de Madebach, et fit publier par Paperini, à Florence, une nouvelle édition de ses pièces en 10 volumes (1753). Malgré sa santé assez atteinte, Goldoni composait toujours de nouvelles pièces. Une de ses comédies en cinq actes, La Spoza persana, eut un très grand succès, et il lui donna des suites : Ircana in Julfa et Ircana in Ispaan, puis La Villegiatura où il raille l'amour exagéré de ses compatriotes pour la campagne. Statue de Carlo Goldoni, par Antonio Dal Zotto (Venise).- © Photo : Serge. Jodra, 2012. Un libraire de Venise, Pitteri, lui offrit alors de publier à ses frais une nouvelle édition de ses oeuvres, et Goldoni accepta avec empressement; jusque-là il avait toujours fait lui-même les frais de ses oeuvres. Cependant le poète voyageait toujours, de Modène à Milan, à Bologne où il composa une pièce intitulée Terenzio. En mars 1756, l'infant don Philippe l'appela à Parme, lui commanda plusieurs comédies et le renvoya chargé de cadeaux avec une pension annuelle. Revenu à Venise, Goldoni se vit reprocher son langage trivial; mais il s'en consolait aisément : tous les théâtres de l'Italie jouaient ses oeuvres. Il se rendit à Rome pour jouir de son succès et revint à Venise avec deux pièces nouvelles en prose, les Amoureux et la Maison neuve (1760). C'est à cette date que commence la grande édition de ses oeuvres, l'édition de Pasquali, avec figures. La même année, Goldoni reçut une lettre de l'ambassade de France qui lui offrait un engagement de deux ans et de beaux appointements s'il voulait venir travailler à Paris pour le Théâtre-Italien. Il partit après avoir pris congé du public vénitien en lui donnant plusieurs pièces nouvelles, accompagné des voeux de ses concitoyens; il quitta, en avril 1761, son pays où il ne devait pas revenir; sa mère venait de mourir et il emmenait sa femme. Les débuts du voyage ne furent pas heureux; il essuya une tempête et vit accueillir très froidement sa première comédie, L'Amor paterno; il comprit alors que le public parisien venait chercher au Théâtre-Italien des arlequinades, et revint aux comédies à canevas et à masques avec le plus grand succès. Il allait quitter Paris quand il fut nommé lecteur et maître d'italien des filles du roi; attaché dès lors à la cour, il la suivit partout; peu intrigant, il se contentait d'une modeste pension de 3600 livres qui le mettait à l'abri du besoin. Il exécuta, ce qu'il rêvait depuis longtemps, une comédie en français : ce fut le Bourru bienfaisant (1771) qui fut joué au milieu d'applaudissements unanimes. Une seconde comédie, l'Avare fastueux (1773), ne réussit pas. L'auteur s'en consola et revint à la scène italienne; il composa aussi pour Londres un mélodrame, La Vittorina, qui fut joué avec succès. Le dernier travail de Goldoni fut ses Mémoires pour servir à l'histoire de sa vie et de son théâtre, écrits en français, terminés en trois ans (1784-1787). Il avait alors quatre-vingts ans. Ces mémoires sont d'une franchise entière et très vivants; la douceur de caractère et l'honnêteté de Goldoni s'y peignent en traits charmants. Les tribulations du pauvre grand homme n'étaient cependant pas terminées. La Révolution française éclata, et sa pension, inscrite sur la liste civile, fut supprimée par la Convention (septembre 1792) comme toutes les autres. L'Assemblée pourtant, sur la proposition de Chénier, revint sur sa décision, et le 7 janvier 1793 lui rendit son petit traitement : le vieillard mourut le lendemain, et sa veuve reçut une pension de 1200 F. La prodigieuse fécondité de Goldoni, qui n'est comparable qu'à celle des auteurs espagnols, Calderon de la Barca et Lope de Vega, est un des traits fondamentaux de son génie; il aborda successivement tous les genres, la tragédie, la tragi-comédie, le drame, l'opéra sérieux, l'opéra-comique, la comédie de caractère, la comédie d'intrigue, sans parler des innombrables pièces à canevas qu'on ne peut juger que par leur succès. Le vrai titre de gloire de Goldoni, et il ne se faisait pas d'illusions, ce sont ses comédies de caractère. La Donna di garbo, L'Adulatore, Il Giocatore, La Donna Volubile, Il Vecchio bizarro, L'Avaro, sont remarquables, et ses pièces ne sont pas seulement imitées des grands auteurs français Molière et Corneille qu'elles rappellent souvent par le sujet. Pour rendre tout à fait justice à la puissante originalité de Goldoni, il faut songer qu'avant Il Cortezan veneziano, on ne voyait sur la scène italienne que des arlequinades et de basses bouffonneries. Ce fut une véritable révolution littéraire. L'observation dans ses comédies est très fine, les moeurs de la société très exactement représentées, surtout celles des classes populaires. Le style est piquant, et les provincialismes vénitiens que les puristes de Florence lui reprochaient rendaient plus gaies les scènes populaires de son théâtre. Mieux que personne Goldoni a compris le but moral que doit poursuivre la comédie; c'est une véritable école de vertu et de bonnes moeurs. Ses oeuvres ont été imprimées à diverses reprises. La plus belle édition classique est l'édition Pasquali en 18 volumes publiés à Venise en 1764 ; la plus complète est celle parue à Venise de 1788 à 1795 sous ce titre : Carlo Goldoni, Raccolta di tutte le sue opere teatrali, fra le quali molte furono inedite; editione distributa in quatro classi, 44 vol. Une autre édition, entreprise à Florence en 1827, comprend 53 volumes. Les Mémoires de Goldoni, parus en France en 1787, ont été traduits en italien et publiés à Venise en 1788. (Ph. B.). |
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