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Açoka (Ashoka)

Ashoka, Açoka ou Asoka est un mot sanscrit signifiant « sans (a) chagrin (çoka) », nom d'une plante (Jonesia Açoka), et aussi de plusieurs personnages rĂ©els ou imaginaires, particulièrement chez les bouddhistes. Ainsi, un des futurs successeurs de Sâkyamouni, le 25e des 1000 bouddhas de « l'âge heureux (bhadra-kalpa) » dans lequel nous sommes, s'appellera Ashoka. Ce nom a Ă©tĂ© illustrĂ© surtout par un puissant roi indien, d'abord persĂ©cuteur, ensuite protecteur et promoteur du bouddhisme, mais dont l'histoire, indĂ©pendamment des lĂ©gendes dont elle est encombrĂ©e, est soumise Ă  des difficultĂ©s de plus d'un genre. 

Les bouddhistes du Sud tranchent la difficultĂ© en reconnaissant deux Ashoka, qu'ils placent prĂ©cisĂ©ment aux Ă©poques indiquĂ©es. 

  • Le premier appelĂ© Kâla-Ashoka (= Ashoka le noir), aurait Ă©tĂ© le fils de Sousounâga, fondateur d'une dynastie nouvelle substituĂ©e Ă  la dynastie de Bimbisâra, dont tous les successeurs s'Ă©taient souillĂ©s du crime de parricide; il aurait rĂ©gnĂ© 20 ans et, dans la 10e annĂ©e de son règne, correspondant Ă  l'an 100 du Nirvâna (443 av. J.-C., selon la chronologie officielle), il aurait rĂ©uni Ă  Vaisâli ce que l'on appelle le « deuxième concile bouddhique », prĂ©sidĂ© par Revata. 
  • Le deuxième Ashoka (qui est le grand Ashoka) porte les qualifications de Kâma-Ashoka (= Ashoka le voluptueux) Chanda-Ashoka (= Ashoka le furieux), Dharma-Ashoka (Ashoka-le-pieux ou le juste), parce que tout d'abord il s'adonna aux plaisirs, ensuite se livra Ă  des actes de cruautĂ© et de persĂ©cution, enfin, se convertit et devint un prince religieux, Ă©quitable et humain. 

  • Le dernier de ces noms, Dharma-Ashoka, doit ĂŞtre regardĂ© comme son nom dĂ©finitif et habituel.

    Quelle est l'origine d'Ashoka? Les chroniques cinghalaises le font fils de Bindousâra et petit-fils de Chandragoupta, princes qui furent tous les deux en relations avec les rois grecs, successeurs d'Alexandre, et appartiennent Ă  la dynastie Maurya qui avait remplacĂ© les descendants de Kâla-Ashoka. Les textes bouddhiques du Nord qui ne concordent pas entre eux s'Ă©loignent plus ou moins de cette donnĂ©e. Selon Târânatha, Ashoka serait le fils d'un roi de la frontière, Nemita, qui, charmĂ© de la valeur qu'il avait dĂ©ployĂ©e, lui aurait donnĂ© un gouvernement. Ce qui paraĂ®t certain, c'est que Ashoka fut associĂ© au pouvoir du vivant de son père. Son père dĂ©cĂ©dĂ©, il s'empara du trĂ´ne et fit la guerre Ă  ses frères; la lĂ©gende lui en donne 99 de mères diffĂ©rentes qu'il aurait tuĂ©s tous sauf un seul. On peut considĂ©rer comme certain qu'il en eut au moins deux, un frère aĂ®nĂ© consanguin, dont il se dĂ©barrassa, un frère cadet utĂ©rin qu'il Ă©pargna. Au dĂ©but de son règne il se montra très favorable au brahmanisme et dirigea contre les bouddhistes une persĂ©cution dont l'atrocitĂ© a probablement Ă©tĂ© fort exagĂ©rĂ©e par ceux qui l'ont subi. En mĂŞme temps il agrandit ses États par des guerres heureuses, qui Ă©tendirent sa domination depuis la chaĂ®ne de l'Himalaya jusqu'Ă  celle des monts Vindhya et depuis les frontières de l'Afghanistan jusqu'Ă  l'extrĂ©mitĂ© orientale de la pĂ©ninsule. En un mot, tout l'Hindoustan obĂ©issait Ă  ses lois. 

    On assure mĂŞme que son empire fut Ă©tendu jusque sur le Sud, c. -Ă -d. le Dekkan et mĂŞme sur les contrĂ©es qui entourent l'Inde. Trois ans après son avènement, Ashoka choisit Pâtalipoutra (auj. Patna) pour sa capitale, et y fit une entrĂ©e solennelle; il venait Ă  ce moment d'adhĂ©rer au bouddhisme. Il manifesta son dĂ©vouement Ă  la cause nouvelle qu'il avait embrassĂ©e avec un grand zèle. Ashoka a Ă©tĂ© comparĂ©, non sans raison, Ă  Constantin et Ă  Charlemagne, pour la protection accordĂ©e au culte qu'il avait adoptĂ©. IndĂ©pendamment des largesses qu'il fit aux membres de la confrĂ©rie, et dont on fait des descriptions extravagantes, il tĂ©moigna son zèle par trois actes principaux dont le rĂ©cit est presque toujours prĂ©sentĂ© par les auteurs bouddhistes avec beaucoup d'exagĂ©ration : 

    1° Il multiplia les StoĂ»pas, monuments funĂ©raires qui contiennent ou sont censĂ©s contenir des reliques; pour cela, il fit dĂ©molir les 8 stoĂ»pas primitifs dans lesquels on avait dĂ©posĂ© les restes du Bouddha pour les rĂ©partir dans 84 000 monuments nouveaux; il fit aussi publier 84 000 Ă©dits religieux (le nombre 84 000 est un nombre en quelque sorte sacramentel); 
    2° il réunit à Pâtalipoutra (Patna), dans la 17e année de son règne une assemblée religieuse, ce que l'on appelle « le 38 concile bouddhique », présidé par Tichya (en pâli Tisso), fils de Moggali, et dont les séances durèrent 9 mois. Ce concile fut le dernier (selon les bouddhistes du Sud), et le canon bouddhique tel qu'il existe encore aujourd'hui aurait été fixé dans ce concile;

     3° il organisa des missions pour porter le bouddhisme dans les pays oĂą cette religion n'avait pas encore pĂ©nĂ©trĂ© : le Cachemire et le Gandhara, le Vanavasi et l'Aparantaka, la Maharatta, le Yona (Grèce, Bactriane?), l'Himavat (rĂ©gions himalayennes), le Souvanna-bhoumi (la Chersonèse d'or, Inde transgangĂ©tique?), Sinhala (Sri lanka). On donne les noms des chefs de mission envoyĂ©s dans ces pays; au Sri Lanka, ce fut le propre fils d'Ashoka, Mahinda qui Ă©tait un membre de la confrĂ©rie bouddhique.

    De ces trois actes le premier a surtout Ă©tĂ© vantĂ© et amplifiĂ© d'une manière extravagante par les bouddhistes du Nord; les autres ont Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©s spĂ©cialement par ceux du Sud. Ceux du Nord les amoindrissent ou les prĂ©sentent autrement; ainsi, d'après eux le concile tenu sous Ashoka n'est pas le plus rĂ©cent ni le dĂ©finitif; ils en connaissent un autre postĂ©rieur tenu sous un autre roi  : l'extension du bouddhisme au loin n'aurait pas eu Ashoka pour initiateur, et, pour ne citer qu'un exemple, l'introduction de leur religion dans le Cachemire est selon eux antĂ©rieure Ă  Ashoka. Ils prĂ©tendent aussi que le Bouddha lui-mĂŞme aurait Ă©tĂ© visiter l'Ă®le de Sri Lanka (Ceylan) oĂą, par consĂ©quent, la prĂ©dication du Bouddhisme aurait retenti bien avant le temps d'Ashoka.

    Il y a donc malgrĂ© un certain accord gĂ©nĂ©ral sur les faits et gestes de ce roi des divergences nombreuses dans les dĂ©tails. On les retrouve jusque dans le rĂ©cit de la mort du grand roi : selon les uns il aurait succombĂ© Ă  un accès de colère causĂ© par le sentiment de l'affaiblissement dĂ» Ă  l'âge, d'autres donnent Ă  entendre que les grands auraient hâtĂ© sa fin Ă  cause de la part exagĂ©rĂ©e qu'il les forçait de prendre Ă  ses largesses envers la confrĂ©rie du Bouddha. D'après certaines inscriptions, il serait mort moine, membre de la confrĂ©rie bouddhique. 

    Ce que l'on peut affirmer avec un haut degré de certitude, c'est que Ashoka fut un grand et puissant roi, violent à ses débuts, relativement juste et clément, quoique toujours despote, dans la suite de son règne, et qui contribua puissamment à l'affermissement du bouddhisme au dedans de l'Inde, ainsi qu'à son extension au dehors. Les bouddhistes du Sud ne parlent guère de lui que dans des écrits extra-canoniques, qui ont le caractère de simples chroniques; mais dans la littérature bouddhique du Nord, son nom se trouve mêlé à une foule de légendes qui font partie du canon sacré.

    Les  assertions fondamentales des Ă©crivains bouddhistes sur Ashoka ont reçu une confirmation remarquable (qui cependant ne lève pas toutes les difficultĂ©s et mĂŞme en introduit de nouvelles) des dĂ©couvertes Ă©pigraphiques faites dans le premier tiers du XIXe siècle et quelque peu accrues encore par la suite par d'heureuses investigations. Dans 15 Ă  20 localitĂ©s indiennes très distantes les unes des autres, depuis les environs de Peshawar jusqu'Ă  la cĂ´te d'Odisha et Ă  la frontière du Dekkan, on a trouvĂ© sur des parois de rocher, sur des piliers, dans des grottes, des inscriptions diverses, presque toutes des Ă©dits royaux rĂ©pĂ©tĂ©s plusieurs fois pour la plupart (il en est, dont la reproduction est quintuple), qui sont les plus anciens monuments Ă©pigraphiques de l'Inde
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    Edits d'Açoka.
    Les Edits d'Ashoka, au Musée national de New Delhi.
    Photo : © Serge Jodra, 2011.

    La lecture et l'interprĂ©tation de ces textes, Ă©crits avec deux alphabets spĂ©ciaux et rĂ©digĂ©s dans un dialecte dĂ©rivĂ© du sanscrit qui n'est ni le pâli ni le prâkrit pur, ont fait connaĂ®tre qu'ils Ă©manent en grande majoritĂ© d'un roi puissant appelĂ© Piyadasi qui se proclame « cher aux Devas (Devânem piyo) », que ce roi recommandait l'observation des prĂ©ceptes du Bouddha, la douceur envers les animaux, la tolĂ©rance  envers les humains, l'unitĂ© de religion, qu'il y eut sous son règne une assemblĂ©e religieuse en Magadha Ă  laquelle il adressa des avis, ou du moins des suggestions et des dĂ©sirs sur l'objet de ses dĂ©libĂ©rations, qu'il favorisa la propagation du bouddhisme, qu'il Ă©tait contemporain du roi grec (Yona-Radja) Antiochus (Antiyoke), de PtolĂ©mĂ©e (Touramaya), d'Antigone (Antikini), de Magas (Maga), d'Alexandre (Alikasandare). 

    On admet que Piyadasi n'est autre que Ashoka. Cette identification repose sur les bases suivantes  : l'existence de piliers et d'Ă©dits attribuĂ©s par la tradition Ă  Ashoka, et dont plusieurs ont Ă©tĂ© vus par les pèlerins bouddhistes, Fa-Hian et Hiouen-tsang; - l'esprit religieux que ces textes respirent; - l'adresse Ă  l'assemblĂ©e du Magadha, qui paraĂ®t bien ĂŞtre le « 38 concile » (quoique le plan esquissĂ© par le roi ne donne guère l'idĂ©e de la compilation du Tipitaka attribuĂ©e par la tradition au dit concile); - l'Ă©tendue des Ă©tats de Piyadasi qui, tant par la situation des inscriptions que par certains dĂ©tails des proclamations, très peu explicites Ă  cet Ă©gard du reste; correspondent Ă  ce que l'on admet sur l'Ă©tendue de l'empire d'Ashoka; - enfin, l'association exceptionnelle des noms de Piyadasi et de Ashoka appliquĂ©s Ă  un mĂŞme personnage en deux passages par la chronique cinghalaise Dipavamso; car, Ă  part ce cas tout particulier, les textes bouddhiques ne connaissent pas plus Piyadasi que les inscriptions ne connaissent Ashoka. Ce n'est pas que Piyadasi soit un nom ignorĂ© des bouddhistes; mais ils l'ont donnĂ© au 13e des 24 bouddhas antĂ©rieurs Ă  Sâkyamouni Ă©numĂ©rĂ©s dans le Bouddhavamso. Ainsi, Ashoka-Piyadasi porte deux noms de bouddha, l'un bouddha futur (Ashoka), l'autre bouddha passĂ© (Piyadasi). Quant au qualificatif Devânam piyo « Cher aux Devas », on le trouve dans les chroniques cinghalaises, seul ou accolĂ© au mot Tisso, dĂ©signant toujours le roi de Ceylan contemporain de Ashoka, celui qui fut converti par Mahinda, fils du souverain indien. 

    Les synchronismes fournis par les inscriptions, nous donnent une base pour fixer le temps d'Ashoka. La tâche n'est pas sans difficulté parce que les noms cités ont été portés par plusieurs personnages d'époques différentes. Sans entrer dans la discussion, nous dirons que l'on est d'accord pour voir dans l'Antiochus de Piyadasi Antiochus II theos (262-247), et que Cunningham s'appuyant sur cette donnée et sur les supputations bouddhiques qui placent Dharma-Ashoka 218 ans après le Nirvâna, a cru pouvoir fixer l'apparition d'Ashoka sur la scène politique à l'an 277 av. J.-C.; son intronisation aurait eu lieu en 260, sa conversion en 257, son traité avec Antiochus en 256, son premier édit sur roc en 251; le 3e concile en 244, la conversion de l'île de Ceylan en 243; la mort du roi en 223. Remontant plus haut, Cunningham place en 292 l'avènement de Bindousâra, père d'Ashoka, et en 316 celui de Chandragoupta son grand-père. Le Nirvâna de Sâkyamouni se trouve alors descendre à l'an 478 (au lieu de 543, date officielle). Cette chronologie n'est pas certaine; mais c'est la plus vraisemblable. (L. Feer).

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    Dictionnaire biographique
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